Séance en hémicycle du 20 janvier 2009 à 22h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

(Ordre du jour réservé)

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat n° 3 de M. Hubert Haenel à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes sur les enseignements de la présidence française de l’Union européenne.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Hubert Haenel demande à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes de tirer les enseignements de l’exercice par la France de la présidence de l’Union européenne. Il lui demande, notamment, si les changements semestriels de présidence ne risquent pas de retarder les progrès des dossiers en cours et s’il considère que la gestion des crises par l’Union européenne au cours du dernier semestre a fait apparaître un nouvel équilibre entre les différentes institutions de l’Union. »

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Haenel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la séance d’aujourd’hui pourrait préfigurer la semaine mensuelle réservée au contrôle parlementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Absolument, mon cher collègue ! Et peut-être ces séances se dérouleront-elles en un lieu plus adapté !

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Haenel

La conférence des présidents devrait en effet décider, selon votre souhait, monsieur le président, que ces réunions auront lieu à un étage inférieur.

Je tiens également à souligner que c’est sans doute la première fois que le président du Sénat en personne préside une séance de nuit consacrée à la discussion d’une question orale européenne avec débat. Comme vous pouvez le constater, nous innovons !

Je ne vais pas m’attarder sur le bilan proprement dit de la présidence française. Vous nous avez adressé un document fort bien réalisé et très complet sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État. Tous les ministres nous ont d’ailleurs fait parvenir, ces derniers jours, le bilan de la présidence française dans leur secteur de responsabilité.

Chacun d’entre nous, et c’est légitime, peut avoir son jugement sur ce bilan. En cherchant bien, on peut toujours estimer que, sur tel ou tel point, on aurait pu obtenir un meilleur résultat.

Je voudrais cependant rappeler, une fois de plus, qu’il ne faut pas aborder les réalités européennes avec les habitudes de pensée de la vie politique nationale, avec des « lunettes françaises ». Une présidence européenne dure peu. Elle est le maillon d’une chaîne et le pays qui l’exerce ne préside, en fait, que deux institutions : le Conseil européen, qui comprend les chefs d’État et de gouvernement, ainsi que le président de la Commission, et le Conseil de l’Union, qui réunit les ministres compétents en fonction des sujets abordés.

Le rôle d’une présidence est de faire en sorte que ces deux institutions parviennent, en coopération avec les autres institutions de l’Union, à des résultats répondant aux grandes attentes des citoyens européens. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est le très large accord qui s’est manifesté pour estimer que la présidence française avait particulièrement bien rempli ce rôle.

Ce qui caractérise l’Europe, nous le savons tous, c’est sa très grande diversité sur de nombreux plans, et notamment sur le plan politique. Et pourtant, à chaque fois que j’ai rencontré, durant cette présidence, des collègues des autres parlements nationaux ou du Parlement européen, j’ai constaté le même soutien à la manière dont la France exerçait sa présidence. Cela fut le cas, notamment, lors de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union, la COSAC, qui s’est déroulée au Sénat, au mois de novembre, en présence du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale : tous les représentants des parlements nationaux ont salué ce qu’avait accompli la présidence française pour débloquer, au cours de l’été et au début de l’automne, un certain nombre de situations.

Il y a donc des enseignements à tirer de cette présidence, qui vont bien au-delà des quelques mois qu’elle a duré. Qu’est-ce qui lui a donné une valeur particulière ?

Elle n’a pas été une présidence pour les thèses françaises, les intérêts français, cela va de soi : ce n’est pas le rôle d’une présidence européenne. Mais elle n’a pas non plus été une présidence de « bon élève ». Bien des habitudes ont été largement bousculées. Il y a eu des réunions de formats très différents, certaines très restreintes, d’autres très larges. L’activité a été importante en plein mois d’août. Lors de son audition, la semaine dernière, devant la commission des affaires européennes du Sénat, M. Pierre Sellal nous a déclaré qu’il semblait inimaginable de pouvoir réunir des fonctionnaires européens les 13 et 14 août et de mobiliser sa propre équipe, au sein de la représentation permanente, dès le retour de vacances de certains de ses membres. Et nous avons vu, sous l’effet d’une présidence volontariste, les institutions collaborer très étroitement entre elles au lieu de défendre, comme d’habitude, leurs « prés carrés » respectifs.

On dira qu’il faut faire la part des circonstances, que la présidence française a eu plusieurs crises à gérer, que les institutions et les États membres ont compris que faire cavalier seul serait mal perçu. C’est assurément vrai, mais cela ne suffit pas à expliquer la capacité d’entraînement particulière qui a caractérisé la présidence française.

Ce qui explique cette capacité d’entraînement, c’est, me semble-t-il, le fait que la présidence française est allée plus loin que d’habitude dans le sens d’une affirmation de l’Europe. Ce fut vrai lors de la crise géorgienne, ce fut vrai lors de la crise financière, ce fut vrai aussi lors de la négociation du paquet « énergie-climat », animée par l’ambition que l’Europe reste en tête dans ce domaine.

Chacun a pu constater que rien, à part ses propres inhibitions, n’empêchait l’Europe, quand elle le voulait, de s’affirmer davantage de manière autonome. C’est naturellement une leçon essentielle à tirer de la présidence française. Car nous sommes entrés dans un monde dont l’une des caractéristiques est le recul relatif de la puissance américaine, qui reste considérable, mais n’est plus « l’hyper-puissance » évoquée par Hubert Védrine dans les années quatre-vingt-dix. Bon gré mal gré, l’Europe ne pourra plus, qu’elle le veuille ou non, se contenter de vivre à l’ombre des États-Unis. Elle est désormais condamnée à assumer davantage de responsabilités. Nous avons vu durant la présidence française que, dans certains domaines au moins, L’Europe était parfaitement capable de le faire.

Or cette affirmation de l’Europe est inséparable d’une place accrue du politique dans son fonctionnement ; cela ne peut que vous faire plaisir, monsieur le président, car c’est votre leitmotiv pour le Sénat ! Le Président Nicolas Sarkozy avait déclaré vouloir mettre plus de politique dans la vie de l’Union, et c’est bien ce qu’il a fait : le Conseil européen, qui avait tendance à devenir le déversoir des questions non résolues par le Conseil, a rempli effectivement le rôle que lui confient les traités et qui est de donner à l’Union des « impulsions politiques ».

Nous avons ainsi souligné lors de votre audition, monsieur le secrétaire d’État, ce fait presque miraculeux : au lieu des vingt ou trente pages habituelles, les conclusions du Conseil européen tenaient en cinq pages. Enfin, nous pouvions lire ses décisions !

Chacun a pu constater que lorsque les institutions les plus « politiques », le Conseil européen et le Parlement, occupent le devant de la scène, le fossé souvent souligné entre les opinions publiques et l’Europe a tendance à se résorber. Lorsque les responsables de l’Union se sont engagés résolument dans l’action contre la crise financière, lorsqu’ils ont agi en faveur d’un cessez-le-feu en Géorgie, personne n’a jugé que l’Europe était lointaine, coupée des préoccupations des citoyens, ou bien qu’elle en faisait trop.

À cet égard, une autre leçon de la présidence française est bien le faible intérêt – tant mieux ! – de certaines controverses institutionnelles qui ont tant agité l’Union au cours des dix ou quinze dernières années. La présidence française s’est située en dehors des controverses pour viser avant tout des résultats. Et une vérité fort simple est apparue : l’Europe est efficace lorsque ses institutions coopèrent pleinement entre elles et que l’Union et les États membres travaillent dans le même sens. Pour obtenir ce résultat, il faut une présidence active, volontaire, sachant écouter, mais aussi provoquer la décision, c’est-à-dire une présidence capable d’entraîner.

Allons-nous – et c’est tout le sens de ma question ! – être capables de préserver cette nouvelle manière de fonctionner de l’Union ?

Bien entendu, si, comme je l’espère, ainsi qu’un certain nombre de mes collègues, le traité de Lisbonne entre en vigueur avant un an, le Conseil européen sera doté d’un « président stable », élu par celui-ci pour deux ans et demi renouvelables.

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Haenel

Il est clair, désormais, que ce choix sera capital.

Car s’il y a un enseignement à tirer de la présidence française, c’est bien celui-là : l’Europe a besoin d’une vraie présidence. Est-ce que cette exigence s’imposera ? Je l’espère, mais nous n’avons pas de certitude : il sera facile, comme c’est la tendance habituelle des chefs d’État et de gouvernement, de choisir un « monsieur bons offices », habile et prudent, auquel tous pourront se comparer sans que leur vanité en souffre.

La tentation sera d’autant plus grande qu’en raison du report de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne il y a toutes les chances que les différentes nominations qui auront lieu dans la deuxième moitié de 2009 – président du Conseil européen, président de la Commission, Haut représentant de l’Union – prennent malheureusement la forme d’un marchandage global.

Or, monsieur le secrétaire d’État, nous savons bien comment se passent ces marchandages. Il faut un équilibre entre institutions, entre grands courants politiques, entre « petits » et « grands » États, entre anciens et nouveaux membres. Est-ce qu’il en sortira une présidence dotée d’une véritable capacité d’entraînement ? La priorité de la France sera-t-elle de faire en sorte que l’on ne revienne pas en arrière ? Même si notre pays n’assure plus la présidence de l’Union européenne, il doit faire en sorte que les acquis des six derniers mois de l’année 2008 soient conservés.

Pour ma part, ces incertitudes me font regretter que n’ait pas été retenue la suggestion du président Giscard d’Estaing, durant la Convention, qui souhaitait – mais l’idée n’était pas mûre – que le président du Conseil européen soit élu par un congrès des peuples réunissant des parlementaires européens et nationaux, ce qui aurait donné au président l’autorité nécessaire pour exercer pleinement sa fonction.

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Haenel

Il n’aurait pas été un simple choix, en catimini et à huis clos, des chefs d’État et de Gouvernement.

La présidence française a montré que l’Europe pouvait s’affirmer davantage et fonctionner de manière plus active, plus pragmatique, plus différenciée. Notre collègue Pierre Fauchon travaille d’ailleurs, au sein de la commission des affaires européennes, sur la manière dont les coopérations renforcées entre certains pays membres pourraient être mieux utilisées pour faire progresser la construction européenne.

On voit donc bien le sens de ma question : après avoir expérimenté une nouvelle manière de faire fonctionner l’Union, monsieur le secrétaire d’État, allons-nous revenir maintenant plus ou moins clairement aux anciennes habitudes ? Ou bien allons-nous tout faire pour que cette expérience ne soit pas sans lendemain ? J’espère que c’est cette seconde solution qui sera choisie ; en ce début d’année, c’est le vœu que je forme pour l’Europe.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union européenne a été unanimement saluée comme une grande réussite.

Une réussite pour notre pays, d’abord. Pendant les six mois de sa présidence, la France a su faire avancer les priorités qu’elle s’était fixées. Je pense, en particulier, au lancement de l’Union pour la Méditerranée, à l’adoption du pacte européen sur l’immigration et l’asile, au bilan de santé de la politique agricole commune, ou encore à la relance de l’Europe de la défense.

Une réussite pour l’Europe, ensuite. Grâce aux efforts de la présidence française, l’Union européenne s’est davantage affirmée au cours de ces six derniers mois sur la scène internationale.

Ainsi, lors de la guerre russo-géorgienne d’août dernier, l’Union européenne a été pour la première fois en mesure de mettre un terme à un conflit armé, d’obtenir un cessez-le-feu, d’envoyer une mission d’observation et de négocier un accord en six points, qui a été accepté par les deux parties.

Face à un partenaire aussi difficile que la Russie, l’Union européenne a montré qu’elle pouvait jouer un rôle majeur sur la scène internationale, dès lors qu’elle parlait d’une seule voix et qu’elle avait su trouver en son sein un accord permettant cette unité d’action.

De même, avec l’adoption du paquet « énergie-climat », l’Union européenne a confirmé son rôle moteur dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique au niveau international.

Mais c’est surtout dans sa gestion des crises que la présidence française aura démontré sa capacité à rebondir.

Outre le conflit géorgien, la crise économique et financière internationale aura fortement marqué cette présidence. Face à une crise d’ampleur mondiale, qui touche désormais l’économie réelle, l’Europe, première puissance économique et commerciale, ne pouvait pas rester inactive. Là encore, la présidence française a joué un rôle majeur pour promouvoir une approche coordonnée, obtenir des autorités américaines la réunion du G20 à Washington et poser les bases d’une régulation du système financier international.

Enfin, rappelons que la présidence française avait débuté quelques jours seulement après le « non » irlandais au traité de Lisbonne. Face à la menace d’une nouvelle paralysie institutionnelle, elle a su réagir.

La feuille de route, qui a été adoptée lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre dernier, devrait permettre une entrée en vigueur du traité de Lisbonne avant la fin de l’année 2009. L’actuelle présidence tchèque aura, à cet égard, une grande responsabilité, et l’on peut espérer, monsieur le secrétaire d’État, que le courant eurosceptique, représenté en République tchèque au plus haut niveau de l’État, ne mettra pas trop d’obstacles à sa ratification.

À l’aune de ce bilan très positif, quels enseignements peut-on tirer de la présidence française ? Pour ma part, j’en retiens trois.

Premier enseignement, si l’Europe a pu s’affirmer sur la scène internationale, c’est d’abord grâce à l’action déterminante du Président de la République, porté par la conviction qu’il nous faut agir. Car le temps ne joue pas en notre faveur, ainsi qu’il l’exprimait vendredi dernier, lors de ses vœux au corps diplomatique. C’est grâce à son volontarisme que l’Union européenne a réussi à mettre un terme à la phase aiguë du conflit russo-géorgien, qu’elle s’est engagée résolument contre la crise financière ou qu’elle est parvenue à un accord historique sur le paquet « énergie-climat ».

L’Europe a donc besoin avant tout d’un véritable leadership. Le Conseil européen est, par définition, l’organe d’impulsion de l’Union européenne. Mais, comme on le sait, il souffre actuellement du système de la présidence tournante tous les six mois.

Avec le traité de Lisbonne, l’Union européenne disposera d’un président stable du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelable une fois. Ce sera un facteur de progrès considérable pour la visibilité et l’efficacité de l’action de l’Union européenne, pour peu que ce président ne se contente pas de jouer le rôle d’un honnête courtier. Plus que d’un « président chairman », l’Europe a besoin d’un président fort, qui soit capable de donner des impulsions politiques et de jouer tout son rôle en matière internationale, aux côtés du Haut représentant et du président de la Commission européenne. C’est de cette manière que l’Europe pourra s’affirmer davantage sur la scène internationale et aussi vis-à-vis des citoyens. Le choix de la personnalité pour occuper cette fonction sera donc déterminant.

Deuxième enseignement, une coopération entre les différentes institutions européennes et entre celles-ci et les États membres est indispensable.

Qu’il s’agisse de l’Union pour la Méditerranée, du paquet « énergie-climat », ou encore du traité de Lisbonne, la présidence française a su écouter, dialoguer et proposer des compromis de nature à lever les réticences de certains de nos partenaires européens.

Si la France a été unanimement saluée en Europe pour sa présidence, c’est parce qu’elle a su jouer collectif et représenter véritablement les intérêts de l’Union européenne dans son ensemble.

Ainsi, il était légitime de prendre en compte les préoccupations des pays d’Europe centrale et orientale à l’égard du paquet « énergie-climat ». Personne ne pourrait reprocher à la Pologne d’être dépendante du charbon. Je me réjouis à cet égard que le renforcement des relations avec ces pays depuis plusieurs mois ait porté ses fruits.

Je me félicite aussi du dialogue permanent entretenu par la présidence avec la Commission européenne et le Parlement européen. Là aussi, il faut reconnaître que notre pays avait, par le passé, quelque peu négligé l’importance de ces deux institutions.

L’hommage appuyé rendu par le Parlement européen au Président de la République lors de son discours de clôture a montré qu’à l’occasion de sa présidence la France était parvenue à nouer des relations de confiance avec ces deux institutions.

Il faut espérer que, lors du prochain renouvellement du Parlement européen et de la Commission européenne, l’influence de notre pays en sortira encore renforcée.

Troisième enseignement, enfin, une démarche pragmatique est souvent plus efficace que des belles déclarations. J’en veux pour preuve les progrès enregistrés en matière de politique européenne de sécurité et de défense, dont la France avait fait l’une de ses priorités.

Je rappelle tout d’abord que, du point de vue de l’implication de l’Union européenne dans la gestion des conflits, les mois écoulés ont été particulièrement actifs. L’EUFOR s’est pleinement déployée au Tchad et l’installation de la mission EULEX au Kosovo a démarré avec succès. Une mission civile d’observation a été envoyée en Géorgie. Enfin, la première opération maritime de l’Union européenne a été décidée, pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie.

Dans le même temps, la présidence française s’est attachée, avec succès, à réunir nos partenaires sur un certain nombre d’orientations à court et à moyen termes de nature à renforcer la politique européenne de sécurité et de défense.

L’ambition européenne constitue, le Livre blanc l’a fortement souligné, une dimension essentielle de notre politique de défense. Mais, sauf à demeurer dans un registre purement incantatoire, elle doit s’appuyer sur une analyse objective et réaliste des conceptions et du niveau d’ambition de nos partenaires européens.

C’est, à mon sens, à juste titre qu’a été privilégiée une approche concrète et pragmatique, qui n’a certes pas donné lieu à des annonces spectaculaires, mais qui consolidera et développera les acquis de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD.

La méthode des « petits pas », chère à Jean Monnet, reste bien au cœur de la construction européenne.

Au-delà de la nécessaire mise à jour de la stratégie européenne de sécurité, il me paraît très utile que l’Union européenne définisse de manière beaucoup plus précise la nature et l’ampleur des opérations civiles et militaires qu’elle entend pouvoir mener dans les années à venir.

À cet égard, les objectifs qui ont été approuvés dans le cadre de la déclaration sur les capacités constituent pour la PESD un véritable contrat opérationnel. Ils sont de nature à mobiliser les pays européens autour d’efforts bien identifiés pouvant améliorer concrètement nos capacités d’action.

Ce nouveau niveau d’ambition est en effet une déclinaison vivante et intelligente des objectifs fixés lors du Conseil européen d’Helsinki, il y a dix ans, d’après lesquels l’Union européenne devrait être en mesure de déployer au moins 60 000 hommes en 60 jours sur un théâtre d’opération. Chacun avait alors à l’esprit le schéma d’une opération lourde du type Kosovo. Aujourd’hui, comme le montrent les opérations menées actuellement, il s’agit davantage pour l’Union européenne d’être en mesure de déployer rapidement des dispositifs militaires ou civils sur plusieurs théâtres d’opérations, en s’adaptant à chaque type de situation.

On peut également se féliciter de l’accord intervenu en novembre dernier entre les ministres de la défense autour de projets concrets sur les hélicoptères, le transport aérien, les capacités aéronavales, ou encore le lancement en commun d’une nouvelle génération de satellites d’observation.

En revanche, il faut regretter que le blocage persiste sur le développement de capacités autonomes de planification et de conduite d’opérations. Un centre d’opération de taille raisonnable, sensiblement plus étoffé qu’aujourd’hui, représenterait un vrai progrès pour nos opérations européennes. L’administration américaine elle-même en a reconnu l’intérêt, faisant d’ailleurs tomber l’argument peu convaincant du risque de concurrence avec le SHAPE.

Je me félicite néanmoins qu’un accord soit intervenu sur la création d’une structure unique de planification stratégique civilo-militaire pour les opérations et missions de la PESD, ce qui permettra d’améliorer les synergies et de gagner en efficacité. On le souligne souvent, la possibilité de réunir dans une même main les moyens militaires et civils de gestion de crise constitue l’une des originalités de l’Union européenne. Il s’agit là d’une dimension que nous avons tout intérêt à développer et à perfectionner, car la complexité des crises actuelles exige la mise en œuvre d’une large gamme d’instruments.

J’espère donc, monsieur le secrétaire d’État, que nous continuerons à faire avancer ce dossier, comme d’ailleurs celui des relations Union européenne-OTAN, tant avec la nouvelle administration américaine qu’avec nos partenaires britanniques.

Pour conclure, je voudrais dire un mot des relations franco-allemandes.

Si la présidence française a été une réussite, c’est aussi la preuve que le moteur franco-allemand continue de fonctionner. Mais comme le soulignait récemment le Président Valéry Giscard d’Estaing, il semble que, même si les relations franco-allemandes ont toujours connu certaines tensions, les deux pays se soient quelque peu éloignés ces dernières années.

Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous connaissez très bien ce pays. Je sais aussi que, dès votre prise de fonction, vous vous êtes rendu en Allemagne afin d’avoir des entretiens avec les plus hautes personnalités. Peut-être pourrez-vous nous dire les principaux enseignements que vous retirez de ce déplacement concernant l’état des relations entre nos deux pays.

Comme nous le savons tous ici, la relation franco-allemande, même si elle ne doit pas être exclusive, reste le principal moteur de la construction européenne. Il est donc indispensable de dissiper les malentendus et de renforcer nos relations, car c’est la seule manière de faire progresser l’Europe politique.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union européenne vient de s’achever. L’heure est donc au bilan. Disons-le sans attendre, ce bilan est globalement positif, du moins en apparence.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Les médias ont salué l’investissement personnel du Président de la République, qui n’a pas ménagé ses efforts, ses déplacements et ses rencontres. C’est un fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

M. Yvon Collin. Mais cela ne suffit pas à adresser un satisfecit à notre Président et à son Gouvernement dans cette mission de six mois à la tête de l’Union européenne. En effet, il convient de rester modeste : la majorité des dossiers n’a-t-elle pas fait que suivre son cours ?

M. Pierre Bernard-Reymond s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Seul le paquet « énergie-climat » sort très nettement du lot.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Il a connu une accélération remarquable, faisant de l’Europe l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique et pour la sécurité énergétique. Bien qu’assorti in extremis de réelles concessions aux Allemands et aux Polonais, ce plan précis et contraignant est un pas très important dans un domaine où il était urgent d’intervenir vigoureusement.

Pour le reste, il faut le reconnaître, ce sont avant tout des événements exceptionnels qui ont donné du relief à la présidence française de l’Union européenne. Force est de constater, en effet, que ce sont des crises – les crises internationales, la crise financière, la crise économique – qui ont mis en exergue l’action de la France pendant ces six derniers mois.

Au passage, il faut aussi rappeler que la conjoncture internationale était des plus favorables, puisque notre présidence s’est exercée durant la période de transition que traversait l’administration américaine, laissant par là même le champ libre, sur la scène internationale, à un intérim européen pour le leadership des relations internationales.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Comme très souvent, il faut reconnaître que notre Président de la République est expert pour s’emparer des opportunités politiques qui s’offrent à lui.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

La crise géorgienne et la crise financière ont donc fourni l’occasion de mettre l’Europe à l’épreuve. Ces deux « accidents » majeurs, même s’ils étaient prévisibles, ont bousculé l’Union européenne et ont conduit les autorités françaises à affirmer un style de gouvernance axé sur l’urgence, la réactivité et la cohésion.

Sur le plan diplomatique, l’activisme du Président de la République a certainement été très déterminant pour la préservation de l’unité de vues des États membres et l’obtention rapide d’un cessez-le-feu entre la Géorgie et la Russie. Le danger de voir les troupes russes s’enfoncer dans ce pays était en effet bien réel. En créant les conditions d’un dialogue, qui n’est jamais facile, avec les dirigeants russes, le pire a été évité, en tout cas jusqu’à ce jour.

Sans donner un quelconque assentiment aux initiatives parfois hésitantes du Président de la République – souvenons-nous des errements avec la Chine sur la question tibétaine –, il est toutefois normal de saluer chaque geste politique ou diplomatique portant la moindre espérance de paix.

S’agissant de la crise économique et financière, on peut là aussi reconnaître les efforts qui ont été fournis par la présidence française pour apporter une réponse rapide destinée à rétablir la confiance qui était en train de disparaître et ainsi permettre le retour à un fonctionnement plus régulé du secteur financier. De la réunion informelle de Nice en septembre jusqu’au sommet international de Washington en novembre, les initiatives ont été nombreuses et ambitieuses. Dans cette affaire, consciente de la gravité de la crise, l’Europe est apparue déterminée aux yeux du monde, ce qui est important.

Cependant, au terme de ces six mois de présidence française, nous devons, comme souvent avec ce gouvernement, faire la part entre ce qui relève de l’affichage et la réalité.

Oui, l’Europe a souvent parlé d’une même voix ! Mais il faut aussi constater que sa stratégie économique durant cette période a surtout consisté à valider une série de plans nationaux. Une Europe véritablement unie, ce serait une Europe aux politiques budgétaires et économiques coordonnées. Hélas ! on en est encore très loin.

La crise en a peut-être diffusé l’idée, mais le discours sur les vertus d’une action concertée peine à se concrétiser dans les faits. Pourtant, comme l’indique le rapport intitulé La coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ?, que j’ai corédigé avec mon collègue Joël Bourdin – permettez-moi de vous dire que vous avez d’excellentes lectures, monsieur le secrétaire d’État

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Malheureusement, cette volonté est jusque-là restée formelle. Même le pacte de stabilité, brandi comme un instrument de la coordination, n’est en fait qu’un simple corps de règles plus ou moins contraignantes ; il fixe des objectifs, sans toutefois fournir les outils pour les atteindre. Ce pacte se révèle d’ailleurs impossible à tenir en cas de grave récession. Nous en avons aujourd’hui la preuve, puisque notre pays prévoit de laisser filer les déficits publics à plus de 4 % du PIB en 2009.

Malgré la crise, l’Europe se caractérise donc toujours par une grande diversité d’options nationales qui s’opposent et la survivance d’intérêts nationaux qui s’affrontent. Cette stratégie est bien évidemment contre-productive.

Pourtant, des modèles macro-économiques ont démontré, par exemple, qu’une relance par la demande dans un pays isolé apparaissait près de moitié moins efficace que lorsqu’elle est conduite à l’unisson et que son efficacité est réduite des trois quarts quand, en plus, les autorités monétaires prennent des mesures pour la contrecarrer.

Compte tenu du degré d’interdépendance des économies européennes, la régulation conjoncturelle de l’activité est une question d’intérêt commun. Or la politique monétaire mise à part, les politiques de régulation de la conjoncture – politiques budgétaires ou salariales – sont des politiques nationales. Cette situation favorise les stratégies individuelles des États membres de la zone.

Par exemple, la France et l’Allemagne mènent souvent des politiques budgétaires divergentes, aboutissant à une compétition entre elles. Et le plus souvent – on peut le regretter ! – cette compétition est favorable à l’Allemagne en termes de marché, grâce à sa politique de désinflation compétitive.

Aujourd’hui, l’affaire est plus grave que celle d’une hyper-compétition interne, puisque c’est l’ensemble de la zone euro qui entre en récession, avec un recul du PIB estimé à 1, 9 %. La grande crise économique actuelle doit être une opportunité à saisir pour approfondir et réellement enclencher le processus de coordination des politiques économiques à l’échelle de l’Union.

Durant la présidence française, il aurait été important de traiter l’origine immédiate de la crise en favorisant davantage la mise en place d’instruments destinés à revoir et à réguler le système financier mondial. Certes, ce fut l’objet de quatre directives européennes dont le Président de la République, et il avait raison, a souhaité l’adoption rapide.

Il était également important de traiter les difficultés sociales à venir en adoptant des plans de relance, même dispersés, destinés à relancer l’activité et à retrouver le chemin de la croissance. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir demain.

Mais, au-delà de ces impératifs, il faudra, je le répète, s’atteler à rendre l’Europe davantage maîtresse de son destin par le renforcement de ses fondations économiques dans le sens d’une véritable coordination. Ses institutions sont, elles aussi, encore fragiles, avec les quelques incertitudes qui pèsent sur la ratification du traité de Lisbonne par certains pays.

La présidence française a marqué les esprits par son volontarisme. C’est indéniable ! Mais que restera-t-il demain de cette période caractérisée par des situations d’urgence et de crises, empêchant finalement un approfondissement concret de la coordination économique ?

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe est née dans la crise. Je ne désespère pas qu’elle tire les leçons de celle que nous vivons actuellement.

La zone euro connaîtra des turbulences qui engendreront des solutions de court terme. Mais n’oublions pas l’essentiel : le défaut de coordination des politiques économiques aboutit à une confrontation qui ne fait, au bout du compte, que des perdants et compromet ainsi sérieusement toutes les ambitions affirmées dans le traité de Lisbonne.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. Pierre Fauchon applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à souligner que nous sommes heureux que le débat européen fasse son retour dans l’hémicycle. Il n’y a ni petit ni grand hémicycle ; il n’y a qu’un hémicycle : le lieu où nous débattons !

La question qui nous réunit ce soir est pour nous l’occasion d’aborder les problématiques européennes.

« Si je veux parler avec l’Europe, quel numéro dois-je composer ? » : telle était l’interrogation d’Henry Kissinger en 1974, pointant déjà du doigt le manque de visibilité de l’Europe en construction.

En 1975, le rapport Tindemans proposait d’étendre la présidence du Conseil à douze mois, projet que les États membres d’alors avaient refusé, craignant que l’Union européenne ne devienne l’otage d’un seul État.

La question institutionnelle de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne n’est donc pas nouvelle ; elle s’est toujours posée, pour des raisons à la fois de visibilité et de continuité des travaux. À mesure que cette fonction a pris de l’importance et que l’Union européenne s’est élargie, elle est devenue de plus en plus pertinente. Le bilan de la présidence française du Conseil s’inscrit donc dans un débat institutionnel plus large, plus long. Si celle-ci n’a pas créé cette question, elle l’a cependant alimentée.

Je me réjouis de l’énergie déployée par le Président de la République. Ce dynamisme a permis des avancées, notamment lors de la crise en Géorgie l’été dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Mais ce dynamisme s’est parfois transformé en politique du coup de poker, bien loin du jeu collectif européen qu’il était censé organiser.

Ainsi, lors du sommet Union européenne–Russie en novembre dernier, on a vu le président de l’Union européenne se prononcer contre le bouclier antimissiles américain sans mandat européen. À la suite des protestations de la République tchèque et de la Pologne, il a dû faire machine arrière, ce qui a rendu peu lisible la position de la France en matière de défense européenne ; nous y reviendrons.

De même, les débuts du projet d’Union pour la Méditerranée ont été marqués par une vision unilatérale de la France, laissant de côté non seulement l’Allemagne, mais également l’ensemble du processus existant et les institutions communautaires déjà impliquées dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Or la construction européenne est, par définition, un travail collectif, monsieur Blanc ! La présidence du Conseil a pour responsabilité d’encourager ce travail collectif et de le respecter.

En quoi le changement de présidence de l’Union pourrait-il « retarder les progrès des dossiers en cours » ? Je suis étonné que la question de mon collègue et ami Hubert Haenel soit présentée en ces termes. En effet, il n’est pas difficile de constater que, pour la très grande majorité des dossiers européens, chaque présidence fait évoluer les dossiers qui n’ont pu être conclus par la précédente …

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

… ou qui ne lui ont pas semblé prioritaires. J’imagine facilement que ce sera le cas pour l’attribution de moyens importants en faveur du lancement de projets européens de grandes infrastructures, notamment en matière d’interconnexion énergétique, dont l’urgence n’est plus à démontrer.

Après l’échec d’un accord sur ce sujet fin décembre, il faudra bien compter sur la présidence tchèque pour trouver une solution qui permette à l’Union européenne, en tant que telle, de contribuer à la relance économique.

En outre, la présidence française ne s’est pas toujours montrée exemplaire en matière de continuité des travaux, et il serait bien inapproprié d’en tirer des conclusions sur « le progrès des dossiers ».

Dès le début, la présidence française avait été accusée de préempter la troïka afin de garantir son succès, en ralentissant le travail de la présidence slovène sur certains sujets majeurs et en discréditant à l’avance la présidence tchèque, mettant ainsi en péril la coopération entre les trois.

Je pense que l’Europe, c’est aussi une question de confiance dans ses partenaires européens. Il est frappant de voir avec quelle méfiance, quelle arrogance parfois, est accueillie la présidence tchèque. Je regrette que certains estiment qu’il faille se méfier de la capacité de la présidence tchèque à reprendre les dossiers ou à trouver des solutions aux problèmes. Un bon travail au sein de la troïka devrait normalement éviter que cette question soit posée. Rien ne permet de présupposer qu’un grand pays réussira mieux sa présidence qu’un petit pays ou qu’un État ayant récemment rejoint l’Union européenne.

En raisonnant par analogie, mes chers collègues, les sénateurs que nous sommes le savent bien : dans nos départements, il n’y a pas de petites ou de grandes communes ; il y a tout simplement des communes !

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

L’application du traité de Lisbonne stabiliserait la présidence du Conseil de l’Union européenne. Mais cette fonction sera également temporaire et fortement encadrée ; elle ne remplacera pas la présidence tournante des conseils des ministres qui, elle, est maintenue.

De plus, nous aurions souhaité que la présidence française réfléchisse à une application anticipée du traité sur des sujets essentiels pour nos concitoyens. Je veux parler de la mise en œuvre de la clause sociale transversale, qui oblige les acteurs européens à intégrer une dimension sociale dans l’élaboration des politiques européennes.

Je pense également – nous n’avons cessé de le répéter et de vous le demander depuis des mois – à la mise en place d’un calendrier pour l’élaboration d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général, qui offrirait enfin à ces derniers toutes les garanties d’exercice, ce dont les citoyens ont encore plus besoin en ces temps de crises.

Les crises ont toujours constitué un moteur de la construction européenne. À cet égard, la présidence française s’est inscrite dans un contexte particulier difficile. On pourrait regretter, d’ailleurs, qu’à part la crise géorgienne aucune crise n’ait accouché d’une solution européenne et que certaines n’aient trouvé aucune réponse.

Ce n’est pas seulement le recensement des différents outils européens qui permet de gérer des crises : c’est l’usage qu’en fait la présidence en exercice.

Comme le Président de la République n’a cessé de le rappeler, « on ne peut agir seul » ; « on ne s’en sortira pas tout seul ». Pourtant, les faits semblent démentir ces affirmations. Quelle a été l’action de la présidence française pour trouver une véritable solution européenne, avec tous les moyens dont dispose l’Union, afin d’instaurer une réelle contribution communautaire et réfléchir vraiment à la mise en place d’un dispositif de long terme au niveau européen ?

Nous attendions que soit suggéré le lancement d’un grand emprunt européen, ce qui aurait permis de faire d’une pierre deux coups, en contribuant à la fois à la relance de l’économie européenne et à la lutte contre le changement climatique. Je sais que la faisabilité d’un tel emprunt a été étudiée de près en novembre et décembre par la Commission et le Parlement européen.

Nous attendions de la présidence française qu’elle propose un véritable fonds européen de financement des mesures de lutte contre le changement climatique, alimenté par les enchères des émissions de quotas.

Nous souhaitions également que la présidence française se penche sur la préparation de la révision des perspectives financières et qu’elle engage une réflexion commune en amont sur le financement des politiques de l’Union.

La réponse commune aura été en trompe-l’œil : on a assisté à un habillage communautaire de plans de relance nationaux. D’ailleurs, la plupart des mesures étaient déjà budgétées ou prévues par les États membres.

En outre, monsieur le secrétaire d’État, comment traiter la crise économique sans traiter la crise sociale qui lui est intrinsèquement liée ? La liste des licenciements s’allonge et, d’après les chiffres publiés par Eurostat le 8 janvier dernier, le taux de chômage a augmenté de 6, 5 % à 7, 4 % dans la zone euro et de 6, 3 % à 7 % dans l’Union européenne, soit un total de 17, 5 millions de chômeurs en Europe.

Quelle a été la réponse de la présidence française ? L’allongement de la durée légale du temps de travail en Europe ? Une réforme a minima de la directive sur les comités d’entreprise européens ?

De même, la forte volatilité des prix mondiaux des denrées alimentaires, devenues valeurs refuges pour la spéculation financière, a provoqué une crise alimentaire mondiale. Croyez-vous que la réforme de la PAC que vous avez conclue, et qui renonce à la plupart des outils de régulation du marché, permettra à l’avenir de garantir un revenu décent aux agriculteurs et la sécurité alimentaire à moyen terme de l’Union européenne ?

Vous estimez que l’équilibre institutionnel s’est modifié, mais ce ne sont pas les crises qui l’ont modifié : ce sont méthodes de la présidence française qui ont esquissé un retour à l’Europe intergouvernementale.

Faut-il considérer que le retour de la diplomatie classique non seulement d’État à État, mais avec un directoire constitué des « grands États » membres de l’Union européenne, est une véritable mise en œuvre de l’Europe politique ?

L’Europe politique, ce n’est pas une Europe intergouvernementale. Or, sous la présidence française, c’est une Europe de la coopération, au détriment d’une Europe de l’intégration, qui a été privilégiée, en affaiblissant délibérément l’esprit et l’intérêt communautaires.

En réintroduisant l’unanimité au Conseil européen pour adopter les orientations du paquet « énergie-climat », la présidence française a mis à mal une vision intégrée de la construction européenne et la prééminence d’un intérêt européen commun.

Cette valorisation de l’unanimité est une régression. En effet, elle met en cause la légitimité européenne, en autorisant une minorité à ne pas reconnaître la majorité et à considérer qu’il n’existe pas d’entité politique unique.

Dans cette vision des négociations européennes, chaque État membre redevient le garant de son seul intérêt. À cet égard, le Pacte européen sur l’immigration et l’asile a bien été l’illustration de ce nouveau virage pris par la présidence française, qui a privilégié une sorte d’accord de non-intervention dans les politiques des États membres.

Il ne faut pas négliger les incidences de cette conception du rôle de l’Europe sur la conception même de la solidarité européenne.

Les déclarations d’amitié à l’égard du président de la Commission européenne ne tromperont personne, tant la présidence française s’est attachée à affaiblir l’exécutif communautaire, réduisant son rôle à celui d’un bureau d’enregistrement des décisions du Conseil.

Les plans de relance des États membres en sont un bel exemple, ces derniers déniant à la Commission le rôle d’évaluation et de contrôle de ces plans.

La multiplication des sommets informels entre chefs d’État, dont la Commission ne serait plus qu’une invitée dépendant du bon vouloir de la présidence en exercice, priverait, à terme, la Commission de son pouvoir d’initiative et de son rôle moteur dans une construction européenne intégrée.

Quant au Parlement européen, il a su s’affirmer sur de grands sujets politiques – le temps de travail, par exemple –, mais il a subi une très forte pression de la part de la présidence pour accélérer le rythme de ses travaux.

Je comprends l’importance des trilogues, négociations en amont entre les trois institutions, pour faciliter un accord en première lecture et boucler le programme législatif avant les élections européennes. Pour autant, sur de grands sujets, il ne faudrait pas que cette pratique court-circuite le débat démocratique, qui doit normalement se tenir dans l’enceinte du Parlement européen. Je regrette ainsi que le vote dans l’hémicycle sur le paquet « énergie-climat » n’ait duré que vingt minutes.

De même, alors que la présidence française avait promis d’appliquer par anticipation le traité de Lisbonne et la codécision en matière agricole, il n’en a rien été. Il s’en est même fallu de peu que l’avis du Parlement européen intervienne avant la décision du Conseil des ministres !

Enfin, dans son discours au Parlement européen le 16 décembre dernier, le Président de la République a déclaré que le Parlement européen était plus conciliant sur certaines politiques – par exemple, l’immigration – qui, sur le plan national, ne donnent pas toujours « l’exemple du respect des personnes, du calme, de la pondération et de l’esprit de responsabilité ».

Cela veut-il dire que lorsque le débat démocratique ne se plie pas à la volonté de l’exécutif il n’est plus légitime ? En outre, si le Parlement européen est plus « compréhensif » que le Parlement national, pourquoi le court-circuiter sur certains sujets ?

En tout état de cause, cette approche, qui se veut pragmatique, pourrait être très dommageable à la veille d’élections européennes, pour lesquelles, trop souvent, les citoyens ne se sentent pas concernés ou ne discernent pas les enjeux.

Il est normal que le président en exercice fasse tout pour rendre le plus positif possible son bilan – il est également normal que ses amis politiques l’y aident, comme c’est le cas ce soir – ; il en a fait largement la démonstration devant le Parlement européen, sur tous les sujets, y compris sur ceux qui n’ont pas été traités ! L’Europe sociale en est l’exemple le plus flagrant, et ce malgré les déclarations du Gouvernement. Il suffit de se rappeler que les services sociaux d’intérêt général, fortement menacés aujourd’hui, n’ont été traités que dans le cadre d’un forum. Le thème de la sécurité privée a également eu droit à son colloque. C’est dire l’importance donnée à l’avenir des services sociaux et des millions de personnes qui en bénéficient en France.

De même, le droit de grève et à l’action collective, menacé par de récents arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, n’a fait l’objet que d’un échange de vues entre ministres, sans proposition d’action concrète permettant d’apporter une réponse politique aux menaces jurisprudentielles qui pèsent sur l’action collective en Europe.

La relance de la politique européenne de sécurité et de défense était l’une de quatre priorités de la présidence française de l’Union européenne. L’abondante rhétorique présidentielle avait promis monts et merveilles en matière de défense européenne. Or, sur un point clé – la création d’une cellule de planification et de commandement au sein de la PESD –, l’échec est patent. Ainsi, on vérifie que la politique de « retour dans l’OTAN » du Président Nicolas Sarkozy a donné le signal d’un recul de facto de la France sur le dossier de la PESD. En effet, certains pays membres se demandent pourquoi, maintenant que la France devient un pays de l’OTAN comme les autres, il faudrait continuer à proposer un organisme qui donnerait de l’autonomie et des marges de manœuvre propres à l’Union européenne.

Nous regrettons également les dérives de l’« Europe protection », dont la France avait fait un slogan. Mais l’Europe doit-elle protéger ou se protéger ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mon cher collègue, il faut conclure ! Vous avez dépassé votre temps de parole de cinq minutes !

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Le président de la commission des affaires européennes et M. André Dulait, qui est intervenu en remplacement du président de la commission des affaires étrangères, ont parlé seize à dix-sept minutes !

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je conclus, monsieur le président !

Il est clair que la présidence française, en définissant les moyens de se protéger, en choisissant d’exclure plutôt que d’inclure, a clairement défendu la vision d’une Europe qui se replie sur elle-même.

Le pacte européen sur l’immigration et l’asile relaye sans conteste une volonté de durcissement des politiques d’immigration : dispositif commun d’éloignement, sélectivité renforcée et élitiste des candidats, alignement du principe de regroupement familial sur les politiques les plus restrictives des États membres, pour ne citer que quelques exemples. Rien, en somme, qui présente l’immigration comme un atout pour nos sociétés vieillissantes ou moins dynamiques, et comme une chance à saisir.

La technicité toujours plus poussée des procédures, sans parler du fichage, remplace définitivement toute approche constructive et évolutive.

La défense d’une vision sécuritaire de l’Europe rejoint bien celle d’une Europe dérégulatrice. L’adoption définitive de la directive « retour » sous votre présidence en est l’amère illustration, puisqu’elle ouvre la voie à une révision de notre législation nationale, pourtant plus protectrice que les minimas européens adoptés.

S’il fallait résumer les enseignements à tirer de l’exercice de la présidence française, ce que nous sommes invités à faire aujourd’hui, je dirais que, dans la pratique, il couronne les orientations et les tentations d’années de domination des forces conservatrices en Europe, monsieur Fauchon, eu égard au contenu des politiques néolibérales et sécuritaires, à la réticence à financer véritablement les projets décidés en commun et à la volonté assumée de replacer les politiques menées au nom de l’Union européenne et, aujourd’hui, les institutions, sous le contrôle des États membres.

On a le sentiment qu’a été privilégiée l’Europe financière, l’Europe de la sélection des migrants économiques utiles, l’Europe du seul marché, et que la grande ambition de faire une Europe plus protectrice des citoyens a été perdue en route.

Les socialistes européens ont un autre projet à proposer aux citoyens, comme en témoigne leur programme politique commun, appelé « manifeste » : celui d’une Europe plus juste, avec une vraie relance de l’économie européenne, d’une Europe garante des libertés et des droits, d’une Europe leader en matière de protection de l’environnement, d’une Europe qui place les citoyens au centre du débat politique. Tel est le projet que nous défendrons ces prochains mois.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous n’aurons malheureusement pas le temps, M. Sutour ayant quelque peu dépassé celui qui lui était imparti

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Cela est bien dommage, parce que, à tous égards, ce semestre a été remarquable. Il sera inoubliable par l’ampleur et la fécondité de ses résultats, aussi bien que par la qualité des méthodes d’action mises en œuvre, …

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

… qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont permis d’obtenir des consensus inédits…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

… et, avouons-le, monsieur Sutour, inespérés.

Au total, on peut bien le dire, rarement politiques auront été aussi bons diplomates, et rarement diplomates auront été aussi bons politiques !

On voudrait avoir plus d’autorité pour célébrer une séquence qui permet d’affirmer que l’Europe est sortie de sa léthargie, qu’elle a pris conscience de la vraie dimension de ses intérêts, de ses responsabilités et de ses pouvoirs, et pour exprimer notre reconnaissance à celui sans qui rien de tout cela ne se serait produit : je parle évidemment du chef de l’État. Grâce à lui, la furia francese, transmuée en savoir-faire français, aura fait merveille. §

Pour l’avenir, deux sortes de réflexions me paraissent s’imposer, l’une dans l’ordre institutionnel, l’autre dans l’ordre de l’action.

La première réflexion concerne l’exécutif. Il ne faut plus désormais opposer, comme on le faisait traditionnellement, la supposée paralysie de l’Europe des États et des gouvernements à la supposée créativité de l’Europe « communautaire ». Il faut dépasser cette opposition stérile en affirmant, à la lumière des expériences vécues au cours de l’année 2008, la capacité des Européens à retrouver la voie du progrès dans un processus sans doute nouveau, mais qui vient de faire la preuve de son efficacité.

Nous sommes maintenant en présence d’un exécutif de type nouveau, d’une certaine manière bicéphale – ce qui ne devrait pas surprendre les Français, qui y sont habitués : d’un côté, une Commission, privée sans doute aussi bien de son privilège monopolistique que des effets supposés bénéfiques d’une concentration qui se serait révélée à l’expérience, j’en suis convaincu, très handicapante, mais qui conserve tout de même à la fois sa spécificité et son caractère propre de conscience communautaire, ainsi que les immenses moyens de son appareil technique ; de l’autre, un Conseil, détenteur de la légitimité la plus enracinée, et qui maintenant se sait capable d’engager et même de conduire les affaires communes.

Le traité de Lisbonne, supposé simplificateur – qui en réalité est un monstre formel, entre nous soit dit –, ne fera que conforter cette situation par la consolidation de la présidence.

À partir de là, les choses iront comme elles pourront aller, au gré de la personnalité des dirigeants et des événements auxquels ils seront confrontés. Schéma imprévu peut-être, différent sans doute de celui dont certains – j’en suis – avaient rêvé, mais qui ne saurait être récusé pour des raisons de principe alors qu’il a fait la preuve de son efficacité. La question de savoir si l’Europe avance importe beaucoup plus que celle de savoir comment elle avance.

Comment l’Europe peut-elle avancer ? C’est précisément la seconde réflexion que je propose, et qui se situe dans la perspective des interrogations du président Haenel, qui a d’ailleurs devancé en partie mon propos.

Ma réflexion porte sur le constat selon lequel, dans la réalité des faits, l’Europe des vingt-sept, en attendant celle des vingt-huit et davantage, a énormément de mal à dégager, au-delà des déclarations de solidarité et de bonnes intentions, des politiques communes qui soient réellement communes et opérationnelles. Les intentions ne manquent pas, mais les actions font généralement défaut.

Le temps manque pour énumérer des exemples, mais nul ne peut ignorer que l’extension des missions de l’Union à l’ensemble des domaines de la vie publique opérée par le traité de Maastricht n’a pu donner lieu qu’à des démarches certes utiles et méritoires, mais qui sont généralement de caractère plus symbolique et exploratoire qu’opérationnel, et qui s’enlisent vite dans les méandres et les atermoiements où se complaisent ceux qui, en réalité, ne sont pas décidés à aller de l’avant.

À défaut de prendre des décisions réellement communes, réellement opérationnelles, on se réfugie de plus en plus dans la fabrication de « livres verts » qui ne sont souvent que des catalogues de difficultés ne faisant guère avancer les choses.

Les impulsions de ces derniers mois ont sans doute ravivé les ardeurs – espérons-le –, mais rien ne permet d’affirmer pour autant que les mises en œuvre authentiquement unanimes seront beaucoup plus aisées demain qu’elles ne l’étaient hier.

Dès lors que l’on ne peut pas agir tous ensemble, il est clair – il ne faut pas hésiter à le dire – qu’il convient d’agir à quelques-uns et que les plus décidés et les mieux disposés ne doivent pas hésiter à donner l’exemple.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

C’est la voie des « coopérations renforcées » qu’il convient donc d’emprunter, sinon selon la procédure particulière qui les concerne – si soigneusement encadrée que l’on n’en connaît encore aucune –, du moins dans leur esprit et dans leur principe.

En vérité, ne faut-il pas prendre conscience du fait que la réalité des avancées européennes, si l’on veut bien y réfléchir, chers collègues, ne se fait guère que par cette voie ? Ni l’euro ni Schengen ne réunissent la totalité des États. Les coopérations de moindre envergure abondent qui montrent tout à la fois que la seule façon d’avancer est de le faire à quelques-uns et que l’exemple ainsi donné emporte peu à peu l’adhésion des autres.

J’en veux pour preuve le casier judiciaire européen, qui procède d’un accord particulier conclu voilà trois ou quatre ans entre la France, l’Allemagne et une partie du Benelux, et qui s’est étendu en quelques années à dix-sept participants, auxquels se joindront presque inévitablement les plus particularistes, tels que le Royaume-Uni.

La commission des affaires européennes prépare un rapport approfondi sur cette question, qui nous tient particulièrement à cœur, des coopérations renforcées ; mais nous y reviendrons.

Ma conclusion sera que notre pays, d’autant qu’il n’est plus chargé du leadership global – même si l’on joue ici ou là les prolongations, y compris au Caire –, doit reporter son dynamisme, son imagination et son savoir-faire, qui est si grand, sur ces coopérations avancées, qui constituent bien souvent le plus sûr moyen de faire en sorte que l’Europe poursuive sa marche en avant.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Merci pour votre dynamisme, monsieur Fauchon !

La parole est à Mme Annie David.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de ce débat sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne, auquel nous invite Hubert Haenel.

L’Europe reste en effet un sujet trop souvent absent de nos travaux, alors même que les enjeux de sa construction concernent directement nos concitoyennes et nos concitoyens, et que la plupart de nos lois sont des transpositions de directives. Ma satisfaction est d’autant plus grande que ce débat se déroule ce soir dans notre hémicycle, comme l’a souligné notre collègue Simon Sutour.

De manière quasiment unanime, le monde médiatique, les politiques, les experts et l’administration européenne ont loué un bilan jugé exceptionnel.

Nicolas Sarkozy aurait fait preuve de détermination, de dynamisme et de charisme pendant cette présidence de l’Union européenne à l’image de son mandat national. Balayant tous les obstacles sur son passage, redorant le blason de la politique, permettant des consensus sur des sujets réputés difficiles, il aurait parfaitement maîtrisé les crises politiques, financières, économiques et sociales survenues lors de ces six derniers mois : c’est en tout cas le message que l’on nous assène depuis la mi-décembre !

Au-delà de l’agitation médiatique, je me concentrerai sur le véritable bilan de la présidence française de l’Union et sur la mise en œuvre des quatre priorités annoncées au début de ce mandat.

Certains mérites peuvent, bien sûr, être reconnus à cette présidence. Comme le souligne Hubert Haenel dans sa question, les événements de ce second semestre auront permis de replacer le Conseil européen au cœur des choix et des politiques de l’Union européenne. Nous ne pouvons que souscrire à cette repolitisation du débat.

Cependant, n’oublions pas deux questions fondamentales.

Premièrement, pour rendre véritablement sa légitimité politique à l’Union européenne, il ne s’agit pas seulement de redonner du poids au Conseil européen ; encore faut-il renforcer les pouvoirs du Parlement européen.

Dans cette perspective, comment ne pas reconnaître que cette institution a été malmenée sous cette présidence ? En particulier, comment expliquer que le conseil des ministres ait entériné le rehaussement des relations avec Israël le 8 décembre dernier, alors même que le Parlement européen s’était prononcé pour un report de ce projet cinq jours plus tôt ?

Deuxièmement, si le rôle politique de l’Union a été renforcé, ce renforcement s’est accompagné d’un retour important de l’échelon intergouvernemental, mes collègues Yvon Collin et Simon Sutour l’ont rappelé.

La méthodologie choisie pour la mise en place du plan de relance européen s’est bornée à l’addition de plans nationaux dans le cadre des compétences des États membres. Ce plan a finalement été financé par les États à hauteur de 170 milliards d’euros, pour un effort annoncé de 200 milliards d’euros.

Nous regrettons que cette méthode, laissant beaucoup de place aux tractations interétatiques, écarte la recherche d’un « intérêt général communautaire ». Pourtant, de la définition de cet intérêt communautaire découle directement celle des protections minimales des citoyens et des services publics à mettre en œuvre pour garantir les droits.

De plus, le Président de la République ne cache pas qu’il estime que le leadership de l’Union doit revenir non seulement au Conseil européen, mais également à un petit groupe de pays : l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne. Il a ainsi estimé que « c’est aux grands pays de prendre des initiatives. Ils n’ont pas plus de droits, mais plus de responsabilités. » C’est, je le rappelle, en pleine contradiction avec l’esprit de la construction européenne.

Pour en finir avec les aspects institutionnels, je relèverai qu’Hubert Haenel souligne, dans sa question, les difficultés de la présidence semestrielle. Celles-ci sont certes réelles, mais cette observation suscite un certain étonnement de notre part. Pourquoi un tel regain d’intérêt pour les difficultés liées à la présidence semestrielle ? Tout simplement parce que chacun espérait que la présidence française serait la dernière d’une durée de six mois avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, permettant de porter la durée de la présidence à deux ans et demi. J’attire une nouvelle fois votre attention, mes chers collègues, sur les risques que l’on encourt à vouloir préjuger du vote des peuples, et surtout de leur absence de vote.

La question de l’adoption du traité de Lisbonne illustre parfaitement le déficit démocratique profond de la construction européenne, dont la résorption n’a pas été la priorité de la présidence française, tant s’en faut. En effet, sa mission première, dans ce domaine, aura été de trouver une issue pour contourner le vote des Irlandais.

Afin de soumettre une nouvelle fois ce traité au peuple d’Irlande, le Conseil européen a fait le choix de céder à des revendications nationalistes du gouvernement irlandais, concessions qui ne vont pas dans le sens d’une Europe de progrès.

Ainsi, il est notamment acquis que la Charte des droits fondamentaux ne s’appliquera pas à l’Irlande dans certains domaines, comme la famille. Nous étions déjà inquiets de l’absence de portée contraignante de ce document, mais s’il est vidé de son contenu, sa fonction sera vraiment très limitée, voire inexistante.

Au-delà des questions institutionnelles, l’ambition politique de la présidence française, qui s’est traduite par ses quatre priorités, appelle des commentaires. À cet égard, je dois dire que le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche n’approuve pas le bilan de cette présidence.

La gestion de la crise s’est révélée être simplement de circonstance, puisqu’elle n’a pas permis d’en mettre en lumière les causes profondes et de réorienter les politiques de l’Union européenne.

En effet, selon les sénateurs de mon groupe, les racines de la crise sont à rechercher dans les politiques de libéralisation et de marchandisation de l’ensemble des activités humaines, qui conduisent à la déconnexion des marchés financiers de l’économie réelle.

Alors que la Commission annonce pour cette année, dans ses prévisions économiques révisées, une récession à hauteur de 1, 9 % du PIB au sein de la zone euro et la suppression de 3, 5 millions d’emplois, rien n’est fait pour protéger les citoyens européens contre la crise sociale.

Bien au contraire, les politiques de déréglementation sont plus que jamais à l’ordre du jour, tout comme l’indépendance de la Banque centrale européenne, le pacte de stabilité et de croissance ou la proscription des aides d’État.

En matière de politique agricole, le bilan de santé de la politique agricole commune, qui devait préfigurer une réforme plus importante de celle-ci, permet de renforcer encore la position des grands exploitants et entérine la suppression des quotas laitiers à l’horizon de 2014.

Sur le plan énergétique, le plan climat européen, qui devait être un succès – l’objectif ambitieux d’une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre a été annoncé –, s’est révélé bien décevant, de l’aveu même des associations concernées.

En effet, de nombreuses dérogations ont été concédées aux industries les plus polluantes, du fait de la pression de pays tels que l’Allemagne, l’Italie ou les pays d’Europe de l’Est.

Outre qu’il impose le principe « pollueur-payeur », qui ne nous semble pas particulièrement satisfaisant, le système des quotas d’émission, placé au cœur de ce plan, laisse en suspens la question des modes de production énergétique, qui est, elle, essentielle. En effet, il ne suffit pas de définir des objectifs environnementaux pour transformer les modes de production dans les cas où ils reposent principalement sur le charbon.

Sur le fond, la libéralisation des marchés de l’énergie ne peut coïncider avec une meilleure prise en compte du facteur environnemental. Comme le souligne le rapport de la mission commune d’information sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, ce secteur ne peut pas être laissé à la « main invisible » du marché. Il faut donc une véritable politique énergétique commune, reposant sur la diversification du bouquet énergétique au profit des modes de production les moins polluants.

Par ailleurs, loin d’offrir l’image d’une Europe accueillante, la politique extérieure de l’Union, illustrée par le fameux pacte sur l’immigration et l’asile présenté le 7 juillet dernier, premier acte fort de la présidence française, pose les bases d’une forteresse défensive. Ce pacte permet non seulement la détention provisoire pendant une durée de dix-huit mois, mais également le renvoi des enfants. De plus, le concept de l’« immigration choisie » ne respecte ni le droit des migrants ni la dignité humaine. Monsieur le secrétaire d’État, tous les murs dressés ne serviront à rien tant qu’un déséquilibre important continuera d’exister entre le Nord et le Sud.

Sur le plan international, le rehaussement des relations avec Israël est scandaleux, notamment au regard de la politique d’occupation menée par cet État. Loin de subir les foudres de l’Union, l’État d’Israël se voit offrir par les Vingt-Sept, comme une récompense, une participation aux programmes communautaires. Nous en sommes choqués et nous demandons la suspension immédiate de cet accord.

En effet, le projet d’Union pour la Méditerranée ne dispense pas l’Union européenne de prendre ses responsabilités au Proche-Orient et de peser plus encore, au-delà de l’aide humanitaire, en faveur d’une résolution politique du conflit, d’une paix juste et durable et de la reconnaissance d’un État de Palestine dans les frontières de 1967, à côté de celui d’Israël.

Je conclurai en évoquant la politique sociale, qui devait être une priorité de la présidence française, à en croire le discours prononcé par le Premier ministre devant l’Assemblée nationale le 18 juin dernier. Le Président de la République avait même affirmé : « Je veux une Europe à l’intérieur de laquelle aucun État ne puisse pratiquer le dumping social. »

Dans cet hémicycle, M. Xavier Bertrand avait désigné comme des priorités de la présidence française la santé et la sécurité au travail, au titre desquelles devaient être prises en compte la pénibilité, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ou encore la responsabilité sociale des entreprises. Ces priorités devaient trouver leur traduction concrète dans des directives, mais on ne peut que déplorer l’immobilisme de la Commission et du Conseil européen sur ces questions !

Ainsi, le rapport de Gabi Zimmer, qui a été adopté à l’unanimité et qui proposait l’instauration d’un salaire minimum à l’échelon européen, n’a pas eu de traduction législative. Je le regrette.

En outre, la reconnaissance d’un droit à la santé n’a pas avancé d’un pouce. Au contraire, un tel droit est sans cesse remis en cause par l’abandon de l’hôpital public au profit de l’initiative privée, qui ne garantit pas l’accès aux soins pour tous.

La seule proposition concrète, heureusement repoussée par le Parlement européen, aura été la fameuse directive sur le temps de travail, symbole du moins-disant social. Sous prétexte d’instaurer des normes minimales, cette directive proposée par M. Xavier Bertrand prévoyait notamment la mise en œuvre de la semaine de soixante-cinq heures, faisant craindre une « régression sociale jamais vue », selon l’expression de la Confédération européenne des syndicats. Nous sommes donc très loin de cette Europe sociale, protectrice, que nous a décrite l’ambassadeur permanent de la France auprès de l’Union européenne lors de sa récente audition par la commission des affaires européennes.

En définitive, la présidence française n’aura pas fait avancer l’Europe sociale. Bien au contraire, elle a persisté dans la voie des politiques libérales qui ont conduit l’Europe dans le mur…

Les élections européennes de juin prochain seront, je l’espère, une occasion pour les peuples de peser en faveur d’une Europe dont les maîtres mots seront non plus « libre concurrence » et « marché roi », mais « justice économique, sociale et environnementale », permettant le développement de tous et le progrès social pour chacun.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union qui vient de s’achever apparaît comme la plus dense, la plus dynamique et la plus réussie de toutes celles que l’Europe a connues. Ce jugement n’est pas frappé du sceau de l’arrogance française ; il est, au contraire, partagé par la plupart de nos partenaires.

La difficulté des défis qui se sont présentés, l’excellente préparation des dossiers sectoriels, le grand professionnalisme de nos hauts fonctionnaires, mais surtout la clairvoyance, la volonté et l’habileté du Président de la République ont permis de faire avancer l’Europe dans bien des domaines et de la faire apparaître comme un acteur majeur de la vie internationale.

La crise russo-géorgienne, si elle n’avait pas été maîtrisée, aurait pu avoir des conséquences incalculables pour notre continent et ressusciter pour longtemps la guerre froide. Tout n’est pas réglé, mais l’Europe a adressé les deux messages qui convenaient à la Russie : l’Europe ne peut pas transiger avec la liberté des peuples, mais, dans le même temps, elle offre à ce grand pays les perspectives d’un partenariat de paix et de prospérité de l’Atlantique à l’Asie.

Certes, le chemin sera long pour amener progressivement la Russie à comprendre que plus de liberté et plus de démocratie chez elle lui apporteront plus de poids et de considération dans le monde.

De notre côté, il nous faudra également du temps pour aider les anciennes républiques soviétiques à dépasser les craintes et les réflexes qu’elles ont acquis sous le joug de l’Union soviétique, afin d’ouvrir une ère nouvelle de coopération sur l’ensemble du continent eurasiatique.

Cependant, la manière très énergique et très équilibrée avec laquelle le Président de la République a traité cette crise autorise tous les espoirs.

Le deuxième grand dossier de la présidence française fut évidemment le passage brutal de la crise financière à la crise économique. Ce moment crucial réclamait une réaction rapide et de grande ampleur. Il en fut ainsi. Il fallait des mesures immédiates et des résolutions à long terme.

S'agissant des premières, on peut regretter que l’intégration économique de l’Europe ne soit pas arrivée à un stade suffisant pour que la réponse soit essentiellement communautaire. Chaque pays a voulu adapter sa réponse à ses efforts passés, à ses capacités, à sa culture économique. Pour autant, les 11 et 12 décembre derniers, l’Union européenne, pressée par la présidence, a tout de même mis en place des éléments de relance importants, qui s’ajoutent aux politiques nationales et qui démontrent un plus grand souci de cohésion.

Les perspectives à long terme sont encore plus importantes et lourdes de sens. Il s’agit, d’une part, de mieux réguler et de moraliser davantage l’économie mondiale, et, d’autre part, d’associer désormais les grandes nations émergentes aux décisions importantes. Souhaitons à ce propos que le G 20 convoqué à Londres le 2 avril soit à la hauteur des enjeux et de sa nouvelle représentativité.

Ces deux éléments peuvent et doivent changer la face de la mondialisation. Les solutions existent ; elles sont connues, mais il faudra une énergie extraordinaire, un grand courage et beaucoup de solidarité pour parvenir à nos fins.

La troisième action porteuse d’avenir réside dans la relance du processus du traité de Lisbonne, stoppé trois semaines avant le début de la présidence française par le référendum irlandais. Certes, nous eussions préféré avoir à mettre en œuvre ce traité, mais les Français sont mal placés pour critiquer les résultats d’un référendum en Europe ! Le compromis qui a été proposé par la présidence française et adopté par le Conseil nous laisse entrevoir une issue à cette crise, pour peu que nous laissions un peu de temps au temps.

En matière institutionnelle, on pourrait être tenté de considérer, au terme de cette présidence, que la qualité des présidences peut s’exprimer avec des institutions inachevées et que les hommes comptent plus que les institutions, mais les dispositions du traité de Lisbonne sont néanmoins indispensables pour les inévitables périodes de croisière ou de doute que connaîtra encore l’Union européenne demain.

Enfin, l’Union pour la Méditerranée est lancée. Il est bon qu’elle ait gardé son caractère communautaire. Il s’agit d’un objectif très difficile à atteindre et extrêmement ambitieux, mais si le succès est au bout du chemin, ce processus sera porteur de paix, de prospérité et de justice. Il revêtira un caractère exemplaire pour le dialogue Nord-Sud et contribuera, espérons-le, à ce qu’une solution puisse enfin être trouvée au Proche-Orient.

Tels sont, me semble-t-il, les grands dossiers qui vont déterminer dans une large mesure le destin de l’Europe. Chacun d’eux a été traité avec beaucoup d’intelligence et de force. Les germes du progrès sont là : espérons que la conjoncture internationale, l’action des futures présidences et, surtout, la sagesse des hommes permettront leur épanouissement et leur réussite.

Si l’Europe a pu parvenir à de tels résultats et apparaître plus présente que jamais sur la scène internationale, cela est dû à l’énergie d’un homme, le Président de la République française.

Cela est également dû au fait qu’une question institutionnelle lancinante est désormais tranchée. C’est à partir du Conseil européen, et non de la Commission, que se construit le pouvoir exécutif communautaire. Cette question a longtemps fait débat en Europe, mais il ne pouvait pas en être autrement.

Dans le même temps, le Président a bien compris que c’est en respectant la Commission, en acceptant son rôle et en entretenant les meilleures relations avec son président que les institutions atteignent leur efficacité maximale. La guérilla institutionnelle appartient au passé, avant même l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Cela est également à mettre au crédit de la présidence française.

Cette atmosphère positive a permis de faire avancer des dossiers préparés de longue date, qui ont trouvé une traduction concrète sous l’impulsion de la France.

Le bilan de santé de la politique agricole commune, la politique d’immigration, la lutte contre le changement climatique et les progrès obtenus en matière de sécurité et de défense sont autant de pierres apportées par la France à l’édifice européen.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, qui avait rendu visite à chacun de ses homologues avant la présidence française, a conduit avec beaucoup d’expertise et de finesse les négociations sur le bilan de la politique agricole commune et les réflexions sur l’évolution de celle-ci.

L’accord du 20 novembre, tout en prenant en compte les évolutions nécessaires, préserve les intérêts français, qui ne sont pas minces en la matière.

Le maintien de l’intervention, un encadrement programmé de la sortie des quotas laitiers, la possibilité de maintenir le couplage pour certaines productions, l’amélioration des dispositifs de couverture des risques climatiques et sanitaires, une plus grande souplesse dans la réorientation possible des aides et, enfin, la limitation du transfert vers le second pilier sont autant d’objectifs atteints, qui rassureront nos agriculteurs tout en prenant en compte la nécessaire évolution de la PAC au-delà de 2013.

La présidence française présente également un bilan très solide en matière d’immigration.

Avant cette présidence, beaucoup de Françaises et de Français avaient le sentiment que la politique française d’immigration était isolée en Europe. Le ministre Brice Hortefeux a démontré le contraire : les fondamentaux de cette politique sont désormais partagés par nos vingt-six partenaires.

Le pacte européen sur l’immigration, préparé à Cannes et conclu à Bruxelles, la politique d’intégration entérinée à Vichy, l’établissement des bases d’une politique contractualisée avec les pays d’origine, réalisé à Paris et d’ores et déjà concrétisé par la signature de sept accords, constituent désormais les fondements de la politique européenne d’immigration, d’intégration et de coopération pour la prochaine décennie.

En matière de lutte contre le changement climatique, cinq directives et un règlement constituant le paquet « énergie-climat » proposé au début de l’année dernière par la Commission ont pu être adoptés les 11 et 12 décembre derniers par le Conseil européen et approuvés par le Parlement.

Moins d’une année pour parvenir à un tel résultat : cela relève de la performance. Les situations très différentes qui prévalent dans les vingt-sept pays pouvaient laisser craindre l’échec. La solidarité entre États membres a permis de transcender les difficultés.

Un plan d’action opérationnel va pouvoir être mis en place, tendant, à l’horizon 2020, à diminuer d’au moins 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à améliorer de 20 % l’efficacité énergétique et à recourir dans une proportion de 20 % aux énergies renouvelables. L’Europe se place ainsi en tête du mouvement pour la transition écologique et énergétique.

Par ailleurs, la France avait annoncé qu’elle entendait dynamiser la politique de défense européenne. Plusieurs initiatives à cette fin ont été lancées pendant sa présidence et leur mise en œuvre a été accélérée.

Nous pouvons donc être fiers et très satisfaits de la façon dont le Président de la République a conduit cette présidence et des résultats qu’il a obtenus.

À cette occasion, nous mesurons les formidables chances que l’Europe offre pour le rayonnement dans le monde d’un pays comme le nôtre. Les eurosceptiques devraient y réfléchir.

En retour, l’Europe bien conduite mesure la place qu’elle est capable d’occuper dans la vie internationale pour peu qu’elle soit unie. Cette présidence a démontré, s’il en était besoin, que l’Europe ne peut être que politique. Que les partisans d’une Europe qui ne serait qu’un simple espace économique y réfléchissent.

Que serions-nous aujourd’hui face à la crise, sans l’euro ? Que ceux qui n’ont pas voulu adopter la monnaie unique s’interrogent à leur tour.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Les pays européens ont élaboré un consensus, une politique commune de l’immigration ; qui s’en plaindra ?

Avec le paquet « énergie-climat », l’Europe va apparaître au premier rang de la classe internationale en termes de lutte contre le changement climatique ; qui pourra le regretter ?

Finalement, la plus grande réussite de cette présidence française, c’est d’avoir fait la démonstration que l’Europe n’a jamais été aussi indispensable à notre avenir : une Europe plus proche de ses citoyens, une Europe plus protectrice des intérêts de ses peuples, une Europe qui compte sur la scène internationale et qui agit pour un monde plus libre, plus démocratique, plus pacifique, plus solidaire, plus moral. Oui, on peut le dire ce soir, c’est possible !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État, que j’accueille avec plaisir pour la première fois dans cet hémicycle.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi à la fois un très grand honneur et un plaisir de participer à ce débat engagé par M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Je suis particulièrement sensible au fait que le président du Sénat ait pris sur son précieux temps pour présider personnellement cette séance.

Je dirai tout d’abord, pour paraphraser M. Pierre Fauchon, que, diplomate d’origine, je vais m’efforcer d’être politique dans mes réponses ; mais si je le suis trop, vous me demanderez de redevenir diplomate !

Sourires

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Quels enseignements peut-on tirer de la présidence française de l’Union européenne ?

Plutôt que d’en dresser le bilan, ce qui a d’ailleurs déjà été fait, je souhaiterais adopter une vision prospective et envisager ce que l’Union européenne peut entreprendre à l’avenir.

Je retiendrai trois enseignements de notre présidence, qui a été considérée unanimement, aussi bien au Parlement que dans les autres institutions européennes, comme un succès.

Le premier enseignement, c’est le caractère indispensable du sens du compromis.

Comme toujours lorsqu’il s’agit d’affaires européennes, se traitant donc à l’échelle d’un continent, il est nécessaire de trouver un équilibre entre des exigences parfois contradictoires. Le sens du compromis permet de tenir compte des préoccupations des différents États, ainsi que de garantir que nous inscrivons dans la durée ce qui a été décidé au cours d’une présidence de six mois. Je rejoins les excellents propos tenus sur ce point par le président Haenel.

Si nous forçons les décisions sans les fonder sur le compromis, si nous allons contre la volonté, c’est-à-dire contre les intérêts, d’un certain nombre d’États membres, nous pouvons être certains soit qu’elles ne se traduiront pas en actes, soit qu’elles seront remises en cause par des présidences futures.

Pour illustrer mon propos, je prendrai un premier exemple, celui de la négociation du plan climat.

Si nous avons pu obtenir des résultats, après des heures de négociations, c’est uniquement parce que, précisément, nous avons su prendre en compte les intérêts contradictoires des États membres, mais aussi leur histoire.

On ne peut pas demander à la Pologne, à des pays qui, pendant des années, ont subi la domination communiste, sans pouvoir choisir leur politique énergétique, et se sont vu imposer la construction de centrales au charbon pour toutes sortes de raisons que vous connaissez mieux que moi, de changer d’orientation énergétique du jour au lendemain, de supporter des obligations réglementaires insoutenables pour leur économie. L’Union ne peut leur imposer de telles décisions : cela est impossible au regard de leurs intérêts et, surtout, de leur histoire.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État

Il est donc important que, sur chaque sujet, nous soyons en mesure de tenir compte des intérêts, de l’histoire et de la mémoire des peuples qui composent l’Union européenne.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État

M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État. Sinon, nous retomberons dans ce qui fut à mon sens le travers principal de la construction européenne, à savoir considérer qu’il existe une vérité technocratique contre la mémoire des peuples. Or, l’histoire européenne nous l’a montré, c’est la mémoire des peuples qui l’emporte sur la vérité technocratique.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État

Le deuxième exemple que je prendrai relève d’un sujet essentiel, qui engage véritablement aujourd’hui les équilibres européens pour les années, voire les décennies à venir : il s’agit du choix qui a été fait en matière d’institutions européennes et de négociation du traité de Lisbonne.

Monsieur Sutour, à l’évidence, il aurait été agréable de pouvoir mettre en œuvre, de manière anticipée, le traité de Lisbonne, que nous considérons presque unanimement comme un progrès important dans la construction des institutions européennes, même s’il n’est pas parfait.

Toutefois, si nous avions cédé à cette tentation alors que l’Irlande n’avait pas encore exprimé ses attentes et que nous n’avions pas trouvé ensemble un compromis, nous aurions tout simplement tué définitivement le traité de Lisbonne ! Même s’il était tentant et possible de s’engager dans cette voie, nous l’aurions regretté à long terme.

À cet égard, l’un des mérites de la présidence française est d’avoir obtenu des succès non seulement pour aujourd’hui, mais aussi, s’agissant notamment du plan climat et du domaine institutionnel, pour le long terme.

Un troisième exemple de la mise en œuvre du sens du compromis a trait à la coopération avec les institutions européennes.

La présentation qui a été faite des relations entre le Conseil européen et la Commission au cours de la présidence française est, me semble-t-il, quelque peu fallacieuse.

Pour ma part, j’ai la conviction profonde qu’une Europe qui marche, c’est une Europe qui donne sa véritable place à chacune de ses institutions.

Oui, le Conseil doit avoir l’initiative, comme l’a très bien dit M. Hubert Haenel, mais il faut une Commission forte, un Parlement fort, un Haut représentant fort. C’est lorsque toutes les institutions européennes sont fortes que l’Union européenne est forte en tant que telle.

Ainsi, le Parlement européen a un rôle essentiel à jouer, monsieur Sutour. Il nous a d’ailleurs aidés sur tous les sujets, y compris sur la directive dite « retour », qui a été votée par la majorité du groupe socialiste au Parlement européen. Vous me permettrez cette remarque quelque peu malicieuse à l’adresse de l’opposition !

Cette déférence à l’égard du Parlement européen s’est manifestée de plusieurs manières, au travers notamment des débats que nous avons eus et des déplacements effectués tant par le Président de la République que par de nombreux ministres. Ma conviction personnelle est que nous avons énormément à gagner à travailler beaucoup plus étroitement avec les parlementaires européens, ce qui suppose d’ailleurs que nous fassions quelques progrès, en France, quant à la façon dont nous considérons ces derniers !

Le deuxième enseignement, plus général, que je tire de cette présidence, c’est qu’il est indispensable de réintroduire le sens de la décision et de l’initiative au sein de l’Union européenne.

En effet, la capacité d’entraînement de l’Union dépend de la capacité de décision de l’ensemble des institutions qui la composent. M. Bernard-Reymond, qui a été le premier secrétaire d’État aux affaires européennes de la Ve République, …

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État

sait ce qu’il en est : nous avons autant, sinon davantage, besoin de décisions que de délibérations si nous voulons que l’Union européenne réponde aux attentes de nos concitoyens.

Des décisions, nous en avons prises, en dépit des risques que cela comportait, au sujet de la Géorgie, quand il s’agissait de mettre fin à la guerre entre ce pays et la Russie, mais aussi, beaucoup plus récemment, concernant Gaza, lorsque Bernard Kouchner a convoqué une réunion des ministres des affaires étrangères européens à Paris, le 30 décembre dernier, et lorsque le Président de la République s’est rendu sur place avec la présidence européenne. Avoir le sens de la décision, ce n’est pas vouloir diriger, exercer une autorité sur un autre pays ou dominer dans une situation difficile, c’est comprendre que nos concitoyens ne peuvent pas attendre, accepter que l’Union européenne prenne enfin des risques, sans se contenter d’avancer uniquement quand tout a été décidé et clairement établi. Dans le monde actuel, la décision implique le risque, mais mieux vaut le risque que l’impuissance et le déshonneur qui lui est généralement associé !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État

M. le président Haenel a demandé si cette gestion particulière des crises avait fait apparaître un nouvel équilibre entre les institutions.

Sans aucun doute, l’action du Président de la République dans le cadre de la présidence française a renforcé le Conseil européen, qui, aux termes du traité d’Amsterdam, donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et définit les orientations politiques générales.

De ce point de vue, la présidence française n’a fait que répondre à l’esprit même des institutions.

Par ailleurs, les temps particuliers de crise économique, financière et géopolitique durant lesquels s’est exercée cette présidence française appelaient une présidence forte et un Conseil assumant toutes ses responsabilités.

Cela étant, la présidence française n’a pas porté atteinte aux autres institutions ni à l’approche communautaire, à laquelle, naturellement, je suis profondément attaché. Au contraire, tant l’action de la Commission que celle du Parlement européen auront été déterminantes en ce qui concerne le pacte européen sur l’immigration, le bilan de santé de la PAC et le paquet « énergie-climat » : chaque fois, les institutions ont joué tout leur rôle.

Au-delà de ces considérations sur les institutions, je reviendrai sur un point qui a été abordé aussi bien par M. Yvon Collin – c’était l’un des axes principaux de son intervention, et j’approuve entièrement ses propos – que par Mme David : il est désormais impératif que s’instaure une plus étroite coordination en matière de politiques économiques.

Il s’agit là d’une conviction personnelle, que je m’applique à mettre en œuvre depuis que j’exerce les fonctions m’ayant été confiées par le Président de la République et le Premier ministre.

À cet égard, l’exemple qui me vient immédiatement à l’esprit, parce que j’y ai travaillé toute la journée avec le Premier ministre, Christine Lagarde et Luc Chatel, est celui de l’industrie automobile.

Certes, il est très bien de mettre en place des plans nationaux ; cela est même nécessaire dans la mesure où ils peuvent être décidés dans des délais très brefs.

Il est très bien que l’Allemagne apporte son soutien à l’industrie automobile allemande et que la France en fasse autant pour l’industrie automobile française. Je ne pense pas, madame David, que vous me contredirez sur ce point, car je sais le souci de votre groupe de défendre l’industrie automobile, notamment l’usine Renault de Sandouville, en Haute-Normandie, pour laquelle vous connaissez mon attachement.

Cela étant, ce serait encore mieux si, de surcroît, ces plans nationaux étaient coordonnés. C’est tout l’objet des démarches que j’ai entreprises depuis un mois et qui ont abouti à la déclaration commune du Président de la République et de Mme Merkel, ainsi qu’à la réunion d’aujourd'hui.

Ce serait encore mieux si, au lieu d’une prime à la casse de 2 500 euros en Allemagne, de 1 000 euros en France et de 850 euros en Italie, existait une seule prime, ce qui permettrait d’éviter les distorsions de concurrence entre les États membres.

Ce serait encore mieux si, en plus des milliards d’euros que chaque État devra dépenser pour l’industrie automobile, la Banque européenne d’investissement, au-delà des premiers actes qu’elle a posés et que je veux saluer, concernant les aides d’État et les investissements publics, pouvait être en mesure de réagir encore plus rapidement en provoquant par exemple une réunion en vue de décider de débloquer davantage de crédits en faveur de la filière automobile que les 4 milliards d’euros prévus à l’échelon européen, somme insuffisante au regard des 25 milliards de dollars consacrés par les États-Unis à la seule entreprise General Motors. C’est cela, l’Europe dont nous avons besoin !

Vous m’avez enfin interrogé, monsieur le président de la commission des affaires européennes, sur les éventuelles incidences du rythme semestriel de la présidence sur les progrès de l’Union.

J’observerai tout d’abord que des progrès ont été faits, depuis plusieurs années, pour assurer la continuité des travaux du Conseil. Par exemple, depuis maintenant trois ans, la présidence en exercice entretient des contacts très réguliers avec celle qui l’a précédée et celle qui la suivra. Je travaille étroitement avec mes homologues tchèque et suédois. Je me suis déjà rendu deux fois à Prague, où j’ai eu des entretiens très approfondis avec M. Vondra, le vice-premier ministre tchèque, qui suit très directement les questions européennes et qui est la véritable cheville ouvrière de la présidence tchèque. Je lui parle au téléphone deux fois par semaine et j’ai passé beaucoup de temps avec lui hier. Nous avons également des contacts avec M. Topolanek, avec qui j’ai eu des discussions poussées sur tous les sujets intéressant la présidence tchèque, et j’ai même eu un échange tout à fait sympathique avec M. Vaclav Klaus, qui n’a pas porté sur les questions européennes, ceci expliquant peut-être cela !

Sourires

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d’État

Je le dis avec beaucoup de gravité : je n’ai aucun doute sur la volonté de la République tchèque de poursuivre le travail engagé et de faire de sa présidence un vrai succès. Elle en a les moyens, elle en a la volonté, et tous les propos que je peux entendre ici ou là, tous les doutes qui peuvent être émis sur la présidence tchèque me semblent particulièrement malvenus. La façon dont MM. Topolanek et Vondra ont géré la très difficile crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine, où il était bien malaisé d’établir les responsabilités respectives de ces deux États, sauf à les renvoyer dos à dos, a montré qu’ils étaient tout à fait à même de bien conduire la mission qui est la leur aujourd'hui. Je puis donc rassurer MM. Dulait et Sutour sur ce point. Nous travaillons main dans la main avec les Tchèques, nous les aidons lorsqu’ils nous le demandent et nous leur apportons tout notre soutien.

Bien sûr, il faut plus de continuité, tous les orateurs l’ont souligné. Le traité de Lisbonne a précisément pour objet, entre autres, de créer une présidence stable du Conseil européen. C’est pourquoi la ratification de ce traité par tous les États est un enjeu majeur pour 2009. M. Pierre Bernard-Reymond a insisté sur ce point : c’est la condition de l’Europe politique que nous appelons de nos vœux.

Je terminerai par quelques considérations plus personnelles, qui orientent mon action à ce secrétariat d’État, sous l’autorité de Bernard Kouchner, du Premier ministre et du Président de la République.

Je souhaite tout d’abord affirmer devant vous que la présidence française a marqué le retour à la responsabilité politique : c’est ce dont nous avons le plus besoin en Europe à mon sens. Nos concitoyens veulent savoir qui fait quoi et selon quelle légitimité.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d'État

L’Europe a pâti, pendant des années, du décalage existant entre les déclarations de responsables politiques français qui, à Paris, disaient : « ce n’est pas ma faute, c’est celle de Bruxelles », et qui, à Bruxelles, disaient : « faites ce que vous voulez, mais faites-le discrètement, parce que cela passera difficilement chez moi »… Ce n’est pas un discours responsable, et le citoyen ne s’y retrouve pas.

Tel est le premier impératif, qui devra mobiliser nos efforts dans les mois et dans les années à venir si nous voulons que l’Europe reste le grand projet politique auquel nous sommes attachés.

Pour éclairer mon propos, je prendrai l’exemple de la crise économique. Si nous ne sommes pas en mesure de savoir qui fait quoi et selon quelle légitimité, qui fixe les règles applicables aux banques et contrôle leur application, qui définit une position pour le prochain G 20, qui apportera son soutien à la filière automobile, qui présentera une politique de soutien global à l’industrie, qui coordonnera les différentes politiques nationales, les citoyens penseront que l’Europe ne prend pas ses responsabilités, pas plus que les responsables politiques français, incapables de défendre nos positions à Bruxelles, conformément à leur mandat.

Cela rend d’autant plus importante l’échéance des élections européennes de juin prochain. Je le dis sans aucun esprit polémique, il est absolument essentiel que nous considérions désormais qu’être député au Palais-Bourbon – ce fut pour moi un immense honneur –, siéger au Sénat ou être député européen a la même valeur et la même importance pour la défense des intérêts français.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d'État

Je passe du temps au Parlement européen. Je discute avec les représentants français qui y siègent, mais aussi avec les représentants allemands et britanniques. Or je constate – il ne s’agit pas pour moi de stigmatiser quiconque – que certains pays sont mieux organisés et défendent mieux leurs intérêts que d’autres.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d'État

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Alors que l’on étend le champ de la codécision, c'est-à-dire la capacité du Parlement européen à infléchir la norme à laquelle tous nos concitoyens seront obligés de se soumettre, il serait tout de même normal d’envoyer siéger à Bruxelles et à Strasbourg, à l’instar de ce qui se pratique dans tous les autres grands pays européens aujourd’hui, nos meilleurs responsables politiques, les plus compétents, les plus doués, afin qu’ils défendent nos intérêts nationaux.

Applaudissementssur les travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d'État

La seconde conviction personnelle que je souhaite exprimer devant vous est qu’il est nécessaire d’établir ce que j’appellerai une double coopération.

Tout d’abord, il convient d’instaurer une coopération étroite entre les institutions européennes. J’en reviens à l’importance que toutes soient fortes, y compris, madame David, le Parlement européen, qui doit jouer son rôle et occuper un espace politique essentiel.

Cette exigence vaut également pour le Conseil et pour la Commission. Je souhaite que le prochain président de la Commission et les futurs commissaires soient forts, de même, bien entendu, que le Haut représentant de l’Union, qui sera le visage de l’Europe sur les théâtres extérieurs.

Nous avons besoin pour cela – M. Hubert Haenel a employé une expression que je reprends volontiers à mon compte – de faire émerger des personnalités fortes à l’échelon de l’Europe : il ne faut pas que la vie politique n’en compte qu’à l’échelle des nations.

Cela étant, je vous le dis en praticien des affaires étrangères depuis maintenant un certain nombre d’années, il n’y aurait rien de pire que de faire preuve de naïveté dans ce domaine. À côté de la coopération des institutions, une coopération des nations est nécessaire.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, secrétaire d'État

Ne croyons pas que nous pourrons nous reposer uniquement sur la coopération des institutions. Il faut également une coopération des États membres de l’Union, comme l’a suggéré M. Fauchon.

À cet égard, je ne vous étonnerai pas en vous disant toute l’importance que j’attache à un renforcement des liens entre la France et l’Allemagne, à une nouvelle conception de leurs relations, non seulement parce que l’histoire européenne s’est construite autour de celles-ci – la frontière du Rhin est peut-être la frontière essentielle de cette histoire –, mais aussi parce que c’est notre intérêt économique, politique et culturel.

Il faudra également élargir nos relations avec d’autres grands États, notamment l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni, tout en prenant en compte l’identité – j’en reviens au premier point de mon intervention – d’un certain nombre de pays que nous négligeons trop souvent, à savoir ceux d’Europe centrale. C’est sans doute une des initiatives importantes du Président de la République que de s’être engagé dans cette voie. J’ai passé du temps à Prague et à Bratislava, je connais bien Varsovie : je puis vous dire que ces États ont une identité, une mémoire, des difficultés, une cohésion propres. Si nous les laissons de côté, si nous ne savons pas prendre en considération ces éléments, tout ce que nous entreprendrons avec les Allemands ou avec les Britanniques restera lettre morte sur le long terme, car les États d’Europe centrale n’y participeront pas et nous diront : « Ce n’est pas l’Europe que nous voulons ! »

Cette coopération me paraît essentielle, notamment face à la nouvelle administration américaine. Ce point a été souligné, notamment, par M. Collin. Nous nous trouvons à un moment particulier de l’histoire du monde, où un espoir considérable a été suscité par l’élection américaine. Il faut que, en regard, les institutions européennes soient fortes et en ordre de marche, que les États membres coopèrent entre eux et dialoguent constamment afin de dégager les compromis que j’évoquais tout à l’heure. Sinon, nous ne pèserons pas face aux États-Unis, et nous ne les intéresserons même pas.

À ce titre, j’aurais aimé évoquer de manière plus approfondie la défense européenne et l’OTAN, sujet qui me tient à cœur, mais l’heure tardive m’en empêche.

Je me bornerai donc à souligner que des progrès importants ont été accomplis dans ce domaine. Un éventuel retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, envisagé par le Président de la République, suppose que deux conditions soient réunies.

En premier lieu, nous devons poursuivre le renforcement de la défense européenne. Des avancées significatives ont été obtenues sur le terrain à cet égard, que ce soit au Kosovo, en Afrique ou en Afghanistan, mais il importe que nous continuions à progresser, notamment sur cette question difficile et importante du commandement stratégique et du centre de planification.

À ce sujet, nous devons commencer par balayer devant notre porte. Lorsque je suis entré au Quai d’Orsay, voilà maintenant presque une dizaine d’années, je me souviens très bien, pour avoir été chargé de ces questions à la direction des affaires stratégiques, que le problème majeur sur ce thème de la défense européenne était que les Américains s’opposaient aussi bien à l’idée d’un centre de planification stratégique qu’à celle d’un centre de conduite d’opérations. Aujourd'hui, non seulement ils ne s’y opposent plus, mais ils y sont favorables. La balle est maintenant dans notre camp : si nous voulons mettre en place une défense européenne, nous devons aussi nous en donner les moyens, nous doter des budgets et de la volonté politique nécessaires.

J’insiste sur ce point, car les Européens ont parfois du mal à concevoir qu’ils ont des intérêts stratégiques propres, ne se confondant pas point par point avec ceux des Américains, et qu’ils seraient donc bien avisés d’apprendre à les défendre seuls.

Je voudrais enfin exprimer ma conviction qu’il est urgent, pour l’Europe, de repenser son rôle historique dans le monde.

La force de l’Europe, c’est la mémoire sur laquelle elle s’appuie, c’est l’histoire qu’elle a vécue, dont je vous ai déjà longuement parlé et qui a été marquée, en particulier, par la guerre froide, le totalitarisme, le souvenir de la Shoah, le refus de la guerre, la volonté de promouvoir la paix et de régler les différends par le droit. Tout cela est au cœur de la construction européenne.

Cependant, cette imprégnation culturelle européenne, qui est essentielle et à laquelle j’attache une importance fondamentale, ne doit pas nous empêcher de voir que l’histoire se joue aussi ailleurs. Il ne faut pas continuer à considérer tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés à travers le seul prisme de la guerre froide, de l’OTAN, de l’affrontement entre les blocs, d’idéologies qui sont parfois dépassées.

Lorsque je rencontre nos amis tchèques ou d’autres pays d’Europe centrale, je leur explique que la meilleure garantie de sécurité qu’ils peuvent avoir, ce n’est pas forcément la présence de troupes américaines sur leur territoire, c’est peut-être le renforcement de leurs liens avec l’Europe et la mise en place d’une défense européenne.

Oui, il y a une mémoire européenne, mais elle ne doit pas nous conduire à l’immobilisme ni à oublier de voir le monde tel qu’il est. L’Europe doit donc considérer que l’histoire du monde aujourd'hui, ce n’est pas simplement sa propre histoire, aussi tragique soit-elle ; c’est aussi celle de l’immigration et du développement de l’Afrique, indispensable si nous voulons régler définitivement ce problème migratoire qui préoccupe tant nos concitoyens. Le développement de l’Afrique est une priorité absolue, madame David, je vous rejoins sur ce point : il fait partie de l’histoire qui se joue à nos portes.

De la même façon, le poids acquis par les pays musulmans dans les équilibres géopolitiques est une donnée de l’histoire à laquelle l’Europe doit maintenant prêter plus d’attention qu’aux conséquences de la chute du mur de Berlin, qui est maintenant derrière nous. L’émergence du Brésil, de l’Inde, de la Chine sur la scène internationale, notamment économique, doit également nous préoccuper davantage que d’anciennes questions aujourd'hui dépassées.

Dans le même ordre d’idées, nous devons non pas vivre dans le souvenir de l’ancien empire soviétique, mais prendre en considération le fait que la Russie est un pays immense mais en même temps fragile, dont l’économie évolue lentement et reste insuffisamment développée en raison de la nature principalement minière et gazière de ses ressources. Nous devons donc impérativement renforcer nos liens économiques et stratégiques avec ce pays.

Voilà l’histoire dans laquelle l’Europe doit entrer si elle veut véritablement peser de tout son poids dans le monde.

Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe n’est pas qu’une affaire d’institutions, elle est aussi une affaire de conscience et de vision. Si elle a l’audace de voir le monde tel qu’il est, elle retrouvera sa place dans l’histoire au moment où les États-Unis s’apprêtent à le faire. C’est ce qui se joue en 2009, et ce que je souhaite de tout cœur !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

En application de l’article 83 ter du règlement, je constate que le débat est clos.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que les questions orales n° 359 de M. Claude Biwer et n° 389 de Mme Marie-Thérèse Hermange sont retirées du rôle des questions orales, à la demande de leurs auteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la performance énergétique des bâtiments (refonte).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-4222 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’ai reçu de MM. Didier Boulaud et André Trillard un rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur l’évolution de la présence internationale au Kosovo après l’indépendance.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 174 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 21 janvier 2009, à quinze heures et le soir :

1. Projet de loi (154, 2008-2009), adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2009.

Rapport (162, 2008-2009) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

2. Projet de loi (157, 2008-2009), adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés.

Rapport (167, 2008-2009) de Mme Élisabeth Lamure, fait au nom de la commission des affaires économiques.

Avis (163, 2008-2009) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

Avis (164, 2008-2009) de M. Laurent Béteille, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le mercredi 21 janvier 2009, à zéro heure cinq.