Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 juillet 2018 à 9h35
Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly, rapporteure :

Je suis très heureuse d'accueillir Christophe-André Frassa avec lequel j'ai d'emblée tenu à travailler. Nous avons mené ensemble un certain nombre d'auditions afin d'accorder nos points de vue, main dans la main - vous avez pu l'observer lors des tables rondes que j'ai souhaitées très ouvertes afin de vous sensibiliser tout autant que les rapporteurs.

La proposition de loi que nous examinons ce matin suscite de très sérieuses réserves de l'ensemble des acteurs concernés et de la quasi-totalité des groupes politiques, comme en témoignent les quatre motions que nous allons examiner ce matin.

Pour ouvrir le débat, je voudrais insister sur quelques points.

Il existe déjà un arsenal législatif : code pénal, code électoral, loi de 1881, loi de confiance dans l'économie numérique (LCEN). C'est de là qu'il faut partir.

Les fausses informations ne datent pas d'aujourd'hui - je vous renvoie à mon rapport, assez exhaustif. Il est vrai que nous avons été marqués par la violence des dernières campagnes électorales, des deux côtés de l'Atlantique, et par les soupçons de manipulation qui leur ont été associées. Mais les fausses nouvelles, fausses informations, ou fake news, ont toujours existé dans le débat public. Elles ne sont pas propres au champ politique, comme a pu en témoigner, par exemple, la controverse sur les dangers de la vaccination. On pourrait citer Philippe Le Bel, du côté des instigateurs, ou Roger Salengro, du côté des victimes. Mais c'est à la faveur des campagnes électorales récentes qu'elles ont acquis une dimension nouvelle en raison du développement et du mode de fonctionnement des réseaux sociaux, voire de leur modèle économique. Le terme même de fake news est utilisé par le président américain pour dénoncer les fake news medias, soit en réalité les opinions qui mettent les siennes en doute. On pourrait résumer cela ainsi : les fake news, c'est ce que disent ceux qui ne pensent pas comme moi. Plus sérieusement, l'ensemble des pays européens réfléchissent à ce phénomène. L'Allemagne a voté une loi très restrictive. Récemment, le ministre belge Alexander De Croo a organisé une réunion de travail et conclu qu'il ne fallait pas légiférer mais plutôt susciter l'autorégulation. Tout cela va dans le sens des conclusions de la Commission européenne qui, d'ici le mois de décembre 2018, établira un bilan.

Les fausses informations recouvrent un très vaste panel, d'où la difficulté à en définir les contours - le Conseil d'État l'a souligné dans son avis du 19 avril. Elles vont d'informations fantaisistes et malveillantes, tels que les cadavres dans le jardin d'Hillary Clinton ou « Ali Juppé », à des faits imaginaires mais plus difficilement vérifiables, comme l'existence d'un compte à l'étranger. Les fausses informations peuvent être malveillantes ou résulter d'erreurs. Elles peuvent être diffusées sciemment pour nuire ou s'amuser. En un mot, elles sont multiples. C'est pourquoi nos collègues de l'Assemblée nationale ont peiné à les définir. Ils ont conclu que leur définition n'était pas satisfaisante et la ministre de la culture a renvoyé au Sénat le soin de l'établir. On m'a explicitement dit que le Gouvernement ne souhaitait pas de définition précise, ce qui pose un problème pour toute poursuite judiciaire.

Si aucune étude n'a pu démontrer l'influence des fausses informations sur le résultat des élections, elles contribuent cependant a minima à détériorer la qualité du débat démocratique. Il est très difficile de faire la part des choses sur leur réelle influence. On manque de recul. Il est toutefois permis de penser que l'alliance de fausses informations particulièrement malveillantes et des possibilités de ciblage, après la fuite des données de Facebook, par la très connue société Cambridge Analytica a pu influencer le résultat de l'élection américaine, compte tenu du mode de scrutin particulier. Ce qui est certain, c'est que l'exposition massive aux fausses informations contribue à polluer un débat qui doit rester digne et à distraire les électeurs des vrais enjeux. Les fausses informations, répandues sciemment ou non, constituent un danger pour nos démocraties. Vous noterez que le problème ne se pose dans aucun régime autoritaire.

Les fausses informations posent la question de la régulation et du statut des plateformes en ligne.

Le cadre européen issu de la directive « e-commerce » de juin 2000, transposée en droit français par la loi de confiance dans l'économie numérique de 2004, définit un régime de responsabilité extrêmement limité pour les plateformes. Si un tel modèle avait du sens à l'époque, près de vingt ans plus tard, le Web 2.0 et maintenant 3.0 est très éloigné de la vision angélique d'un espace de démocratie en ligne ouvert à tous. Le fonctionnement même des plateformes et le modèle économique de l'Internet contreviennent au principe de neutralité. Notre accès aux informations est en grande partie déterminé par des algorithmes sophistiqués et opaques dont le but est de capter l'attention de l'internaute, monnayée sous forme de publicité sous une illusion de gratuité, et qui posent un problème quant à la juste exposition des nouvelles des journaux professionnels. Ce modèle-là accentue le phénomène des fausses informations et la manipulation.

Nous pourrions obtenir des avancées en rouvrant le débat sur la directive de 2000 et le statut des plateformes. Je réfléchis à une proposition de résolution européenne sur ce sujet. Les remous provoqués par le rejet de la directive sur les droits d'auteur la semaine dernière renvoient toujours à la même question et nous incitent à la plus grande des vigilances.

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