Intervention de Bruno Retailleau

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 juillet 2018 à 9h35
Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Merci aux deux rapporteurs pour la pertinence de leurs rapports. Bien entendu, le groupe Les Républicains s'associe totalement aux deux motions. Nous avons nous-mêmes déposé une motion. La question est grave. Cette proposition de loi peut porter atteinte à la liberté fondamentale qu'est la liberté d'expression.

Alors que le Président de la République avait annoncé sa volonté urbi et orbi de voir aboutir un projet de loi, c'est une proposition de loi qui nous est soumise. Cela permet de passer outre l'étude d'impact et l'avis du Conseil d'État. Si la nécessité de légiférer est impérieuse, nous aurions aimé connaître son avis.

L'impréparation est totale - le parcours très heurté de l'examen du texte à l'Assemblée nationale en témoigne. Je rappelle que c'est le premier de la session dont l'examen a fait l'objet d'un report à l'Assemblée. Il est extrêmement difficile de définir sérieusement et précisément une fausse information. Tous ceux qui ont travaillé sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique savent de quoi il retourne. Les auteurs de la proposition de loi semblent peu familiers des difficultés de l'écosystème Internet ; sinon, ils auraient vu très vite qu'ils ne pouvaient pas atteindre leur but par la voie qu'ils empruntent.

Cette proposition de loi est inutile. L'article L. 97 du code électoral vise déjà les fausses nouvelles et les manoeuvres. Il aurait bien mieux valu s'inscrire dans le cadre de la grande loi de 1881 qui consacre la liberté d'expression en l'adaptant à l'écosystème des réseaux sociaux.

Très franchement, le juge des référés, qui est le juge de l'évidence, ne peut juger que des éléments manifestement illégaux. En l'espèce, il sera impossible, en 48 heures, d'établir une vérité manifeste. Cette proposition de loi met l'institution judiciaire dans une impasse absolument dangereuse.

En outre, je m'interroge sur le respect du principe de proportionnalité au regard de l'atteinte à une liberté publique fondamentale. Cela pose une question de constitutionnalité.

Cette proposition de loi, éminemment dangereuse, fait courir le risque d'une police de la pensée exercée par l'autorité politique et d'une privatisation de nos libertés publiques. Nombre de plateformes s'enorgueillissent de fermer des comptes. Je n'ai aucune sympathie pour ces derniers. Mais fournir aux GAFA - Google, Apple, Facebook, Amazon - l'autorité d'interdire telle ou telle page participe d'un processus dangereux de privatisation de la censure. La police de la pensée peut s'exercer par la voie de l'autorité publique mais aussi par ces puissances quasi-étatiques - je rappelle que le Danemark a récemment commis une erreur importante en nommant un ambassadeur chargé des relations avec les GAFA.

Nous nous opposons avec une très grande fermeté aux deux propositions de loi, ordinaire et organique. Je suis très heureux, à l'heure des interrogations sur la place du Sénat, qu'il joue pleinement son rôle de gardien des libertés publiques.

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