Intervention de David Assouline

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 juillet 2018 à 9h35
Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

La motivation de la proposition de loi répond à un vrai sujet d'actualité très préoccupant pour notre démocratie : la diffusion de fausses informations, la capacité gigantesque de certains acteurs à répandre des rumeurs qui nourrissent le complotisme. Avec l'intelligence artificielle, on pourra fabriquer un discours du Président de la République en utilisant sa voix exacte, ses intonations, sur un contenu inventé. La capacité de diffusion des robots submergera toute tentative de riposte, parce qu'elle sera plus puissante. L'enjeu est devant nous, il est énorme, et on nous répond par une petite loi, inutile et dangereuse car elle désarme nos concitoyens qu'il faut plutôt éduquer au décryptage des images, au recul. Il faut aussi travailler à la déontologie de ceux qui sont chargés de diffuser l'information et prévoir d'inventer à chaque fois des outils pour endiguer le phénomène. La réponse n'est pas toujours législative.

À la veille d'une grande loi sur l'audiovisuel, comment peut-on passer « par la bande » avec cette proposition de loi qui confond tout ? Elle désoriente et n'apporte pas de réponse.

Quand le Président de la République a annoncé cette loi, il a répondu à une demande globale. Mais il faut être sérieux lorsqu'on légifère. Les députés, au cours de l'examen du texte, se sont mis à douter fortement. Ils ont dû définir l'expression fake news, qui fait le buzz mais n'est pas française. Une fausse information, donc, qu'est-ce ? Qui la définit ? Les députés ont saisi le Conseil d'État, qui a émis des doutes et dénoncé des imprécisions. L'Assemblée nationale a changé sa définition, mais cette dernière n'est franchement pas meilleure. Elle porte une grande part de subjectivité alors que le juge doit s'appuyer sur des éléments objectifs.

On évite de modifier la loi de 1881, qui est un talisman. Pourtant, c'est bien de son contenu que l'on parle ici. La loi de 1881 évoque les fausses informations et les punit. Pourquoi donc créer un autre arsenal ?

Le juge des référés aura 48 heures pour vérifier que l'information mise en cause remplit cinq conditions, afin de pouvoir en prononcer le retrait. Dans la pratique, quel juge sérieux le pourra ? Quels moyens aura-t-il ensuite pour vérifier que l'information a bien été retirée ? Qu'adviendra-t-il quand il ne pourra pas prononcer le retrait ? Quand 99 % des fausses informations n'auront pas été soumises au juge et ne seront pas sanctionnées ? Comment seront-elles considérées ? Comme des vraies informations ! On glisse le doigt dans l'engrenage, en estampillant de fausses informations comme des vraies.

Il serait très peu professionnel, ou très peu responsable, de persévérer uniquement pour satisfaire une parole présidentielle trop rapidement prononcée - nous devrons néanmoins répondre à ce problème réel dans les années à venir.

J'ajoute que l'on donne une nouvelle compétence au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Depuis qu'Internet existe, nous débattons de la régulation des contenus audiovisuels par le CSA. Ils le sont à la télévision mais pas sur Internet. YouTube propose pourtant les pires horreurs aux enfants. Le problème, c'est que l'on régule ce que les enfants ne regardent pas - la télévision - et non ce qu'ils regardent. Et là, on donne la compétence au CSA de réguler les contenus écrits sur Internet. La presse écrite va sauter au plafond. C'est n'importe quoi.

Je constate qu'il y a beaucoup de boîtes de Pandore dans ce texte. Ses bons éléments pourront être repris dans la future loi sur l'audiovisuel. N'entrons donc pas dans une logique d'amélioration de cette proposition de loi et votons la motion posant la question préalable que le groupe socialiste a déposé très tôt.

Bien sûr, l'Assemblée nationale a le dernier mot. Mais cette loi touche à la liberté de la presse et à la liberté d'expression ; elle serait adoptée uniquement par les voix du parti majoritaire à l'Assemblée nationale, alors que toutes les autres sensibilités politiques la dénoncent. Il n'est pas possible que le pluralisme politique soit nié sur un sujet aussi fondamental et que la majorité passe en force. J'espère que l'Assemblée nationale ne continuera pas à tout prix sur cette voie et mettra de côté ces textes fâcheux.

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