Intervention de André Gattolin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 juillet 2018 à 9h35
Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Bien qu'ayant rédigé il y a six ans un doctorat de 600 pages sur les canulars médiatiques, je n'ai pas été consulté sur ce texte... Cette excellente proposition de loi mériterait d'excellentes améliorations et approfondissements. Je ne voterai pas la motion.

Vous posez justement plusieurs questions : plutôt que de légiférer, ne faudrait-il pas davantage éduquer aux médias ? J'ai dirigé l'association Graine de citoyen durant trente ans. Dans trente ans, le rapport des jeunes à l'information n'aura pas changé aussi facilement... Le travail journalistique doit être amélioré. Les fausses nouvelles ne sont pas récentes. Elles ont été utilisées en masse durant la Première Guerre mondiale - le président Wilson en a d'ailleurs un peu abusé... C'est pourquoi s'est créé, en 1918, le Syndicat national des journalistes. Même si la loi de 1881 s'appliquait pour attaquer les fausses nouvelles, la situation catastrophique a mené au vote de la loi Brachard en 1935, qui a donné un vrai cadre aux journalistes.

La situation actuelle est dramatique, avec la dégradation des normes et des processus : même les journalistes professionnels ne procèdent plus à la double vérification de l'information. Nous sommes dans une nouvelle dimension : ce n'est plus la régulation dans un État de droit ou d'un État-nation avec leurs règles. Nous sommes désormais dans un espace ouvert où les GAFA, des « quasi États » - expression utilisée par M. Retailleau mais que j'ai prononcée il y a quatre ans devant le Sénat italien - ont leur police, leur territoire, leur système de répression. Cela menace le fonctionnement interne de notre démocratie. En face de ces quasi-États, des rogue states (États voyous) prolongent la cyberguerre pour déstabiliser les autres États. On parle beaucoup des États-Unis ou du Brexit, mais désormais plus aucune élection européenne ne connaît de tentative massive de déstabilisation par des acteurs extérieurs - voyez récemment en République tchèque ou en Slovénie...

La publication d'une information suppose l'existence d'un directeur de la publication. Plus d'une quarantaine de fois, j'ai été convoqué par la 17e chambre correctionnelle, la chambre la plus voltairienne de France, où les décisions ne sont jamais prises à la légère. J'ai vu certaines attaques paraissant diffamatoires n'être pas considérées comme telles - accuser quelqu'un d'homosexualité n'est pas un délit...

Nous devrons trouver un système de régulation des GAFA. L'Union européenne, qui ne souhaite pas légiférer sous prétexte que des négociations tendues sont en cours, est irresponsable. La Commission européenne envisage éventuellement une directive en raison de l'absence d'autorégulation de ces acteurs, qui utilisent la population pour faire pression sur les États. C'est fou, elle prévoit un ambassadeur auprès des GAFA, reconnaissance implicite d'une situation ne relevant pas de l'État de droit. C'est aussi idiot que la régulation actuelle des noms de domaine d'Internet.

La diffusion massive de fausses informations, notamment par la Russie, est un problème. L'Europe doit réguler et doit mettre les réseaux sociaux face à leurs responsabilités, même si c'est long et difficile à appliquer. Une directive serait un minimum au regard de la logique de transformation actuelle.

Ce texte présente quelques rares défauts. L'élargissement aux élections législatives et sénatoriales démultiplierait les possibilités de recours - tandis que l'élection présidentielle se déroule dans une circonscription unique. Les juges des référés ne seront peut-être pas en mesure de répondre aux demandes. Et que dire d'une éventuelle extension aux scrutins locaux, qui serait impossible à appliquer ?

Comment préserver l'esprit d'une démocratie de droit, avec des règles de fonctionnement, une presse de qualité ? Reporters sans frontières a proposé aux journalistes la Journalism Trust Initiative (initiative pour la fiabilité de l'information), référentiel sur le modèle des normes ISO. Les attentats et l'intrusion sur le site de TV5 monde ont montré que les groupes djihadistes entraient au coeur de la machine pour transformer l'information. L'État de droit et la liberté d'information peuvent faire l'objet d'attaques. Nous devons trouver un moyen pour les défendre. Mme Morin-Desailly a déposé une proposition de résolution européenne. Réfléchissons au statut de ces grands groupes et réseaux. Quelles sont leurs limites au regard de la liberté d'expression démocratique ? Comment distinguer les fausses informations dans ce magma de définitions nationales et internationales ? Elles peuvent être sources de conflits... Notre démocratie doit se protéger.

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