Or c'est la mesure la plus emblématique du texte. Rien ne serait pire qu'un tel bricolage.
Le titre II et le renforcement des pouvoirs du CSA auraient pu trouver leur place dans le projet de loi de réforme audiovisuelle repoussé à 2019. Il y a des incertitudes. L'article 6 est potentiellement anticonstitutionnel, car contraire à la personnalisation des peines.
Les directeurs de l'information nous rappelaient également l'aspect géopolitique - et la veille, leurs services juridiques étaient encore plus sévères : « Toute mesure contraignante prise à l'encontre d'un média au service d'une puissance étrangère ne manquera pas de provoquer des représailles à l'encontre des médias français présents dans ce pays ». Effectivement, la mise en demeure de Russia Today le 28 juin a validé cette loi d'airain : dès le lendemain, France 24 était menacé par le régulateur russe...
Nous nous félicitons des mesures intégrées in extremis dans le titre III bis sur l'éducation aux médias - je vous ai présenté il y a quelques semaines les conclusions de mon rapport sur la formation à l'heure numérique. La France et l'Union européenne doivent réfléchir à l'accompagnement des médias professionnels dans leur transition vers le numérique pour assurer leur pérennité et permettre l'exposition d'informations vérifiées. Une stratégie cohérente s'impose. Nous ne lutterons pas contre les fausses informations sans déontologie ni éclairage des lecteurs. Tous ces sujets sont intimement liés et renvoient à la liberté de la presse et du numérique.
Je défendrai en votre nom la motion opposant la question préalable, qui enverra un signal très clair au Gouvernement - le Sénat reste le gardien le plus inflexible des grandes libertés publiques - ainsi qu'à l'opinion publique et aux professionnels qui tous, sans exception, nous ont fait part de leur incompréhension, de leurs doutes et de leurs craintes. Nous avons réalisé ce travail de pédagogie que l'Assemblée nationale n'a pas su faire.
En application de l'article 44, alinéa 3 du Règlement du Sénat, une seule motion peut être déposée sur ce texte. Déposée par la commission, elle pourra être examinée après la discussion générale, ce qui vous permettra - comme les rapporteurs - de vous exprimer.
Choisir une proposition de loi nous prive d'une étude d'impact et d'un travail préalable du Conseil d'État - même si son avis en date du 19 avril dit tout. Il n'est pas sérieux de légiférer de telle manière sur ces questions aussi sensibles. Nous disposons d'un arsenal législatif insuffisamment utilisé. Le rapporteur pour avis pourra également vous exposer toutes ses réserves en séance publique.
Bruno Retailleau a raison : le système actuel peut nous conduire à une censure préventive des plateformes. Selon le Conseil d'État, nous sommes pris en tenaille entre une censure préventive et l'abandon de toute réaction qui aboutira à l'autodestruction. Le duopole Google et Facebook gère les informations par l'intelligence artificielle et un algorithme qui privent nos médias d'une exposition juste et équitable. Cela instaure une forme de censure, l'information se revendiquant alors comme « organisée », selon le président de Google.
Le modèle Internet repose alors sur le principe « je donne mes données - ou l'entreprise les capte, dans un capitalisme de la surveillance - en échange d'une information pseudo-gratuite ». Ce sujet, très sensible, a été théorisé par Tristan Harris, ancien ingénieur de Google. Pourquoi ne pas réviser la directive sur le e-commerce ? Réfléchissons au statut pour responsabiliser ces plateformes, dont l'intermédiation est obligatoire. Il y a des abus de position dominante et de concurrence déloyale. Toute notre économie est menacée par une ubérisation rampante. Nous sommes favorables au progrès mais celui-ci doit servir notre modèle de société.
Ce sujet doit être suivi à l'échelle européenne, au-delà de la seule autorégulation des plateformes. Nous pourrions réfléchir à un statut intermédiaire entre hébergeurs et éditeurs. Je suis favorable à l'adoption d'une proposition de résolution européenne pour faire avancer l'Union européenne, qui est bien naïve. Lors de notre colloque sur l'avenir de l'audiovisuel public, Jean-Paul Philippot, administrateur général de la Radio-télévision belge francophone (RTBF) a mentionné une confidence du président du Parlement européen : Google aurait des contacts avec tous les avocats de Bruxelles... Après l'affaire Snowden, un article du Guardian dévoilait que le plus grand nombre d'opérations de cybersurveillance de la NSA (National Security Agency, agence de sécurité américaine) était réalisé auprès des fonctionnaires de la commission européenne chargés de la concurrence. C'est à ce niveau-là que nous devons réfléchir. Il est dangereux de faire croire qu'une solution peut être trouvée alors que les prochaines élections prouveront le contraire. C'est pour cela que je vous propose le rejet du texte par l'adoption d'une motion opposant la question préalable.