… et, avouons-le, monsieur Sutour, inespérés.
Au total, on peut bien le dire, rarement politiques auront été aussi bons diplomates, et rarement diplomates auront été aussi bons politiques !
On voudrait avoir plus d’autorité pour célébrer une séquence qui permet d’affirmer que l’Europe est sortie de sa léthargie, qu’elle a pris conscience de la vraie dimension de ses intérêts, de ses responsabilités et de ses pouvoirs, et pour exprimer notre reconnaissance à celui sans qui rien de tout cela ne se serait produit : je parle évidemment du chef de l’État. Grâce à lui, la furia francese, transmuée en savoir-faire français, aura fait merveille. §
Pour l’avenir, deux sortes de réflexions me paraissent s’imposer, l’une dans l’ordre institutionnel, l’autre dans l’ordre de l’action.
La première réflexion concerne l’exécutif. Il ne faut plus désormais opposer, comme on le faisait traditionnellement, la supposée paralysie de l’Europe des États et des gouvernements à la supposée créativité de l’Europe « communautaire ». Il faut dépasser cette opposition stérile en affirmant, à la lumière des expériences vécues au cours de l’année 2008, la capacité des Européens à retrouver la voie du progrès dans un processus sans doute nouveau, mais qui vient de faire la preuve de son efficacité.
Nous sommes maintenant en présence d’un exécutif de type nouveau, d’une certaine manière bicéphale – ce qui ne devrait pas surprendre les Français, qui y sont habitués : d’un côté, une Commission, privée sans doute aussi bien de son privilège monopolistique que des effets supposés bénéfiques d’une concentration qui se serait révélée à l’expérience, j’en suis convaincu, très handicapante, mais qui conserve tout de même à la fois sa spécificité et son caractère propre de conscience communautaire, ainsi que les immenses moyens de son appareil technique ; de l’autre, un Conseil, détenteur de la légitimité la plus enracinée, et qui maintenant se sait capable d’engager et même de conduire les affaires communes.
Le traité de Lisbonne, supposé simplificateur – qui en réalité est un monstre formel, entre nous soit dit –, ne fera que conforter cette situation par la consolidation de la présidence.
À partir de là, les choses iront comme elles pourront aller, au gré de la personnalité des dirigeants et des événements auxquels ils seront confrontés. Schéma imprévu peut-être, différent sans doute de celui dont certains – j’en suis – avaient rêvé, mais qui ne saurait être récusé pour des raisons de principe alors qu’il a fait la preuve de son efficacité. La question de savoir si l’Europe avance importe beaucoup plus que celle de savoir comment elle avance.
Comment l’Europe peut-elle avancer ? C’est précisément la seconde réflexion que je propose, et qui se situe dans la perspective des interrogations du président Haenel, qui a d’ailleurs devancé en partie mon propos.
Ma réflexion porte sur le constat selon lequel, dans la réalité des faits, l’Europe des vingt-sept, en attendant celle des vingt-huit et davantage, a énormément de mal à dégager, au-delà des déclarations de solidarité et de bonnes intentions, des politiques communes qui soient réellement communes et opérationnelles. Les intentions ne manquent pas, mais les actions font généralement défaut.
Le temps manque pour énumérer des exemples, mais nul ne peut ignorer que l’extension des missions de l’Union à l’ensemble des domaines de la vie publique opérée par le traité de Maastricht n’a pu donner lieu qu’à des démarches certes utiles et méritoires, mais qui sont généralement de caractère plus symbolique et exploratoire qu’opérationnel, et qui s’enlisent vite dans les méandres et les atermoiements où se complaisent ceux qui, en réalité, ne sont pas décidés à aller de l’avant.
À défaut de prendre des décisions réellement communes, réellement opérationnelles, on se réfugie de plus en plus dans la fabrication de « livres verts » qui ne sont souvent que des catalogues de difficultés ne faisant guère avancer les choses.
Les impulsions de ces derniers mois ont sans doute ravivé les ardeurs – espérons-le –, mais rien ne permet d’affirmer pour autant que les mises en œuvre authentiquement unanimes seront beaucoup plus aisées demain qu’elles ne l’étaient hier.
Dès lors que l’on ne peut pas agir tous ensemble, il est clair – il ne faut pas hésiter à le dire – qu’il convient d’agir à quelques-uns et que les plus décidés et les mieux disposés ne doivent pas hésiter à donner l’exemple.