Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 20 janvier 2009 à 22h00
Enseignements de la présidence française de l'union européenne — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Bruno Le Maire, secrétaire d'État :

Ne croyons pas que nous pourrons nous reposer uniquement sur la coopération des institutions. Il faut également une coopération des États membres de l’Union, comme l’a suggéré M. Fauchon.

À cet égard, je ne vous étonnerai pas en vous disant toute l’importance que j’attache à un renforcement des liens entre la France et l’Allemagne, à une nouvelle conception de leurs relations, non seulement parce que l’histoire européenne s’est construite autour de celles-ci – la frontière du Rhin est peut-être la frontière essentielle de cette histoire –, mais aussi parce que c’est notre intérêt économique, politique et culturel.

Il faudra également élargir nos relations avec d’autres grands États, notamment l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni, tout en prenant en compte l’identité – j’en reviens au premier point de mon intervention – d’un certain nombre de pays que nous négligeons trop souvent, à savoir ceux d’Europe centrale. C’est sans doute une des initiatives importantes du Président de la République que de s’être engagé dans cette voie. J’ai passé du temps à Prague et à Bratislava, je connais bien Varsovie : je puis vous dire que ces États ont une identité, une mémoire, des difficultés, une cohésion propres. Si nous les laissons de côté, si nous ne savons pas prendre en considération ces éléments, tout ce que nous entreprendrons avec les Allemands ou avec les Britanniques restera lettre morte sur le long terme, car les États d’Europe centrale n’y participeront pas et nous diront : « Ce n’est pas l’Europe que nous voulons ! »

Cette coopération me paraît essentielle, notamment face à la nouvelle administration américaine. Ce point a été souligné, notamment, par M. Collin. Nous nous trouvons à un moment particulier de l’histoire du monde, où un espoir considérable a été suscité par l’élection américaine. Il faut que, en regard, les institutions européennes soient fortes et en ordre de marche, que les États membres coopèrent entre eux et dialoguent constamment afin de dégager les compromis que j’évoquais tout à l’heure. Sinon, nous ne pèserons pas face aux États-Unis, et nous ne les intéresserons même pas.

À ce titre, j’aurais aimé évoquer de manière plus approfondie la défense européenne et l’OTAN, sujet qui me tient à cœur, mais l’heure tardive m’en empêche.

Je me bornerai donc à souligner que des progrès importants ont été accomplis dans ce domaine. Un éventuel retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, envisagé par le Président de la République, suppose que deux conditions soient réunies.

En premier lieu, nous devons poursuivre le renforcement de la défense européenne. Des avancées significatives ont été obtenues sur le terrain à cet égard, que ce soit au Kosovo, en Afrique ou en Afghanistan, mais il importe que nous continuions à progresser, notamment sur cette question difficile et importante du commandement stratégique et du centre de planification.

À ce sujet, nous devons commencer par balayer devant notre porte. Lorsque je suis entré au Quai d’Orsay, voilà maintenant presque une dizaine d’années, je me souviens très bien, pour avoir été chargé de ces questions à la direction des affaires stratégiques, que le problème majeur sur ce thème de la défense européenne était que les Américains s’opposaient aussi bien à l’idée d’un centre de planification stratégique qu’à celle d’un centre de conduite d’opérations. Aujourd'hui, non seulement ils ne s’y opposent plus, mais ils y sont favorables. La balle est maintenant dans notre camp : si nous voulons mettre en place une défense européenne, nous devons aussi nous en donner les moyens, nous doter des budgets et de la volonté politique nécessaires.

J’insiste sur ce point, car les Européens ont parfois du mal à concevoir qu’ils ont des intérêts stratégiques propres, ne se confondant pas point par point avec ceux des Américains, et qu’ils seraient donc bien avisés d’apprendre à les défendre seuls.

Je voudrais enfin exprimer ma conviction qu’il est urgent, pour l’Europe, de repenser son rôle historique dans le monde.

La force de l’Europe, c’est la mémoire sur laquelle elle s’appuie, c’est l’histoire qu’elle a vécue, dont je vous ai déjà longuement parlé et qui a été marquée, en particulier, par la guerre froide, le totalitarisme, le souvenir de la Shoah, le refus de la guerre, la volonté de promouvoir la paix et de régler les différends par le droit. Tout cela est au cœur de la construction européenne.

Cependant, cette imprégnation culturelle européenne, qui est essentielle et à laquelle j’attache une importance fondamentale, ne doit pas nous empêcher de voir que l’histoire se joue aussi ailleurs. Il ne faut pas continuer à considérer tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés à travers le seul prisme de la guerre froide, de l’OTAN, de l’affrontement entre les blocs, d’idéologies qui sont parfois dépassées.

Lorsque je rencontre nos amis tchèques ou d’autres pays d’Europe centrale, je leur explique que la meilleure garantie de sécurité qu’ils peuvent avoir, ce n’est pas forcément la présence de troupes américaines sur leur territoire, c’est peut-être le renforcement de leurs liens avec l’Europe et la mise en place d’une défense européenne.

Oui, il y a une mémoire européenne, mais elle ne doit pas nous conduire à l’immobilisme ni à oublier de voir le monde tel qu’il est. L’Europe doit donc considérer que l’histoire du monde aujourd'hui, ce n’est pas simplement sa propre histoire, aussi tragique soit-elle ; c’est aussi celle de l’immigration et du développement de l’Afrique, indispensable si nous voulons régler définitivement ce problème migratoire qui préoccupe tant nos concitoyens. Le développement de l’Afrique est une priorité absolue, madame David, je vous rejoins sur ce point : il fait partie de l’histoire qui se joue à nos portes.

De la même façon, le poids acquis par les pays musulmans dans les équilibres géopolitiques est une donnée de l’histoire à laquelle l’Europe doit maintenant prêter plus d’attention qu’aux conséquences de la chute du mur de Berlin, qui est maintenant derrière nous. L’émergence du Brésil, de l’Inde, de la Chine sur la scène internationale, notamment économique, doit également nous préoccuper davantage que d’anciennes questions aujourd'hui dépassées.

Dans le même ordre d’idées, nous devons non pas vivre dans le souvenir de l’ancien empire soviétique, mais prendre en considération le fait que la Russie est un pays immense mais en même temps fragile, dont l’économie évolue lentement et reste insuffisamment développée en raison de la nature principalement minière et gazière de ses ressources. Nous devons donc impérativement renforcer nos liens économiques et stratégiques avec ce pays.

Voilà l’histoire dans laquelle l’Europe doit entrer si elle veut véritablement peser de tout son poids dans le monde.

Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe n’est pas qu’une affaire d’institutions, elle est aussi une affaire de conscience et de vision. Si elle a l’audace de voir le monde tel qu’il est, elle retrouvera sa place dans l’histoire au moment où les États-Unis s’apprêtent à le faire. C’est ce qui se joue en 2009, et ce que je souhaite de tout cœur !

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