Je complèterai l'intervention de M. Bonnecarrère.
Concernant les sanctions, les sanctions dites primaires nécessitent un lien de rattachement - ce que les Américains appellent an US nexus - avec la juridiction américaine, contrairement aux sanctions secondaires. Toutefois, dans l'application de ces dernières, les sanctions portent toujours sur des actifs situés aux États-Unis ou concernent une interdiction d'acheter des biens américains, de voyager aux États-Unis, etc. Il y a un « moyen de pression » sur celui qui va commettre l'infraction.
La question de l'extraterritorialité ne se mesure pas uniquement sur le terrain juridique. La menace d'une sanction induit immédiatement un effet de saisissement sur les acteurs économiques. On l'a vu dès l'élection du président américain avec l'accord avec l'Iran, par exemple. Avant même la décision de sortie des États-Unis du JCPoA - Joint Comprehensive Plan of Action, le plan d'action global commun -, on a d'emblée constaté un ralentissement des projets des entreprises en Iran. Cette question est particulièrement aiguë dans la mesure où les régimes de sanctions américains et les régimes de sanctions européens divergent. S'ils étaient alignés, on se poserait probablement moins la question de l'extraterritorialité. Ce fut le cas jusqu'à récemment avec la Russie et même, dans une certaine mesure, depuis 2015, avec l'Iran, même s'il subsistait des sanctions primaires américaines, les Américains n'ayant levé que les sanctions liées à la prolifération nucléaire. Dès lors, plus la divergence entre les régimes de sanctions européens et américains est importante, plus cette question est cruciale.
Les autorités politiques, le Gouvernement et le Président de la République, ont très clairement affirmé leur détermination à faire en sorte de limiter l'effet extraterritorial des sanctions américaines. Comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, la question de la limitation des effets extraterritoriaux est plus politique que strictement juridique : il est en effet très compliqué de trouver une parade sur le plan juridique, même si vous avez esquissé quelques pistes grâce à la révision du règlement de 1996, sur laquelle je reviendrai rapidement.
La divergence de nos régimes de sanctions est de plus en plus importante pour ce qui concerne la Russie avec, d'une part, le vote, par le Congrès américain en août 2017, de la loi dite CAATSA - Countering America's Adversaries Through Sanctions Act, la loi pour contrer les adversaires de l'Amérique au moyen de sanctions -, qui a introduit de nouvelles sanctions extraterritoriales américaines à l'encontre de la Russie, et, d'autre part, la décision plus récente du président Trump de sanctionner un certain nombre d'oligarques russes. Ainsi, la France, l'Allemagne et d'autres pays européens sont en discussion avec les autorités américaines pour essayer de trouver une voie de sortie concernant l'entreprise russe Rusal, un fournisseur majeur d'aluminium pour toute l'industrie européenne, qui est sanctionnée par les autorités américaines, afin d'éviter des effets absolument systémiques pour l'industrie européenne.
La deuxième source de divergences concerne la sortie des États-Unis du JCPoA et le rétablissement des sanctions secondaires, qui, de fait, menacent la pérennité des projets français et européens en Iran. Certaines entreprises françaises et européennes ont déjà pris la décision d'interrompre leurs projets en Iran. Cela remet en question la quasi-totalité des activités et des projets d'investissement, qui avait été relancés après 2015 et après la signature du JCPoA dans des secteurs clés, tels que l'aéronautique, l'automobile et l'énergie, des secteurs qui feront tous l'objet de sanctions secondaires américaines le 6 août 2018 ou le 6 novembre 2018.
Par ailleurs, la pérennité des activités dans les secteurs qui ne sont pas sanctionnés, tels que l'agroalimentaire et la pharmacie - les flux commerciaux avant le JCPoA étaient significatifs, avec plusieurs centaines de millions d'euros, voire plus - est remise en cause par la désignation par les Américains de la quasi-intégralité des banques commerciales iraniennes et même de la Banque centrale iranienne. Dès lors qu'il n'existe pas d'établissements de crédit iraniens susceptibles de recevoir des paiements, cela pose problème pour commercer avec des secteurs licites au regard des régimes de sanctions américains.
Face à cette situation, l'administration française est entièrement mobilisée pour trouver des solutions, en vue de protéger nos entreprises. À cet effet, on agit sur plusieurs leviers.
Le premier levier concerne le règlement européen de 1996 dit de blocage. La portée de ce règlement était limitée ; elle l'était d'autant plus que les mesures de portée extraterritoriale étaient listées dans une annexe qui n'avait pas été révisée depuis lors. Cette annexe a été récemment révisée par un acte délégué de la Commission européenne, qui doit entrer en vigueur le 7 août 2018. Nous avons listé les nouveaux textes juridiques adoptés par les Américains imposant des sanctions dont on estime qu'elles ont une portée extraterritoriale. En outre, nous continuons d'essayer de renforcer le dispositif pour le rendre plus opérant, notamment, comme l'a relevé le rapporteur, pour ce qui concerne l'article 6 relatif aux mécanismes d'indemnisation ou de récupération pour les acteurs sanctionnés.
Deuxième levier, nous essayons de trouver des canaux de financement, ne serait-ce que pour continuer de financer le commerce dans les secteurs qui ne sont pas sanctionnés, voire, pour être encore plus ambitieux, pour financer tous les secteurs que nous considérons comme légitimes. Cet exercice est rendu plus compliqué par le rétablissement des sanctions secondaires, la désignation des établissements financiers iraniens et de la Banque centrale iranienne par les autorités américaines. Le dispositif que l'on avait imaginé pour la Banque publique d'investissement (BPI) n'est plus opérant ; mais Karine Demonet vous en dira certainement davantage. La réflexion se poursuit et nous souhaitons engager un dialogue avec nos partenaires européens sur ce sujet. Il s'agit d'un sujet très compliqué et, pour l'heure, je ne puis vous donner d'éléments précis ou concrets.
Le troisième levier concerne le renforcement des mécanismes de coordination entre les États membres et de dialogue avec les autorités américaines sur l'élaboration des sanctions et leur mise en oeuvre. Les Américains parlent d'une voix unie : l'OFAC, Office of Foreign Assets Control, le bureau de contrôle des actifs étrangers, est la porte d'entrée reconnue pour tous les acteurs économiques, s'agissant des sanctions, alors que l'Europe compte vingt-huit régimes, avec, potentiellement, plusieurs autorités compétentes au sein de chaque État membre. On a parfois parlé de la possibilité de créer un OFAC européen : c'est un raccourci pour dire que les Européens doivent davantage se coordonner pour avoir plus de poids face aux autorités américaines et un moyen de recours pour les entreprises européennes. Cette coordination accrue est déjà à l'oeuvre à propos de l'Iran ; les échanges sont extrêmement nourris entre les États membres, en particulier au sein de l'E3, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, avec le SEAE, mais ce dialogue n'est pas exclusif.