Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite en préambule revenir sur les drames que nos concitoyens et leurs familles, mais aussi nos collègues élus ont vécus lors de la tempête Xynthia et des inondations qui ont frappé la Dracénie. Je leur exprime toute ma sympathie et ma volonté de faire évoluer notre prise en compte des risques liés aux inondations.
Nous devons retenir de ces événements que c’est plus l’aménagement du territoire qui est en cause, que le phénomène inondation. Si certains territoires ont du mal, malgré la solidarité nationale, à redémarrer et à panser leurs plaies, c’est parce que nous n’avons pas su les ménager et les construire de manière à ce qu’ils puissent faire face à de tels événements, qui malheureusement peuvent se répéter plusieurs fois par siècle.
Xynthia et les événements survenus en Dracénie confortent la raison d’être de la directive européenne sur l’évaluation et la gestion des risques d’inondation, laquelle précise dès son premier article : « Les inondations constituent une menace susceptible de provoquer des pertes de vies humaines et le déplacement de populations, de nuire à l’environnement, de compromettre gravement le développement économique et de saper les activités économiques de la Communauté. »
« Provoquer des pertes de vies humaines », nous venons de nouveau de le vivre avec les événements récents. « Déplacer des populations », ce sera une obligation pour des centaines de milliers de nos concitoyens lors d’une prochaine crue grave de la Loire, de la Garonne ou du Rhône, et pour près de 2 millions de personnes installées trop près de la Seine. « Compromettre gravement le développement économique et saper les activités économiques », c’est ce qui peut nous arriver demain si nous ne nous préparons pas à faire face à ce risque, si nous ne l’anticipons pas mieux et n’adaptons pas dès maintenant nos territoires.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas faire comme si nous ne savions pas : il faut vraiment que nous inscrivions dans nos priorités de mieux préparer nos territoires pour faire face à ces événements, qui, nous le savons, se reproduiront. Nous devons adapter nos territoires et leur fonctionnement aux conséquences dommageables des inondations. Il convient à cet égard de profiter de toutes les opérations d’urbanisme et d’aménagement – je pense à cet égard aux écoquartiers et aux écocités – pour confier aux générations à venir des villes qui sauront se relever rapidement de telles catastrophes.
La mise en œuvre de la directive Inondation dans le droit français est une opportunité à saisir, pour que chaque élu change son regard, considère les conséquences dommageables des inondations et adapte son territoire pour le rendre « résilient ».
À ce titre, la proposition de loi présentée par notre collègue Bruno Retailleau constitue un exercice difficile, d’autant que la tempête Xynthia a donné lieu à trois missions de retour d’expérience, menées en parallèle – ce n’est pas la première fois que cela arrive ! –, et non pas à une seule, comme il serait souhaitable que cela soit à l’avenir.
L’exercice est difficile, car nous sommes toujours tentés, face à un tel événement, d’adopter une nouvelle loi. Or, pour nombre des sujets abordés, la réflexion se poursuit encore. Je pense notamment à la mise en œuvre de la directive, à la nouvelle réglementation sur les digues, à la doctrine de l’État sur les PPR ou encore au plan de prévention des submersions marines et des crues rapides, élaboré courant 2010.
Le CEPRI, le Centre européen de prévention du risque d’inondation, que j’ai créé pour faire entendre la voix des collectivités territoriales qui se préoccupent de prévenir les conséquences des inondations sur leur territoire, a été auditionné par les trois missions. Sa contribution technique a largement inspiré les conclusions de ces instances, en particulier sur le rôle central et déterminant de l’aménagement du territoire ou la gestion des digues.
Ce fut l’occasion de montrer qu’une inondation ne se résume pas à un débordement de mer ou de cours d’eau, que c’est tout un territoire qui est atteint dans sa population et son outil économique et qui subit des dommages dont il a du mal à se relever. Xynthia et les événements survenus en Dracénie nous montrent que, pour nos territoires exposés, anticiper est vital et s’adapter est capital. Nous le savons tous, l’élu est au premier plan pour agir concrètement et positivement.
Je salue le travail de la commission des lois et de son rapporteur, notre collègue Dominique de Legge, qui ont contribué à l’élaboration du texte qui nous est présenté. S’inspirant des conclusions du rapport de la mission d’information sénatoriale, Bruno Retailleau avait déposé une proposition de loi très riche et cherché des solutions qui demandaient à être encore débattues. J’avais exprimé des craintes, lors de mon audition par la commission de l’économie, plusieurs dispositifs proposés ne me semblant pas suffisamment éprouvés.
Lors de l’adoption de la loi SRU en 2000, nous nous étions déjà prononcés sur le fait que le PPR ne devait pas constituer une servitude d’urbanisme et il ne me semblait pas judicieux de revenir sur cette question. Je ne voyais pas non plus la plus-value apportée par un schéma d’aménagement des zones littorales à risque, qui donnait au maire, par le biais des PPR, une responsabilité relevant de l’État.
La création d’une zone littorale homogène partait d’une intuition peut-être juste, mais elle exigeait une réflexion collective sur son contenu. Je rappelle en effet que les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, doivent couvrir la France d’ici à la fin de l’année 2017 et que la directive Inondation prévoit l’identification des « territoires à risque d’inondation important », qui feront l’objet d’une cartographie et permettront l’élaboration de plans de gestion du risque inondation.
Sur tous ces points, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui montre que la richesse et la qualité de nos débats ont pu faire évoluer le texte originel pour le rendre plus pragmatique et plus efficace ; nous ne pouvons que nous en féliciter.
Mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur la question des digues et des ouvrages de protection, le long de la mer et dans les estuaires, mais aussi pour les fleuves et rivières. C’est un sujet grave, sur lequel nous travaillons depuis cinq ans et qui a été l’un des premiers sujets de préoccupation du CEPRI, à l’occasion de la mise en œuvre de la nouvelle réglementation sur les digues comme ouvrages de danger.
On compte environ 8 600 kilomètres de digues en France, dont au moins 510 kilomètres visent à protéger le territoire contre les submersions marines. Elles sont gérées par plus de 1 000 gestionnaires différents. Pour 7 000 kilomètres de ces digues, le gestionnaire est connu, mais la moitié seulement a un propriétaire identifié. Ainsi, 5 600 kilomètres soit sont dans un état très dégradé, soit subissent des désordres locaux, soit ne font l’objet d’aucun renseignement sur leur état.
Des travaux importants sont donc à envisager pour 3 000 à 5 000 kilomètres de ces digues, pour un montant de l’ordre de 5 milliards d’euros. Avec un rythme de 200 kilomètres de travaux par an, un investissement annuel de l’ordre de 300 millions à 400 millions d’euros est nécessaire, l’effort national s’étalant sur quinze à vingt-cinq ans. C’est un véritable plan Marshall en faveur des digues que nous devons mettre au point ! Mais, pour ce faire, il faudrait que nous disposions d’un état des lieux plus précis, qui nous permette d’élaborer une programmation sur plusieurs années. J’ai demandé ce document à plusieurs reprises au Gouvernement, et nous devrions en prendre connaissance d’ici à la fin de l’année 2011.
Trois axes prioritaires ont été mis en avant dans les différents travaux : identifier un responsable unique au titre de la nouvelle réglementation ; sécuriser le cadre d’intervention du responsable et des autres acteurs, dont les collectivités ; renforcer et pérenniser les moyens humains et financiers nécessaires pour atteindre le « bon état de service » des ouvrages.
Si nous voulons que ces dossiers relatifs aux digues progressent réellement, il faut changer le regard que nous portons sur celles-ci.
Plusieurs millions de nos concitoyens et une part très importante de notre potentiel économique sont exposés directement derrière ces ouvrages. Les impacts directs ou indirects d’une inondation consécutive à une rupture sont non seulement très importants, mais encore mal connus : une digue mal entretenue ou mal surveillée peut entraîner la mort ; Xynthia nous le rappelle.
Il est certes tentant, mais trop prématuré, d’inscrire dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui des évolutions réglementaires, car un vrai débat doit encore s’engager sur les points suivants.
Concernant la propriété des ouvrages, la réglementation sur les biens vacants sans maîtres existe ; il suffit au maire d’avoir la volonté de l’appliquer, en associant le préfet.
S’agissant de la responsabilité des ouvrages, les outils réglementaires existent pour constituer des établissements publics administratifs rassemblant les propriétaires et pour les obliger à remplir leurs obligations ; il revient au préfet de les utiliser au mieux.
Un point sur lequel nous devons encore travailler est celui de la définition juridique de la digue, car elle n’existe pas. Ce vide juridique conduit le juge administratif à être particulièrement sévère pour les collectivités lors de la recherche de responsabilité.
Restent les deux points du savoir-faire technique et du financement.
Concernant le savoir-faire technique, il faut reconstituer un savoir-faire national et le partager entre l’État, les collectivités et les acteurs privés. Il faut véritablement organiser une filière professionnelle sur le sujet, qui pourrait avoir un rayonnement international.
S’agissant du financement, le groupe de travail a souhaité disposer d’une vision plus consolidée des véritables besoins dans les années à venir, avant de créer une nouvelle taxe.
Nous sommes devant une situation un peu paradoxale : sécuriser durablement les digues ne représenterait que 300 millions à 400 millions d’euros par an, dans la durée. Mais, aujourd’hui, il est clair que nous n’arriverons pas à trouver un tel montant au cours des vingt-cinq à trente prochaines années sans réformer le mode de financement de ces ouvrages.
Sur ce point, la proposition de loi que nous examinons est très raisonnable. Notre collègue Bruno Retailleau nous avait interpellés en prévoyant la possibilité, dans la rédaction initiale de son texte, de porter à 20 % le taux de la taxe d’aménagement dans les communes disposant d’un plan de prévention. Nous avons pu montrer que cette disposition était prématurée et pouvait avoir des effets inattendus.
Avant de conclure, je souhaiterais formuler quelques remarques sur les différents articles.
À l’article 2, le schéma départemental a été très justement supprimé.
À l’article 3, les mots « zone littorale homogène » ont été judicieusement remplacés par les mots « zone littorale homogène du point de vue hydro-sédimentaire ».
À l’article 4, les risques technologiques ont été à juste titre pris en compte.
À l’article 5, la référence à la servitude d’urbanisme a été supprimée, ce qui est positif.
La communication par le préfet, tous les trois ans, des documents visés à l’article 6 ne paraît pas nécessaire ; en effet, ce dernier doit systématiquement porter à connaissance tout fait nouveau.
À l’article 12, la contrainte qui devait être mise à la charge du conseil général a très heureusement été atténuée.
À l’article 15, je m’interroge sur la compensation des pertes de base.
À l’article 17, y a-t-il un réel besoin de faire passer le taux du plafond du prélèvement sur le produit des primes et assurances au profit du fonds Barnier de 12 % à 14 % ?
Monsieur le secrétaire d'État, je souhaitais réagir à votre proposition de mettre en place des SCOT et des projets d’urbanisme pilotes.
Je me permets de vous rappeler que, sur proposition du CEPRI, le Centre européen de prévention du risque d’inondation, le conseil général du Loiret, avec la ville d’Orléans, la communauté d’agglomération Orléans Val de Loire et les Grands lacs de Seine, est pilote au sein de l’un des rares projets Interreg dédiés à la résilience des villes.
S’agissant des écocités et des écoquartiers, je rappelle que onze d’entre eux parmi les treize qui sont en cours de réalisation ou en projet se développeront en zone inondable. On ne peut considérer comme « durables » des écovilles situées en zone inondable.
En conclusion, je forme le vœu que soit organisé prochainement un débat sur les éléments proposés à notre réflexion par le rapport issu du groupe de travail, tout particulièrement sur deux aspects centraux : la définition juridique d’une digue et le financement dans la durée, à travers la solidarité locale ou nationale, de la restauration et du maintien en état de ces ouvrages d’intérêt national.