Intervention de Christophe-André Frassa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 juillet 2018 à 9h00
Proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, rapporteur de la proposition de loi organique et rapporteur pour avis de la proposition de loi :

Je serai assez long, et donc très complet, ce qui devrait raccourcir le débat !

Nous examinons aujourd'hui, en procédure accélérée - une fois n'est pas coutume... - la proposition de loi et la proposition de loi organique relatives à la lutte contre la manipulation de l'information, adoptées par l'Assemblée nationale le 3 juillet 2018, après engagement de la procédure accélérée. Notre commission des lois est saisie au fond de la proposition de loi organique. Elle s'est également saisie pour avis de la proposition de loi pour laquelle elle a reçu une délégation au fond de la commission de la culture concernant le titre Ier, relatif aux dispositions modifiant le code électoral, et le titre IV, relatif à l'application outre-mer.

Déposées par le groupe La République en Marche en mars 2018, soumises à l'avis du Conseil d'État au mois d'avril, sensiblement réécrites en commission des lois de l'Assemblée nationale au mois de mai, puis en séance publique, ces deux propositions de loi ont pour objet de traduire la volonté du chef de l'État, exprimée lors de ses voeux à la presse le 3 janvier 2018, de « faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles. »

La principale mesure consiste en la création d'un référé ad hoc, inspiré du référé créé par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), afin de faire cesser, en période électorale, la diffusion « des fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » lorsque celles-ci sont diffusées sur Internet « de manière délibérée, de manière artificielle ou automatisée et massive ».

Après une rapide présentation du phénomène des fake news, je rappellerai les dispositions existantes de notre droit pour lutter contre les fausses informations, puis je vous présenterai brièvement les dispositions du titre Ier de la proposition ordinaire, avant de vous exposer les raisons qui me conduisent à préconiser, tout d'abord, de proposer à la commission de la culture de ne pas adopter les articles de la proposition de loi dont elle nous a délégué l'examen et à soutenir les motions tendant à opposer la question préalable à ce texte, ensuite et par voie de conséquence, de déposer au nom de notre commission des lois une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique.

Les fake news ne sont pas nécessairement des informations fausses, mais plutôt des informations trompeuses. On peut traduire cette expression par « désinformation », « infox » - la contraction d'information et d'intoxication - ou encore parler d'informations fallacieuses. Le phénomène des fake news, de la manipulation des informations et de leur propagation virale, a émergé il y a une dizaine d'années avec les plateformes en ligne, notamment les réseaux sociaux. En effet, un réseau social permet de partager des milliers de fois une opinion ou une allégation susceptible de toucher un grand nombre de personnes, que cette opinion ou allégation soit fausse ou vraie.

Les objectifs des producteurs de fake news sont très divers. Dans la plupart des cas, la finalité est commerciale ou publicitaire : une information biaisée ou fausse est mise en avant afin d'attirer un maximum de vues sur certaines pages web. Outre les sites publicitaires, certains sites ou comptes politiques peuvent également relayer des points de vue orientés sur l'actualité ou, plus généralement, des actualités présentées avec un angle conspirationniste. Enfin, on observe un phénomène de triche électorale, avec la diffusion de fausses informations par des bots, des communautés militantes ou encore par des fermes de faux comptes.

Plusieurs élections nationales ont été récemment concernées par la diffusion massive de fausses informations, qu'il s'agisse du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, de l'élection présidentielle américaine ou même de l'élection présidentielle française, avec la publication des Macron leaks, quelques heures avant le second tour de l'élection, mêlant piratage de vrais emails et mise en ligne de documents fabriqués de toutes pièces.

La répression des rumeurs ou des fausses nouvelles n'est pas une question nouvelle en droit, et la France dispose déjà d'un cadre législatif ancien en la matière. La publication de fausses nouvelles ayant eu pour effet de fausser un scrutin électoral est d'ores et déjà réprimée par le code électoral : l'article L. 97 punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de surprendre ou détourner des suffrages, ou encore d'avoir conduit des électeurs à s'abstenir, à l'aide de « fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses ».

Surtout, les dispositions actuelles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse, pivot de la lutte contre les abus de la liberté d'expression depuis plus de cent trente ans, permettent déjà de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants. Ainsi, son article 27 réprime « la publication, la diffusion ou la reproduction [...] de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler ». Il ressort de l'analyse de la jurisprudence que le terme « nouvelles » renvoie à une « annonce d'un événement arrivé récemment faite à quelqu'un qui n'en a pas encore connaissance » et ne peut s'appliquer pour des faits antérieurement révélés. Les poursuites et la charge de la preuve appartiennent exclusivement au ministère public.

L'action en diffamation peut également être particulièrement efficace pour lutter contre les fausses informations portant atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne. En matière de diffamation, il existe une présomption réfragable de mauvaise foi : les imputations diffamatoires sont réputées de droit alléguées avec l'intention de nuire. C'est ensuite au prévenu de prouver soit sa bonne foi soit la véracité des allégations. Le champ d'application de ce délit est particulièrement vaste. Ainsi, l'allégation qu'une personnalité politique détiendrait un compte illégal offshore est susceptible d'être qualifiée de diffamatoire.

Si l'action en diffamation est la plus efficace, l'action en référé sur le fondement de l'article 9 du code civil est toujours possible en cas de « fausses informations », d'informations falsifiées ou même biaisées portant sur la vie privée d'une personne physique.

Enfin, plusieurs dispositions pénales répriment les fausses informations qui causent un trouble particulièrement grave à un particulier ou à la société. Par exemple, la publication d'un photomontage ou d'un montage sonore réalisé sans le consentement de l'intéressé et ne précisant pas qu'il s'agit d'un montage est réprimée par l'article 226-8 du code pénal d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Vu l'abondance des dispositions existantes, pourquoi légiférer ? Les dispositions actuelles ne permettent-elles pas déjà de lutter contre les fausses informations ? Lorsque des faits d'injure ou de diffamation envers un candidat à une fonction élective sont commis en période électorale, la juridiction peut être appelée à statuer dans un délai de vingt-quatre heures. Ainsi, la loi du 29 juillet 1881 offre déjà des possibilités d'action rapides pour lutter contre les allégations diffamatoires. De même, l'article 6 de la loi dite « LCEN » du 21 juin 2004 dispose que l'autorité judiciaire peut prescrire, en référé ou sur requête, aux fournisseurs d'accès et aux hébergeurs de services de communication au public en ligne « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ». Enfin, l'article 809 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de grande instance « peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

Il est vrai qu'il existe des difficultés d'application de la loi du 29 juillet 1881 aux contenus diffusés sur Internet : les formalités particulièrement lourdes imposées à peine de nullité sont particulièrement inadaptées aux propos diffusés sur Internet. Cela avait notamment été souligné dans le rapport de nos collègues François Pillet et Thani Mohamed Soilihi sur l'équilibre de la loi du 29 juillet 1881 à l'heure d'Internet, et il convient sans doute de les adapter.

Néanmoins, l'Assemblée nationale et le Gouvernement n'ont pas fait le choix de préserver l'équilibre de cette loi, quitte à l'adapter. Au contraire, ils se sont inscrits dans le mouvement dénoncé dans ce rapport, consistant à intégrer des dispositions relatives à l'encadrement des abus de la liberté d'expression dans d'autres textes que la loi précitée, au risque de remettre en cause l'équilibre actuel.

Le titre Ier de la proposition de loi s'articule autour de l'article 1er, qui a deux objets. En premier lieu, il tend à créer, sous peine de sanctions pénales, plusieurs nouvelles obligations de transparence pour les opérateurs de plateforme en ligne concernant la promotion de « contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général ». En second lieu, il vise à créer une nouvelle procédure de référé, inspirée du référé LCEN, afin de faire cesser la diffusion de « fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir », lorsque celles-ci sont diffusées « de manière délibérée, de manière artificielle ou automatisée et massive par le biais d'un service de communication au public en ligne ». Un nouvel article L. 163-1 A inséré dans le code électoral définirait la fausse information comme « toute allégation ou imputation d'un fait inexacte ou trompeuse ».

Saisi à la demande du ministère public, du candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, le juge des référés devrait se prononcer dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine. Toutes mesures utiles, « proportionnées et nécessaires » pour faire cesser la diffusion, pourraient être ordonnées. En particulier, le juge pourrait ordonner aux hébergeurs de contenus et aux fournisseurs d'accès à Internet une mesure de déréférencement, une mesure de retrait, voire une mesure de blocage du contenu. Ce référé ne pourrait s'exercer que pendant une période de trois mois précédant le premier jour du mois des élections et jusqu'à la date du tour du scrutin.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit également la compétence exclusive d'un tribunal de grande instance : la juridiction précise serait déterminée par voie réglementaire.

Les articles 2, 3, et 3 bis prévoient l'application des dispositions de l'article 1er aux élections sénatoriales, européennes et référendaires. L'application à l'élection présidentielle est prévue par les deux articles de la proposition de loi organique.

Le titre II bis de la proposition de loi met de nouvelles obligations à la charge des plateformes, notamment au travers de la mise en place d'un dispositif permettant le signalement des fausses informations par les utilisateurs, et confie au CSA un véritable rôle de régulation en la matière, en lui attribuant une nouvelle mission spécifique de lutte contre la diffusion de fausses informations et un pouvoir de recommandation.

Je ne peux que déplorer le choix du Gouvernement d'engager la procédure accélérée sur un tel sujet affectant les libertés publiques, sans qu'aucune étude d'impact n'ait été réalisée, même si je salue le choix du président de l'Assemblée nationale de soumettre à l'examen du Conseil d'État les deux propositions de loi.

Je concentrerai mon analyse sur le dispositif normatif principal des propositions de loi : le référé visant à lutter contre les fausses informations en période électorale.

Ce dispositif est insuffisamment préparé. Pourquoi n'avoir pas amélioré les procédures existantes au lieu de créer un dispositif ad hoc ? Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas procédé à l'évaluation des dispositifs existants en matière de lutte contre les abus de la liberté d'expression, qui n'aurait révélé aucun besoin impérieux de concevoir un nouveau dispositif.

Le seul vide juridique qui se dessine concerne une action en référé contre les fausses informations qui ne troublent pas ou ne sont pas susceptibles de troubler la paix publique, qui ne sont attentatoires ni à l'honneur, ni à la considération, ni à la vie privée des personnes et dont l'effet sur un scrutin n'est qu'incertain. La création d'un référé spécifique n'apparaît ainsi nécessaire que pour permettre de prescrire des mesures attentatoires à la liberté de communication - retrait, déréférencement, blocage - en l'absence de tout dommage avéré ou probable ou en l'absence de tout trouble à l'ordre public.

Faut-il, dans une société démocratique, permettre de telles mesures ?

La procédure de référé adoptée par l'Assemblée nationale cible les « fausses informations ». Or, comme le relevait le Conseil d'État dans son avis, il n'est pas aisé de qualifier juridiquement les « fausses informations ». Initialement, aucune définition de la « fausse information » ne figurait dans la proposition de loi. Lors de son examen en commission par l'Assemblée nationale, la rapporteure de la commission des lois, Mme Naïma Moutchou, soucieuse de l'intelligibilité de la loi et afin de suivre la recommandation du Conseil d'État, a estimé nécessaire de définir la fausse information dans le code électoral comme « toute allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Vu les réactions contrastées que cette définition a suscitées, elle a proposé, en séance publique, une nouvelle définition de la fausse information, adoptée par l'Assemblée nationale avec un avis de sagesse du Gouvernement : « toute allégation ou imputation d'un fait inexacte ou trompeuse. »

Si je salue cet effort, je déplore que la recommandation du Conseil d'État de limiter le dispositif aux allégations qui procèdent d'une intention délibérée de nuire n'ait pas été suivie. Dans quelle mesure cette disposition protégera-t-elle la satire ou la parodie, qui peuvent être, par nature, trompeuses sans, pour autant, démontrer une quelconque intention de nuire ?

Les seules modalités de diffusion - « artificielle ou automatisée et massive » - ne peuvent suffire à établir une intention malveillante alors même que, par exemple, des contenus humoristiques et viraux peuvent, chaque jour, être reproduits, partagés et diffusés de manière artificielle et massive sur les réseaux sociaux.

Cette définition hasardeuse pose incontestablement la question de la légitimité du juge des référés à définir, en quarante-huit heures, la nature authentique, inexacte ou trompeuse d'une information alors que, traditionnellement, le juge des référés est le juge de l'évidence, de l'illégalité manifeste.

Plus inquiétant encore, le texte adopté par l'Assemblée nationale vise non pas les seules fausses informations diffusées dans l'intention d'altérer la sincérité d'un scrutin, mais plus généralement toutes allégations inexactes ou trompeuses d'un fait « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir ». Ainsi, la seule diffusion massive et virale d'une information trompeuse susceptible d'avoir des conséquences sur une élection, même si cette diffusion n'a pas été réalisée dans ce but, est susceptible de faire l'objet d'un déréférencement, d'un retrait, voire d'un blocage, « sans préjudice de la réparation du dommage subi ». Or comment le juge des référés pourrait-il, en quarante-huit heures, établir a priori l'altération d'un scrutin qui n'a pas eu lieu ?

L'application du référé aux seules périodes électorales pose également question. Les propositions de loi semblent rompre, sans aucune raison juridique impérieuse, avec la tradition juridique française de liberté d'expression accrue pendant les périodes électorales. Le juge judiciaire, comme le juge électoral, a toujours laissé une large place à la polémique politique.

Pourquoi, d'ailleurs, faudrait-il encadrer le débat électoral plus strictement que le débat sur les questions de santé, de défense ou d'économie ? N'est-il pas paradoxal, voire outrageant à l'égard des électeurs, de vouloir nécessairement priver les citoyens de l'accès à une fausse information en période électorale ? Une éducation de chacun à la vigilance individuelle face aux contenus diffusés sur Internet ne serait-elle pas plus efficace et moins attentatoire aux libertés qu'une énième disposition législative ?

Enfin, l'article 1er de la proposition de loi pose de nouvelles exigences en matière de transparence qui excèdent l'objectif de préservation de la sincérité du scrutin. En posant des obligations de transparence concernant tout « contenu d'information se rattachant à un débat d'intérêt général », la proposition de loi est susceptible de viser un nombre important de contenus sans aucun lien avec les fausses informations, les informations biaisées aux fins d'altérer la sincérité d'un scrutin, une élection, la politique en général ou encore même sans aucun lien avec des faits d'actualité. L'imprécision de la notion est susceptible de rendre applicables les dispositions à toutes les publicités concernant des acteurs économiques publics comme la SNCF ou la RATP, ou des entreprises fondant leur publicité commerciale sur un « contenu d'information ».

Au-delà des incertitudes de certains termes, qui révèlent la précipitation avec laquelle ces propositions de loi ont été élaborées, le dispositif prévu à l'article 1er présente d'importants risques d'inapplicabilité, mais également, et de manière paradoxale, d'atteintes graves à la liberté d'expression.

En effet, le dispositif ne pourra s'appliquer que très difficilement aux phénomènes qu'il entend contrer.

En premier lieu, même une procédure de référé n'aura qu'une efficacité incertaine face à des contenus dont la vitesse de propagation est fulgurante. Il est également paradoxal de lutter contre la diffusion d'une information en référé, car l'expérience montre qu'une action en référé a souvent pour effet de contribuer à la notoriété des informations contestées.

En second lieu, le Gouvernement a fait le choix d'un dispositif nouveau, et non d'une amélioration des procédures existantes. Ce faisant, il s'est privé de l'efficacité des procédures habituelles en matière de diffamation où le propos diffamatoire est présumé de mauvaise foi, sauf démonstration contraire - exception de bonne foi - ou même établissement de la véracité des faits allégués - exception de vérité. Contrairement à un procès en diffamation, il n'y aura donc pas de renversement de la charge de la preuve. Ainsi, la personne agissant en référé et invoquant l'existence d'une fausse information devra rapporter la preuve du caractère faux de l'information en question. Or il n'est que très difficilement possible de rapporter la preuve contraire de certaines affirmations ou allégations, même infamantes : comment établir des faits négatifs ? Comment prouver, par exemple, que l'on n'a pas commis une fraude fiscale ou que l'on ne dispose pas d'un compte offshore ?

J'émets donc de sérieux doutes quant à l'utilité réelle d'un tel dispositif.

Paradoxalement, alors que les dispositions de l'article 1er ne seront que très difficilement applicables, je considère qu'un tel dispositif pourrait présenter, en pratique, de nombreux risques d'atteintes disproportionnées à la liberté d'expression.

Le risque d'instrumentalisation à des fins dilatoires d'un tel dispositif ne doit ainsi pas être sous-estimé. Ces propositions de loi pourraient permettre à n'importe quel parti d'empêcher, à tort ou à raison, la publication d'informations dérangeantes en période électorale, alors même qu'il est légitime pour le citoyen d'être informé, surtout en période électorale. La rapidité avec laquelle le juge des référés devra statuer risque d'engendrer des décisions contestables, au risque d'ailleurs de jurisprudences contraires entre le juge judiciaire et le juge de l'élection.

Vous l'avez compris, je considère que ces propositions posent un problème de principe.

Si la préservation de la sincérité des scrutins est essentielle, peut-on pour autant, en démocratie, admettre l'interdiction ou, plus probablement, le déréférencement d'un mensonge qui ne cause aucun trouble à l'ordre public ? Faut-il interdire, en raison des intentions malveillantes de certains, le droit d'imaginer, d'alléguer ou de supposer en période électorale ? La recherche de la vérité ne suppose-t-elle pas la confrontation d'informations vraies comme d'informations douteuses ou fausses ?

La jurisprudence constitutionnelle, quant à elle, rappelle que la liberté d'expression est une liberté fondamentale « d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ». Dès lors, la loi ne peut en réglementer l'exercice « qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Les atteintes doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ». Le Conseil constitutionnel ajoute que « la liberté d'expression revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales ».

Il est permis de s'insurger, à l'instar du Président de la République, sur la proximité, voire la confusion entretenue par certaines plateformes entre les informations vérifiées des journalistes professionnels et les informations diffusées uniquement sur certains réseaux sociaux. Néanmoins, la lutte contre ce phénomène passe peut-être davantage par des mesures incitatives d'éducation aux médias ou par la garantie d'un plus large pluralisme médiatique.

Au regard des risques de dérives que porte en germe toute législation entravant la liberté de communication, n'est-il pas préférable de s'abstenir de légiférer plutôt que de risquer de nuire à la diffusion de contenus légitimes ?

En conclusion, comme je vous l'ai indiqué, je préconise, tout d'abord, de proposer à la commission de la culture de ne pas adopter les articles de la proposition de loi dont elle nous a délégué l'examen et donc de soutenir les motions tendant à opposer la question préalable à ce texte n° 623, ensuite, par voie de conséquence et à l'instar du groupe socialiste et républicain, de déposer au nom de notre commission des lois une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique n° 629. Dès lors, je vous propose de donner un avis défavorable à tous les amendements portant sur les articles délégués au fond à la commission des lois.

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