Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les attentats meurtriers qui ont frappé Madrid l'année dernière ont montré que l'Europe restait une cible privilégiée du terrorisme.
La France n'est pas à l'abri de ce fléau, ni son territoire ni ses ressortissants. Souvenons-nous des attentats de 1995 et des victimes françaises du terrorisme au Yémen, à Bali ou à Karachi.
Certes, après les attentats du 11 septembre 2001, l'Union européenne avait adopté une série de mesures pour lutter contre le terrorisme. Toutefois, la mise en oeuvre de ces actions s'est révélée très décevante : si le nouveau plan d'action antiterroriste, adopté après les attentats de Madrid, a repris un grand nombre de ces mesures, c'est parce que la plupart d'entre elles n'avaient pas été appliquées.
Ainsi, le mandat d'arrêt européen n'a toujours pas été transposé par l'Italie, plus d'une année après la date limite fixée pour son entrée en vigueur !
De plus, dans de nombreux Etats membres, cette transposition a été effectuée en contradiction avec l'esprit même du mandat d'arrêt européen.
Je prendrai un autre exemple, celui de la décision-cadre du 13 juin 2002, relative à la lutte contre le terrorisme. Elle est essentielle pour empêcher l'existence de sanctuaires au sein de l'Union européenne, car elle prévoit une définition commune du terrorisme et une harmonisation des sanctions pour la direction d'un groupe terroriste ou la participation à un tel groupe.
Or, là encore, deux ans et demi après, de nombreux Etats membres n'ont toujours pas mis en conformité leur législation nationale avec cet instrument.
Le rapport de la Commission sur la transposition de la décision-cadre relative aux équipes communes d'enquête fournit peut-être l'exemple le plus affligeant. Il révèle qu'un seul Etat membre - l'Espagne - sur vingt-cinq a adopté des mesures de transposition pleinement conformes à la législation européenne.
Faut-il pour autant accabler certains de nos partenaires particulièrement réticents ? Sûrement pas, car nous ne faisons pas mieux qu'eux.
Plusieurs instruments difficilement adoptés au niveau européen ne sont toujours pas entrés en vigueur dans notre pays, faute d'avoir été ratifiés ou transposés dans notre droit.
Par exemple, notre pays n'a toujours pas ratifié les différents protocoles relatifs à Europol.
Faut-il le rappeler, c'est un amendement à la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, amendement de notre collègue Pierre Fauchon, qui a permis de transposer, avec retard, le mandat d'arrêt européen dans notre code de procédure pénale, alors que la France s'était engagée avec six autres pays à appliquer de manière anticipée cet instrument.
Pourquoi une telle inertie pour des textes de cette importance ?
Convenons que notre attitude n'est pas toujours de nature à entraîner nos partenaires. Ainsi, nous soutenons depuis longtemps avec vigueur le projet de création d'un parquet européen doté de larges pouvoirs. Cependant, la loi de mars 2004, qui a inscrit Eurojust dans notre droit, a retenu une conception minimaliste du rôle de cette instance, pourtant censée préfigurer le parquet européen.
Le trajet entre Paris et Bruxelles en Thalys ne dure qu'une heure et vingt-cinq minutes, mais cela semble suffisant pour changer le point de vue des responsables ou des hauts fonctionnaires français.
Le plus surprenant est que, lorsqu'il s'agit d'autoriser l'Union européenne à conclure avec les Etats-Unis des accords d'extradition et d'entraide judiciaire, les décisions interviennent toutes affaires cessantes et l'on estime inutile de procéder à une ratification parlementaire.
Tout se passe comme si les Etats membres n'agissaient avec promptitude que lorsqu'ils y sont poussés par les Etats-Unis. Au point que l'on estime alors nécessaire, en France, d'éviter le débat et l'autorisation parlementaires.
Ce que l'Europe accepte parfois sous la pression américaine, pourquoi ne l'accepterait-elle pas pour répondre à une forte attente de ses citoyens ?
En effet, l'Europe de la justice et de la sécurité ne peut plus attendre. Il y va de la crédibilité, de la légitimité même de l'Europe, laquelle restera incomplète et fragile tant qu'elle ne sera pas synonyme pour nos concitoyens de sécurité et de justice.
Je n'aborderai pas ici l'ensemble des moyens dont dispose l'Union européenne pour lutter contre le terrorisme. Je voudrais concentrer mon propos sur trois priorités, qui concernent plus spécifiquement la coopération policière.
La première priorité porte sur les échanges d'informations et de renseignements.
Comme l'a mis en évidence l'enquête effectuée après les attentats de Madrid, les échanges d'informations entre les services des Etats membres et entre ceux-ci et les organes de l'Union, tels Europol et Eurojust, restent très insuffisants.
Afin de remédier à cette situation, certains Etats membres, dont la France, avaient proposé la création d'une sorte de « CIA européenne », mais cette solution avait été écartée, notamment pour éviter de créer un « doublon » d'Europol.
Il a été jugé préférable de créer une cellule d'analyse de la menace terroriste placée auprès du Conseil.
Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous nous donniez votre sentiment sur l'efficacité de cette structure. A-t-elle réellement permis d'accroître les échanges de renseignements sur les réseaux terroristes ?
Il semble, en effet, subsister de nombreux obstacles aux échanges d'informations entre les services répressifs, en particulier dans une Europe à vingt-cinq Etats membres.
C'est la raison pour laquelle le nouveau programme relatif à l' « espace de liberté, de sécurité et de justice » fait du développement des échanges d'informations et de renseignements une priorité.
A cette fin, il consacre le principe de « disponibilité des informations », en vertu duquel les informations détenues par les services de police d'un Etat devraient être directement accessibles aux policiers des autres Etats.
Par ailleurs, ce programme prévoit aussi d'aller vers une « interopérabilité » de nombreuses bases de données existant au niveau européen, telles que le système d'information Schengen ou le fichier Eurodac.
Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, quelle portée il faudrait donner, selon vous, au principe de disponibilité. Par ailleurs, quelle est la position française sur l' « interopérabilité » des bases de données ?
On constate actuellement un foisonnement d'initiatives ayant trait aux échanges d'informations et à l'articulation entre ces différentes propositions.
Ainsi, la délégation pour l'Union européenne s'est prononcée à quelques semaines d'intervalle sur une proposition de la Commission puis sur une initiative suédoise, qui visent toutes deux des échanges d'informations.
Ajoutons l'initiative prise par quatre Etats membres, dont la France, qui permettrait d'harmoniser, pour les besoins d'une enquête pénale, la durée de conservation des données traitées par les opérateurs de communications téléphoniques ou électroniques.
Ces différentes initiatives permettront-elles réellement de progresser pour améliorer la circulation des informations entre les services répressifs des Etats membres ?
La deuxième priorité me paraît être le renforcement de la coopération opérationnelle. J'insiste toujours sur l'efficacité, donc sur « l'opérationnel ».
L'efficacité de la lutte contre le terrorisme ne dépend pas uniquement de l'adoption d'instruments normatifs. On a beau faire de bonnes lois, elles sont inutiles si elles ne sont pas appliquées ! Cette efficacité dépend aussi et surtout de la collaboration entre les juges et les policiers des Etats membres.
Certes, la coopération opérationnelle reste une compétence première des Etats, mais l'Union européenne peut jouer un rôle pour l'améliorer et la structurer.
A cet égard, la Constitution européenne prévoit la création d'un comité permanent de sécurité intérieure, chargé précisément de coordonner les aspects opérationnels.
Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, ce que vous préconisez quant à la composition et quant au rôle de ce comité de sécurité intérieure ? Ne faudrait-il pas anticiper sur le traité constitutionnel ?
Ce comité aura-t-il vocation à remplacer la Task force des chefs de police, qui n'a pas fait la preuve jusqu'à présent d'une réelle efficacité ?