Comme le Livre blanc pour la défense de 1994, celui-ci doit nous permettre de garder un temps d'avance indispensable en définissant une doctrine claire de riposte à la menace.
Le Secrétariat général de la défense nationale et les ministères concernés participeront aux travaux, qui aboutiront d'ici à la fin de l'année. Avec ce Livre blanc, notre ambition est bien d'apporter une pierre à l'édifice européen.
Deuxième objectif : rendre encore plus efficaces nos méthodes de travail nationales autour de trois exigences.
Première exigence, il s'agit de coordonner les services, grâce au comité interministériel de lutte antiterroriste, réactivé dès mon arrivée au ministère de l'intérieur. Notre unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'UCLAT, a d'ailleurs inspiré nos voisins. C'est sur son modèle que l'Allemagne a créé, le mois dernier, son propre dispositif de coordination.
Cette vocation de coordination est assurée également par le Comité du renseignement intérieur, que j'ai créé il y a maintenant un an et qui se réunit une fois par mois sous ma présidence.
Deuxième exigence, il s'agit de mener à bien l'adaptation constante de nos outils.
A cet effet, j'ai créé le Centre des technologies de la sécurité intérieure. Opérationnel depuis le 1er janvier, ce centre a pour objectif de développer et de mutualiser des matériels de pointe, notamment en matière de surveillance physique et de surveillance sur internet.
J'ai renforcé les services, ajoutant, au cours des derniers mois, 154 fonctionnaires aux effectifs des renseignements généraux, soit une hausse de 5, 2 % ; de même, 238 fonctionnaires supplémentaires ont été affectés à la surveillance du territoire, soit une hausse de 16, 3 %.
J'ai également décidé la création de pôles de lutte contre l'islamisme radical dans chaque région de France. En Ile-de-France, cette structure a déjà prouvé son efficacité. Des individus liés à la mouvance radicale ont été reconduits à la frontière, des lieux fondamentalistes ont été fermés ou mis sous surveillance. Il est essentiel que nous retenions les leçons de l'expérience vécue dans chaque région et que nous coordonnions nos moyens pour être plus efficaces.
Troisième exigence, les Français doivent être pleinement informés des risques et apporter leur concours à l'effort global de vigilance.
A cet effet, nous disposerons de deux outils essentiels : d'une part, une base de données sur les actes terroristes, dont j'ai souhaité la création - elle verra le jour en mai prochain - et, d'autre part, un pôle de défense civile, qui sera un corollaire indispensable à la lutte contre le terrorisme.
Je rejoins là votre préoccupation, monsieur Girod. Nous devrions disposer, d'ici à 2007, d'un véritable centre de formation. En 2004, des stages ont été organisés à Cambrai pour des policiers, pour des militaires, ainsi que pour des sapeurs-pompiers. Cette année, le ministère de l'intérieur rédigera le cahier des charges afin de désigner le partenaire privé qui assurera la gestion du futur centre.
Vous avez raison, monsieur Girod, ce seront là des initiatives concrètes pour préparer l'ensemble de la population européenne au risque terroriste et pour planifier des réponses adaptées.
Aujourd'hui, notre dispositif national est notre premier atout. II répond pleinement aux exigences de l'Europe et il respecte le partage des tâches sur le plan européen en laissant aux Etats la principale responsabilité dans la lutte contre le terrorisme.
Je voudrais rappeler ici solennellement mon opposition de principe à l'égard de toute législation d'exception. Quant à la proposition de M. Pelletier d'introduire l'imprescriptibilité des crimes terroristes, le Gouvernement n'y est pas favorable, car cette notion doit rester réservée aux crimes contre l'humanité. La prescription actuelle de trente ans est suffisante pour les affaires que l'on parvient à résoudre. Le système français de centralisation des poursuites antiterroristes ainsi que la coordination entre les juges spécialisés et les services de renseignement sont des instruments démocratiques efficaces.
Aujourd'hui, quel est le point commun des groupes terroristes ? Ils sont mobiles et réactifs. Aussi, il faut prendre la dimension européenne indispensable, car celle-ci nous rend plus forts. Ces groupes sont également capables d'exploiter le moindre maillon faible dans la chaîne de la sécurité.
Dans le cas de l'Europe, cet aspect est d'autant plus important que l'espace Schengen, qui répond à l'aspiration de libre circulation exprimée par les citoyens européens depuis des décennies, peut tout aussi bien devenir un facteur de vulnérabilité si l'exigence de sécurité n'est pas prise en compte dans le même temps. L'Europe doit donc créer les conditions d'une coopération efficace entre les Etats membres.
C'est bien le rôle du coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme, qui a été institué à l'issue des attentats de Madrid. Le Néerlandais Gijs de Vries remplit cette fonction qui, par nature, est plus politique qu'opérationnelle.
La coopération européenne s'organise avec une double priorité.
La première priorité est de favoriser l'harmonisation du droit des Etats membres.
Au-delà de la définition commune du terrorisme, premier instrument international qui permet de définir l'acte terroriste par référence au but poursuivi, je prendrai trois exemples.
Le premier exemple, c'est le mandat d'arrêt européen. Soyons clairs, monsieur Bret, notre objectif, c'est l'efficacité dans le respect du droit et des libertés fondamentales. Entré en vigueur le 1er janvier 2004, ce mandat a grandement facilité la remise des personnes soupçonnées ou condamnées, dans des conditions plus souples et plus rapides que les procédures traditionnelles d'extradition. La France, qui a transposé la décision-cadre par la loi du 9 mars 2004, l'applique activement : au 31 décembre 2004, 212 mandats émis par des juges français avaient été exécutés, et la France en avait elle-même exécuté 163 reçus d'autres pays. Et la tendance est clairement à l'augmentation avec, pour janvier et février de cette année, 41 mandats étrangers et 46 mandats français exécutés.
Le deuxième exemple, c'est la lutte contre le financement du terrorisme. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est l'une de mes toutes premières priorités. L'Union a adopté des mesures qui nous permettent désormais de geler les avoirs financiers des personnes ou des entités non étatiques impliquées dans des actes terroristes. La liste des organisations concernées est mise à jour régulièrement et elle comprend aussi bien l'ETA que l'IRA ou le Hamas. Par ailleurs, un projet de troisième directive anti-blanchiment a été déposé par la Commission pour renforcer le dispositif contre le financement du terrorisme. Il sera examiné très prochainement par le Conseil.
Le troisième exemple d'harmonisation du droit, c'est la conservation des données quantitatives relatives aux télécommunications, essentielle pour les enquêtes, comme ce fut le cas à Madrid, en permettant de reconstituer les échanges entre les auteurs des attentats et leurs complices. L'Union va nous permettre d'harmoniser les législations des Etats, notamment en allongeant la durée de conservation des données imposée aux opérateurs. La France est, avec trois de ses partenaires, à l'origine de ce projet présenté le 28 avril 2004.
Toutefois, M. Plancade l'a très justement souligné, à l'échelle de l'Union, l'application de ces textes n'est pas toujours satisfaisante. La Commission a ainsi relevé des lacunes importantes, par exemple pour les décisions-cadres relatives à la lutte contre le terrorisme et au mandat d'arrêt européen. Toutefois, je le rappelle, dans les deux cas, la France avait, pour sa part, fait le nécessaire. Je m'engage, dans la période à venir, à poursuivre nos efforts.
La seconde priorité de la coopération européenne est de renforcer la coopération opérationnelle. Sur ce point, je dégagerai, concernant l'action de mon ministère, quatre objectifs.
Le premier objectif est de rendre l'Office européen de police, Europol, plus opérationnel. Il n'est pas nécessaire de créer de nouveaux centres ou de nouveaux mécanismes d'échanges d'informations. Europol dispose, aujourd'hui, des moyens nécessaires pour lutter contre la criminalité transnationale et le terrorisme. Mais de nouvelles priorités doivent être assignées à l'organisation.
En premier lieu, elle doit recentrer ses activités. Nous avons fait des propositions pour que la Task Force antiterrorisme, réactivée après le 11 mars, devienne plus opérationnelle et puisse appuyer l'action d'équipes multinationales d'enquête. Cette structure, où la France a toujours été présente, n'est en effet pas toujours suffisamment réactive.
En second lieu, Europol doit avoir une responsabilité centrale dans la lutte contre le financement du terrorisme par la collecte d'informations et le partage des expériences nationales. Les Allemands et les Britanniques ont fait des propositions en ce sens auxquelles nous nous sommes ralliés dans un souci d'efficacité.
Le deuxième objectif pour renforcer la coopération opérationnelle est d'accroître les échanges d'informations.
D'abord, dans le domaine du renseignement : vous avez raison, monsieur Pelletier, c'est un élément clé pour le succès de notre action.
Un effort a été fait. Le centre de situation, SITCEN, qui se consacrait initialement à l'analyse de la menace extérieure de l'Union, est maintenant compétent en matière de renseignement interne et d'évaluation de la menace terroriste. Il travaille en liaison avec le « groupe antiterrorisme », le GAT, issu du club de Berne, qui regroupe les services de sécurité intérieure de l'Union, auxquels s'ajoutent la Suisse et la Norvège. Cette évolution répond au besoin d'avoir un lieu d'analyse unique pour une efficacité renforcée.
Pour autant, compte tenu des impératifs opérationnels des services concernés, il n'est pas envisageable aujourd'hui de créer une agence européenne de renseignement.
Ensuite, l'échange d'informations passe aussi par l'accès facilité aux bases de données, et c'est un sujet essentiel.
La mise en oeuvre rapide du principe de disponibilité retenu dans le programme de La Haye est souhaitable. Mais nous devons tenir compte des contraintes liées à ces échanges, qu'il s'agisse des fichiers nationaux ou des fichiers européens, tels que le système d'information Schengen ou le futur système d'information sur les visas.
M. Haenel l'a rappelé, leur interconnexion soulève des difficultés. Celles-ci sont liées à l'efficacité opérationnelle, car il faut que les services conservent la maîtrise des informations échangées. Ces difficultés sont également liées au respect des libertés individuelles, avec la protection des données à caractère personnel, qui n'est pas encore harmonisée à l'échelon européen. D'où, par exemple, notre prudence actuelle quant au projet « Schengen plus », évoqué par M. Haenel.
Nous souhaitons donc discuter au cas par cas les types de fichiers ou d'informations susceptibles d'être échangés. J'ai proposé, lors du dernier G5, d'étudier ces possibilités d'échanges dans trois domaines : les données relatives aux immatriculations de véhicules, celles ayant trait aux personnes disparues et aux corps non identifiés et celles touchant à la fraude documentaire.
Le troisième objectif est de mieux contrôler les frontières.
A cet effet, il est prévu de créer des documents de voyage plus sûrs : c'est tout l'enjeu des identifiants biométriques. Ceux-ci figureront en particulier sur les visas Schengen : la France a un rôle très actif dans ce domaine et une première expérimentation a débuté ce mois-ci dans notre consulat de Bamako. Elle devrait être poursuivie dans les consulats de Kiev, Colombo, San Francisco, Annaba et Shanghai, en accord avec Michel Barnier.
Ces identifiants biométriques figureront aussi sur les passeports européens. Un règlement européen a été adopté en ce sens à la fin de l'année dernière. La France a veillé à ce que les normes les plus strictes y soient adoptées, notamment en retenant deux identifiants numériques : la photographie et l'empreinte digitale.
L'Agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, qui, je le confirme, sera mise en place le 1er mai prochain, doit également avoir un rôle majeur. Nous souhaitons qu'elle ait un objectif opérationnel. Monsieur Zocchetto, nous l'avons anticipé, par exemple sur la frontière roumaine avec l'envoi d'experts français et européens au poste frontière d'Oradea ou à la frontière austro-hongroise au poste de Nickelsdorf.
Il est également important de maintenir le contrôle de nos frontières intérieures. Dans ce domaine, je souhaite vous dire la vigilance particulière qui est déjà la mienne concernant le projet de « code communautaire des frontières », auquel la Commission travaille actuellement pour refondre le régime de franchissement des frontières dans l'espace Schengen.
Nous partageons l'objectif général de libre circulation, mais la France souhaite garder le contrôle de ses frontières avec ses voisins en cas d'urgence. Je pense, par exemple, au rétablissement temporaire de ces contrôles pour éviter le transfert sur notre territoire de manifestations de l'ETA depuis le pays basque espagnol. De même, les centres de coopération policière et douanière mis en place avec nos voisins répondent aux exigences de Schengen tout en préservant efficacement la coordination policière en zone frontalière.
Enfin, le quatrième objectif pour renforcer la coopération opérationnelle est de développer les équipes communes d'enquête, conformément à la préoccupation exprimée par M. Zocchetto.
Ces équipes, décidées par des magistrats, permettent d'associer des enquêteurs de deux Etats membres. Mettant en commun des moyens pour des affaires qui touchent plusieurs Etats, elles sont une réponse appropriée à l'évolution de la menace. Depuis l'an dernier, nous en avons mise une en place, en matière de terrorisme, avec l'Espagne. Nous souhaitons aller plus loin. J''ai donc fait cette proposition à nos partenaires européens.