Intervention de Dominique de Villepin

Réunion du 22 mars 2005 à 16h00
Mesures européennes de lutte contre le terrorisme — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Dominique de Villepin, ministre :

En défendant ces principes, nous évitons le piège des terroristes, qui veulent nous pousser à y renoncer. En renforçant l'état de droit, nous renforçons l'adhésion de tous les citoyens à notre pacte national.

Ensuite, il faut répondre à une exigence d'efficacité : les contraintes de l'action à vingt-cinq laissent toute leur place à des coopérations européennes dans d'autres formats.

Les coopérations bilatérales sont les plus naturelles, en raison de l'importance cruciale de la confiance nécessaire entre services opérationnels. Je pense, en particulier, à celle que nous menons avec l'Espagne. Grâce à un dispositif unique, cinquante personnes agissant pour l'ETA, dont le numéro un et le numéro deux, ont été arrêtées en 2004 sur le sol français.

Au delà de la coopération bilatérale, vous l'avez souligné M. Haenel, c'est surtout à l'échelon du G5 - cette instance informelle des ministres de l'intérieur d'Allemagne, d'Espagne, de France, d'Italie et du Royaume-Uni - que nous sommes en train d'accomplir les avancées les plus importantes.

La réunion de Grenade, des 14 et 15 mars dernier, l'a montré : nos hôtes espagnols avaient choisi de se consacrer plus spécialement à la lutte contre le terrorisme.

En matière d'échange de renseignements, nous allons, sur mon initiative, rendre plus systématiques les échanges de listes de jihadistes, grâce à un réseau commun de points de contact. Dans le domaine opérationnel, nous allons aussi mettre en place un réseau d'alerte rapide pour les vols d'armes de guerre, d'explosifs ou de matière sensible.

Nous voulons également avancer dans deux domaines particulièrement délicats : d'une part, le contrôle des frontières, que nous avons déjà évoqué ; d'autre part, l'harmonisation des cartes d'identité européennes. A cet égard, la France et l'Allemagne ont proposé à leurs trois partenaires de les rejoindre dans le travail commun déjà accompli. Il s'agit d'établir des normes communes pour les cartes d'identité. C'est un chantier essentiel : lors du récent démantèlement de la filière de Romainville-La Courneuve, nous avons découvert de faux documents qui avaient permis de réunir plus de 100 000 euros dont une partie était destinée à des camps d'entraînement.

La France sera l'hôte du prochain G5, sans doute en juillet. Compte tenu des enjeux, j'organiserai, dès le mois de mai, une réunion extraordinaire, consacrée exclusivement au contrôle des frontières.

Cette exigence d'efficacité s'exprime également par le renforcement de la coopération européenne avec les pays tiers. Je pense bien sûr aux Etats-Unis, avec lesquels nous avons beaucoup avancé, notamment en matière de sécurité des transports aériens. Dans ce domaine, je rappelle que la législation sur la sûreté aérienne est fixée par l'OACI, l'Organisation de l'aviation civile internationale, ou relève des directives européennes ; c'est un problème très sensible, notamment pour l'accès aux zones réservées, compte tenu des milliers de salariés qui travaillent dans les aéroports. Nous faisons d'ailleurs l'objet d'inspections de la part des autres pays européens, afin de renforcer notre crédibilité.

Je pense également aux pays du Maghreb, avec lesquels nous renforçons notre coopération pour mieux remonter les différentes filières.

Enfin, la dernière exigence pour la réussite européenne de demain est celle du progrès.

Le traité constitutionnel nous permet d'y répondre et d'aller plus loin dans l'émergence d'une Europe de la sécurité et dans la lutte contre le terrorisme.

D'abord, parce que le traité prévoit d'étendre la majorité qualifiée à la quasi-totalité de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. A l'heure actuelle, le fonctionnement du Conseil à l'unanimité ne facilite pas l'harmonisation juridique que j'ai évoquée : des textes comme le mandat d'obtention de preuves ou celui sur la rétention des données de communication en pâtissent. Le futur traité constitutionnel devrait permettre des progrès importants.

Ensuite, le traité constitutionnel permettra d'amplifier les compétences opérationnelles respectives d'Europol et d'Eurojust. Comme vous l'avez souligné à juste titre, monsieur Haenel, il faut mieux les articuler.

Concernant Eurojust, la parution de la circulaire que vous évoquez, monsieur Zocchetto, semble imminente. Toutefois, mon collègue de la justice serait plus à même de vous répondre. Permettez-moi seulement de préciser que la décision du Conseil instituant Eurojust a été transposée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Notre représentant est désormais en place et la France travaille déjà bien avec cette instance.

Autre apport fondamental du traité constitutionnel, la perspective d'un parquet européen est inscrite dans le texte, un parquet qui sera également compétent en matière de terrorisme.

Le traité renforcera aussi la légitimité des décisions de l'Union européenne grâce à l'extension de la codécision avec le Parlement européen, alors qu'aujourd'hui il est seulement consulté.

Enfin, le traité constitutionnel offre des garanties supplémentaires en matière de protection des libertés publiques, notamment avec l'intégration de la charte des droits fondamentaux.

Ce sont là quelques-unes des avancées majeures inscrites dans le projet de Constitution européenne sur lequel les Français sont appelés à se prononcer.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le voyons bien, l'Europe, c'est aujourd'hui plus de capacité pour lutter efficacement contre le terrorisme. Si notre action est encore largement à concrétiser, elle est un élément indispensable de notre sécurité. Il ne s'agit pas, pour l'Europe, de se substituer à l'action des Etats membres, il s'agit de la compléter et de l'harmoniser lorsque cela est nécessaire.

Tous ces efforts ne donneront leur pleine mesure que s'ils s'intègrent dans une approche globale. Globale, parce qu'elle fait intervenir toutes les instances, nous l'avons vu. J'y ajouterai une dimension supplémentaire, celle de la sécurité civile. Ainsi, j'organiserai, du 10 au 14 avril prochain, dans la Drôme, un exercice pour tester les capacités de réponse européennes en cas de catastrophe industrielle de grande ampleur. Quatre autres pays y participeront activement : l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et la République tchèque.

Mais notre approche doit être globale aussi en faisant un effort en amont, pour réduire les frustrations qui nourrissent le terrorisme : en France et en Europe, nous devons favoriser la meilleure insertion sociale des plus fragiles ; dans les pays du Sud, nous devons mettre en oeuvre une véritable politique de codéveloppement, ferment de paix et de stabilité. Vous savez que c'est là l'un des grands enjeux que veut relever la diplomatie française.

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