Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lorsque Ross, Dumont d'Urville et Wilkes ont mené les premières grandes expéditions scientifiques en Antarctique, il n'était pas encore question de rivalités entre pays. On louait alors le courage d'initiatives individuelles face à l'environnement hostile du continent blanc.
Toutefois, le continent antarctique a rapidement fait l'objet de convoitises de la part des différents pays qui y sont intervenus. Une arrière-pensée économique a dès le départ guidé ces revendications - d'abord la chasse aux phoques et aux baleines, puis la richesse piscicole des eaux de l'océan Antarctique, enfin les hypothétiques richesses minières, voire touristiques. Les principaux protagonistes de cette lutte ont été les Britanniques, les Chiliens, les Argentins, les Norvégiens, les Néo-Zélandais, les Australiens et les Français.
Au fil des années, les Etats cherchant à s'approprier l'Antarctique ont tenté d'affirmer leur présence à travers une série d'actions allant de la mesure administrative à l'occupation du terrain : décrets, permis de pêche et de chasse, actes de délimitation territoriale, nomination de responsables du courrier, missions d'exploration, relevés cartographiques et topographiques, commémorations historiques et établissement de bases scientifiques.
Les intérêts économiques des différents « occupants » ont fini par rendre nécessaire la mise en place d'une juridiction territoriale, assortie de traités pour la protection de l'environnement.
Aujourd'hui, on peut ainsi définir le continent antarctique : un espace vierge, témoin d'équilibres naturels encore très peu affectés par les activités humaines, une source de mémoire du climat mondial, un point d'observation irremplaçable pour certains phénomènes atmosphériques ou climatiques et un milieu extrême dans lequel la vie a pu néanmoins s'adapter.
C'est pourquoi il était indispensable qu'il soit le seul continent qui échappe à la juridiction classique des Etats, ce qui permet de résoudre les problèmes de rivalités entre les pays.
Le traité sur l'Antarctique, conclu à Washington le 1er décembre 1959, a conféré à ce continent un régime international unique en son genre, fondé sur trois éléments.
Tout d'abord, ce traité fait de l'Antarctique une région démilitarisée, où sont également interdits les essais nucléaires et l'élimination des déchets radioactifs.
Ensuite, il gèle toutes les revendications territoriales existantes et prohibe toute nouvelle prétention aussi longtemps que le traité sera en vigueur. Sur ce point, le traité de Washington a institué un régime de coopération internationale original, qui place tous les Etats à égalité.
Enfin, il pose des principes qui garantissent, sur l'ensemble des terres et glaces situées au sud du soixantième degré de latitude sud, la liberté de la recherche scientifique ainsi que la coopération internationale à cette fin.
En outre, les pays membres du traité sur l'Antarctique ont signé, le 4 octobre 1991, le protocole de Madrid, relatif à la protection de l'environnement. Les nations signataires de ce protocole s'engagent à assurer la protection globale de l'environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés. L'Antarctique est désigné comme une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ».
Ratifié par la France en 1992, ce protocole est entré en vigueur le 14 janvier1998 avec les quatre premières annexes suivantes : l'annexe I, relative à l'évaluation de l'impact sur l'environnement des activités menées en Antarctique ; l'annexe II, consacrée à la conservation de la faune et de la flore ; l'annexe III, qui concerne l'élimination et la gestion des déchets ; l'annexe IV, qui a trait à la prévention marine.
Aujourd'hui, le Parlement doit précisément se prononcer sur l'approbation de l'annexe V, qui vise, elle, à la protection et à la gestion de certaines zones en Antarctique et qui a été adoptée séparément du protocole et de ses quatre premières annexes.
L'annexe V a pour objet la création et la gestion, sur le continent Antarctique, de deux grandes catégories de zones qui concernent précisément l'environnement et la recherche scientifique, ainsi que le règlement de conflits éventuels.
Il s'agit tout d'abord des « zones spécialement protégées de l'Antarctique ». Leur création est destinée à protéger des valeurs environnementales, scientifiques, historiques ou esthétiques exceptionnelles, ou l'état sauvage de la nature, ou la recherche scientifique en cours ou programmée. L'accès à une telle zone est interdit à toute personne non munie d'un permis délivré par une autorité compétente désignée par chaque partie.
Par ailleurs, la création de « zones gérées spéciales de l'Antarctique » vise à faciliter la planification et la coordination des activités, à éviter d'éventuels conflits et à améliorer la coopération entre les parties impliquées dans ces zones, tout en minimisant les répercussions sur l'environnement.
On peut essayer de donner des exemples concrets des conflits qui pourraient advenir dans ces « zones gérées spéciales ».
Certes, la France n'ayant pas de zone gérée spéciale en Antarctique, nous n'avons pas d'expérience particulière de ces zones. Toutefois, l'une de ces zones peut être créée sur un site où deux ou plusieurs stations de nations différentes coexistent. Un plan de gestion définit alors les utilisations du site par les uns et les autres ; généralement, ce plan contient également un code de bonne conduite qui aide à aplanir les éventuelles difficultés de cohabitation et à encourager les coopérations internationales, notamment en matière de recherche scientifique. On pourrait ainsi imaginer que deux équipes de recherche souhaitent travailler sur une même colonie d'oiseaux et que leurs recherches soient incompatibles. Cette zone crée donc, par son plan de gestion, une possibilité de concertation, de planification et de collaboration des activités.
De même, on parle beaucoup des effets cumulatifs des activités humaines. Une zone de ce type permet d'avoir une meilleure visibilité des activités de chacun et donc d'envisager de les coordonner pour réduire les impacts sur l'environnement.
Autre point intéressant de l'annexe V : les sites et monuments historiques peuvent constituer en eux-mêmes une « zone spécialement protégée » quand leur valeur historique est reconnue, même s'ils n'ont pas fait l'objet d'un zonage spécifique.
A titre d'exemple, la France a actuellement trois sites et monuments historiques antarctiques inscrits. Il s'agit : des bâtiments et installations à Port-Martin, en terre Adélie, construits en 1950 par la troisième expédition française et partiellement détruits du fait d'un incendie survenu en janvier 1952 ; d'un bâtiment sur l'île des Pétrels, en terre Adélie, construction en bois appelée « Base Marret », où hivernèrent sept hommes sous le commandement de Mario Marret en 1952 à la suite de l'incendie à la base de Port-Martin ; de la Croix Prudhomme, sur l'île des Pétrels, érigée en mémoire d'André Prudhomme, chef météorologiste en terre Adélie, qui disparut tragiquement lors d'une tempête en janvier 1959.
Ces sites sont considérés comme représentatifs de cette partie de l'histoire de l'Antarctique, appelée « ère héroïque », dont ils illustrent la phase finale.
Compte tenu des nombreux aspects positifs de cette annexe V, la commission des affaires étrangères vous propose d'adopter le présent projet de loi.