Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 22 mars 2005 à 16h00
Protocole à la convention de 1992 relative aux cours d'eau transfrontières et aux lacs internationaux — Adoption d'un projet de loi

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes invités à approuver aujourd'hui le protocole qui complète la convention de 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux. Il fournit aux Etats parties un cadre juridique permettant de prévenir les maladies liées à l'eau et de protéger les ressources en eau. Il encourage la collaboration entre eux sur ces questions.

Ce texte a été adopté à l'échelon européen en 1999, voilà déjà près de six ans. La France sera le quinzième Etat à le ratifier, alors qu'il en faut seize pour permettre son entrée en vigueur. Je me réjouis de son inscription à l'ordre du jour de nos débats et voterai ce projet de loi.

Soyons clairs : ce protocole ne comporte aucune disposition si extraordinaire qu'elle justifierait d'ajouter quoi que ce soit à l'analyse du rapporteur de la commission des affaires étrangères.

Bien sûr, il élargit le champ d'application de la convention, au-delà des eaux transfrontières, à l'ensemble des ressources en eau de chaque Etat partie. Mais les Etats membres de l'Union européenne se sont imposé des objectifs plus contraignants et ont adopté une réglementation communautaire à la mesure de ces objectifs.

Si j'ai souhaité néanmoins intervenir sur ce texte, c'est parce qu'il illustre bien quelques-unes des ambiguïtés et des incohérences de la politique de l'eau et, plus largement, de l'environnement dans notre pays. Il ne m'a pas semblé inutile d'en dire quelques mots, alors même que nous célébrons, en ce 22 mars, la journée mondiale de l'eau. Ce hasard me trouble et me conduit à m'interroger sur le sens de ces engagements internationaux quand leur mise en pratique concrète semble tellement méprisée dans notre propre pays.

Mon intervention se limitera à trois points.

Premièrement, je veux vous alerter sur le fait que, en dépit de leur caractère somme toute modeste des engagements qu'implique ce protocole, il n'est pas exclu que notre pays éprouve quelques difficultés à les respecter tous. Je pense, par exemple, à l'article 8 du protocole, qui concerne les systèmes de surveillance et d'alerte rapide, les plans d'urgence et les moyens d'intervention.

L'effort qui a été mené voilà quelques années par l'Institut français de l'environnement, l'IFEN, notamment dans le domaine des pesticides, a été abandonné, au grand dam de l'Agence européenne de l'environnement, dont l'Institut était le correspondant fiable et indépendant. L'effort de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS, s'est relâché. Quant à l'Agence Française pour la sécurité sanitaire de l'environnement, elle végète sans effectifs et sans budget.

Deuxièmement, je note que le texte que nous examinons aujourd'hui se réfère, sans tergiverser, aux principes qui sont contenus dans la convention de 1992 et qui sont chers à tout écologiste : le principe pollueur-payeur, le principe de précaution, le principe d'action préventive, le principe d'information et de participation du public, et bien d'autres, qui sont définis dans le présent texte de façon claire et directe.

Je regrette que la Charte de l'environnement, votée par le Congrès le 28 février dernier, n'intègre pas tranquillement ces concepts, utilisés couramment et sans drame dans le droit international et la législation communautaire.

Troisièmement, je veux rappeler que nous nous apprêtons à adopter ce texte à quelques jours de l'examen par le Sénat d'un projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques qui reste pratiquement muet sur ces principes.

Dans le domaine de l'eau, le principe pollueur-payeur n'a jamais été appliqué. Depuis des décennies, on est à la fois dans le « pollué-payeur » - les particuliers - et le « pollueur-payé » - les agriculteurs. Le projet de loi sur l'eau ne prévoit aucune rupture avec la logique actuelle : les particuliers continueront à apporter plus de 80 % des finances des agences de l'eau, et les agriculteurs, presque rien !

Je rappelle que, sur les 700 000 tonnes annuelles de pollution azotée, pour lesquelles la France est condamnée par l'Europe, les trois quarts sont d'origine agricole.

Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est difficile de faire évoluer les mentalités et de tenir tête à des lobbies puissants. Mais tout de même ! Sur ce thème, l'essentiel du travail de sensibilisation et de conviction a été fait sous des gouvernements précédents, dont certains membres n'ont pas ménagé leur peine pour imaginer des dispositifs qui pénalisent non pas les pratiques agricoles rationnelles, mais les seuls excédents d'azote, qu'ils soient d'origine minérale ou organique.

Par conséquent, le fait que le présent projet de loi vise à supprimer la redevance sur les excédents d'azote, adoptée par l'Assemblée nationale en 2002, est incompréhensible et inacceptable.

Autre exemple de l'ambiguïté gouvernementale : alors que les agriculteurs sont responsables de la diffusion dans l'environnement de plus de 90 % des produits phytosanitaires, le projet de loi qui nous est soumis prévoit la création d'une redevance pour pollutions diffuses payée, non par les agriculteurs, mais par les diffuseurs, ce qui n'est pas pour responsabiliser les premiers !

Pas d'avancée non plus sur le principe de précaution. Le Gouvernement propose de continuer de concentrer tous les moyens des agences de l'eau sur la dépollution et n'envisage qu'une protection très partielle des cours d'eau pour permettre de respecter, a minima, les recommandations de la directive cadre européenne, qui date déjà, je le rappelle, d'octobre 2000.

En outre, si un effort est consenti quant à la traçabilité des substances biocides, aucune mesure n'est prise pour empêcher ou diminuer leur émission.

Rien n'est prévu non plus pour améliorer la transparence et la démocratie dans le secteur de l'eau : pas d'évolution dans la composition des comités de bassin, auxquels on donne pourtant plus de pouvoirs, et un énorme flou quant aux missions et aux moyens de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, qui intègre les actifs du Conseil supérieur de la pêche, et qui est présenté comme la grande innovation de ce projet. Pour ma part, j'y vois un risque important de désengagement de l'Etat, d'autant que ce sont les agences qui seront amenées à en assumer le budget.

Je le sais pour m'être longuement heurtée à ce problème, il n'est pas facile de réformer ce secteur et de recueillir l'assentiment de l'ensemble des parties prenantes. Pourtant, il est essentiel de le faire et de sortir du dilemme imposé aux ministres en charge de la politique de l'eau : « en rabattre » ou « passer à la trappe » !

En effet, l'eau est l'un de nos biens communs les plus précieux, et aujourd'hui les plus menacés. En 2002, au terme de près de cinq ans de travail acharné, mon successeur Yves Cochet et moi-même étions parvenus à faire voter une loi par l'Assemblée nationale qui, si elle n'était pas parfaite, avait au moins le mérite de comporter des avancées significatives sur la base de ces trois principes.

Je regrette, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'actuel gouvernement n'ait pas permis à cette loi de vivre, et surtout qu'il n'ait pas osé, trois ans après, affronter réellement le problème !

Le temps passe, les difficultés s'aggravent et les règles françaises régressent. J'en veux pour preuve les projets de décret, en cours d'examen au Conseil d'Etat, relevant les seuils à partir desquels les élevages intensifs seront autorisés, assouplissant les règles d'extension des exploitations dans les zones d'excédent structurel, sans oublier, par voie d'arrêté, la possibilité d'épandre au plus près des cours d'eau et à proximité immédiate des habitations. On n'arrête pas le progrès, monsieur le secrétaire d'Etat, et c'est bien triste !

En cette journée mondiale de l'eau et alors que l'assemblée générale de l'ONU proclame aujourd'hui même l'entrée dans la décennie internationale d'action pour « l'eau, source de vie », il devient urgent qu'en matière d'eau comme en d'autres, les principes les plus élémentaires et les engagements internationaux qui les portent soient adaptés dans le droit français autrement que de manière symbolique.

Vous pensez peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat, que je me suis éloignée du sujet ; j'ai, pour ma part, l'impression de ne l'avoir jamais quitté !

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