La police nationale accueille chaque année dans ses services plusieurs milliers de personnes qui, n'appartenant pas à ses rangs, souhaitent découvrir le fonctionnement de notre institution. Ces personnes constituent un très large panel, depuis les écoliers en stage jusqu'aux magistrats, aux universitaires, aux journalistes, aux membres d'autorités administratives indépendantes ou du corps préfectoral, en passant par les parlementaires, les élus locaux et les policiers étrangers, dans le cadre de nos accords de coopération internationale. Les services qui accueillent ces personnes extérieures relèvent de l'ensemble du spectre des missions de police. Ainsi, les services de sécurité publique, de police aux frontières, de maintien de l'ordre, de police judiciaire, constituent autant de terrains sur lesquels nous sommes appelés à accueillir ces personnes en qualité d'observateurs.
Ces initiatives apparaissent indispensables et font partie d'une stratégie parfaitement revendiquée et assumée. Il est tout à fait sain en effet, chacun pour ce qui concerne ses propres centres d'intérêt, que des observateurs soient accueillis par la police nationale pour mieux faire comprendre, en toute transparence, l'environnement et le cadre dans lequel se déploie son action de protection des personnes et des biens.
L'accueil de ces personnes n'est pas encadré par un corps de règles spécifiques. Jusqu'à ce jour, il n'était pas envisagé d'en créer dans le droit positif dès lors qu'aucune difficulté n'avait été recensée. Pour autant, le fait qu'il n'existe pas de corps de règles spécifiques ne signifie en aucun cas que l'association d'observateurs n'obéit à aucun principe et n'est encadrée par aucune doctrine. Ainsi, l'accueil d'observateurs dans des services de police judiciaire exclut de les faire participer à des actes d'enquête tels qu'une perquisition ou une audition, notamment depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2017, qui a précisé le traitement des journalistes accueillis en immersion dans les services judiciaires. Il s'agit ni plus ni moins de respecter la règle du secret de l'enquête, sans qu'il soit besoin de la réécrire. De la même manière, l'accès aux informations classifiées est strictement interdit, sans qu'il soit besoin là encore de réécrire le droit applicable ou la nature des sanctions en cas de compromission du secret. Des conventions peuvent d'ailleurs être signées avec l'observateur en immersion. Un modèle type existe. De la même manière, l'accueil de stagiaires écoliers ou étudiants fait l'objet de conventions de droit commun conclues avec l'établissement scolaire ou universitaire.
Pour d'autres observateurs relevant de la sphère publique - magistrats, fonctionnaires, agents chargés d'une mission de service public, ce qui était le cas de M. Benalla -, des règles de bon sens sont appliquées.
Il leur faut bénéficier d'une autorisation, dont les formes ne sont pas expressément précisées. L'autorisation peut émaner du chef de service, du préfet territorialement compétent, que l'on ne manquera pas de solliciter si l'observateur est une personnalité, compte tenu de son statut ou de ses fonctions.
Il leur faut ensuite se soumettre aux prescriptions des services de police en termes de protection et de respect des injonctions qui seront données au cours de la mission, en particulier par l'accompagnateur référent du niveau hiérarchique approprié, qui est le plus souvent nommément désigné. Une mission de police n'est en effet jamais banale. Qu'il s'agisse d'une patrouille ou d'une intervention de police secours, lors d'un tapage ou d'un différend familial, tout peut, hélas ! arriver, y compris le pire.
Ils ne doivent jamais participer à l'opération elle-même. Ils doivent l'observer en retrait et en sécurité. Les policiers accompagnant l'observateur sont d'ailleurs responsables de cette sécurité. C'est la raison pour laquelle un observateur ne sera admis à s'immerger qu'avec l'accord des personnels qui conduiront la mission, lorsqu'il s'agit par exemple d'une patrouille de la brigade anticriminalité ou d'une opération de police secours.
Enfin, ils doivent participer au briefing précédant la mission, au cours duquel seront rappelés les consignes de sécurité, le caractère passif de l'observateur et l'environnement général de la mission, en particulier ses dangers potentiels.
Au cours des auditions qui s'enchaînent sur l'affaire Benalla, et que je suis, certains ont suggéré que les observateurs pourraient être clairement distingués des intervenants policiers par des signes distinctifs, de type chasuble ou casque de couleur. Je dois dire que je suis assez circonspect sur ces propositions, dont je comprends bien entendu le sens, mais qui emportent aussi à mes yeux quelques inconvénients, notamment celui de désigner aux fauteurs de troubles, notamment lors d'opérations de maintien de l'ordre ou de patrouilles de la brigade anticriminalité, celui qui, par nature, sera le plus vulnérable. Une réflexion s'impose à cet égard pour ne pas compromettre la sécurité des observateurs. L'IGPN, qui s'est vue confier par le ministre d'État une mission de réflexion sur le sujet, ne manquera pas, j'en suis sûr, de traiter ce point particulier.
En matière d'ordre public, il va de soi que le rôle d'observateur est d'application absolument stricte. Les actions opérationnelles de service d'ordre, de maintien de l'ordre ou de rétablissement de l'ordre, sont absolument réservées aux seuls fonctionnaires de police ou aux militaires de la gendarmerie. C'est si vrai que certains agents de la police nationale, pourtant membres de notre institution, ne peuvent en aucun cas participer à ces opérations très spécialisées. C'est le cas des adjoints de sécurité et des réservistes de la police nationale, qui ne sont jamais engagés en matière d'ordre public. Il en est de même évidemment pour la protection de hautes personnalités.
Pour vous donner une idée du nombre d'observateurs que les services de la police nationale traitent au seul niveau central, et pour ne prendre que le seul domaine de la presse, je citerai quelques chiffres illustrant le caractère très habituel des sollicitations dont nous sommes l'objet.
Ainsi, le service d'information et de communication de la police nationale, le SICoP, est destinataire chaque année d'environ 3 500 demandes de journalistes, dont une dizaine concerne des services d'ordre ou des opérations de maintien de l'ordre. Les demandes d'observations qui parviennent dans mes services, ceux du préfet de police, des services déconcentrés de la police nationale, sans compter ceux de la gendarmerie, se comptent par milliers chaque année et n'ont à ce jour posé aucune difficulté. Les demandes sont instruites par le SICoP, qui a toute latitude pour en apprécier la pertinence ou le calendrier
Il peut ne pas être donné suite aux demandes d'observation lorsque l'on détecte une volonté manifeste d'instrumentaliser l'action des services de police, lorsque des questions de confidentialité sont en jeu, lorsque l'activité opérationnelle du service concerné ne permet pas d'accueillir l'observateur dans de bonnes conditions. En règle générale, nous nous efforçons toutefois de trouver une solution permettant d'accueillir l'observateur.
J'en viens à ce qu'il convient d'appeler désormais l'affaire Benalla, qui est à l'origine de la constitution de cette commission d'enquête, même si votre champ d'investigation est considérablement plus large.
Je connais M. Benalla pour l'avoir croisé depuis ma prise de fonction, le 28 août dernier, lors de déplacements ou de cérémonies auxquels participait le Président de la République et auxquels j'étais convié. Je l'identifiais clairement comme un collaborateur du chef de cabinet de la présidence de la République. L'une des missions centrales habituelles d'un cabinet est d'organiser ces déplacements ou ces cérémonies officielles. Il était donc tout à fait naturel que M. Benalla soit présent dans ces circonstances - une dizaine de fois pour ce qui me concerne, la dernière dans la tribune officielle du 14 juillet -, au cours desquelles je n'ai jamais remarqué de sa part une attitude déplacée ou qui me soit apparue intrusive. Je n'ai échangé avec lui que de courtoises salutations. Je n'ai pas le souvenir d'avoir participé à des réunions de travail en sa présence. Il faut dire que mes contacts avec la présidence de la République sont rares, ces relations étant normalement réservées au cabinet du ministre, qui, au besoin, me sollicite lorsque des commandes techniques sont exprimées par la présidence.
J'en viens plus particulièrement aux événements du 1er mai sur la place de la Contrescarpe. Dans ce contexte, il m'apparaît important de vous décrire rapidement l'organisation des opérations de maintien de l'ordre en France. Sur l'ensemble du territoire national, à Paris comme ailleurs, le préfet territorialement compétent a la pleine responsabilité de la gestion de l'ordre public. C'est sous son autorité que sont organisés les dispositifs opérationnels qui seront mis en oeuvre sur le terrain par les forces de police ou de gendarmerie, parfois combinées. Mon rôle, en tant que directeur général de la police nationale, est donc de fournir aux préfets, y compris aux préfets de police, les forces mobiles nécessaires au service d'ordre qu'ils prévoient, selon les renseignements dont je dispose sur le contexte de l'événement à gérer et en fonction des forces disponibles, qu'elles appartiennent à la police - les CRS - ou à la gendarmerie nationale, les escadrons de gendarmerie mobile.
Le 1er mai, j'ai mis quinze forces mobiles de la réserve nationale, dix CRS et cinq escadrons de gendarmerie mobile, à la disposition du préfet de police. Ils sont venus s'ajouter aux huit CRS qui constituent l'enveloppe parisienne permanente dont il dispose, soit vingt-trois unités au total, lesquelles s'ajoutent aux forces territoriales de la préfecture.
Au terme des opérations, les services de police transmettent à mon état-major un compte rendu synthétique décrivant leur déroulé, le bilan des blessures, des interpellations, des dégâts éventuels, des incidents. Le 1er mai, le télégramme de la CRS n° 15, présente place de la Contrescarpe, rapporte les événements graves auxquels ces fonctionnaires ont été confrontés pendant toute la durée de leur vacation, commencée à 12h40 et terminée à 23h00, sans mentionner de faits impliquant des observateurs.
Rétrospectivement, je pense qu'une ligne de ce télégramme de compte rendu fait sans doute référence aux événements ayant motivé la formation des commissions d'enquête parlementaires en cours. Elle est ainsi libellée : « 20h15, deux individus interpellés, violences contre agent de la force publique ; remis à la brigade d'information de voie publique ».
Au-delà de cette information opérationnelle, transmise par les services de police eux-mêmes à mon état-major, je peux également être rendu destinataire par les préfets ou par les directions centrales placées sous mon autorité d'informations sur le comportement inadapté, voire fautif, d'une unité ou d'un ou de plusieurs fonctionnaires. Sur la base d'éléments circonstanciés et vérifiés, je déclenche alors une procédure disciplinaire, en saisissant l'inspection générale de la police nationale, avec mesure de suspension le cas échéant, et ce indépendamment des poursuites judiciaires éventuelles décidées par le parquet compétent.
Au terme des événements du 1er mai, aucun signalement de ce type n'a été porté à ma connaissance, aucun incident dans la conduite des opérations ne m'a été rapporté. Je n'ai été informé des agissements répréhensibles de M. Benalla que lors de la publication de l'article du journal Le Monde, daté du 18 juillet.
À l'inverse, le 19 juillet, les agissements présumés délictuels de trois fonctionnaires de la DOPC, la direction de l'ordre public et de la circulation, qui ont participé à l'extraction d'images de vidéoprotection publique et à leur communication à M. Benalla, m'ont été signalés immédiatement, compte tenu de la gravité des faits, avec la circonstance particulière qu'ils avaient été commis par de hauts cadres de la police nationale, qui ne pouvaient ignorer qu'ils commettaient sciemment une infraction. J'ai donc donné instruction à mes services, avant même les décisions de l'autorité judiciaire, de prendre sans délai les actes de suspension. J'ai également demandé au préfet de police de saisir l'IGPN à des fins disciplinaires, ce qu'il a fait. Il me reviendra in fine, car c'est de ma seule compétence, de prendre les sanctions qui s'imposeront au terme des procédures disciplinaires qui vont se dérouler. Les sanctions sont en général signées par mon délégataire, le directeur des ressources et des compétences de la police nationale, à l'exception des révocations, dont je me réserve l'exclusivité des signatures, compte tenu de la gravité de la mesure.
Pour être complet, et j'en finirai par là, je précise que l'IGPN avait été destinataire, sur sa plateforme de signalement en ligne, d'images de la scène de la Contrescarpe. Ces images avaient été postées le 3 mai à 2 heures 13 par un internaute ayant usé d'un pseudonyme, ce qui n'a pas permis de l'identifier. Il ne s'est pas présenté comme un protagoniste de la scène filmée, il a simplement indiqué l'avoir trouvée sur les réseaux sociaux. L'inspection générale, dans les circonstances particulières de ce signalement, en l'absence de plainte, et dans le contexte des grandes violences subies par les forces de l'ordre lors des manifestations du 1er mai, n'a pas jugé pertinent de déclencher des investigations.
Je précise que les images postées étaient prises sous un angle qui ne mettait pas en évidence des violences avérées. L'IGPN a considéré légitime, au vu de ces images, l'usage de la force appliquée. Elle ne disposait alors que de ces seules images et non de celles qui, depuis, ont été largement diffusées, prises sous différents angles, par différents opérateurs qui sont aujourd'hui à notre disposition, mais dont ne disposait pas l'IGPN lors de cette fameuse nuit du 3 mai. Les images qui ont été déposées sur la plateforme en ligne ont toutefois été conservées au cas où une plainte serait ultérieurement déposée ou un signalement exploitable posté. On sait aujourd'hui que ça n'a pas été le cas.
L'IGPN ne m'a pas informé de ce signalement, ce que je considère parfaitement normal dans l'état de connaissance des faits qui était le sien à ce moment-là. La chef de l'inspection, Mme Monéger-Guyomarc'h, que je rencontre très régulièrement, ne manque jamais de me rendre compte des faits graves qui sont portés à sa connaissance et des diligences qu'elle entreprend en toute indépendance et sans aucune faiblesse, mais la gravité de la scène que j'évoque ne sera établie que bien plus tard, lorsque l'illégitimité des « interpellateurs » sera révélée à l'IGPN comme à moi-même par l'article du journal Le Monde, éclairant le sujet sous un jour tout à fait nouveau et caractérisant des infractions que l'autorité judiciaire vient de qualifier pénalement.
Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et vous apporter toutes précisions utiles à vos travaux, sur l'accueil des observateurs ou l'affaire Benalla, dans le respect des investigations judiciaires en cours et dans les limites de ce que j'en connais, ou plus généralement sur l'organisation de mes services en matière de protection des hautes personnalités.