Cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle est diffusée en direct et sera disponible en vidéo à la demande sur le site du Sénat, et elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle que notre commission est dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête. Je vous propose de prendre la parole pour un propos liminaire, puis les rapporteurs et les membres de la commission vous poseront des questions.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le général Richard Lizurey prête serment.
Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale. - Je vous remercie de votre invitation ; je suis heureux d'avoir l'opportunité de m'exprimer, d'expliquer un certain nombre de choses et de clarifier certaines incompréhensions qui ont pu être véhiculées ici ou là.
Je veux tout d'abord rendre hommage aux 30 000 membres de la réserve de la gendarmerie nationale. Ce sont des personnes de tous statuts et de tous âges, qui prennent sur leur temps libre pour renforcer les unités de la gendarmerie et contribuer à la sécurité de nos concitoyens sur le territoire. Ces réservistes sont extrêmement méritants ; ils sont actuellement engagés de manière très forte tant pour la sécurité des zones estivales que pour le Tour de France. Ils ont aussi été engagés de manière exceptionnelle à l'occasion de l'ouragan Irma, à Saint-Martin. En 2017, quatre-vingts d'entre eux ont été blessés en service, dont vingt à la suite d'une agression. Sans nos réservistes, nous ne pourrions pas fonctionner de manière optimale ; je les en remercie, je leur exprime toute ma reconnaissance.
La réserve militaire de la gendarmerie a deux composantes globales : la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne. La réserve opérationnelle renforce au quotidien l'action de la gendarmerie ; les militaires de réserve accomplissent les missions du personnel d'active à l'exclusion du maintien de l'ordre. Elle compte 29 847 volontaires titulaires d'un contrat. En moyenne, depuis le début de l'année, 1 670 réservistes renforcent chaque jour nos unités territoriales.
Le réserviste opérationnel, dit « de sécurité publique » - celui que vous rencontrez dans la rue -, est soumis aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que les militaires d'active : il est placé dans l'ordre hiérarchique, il a le même statut, il est détenteur d'un grade soumis aux règles classiques d'avancement.
Il existe, au sein de la réserve opérationnelle, une catégorie particulière de réservistes, les spécialistes, qui est prévue à l'article L. 4221-3 du code de la défense. Ces volontaires ont vocation à exercer des fonctions particulières déterminées, correspondant à des qualifications ou à des expériences. Ils peuvent apporter des choses ; ce sont des personnels ressources pour le service, dans le cadre de réflexions diverses.
Le grade qui leur est conféré l'est à titre temporaire : il ne donne pas de compétence en matière d'encadrement et il n'est accordé que pour la durée et dans le cadre de la mission ; il n'y a donc, je le répète, aucune prérogative de commandement pour ces réservistes spécialistes, quel que soit le grade qu'on leur attribue. Depuis 2002, la gendarmerie nationale a recruté 124 réservistes spécialistes ; nous en avons 74 aujourd'hui.
La réserve citoyenne est forte de 1 315 réservistes citoyens ; elle vise à entretenir l'esprit de défense et le lien entre la Nation et les forces armées, entre la gendarmerie et la population. Les grades y sont honorifiques, ils n'emportent aucune prérogative de commandement et leurs titulaires n'ont pas vocation à assurer des missions de sécurité publique. Cette réserve citoyenne est tout à fait transparente puisqu'elle fait l'objet de décisions formelles. Ses personnels portent régulièrement, à l'occasion de cérémonies, des insignes distinctifs permettant d'indiquer leur appartenance à cette réserve.
Concernant les deux personnes faisant l'objet du travail de votre commission, MM. Alexandre Benalla et Vincent Crase, je veux apporter quelques précisions sur le processus ayant conduit à leur recrutement et à leur emploi.
Alexandre Benalla était engagé dans la réserve opérationnelle depuis 2009, dans le cadre d'un travail de sécurité publique générale, dans le département de l'Eure. Il a servi pendant 194 jours au total, entre 2009 et 2015 ; depuis cette date, il n'a plus été employé, sans raison particulière, sans doute parce qu'il n'avait pas le temps. Il a donc été employé de manière importante - 194 jours, c'est une période intéressante -, et, pendant sa période d'emploi, il a donné satisfaction. Tous les éléments qui me sont remontés n'ont fait état d'aucune difficulté de comportement ni d'engagement.
J'ai rencontré M. Benalla à l'occasion de différents déplacements, notamment lors du retour en avion de Saint-Martin. Nous avons pu discuter de choses et d'autres, puis de son engagement dans la réserve ainsi que de sa vision de la protection et de la sécurité des personnes.
Il faut savoir que, au deuxième semestre de 2017, nous avons connu un certain nombre d'agressions de gendarmes et d'incendies de casernes - l'incendie des garages de Grenoble, au cours duquel cinquante véhicules ont brûlé, l'incendie de véhicules à Limoges, l'incendie de la caserne de Meylan, qui visait les familles - et l'on a tous les ans des agressions contre les gendarmes ; en 2017, 1 926 gendarmes ont fait l'objet d'agressions dans le cadre de leur service quotidien.
Dans ce cadre, nous avons lancé un groupe de réflexion sur la protection de nos personnels, et il me paraissait intéressant d'avoir un oeil extérieur. Je considérais que, compte tenu de son expérience en matière de protection des personnalités, M. Benalla représentait un personnel ressource utile, que j'ai intégré dans le vivier des réservistes spécialistes.
M. Vincent Crase est dans une situation un peu différente. Il a été intégré dans la réserve opérationnelle en 1996, en provenance de l'armée de l'air. Il a progressé classiquement dans le cadre de la réserve opérationnelle de sécurité publique - capitaine puis chef d'escadron, son grade aujourd'hui. Il a régulièrement assuré des missions de formation et d'encadrement, et il totalise 414 jours de convocation à la réserve. Il a été versé dans cette réserve et il y assure de manière satisfaisante, à ma connaissance, ses fonctions de formateur, d'encadrant - c'est d'ailleurs au titre de ses fonctions d'encadrant qu'il était employé au sein du commandement militaire de l'Élysée.
Je précise pour la parfaite information de votre commission qu'aucun des deux n'était activé comme réserviste le 1er mai. Nous avons 30 000 réservistes, qui ont chacun une vie dans la société civile ; ils ne sont considérés comme réservistes que quand ils font l'objet d'une convocation formelle tracée, que l'on retrouve dans nos outils de gestion. Quand ils sont convoqués, ils doivent répondre à la discipline militaire. Le reste du temps, ils ont leur vie personnelle, dans laquelle le commandement ne s'immisce pas.
Je veux vous assurer de toute la considération que nous avons pour les forces de gendarmerie et notre gratitude pour votre action.
Ma question porte sur la présence de M. Benalla dans les réunions relatives à la sécurité publique et dans les cercles du ministère de l'intérieur. Jusqu'à aujourd'hui, les témoignages que nous avons eus nous ont révélé son omniprésence au sein de ces instances. Êtes-vous en mesure de confirmer l'omniprésence de M. Benalla dans les réunions relatives à la sécurité publique au ministère de l'intérieur ? Quelles étaient ses missions exactes ? Avez-vous eu connaissance de sa participation en qualité d'observateur à d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Avez-vous été informé de sa présence à des réunions autour de hauts responsables de la police nationale et gendarmerie nationale ?
Général Richard Lizurey. - En ce qui concerne la présence de M. Benalla aux différentes réunions auxquelles j'ai participé, je ne l'ai pas vu au ministère de l'intérieur. Je n'ai pas constaté son omniprésence, je n'ai même pas constaté sa présence.
Pour ce qui concerne ses missions exactes, je serais incapable de vous les indiquer. J'ai entendu, comme vous, ce qu'a dit le directeur de cabinet de l'Élysée. J'ai constaté que, lors de cérémonies majeures - je pense à l'hommage à Arnaud Beltrame et au 14 juillet -, je le voyais dans le paysage, mais je ne connais pas ses fonctions exactes. Cela échappe d'ailleurs totalement à mon domaine de compétence.
A-t-il participé à d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Je n'en ai aucune idée et ce n'est pas non plus dans mon domaine de compétence. J'avais des relations avec lui dans le cadre des réflexions que l'on aurait pu mener. Il se trouve d'ailleurs que je ne l'ai jamais convoqué en tant que réserviste spécialiste, on n'en a jamais eu le temps - il est toujours très pris, ce que je peux comprendre.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
Lors des opérations de sécurité à l'occasion des déplacements du Président de la République, M. Benalla donnait-il des ordres aux fonctionnaires de gendarmerie ?
Général Richard Lizurey. - Je ne suis pas la totalité des déplacements du Président de la République, mais, en toute hypothèse, lors de ceux que j'ai suivis, M. Benalla ne donnait aucun ordre aux gendarmes. L'autorité légitime pour le gendarme, c'est le préfet ; c'est lui qui donne des directives et c'est à lui que l'on rend compte. M. Benalla n'avait ni la légitimité ni la compétence pour imposer ou solliciter quelque modification que ce soit dans les voyages officiels auxquels il participait.
Avez-vous été informé par vos services de la présence de M. Benalla aux réunions ?
Général Richard Lizurey. - Non, dans les différents comptes rendus de réunion auxquels mes collaborateurs peuvent participer - nous pourrons documenter ce point si vous le souhaitez -, je n'ai pas constaté sa présence, ni, encore une fois, personnellement ni au travers des comptes rendus.
Vous l'avez intégré dans la réserve opérationnelle en tant que spécialiste au regard des missions qu'il a exercées. Or vous indiquez que vous êtes incapable de savoir quelles sont missions, que vous ne l'avez jamais vu travailler autrement que très partiellement. Comment avez-vous pu alors apprécier ses missions et estimer qu'il devait être intégré à ce grade ?
Général Richard Lizurey. - Je me suis mal exprimé. Je pensais que votre première question portait sur les fonctions qu'il exerce actuellement pour la présidence, ce qui n'est pas dans mon domaine de compétence. En revanche, préalablement à son intégration, il s'agissait de quelqu'un qui, manifestement, avait assuré la sécurité de hautes personnalités de toutes natures, de tous bords, et il me paraissait avoir une expérience intéressante ; il avait suivi un master de sécurité publique et une session régionale de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Il me semblait être quelqu'un qui pouvait apporter des choses ; c'était cela l'idée, il s'agissait d'un personnel ressource.
Parfois, quand nous menons des réflexions, on nous reproche, à juste titre, d'être souvent autocentrés, de réfléchir entre nous ; c'est vrai. L'idée est donc de nous appuyer sur les ressources que nous avons chez nos réservistes. Certains d'entre eux nous disent d'ailleurs qu'il faut les solliciter davantage, qu'ils ont des choses à nous apporter, des visions différentes intéressantes pour nous. C'est dans ce cadre que M. Benalla constituait pour moi un personnel ressource, disponible dans un vivier. Il se trouve que, pour des raisons d'emploi du temps, il n'a pas été activé.
Donc, je n'ai pas à connaître de ses fonctions actuelles, mais, pour avoir discuté avec lui, j'ai constaté que, malgré son jeune âge, il avait une expérience. L'âge fait l'objet, ici ou là, de discussions mais dans notre société actuelle, des jeunes fondent des entreprises, réussissent, portent haut les couleurs de la France. L'âge ne fait rien à l'affaire. On me dit que j'aurais dû agir différemment. Peut-être ; j'ai peut-être été trop enthousiaste vis-à-vis de cette vision extérieure, qui me paraissait intéressante dans le cadre de la réflexion sur la protection des personnels et des infrastructures, priorité du commandement et de moi-même. Mon devoir est de protéger mes personnels, et, pour cela, j'ai besoin d'avis, à 360 degrés, de gens qui ont des choses à dire, à apporter et qui peuvent nous interpeller dans nos certitudes, notre meilleur ennemi.
Quand vous nommez un gendarme réserviste à un tel grade, y a-t-il une procédure, un jury ? Votre avis personnel se fonde-t-il sur un rapport ? Y a-t-il une audition ?
Général Richard Lizurey. - Il n'y a pas de jury ni de commission. Il y a un travail de détection, qui n'est pas forcément le fait du directeur général. J'ai aujourd'hui une centaine de réservistes rattachés au cabinet. Pour tous les autres, nous avons des contacts à l'échelon régional ou départemental, souvent intuitu personae, qui conduisent à repérer une personne importante dans tel ou tel domaine - cybernétique, biologie ou autres. Une proposition est faite par le commandement de la réserve, un dossier est constitué sur l'opportunité ou non d'intégrer une personne dans la réserve. Ce dossier me parvient, avec l'avis de tout le monde, et c'est moi qui intègre les gens dans la réserve, par délégation du ministre.
C'est donc une décision que je prends après avoir recueilli des avis successifs, mais sans formalisation de commission, sans avis collégial. Il y a un processus d'études juridiques, nous avons fait les choses de manière réglementaire, en nous appuyant sur des textes. On n'a pas contourné les textes, on les a appliqués.
Nous vous demandons donc la communication de ce dossier.
Général Richard Lizurey. - Bien sûr.
Je m'associe à l'hommage rendu par Muriel Jourda à la gendarmerie, pour laquelle nous avons de l'estime. Nous sommes élus de territoires et nous connaissons bien nos communes ; nous avons de nombreux contacts avec la gendarmerie, dont nous apprécions le travail.
Nous avons parfois des contacts informels avec les gendarmes et, pour en avoir eu récemment, je ne peux vous cacher qu'il y a des interrogations sur l'ascension rapide de M. Benalla à son grade. Vous avez cité Georges Brassens - « le temps de fait rien à l'affaire » - et vous eussiez pu citer Corneille - « la valeur n'attend point le nombre des années ». Toutefois, nous connaissons dans la réserve de jeunes gens brillants et compétents mais qui ne bénéficient aucunement de cet avancement extrêmement accéléré. Lieutenant-colonel, même dans la réserve, ce n'est pas rien. Ce qui s'est passé vous paraît-il habituel ?
Général Richard Lizurey. - Merci de cette question qui me donne l'occasion de préciser davantage mon propos liminaire. J'ai entendu les interrogations exprimées en interne. J'ai eu beaucoup de remontées de personnels d'active et de réservistes depuis la semaine dernière ; elles manifestent parfois une colère très claire. J'ai fait oeuvre de pédagogie par écrit envers mes personnels, au moyen d'éléments techniques, et j'ai expliqué par visioconférence aux commandants de région certaines choses.
Il n'y a pas eu d'avancement, ce n'est pas une ascension de carrière. Ce sont deux statuts différents. M. Benalla faisait partie de la réserve opérationnelle de sécurité publique, à un grade, qu'il conserve. S'il revient dans cette réserve, il reprendra son grade initial de réserviste opérationnel de sécurité publique.
Le grade dans la réserve spécialiste est un grade temporaire, qui n'emporte aucune prérogative de puissance publique ni de commandement. Il ne s'agit pas d'une logique d'avancement ; ce sont deux statuts complètement différents. Évidemment, on a l'impression, en regardant la cinétique, qu'il est passé de tel grade à tel autre, mais ce n'est pas le même statut. Cela peut susciter des interrogations, de la colère ; je le comprends.
Je m'en suis expliqué avec mes troupes, je continuerai de le faire, mais c'est une décision que j'ai prise en mon âme et conscience par rapport au niveau auquel je souhaitais employer M. Benalla. Il devait être un personnel ressource dans le cadre d'un groupe de réflexion sur la protection des personnels et des infrastructures, et il devait travailler dans ce cadre avec des généraux et des officiers supérieurs, notamment des colonels.
Or, dans le monde militaire - pardon d'être un peu trivial -, quand on discute, le premier réflexe consiste à regarder les épaulettes, le « code-barres ». On peut le regretter, mais c'est la vérité. Quand on a affaire à un officier subalterne, on a tendance à dénigrer ce qu'il dit ; c'est la réalité. Il me paraissait donc important, pour que cette réflexion soit intelligente, que je le positionne à un niveau où les gens l'écouteraient. Mais, encore une fois, ce grade n'emporte aucune conséquence ni aucune autorité quelconque sur quelque personnel de la gendarmerie que ce soit.
Ma question suivante est très précise ; elle porte sur les évènements qui se sont déroulés à l'aéroport de Roissy, à l'occasion du retour de l'équipe de France de football, dont la sécurité était assurée par la gendarmerie nationale. On nous dit que, M. Benalla étant présent, il y a eu quelques discussions, voire quelques problèmes. Je veux savoir ce qu'il s'est passé. Les relations entre le responsable de la gendarmerie et M. Benalla ont-elles été d'une totale sérénité et d'une complémentarité claire ?
Plus largement, ne pensez-vous pas que l'on est face à un système insatisfaisant - c'est peut-être le fond de cette mission d'information -, en raison des interférences constantes ? Nous considérons, dans cette commission, qu'il y a la gendarmerie, avec ses structures et son commandement - c'est logique et cela fonctionne correctement ainsi -, ainsi que le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) - des gendarmes, des policiers et une autorité qui est en lien avec la police nationale, la gendarmerie nationale et le ministre de l'intérieur -, et que, si des personnes qui ne font pas partie de la police ni de la gendarmerie interviennent tout le temps, avec d'éventuels désaccords, altercations et injonctions, il y a un problème. Quel jugement portez-vous sur les relations entre M. Benalla et les gendarmes et le commandement de la gendarmerie ; sur le fond, que pensez-vous de la situation ainsi créée ?
Général Richard Lizurey. - Je n'ai eu connaissance de l'événement de Roissy auquel vous faites référence que par l'appel téléphonique d'un journaliste. C'est le signe qu'il s'agissait d'un incident mineur et pas d'un clash majeur. Je me suis renseigné auprès du commandant de la gendarmerie des transports aériens, responsable de la zone concernée, qui m'a confirmé que le commandant de la compagnie avait renvoyé M. Benalla vers l'autorité légitime, à savoir le préfet chargé de la sécurité dans les aéroports, sans avoir à déplorer d'altercation. De manière plus large, lors des différents déplacements officiels, je n'ai pas eu connaissance d'incidents résultant de ce que M. Benalla aurait voulu imposer ceci ou cela.
À chaque déplacement officiel, le préfet organise des réunions et le commandant de groupement local dont la zone de compétences est concernée définit clairement les responsabilités dans une note de service. Seuls les gendarmes interviennent sans aucune immixtion de qui que ce soit.
D'un point de vue plus institutionnel, le commandant militaire du palais de l'Élysée est un officier supérieur de la garde républicaine et le patron du GSPR est un officier supérieur de la gendarmerie. Quels sont les liens d'organisation et de fonctionnement entre la gendarmerie nationale, le commandant militaire du palais de l'Élysée et ce groupe ?
Général Richard Lizurey. - Un certain nombre de structures de la gendarmerie sont mises à disposition d'autres institutions. Dans le cas de l'Élysée, mon travail consiste à mettre à disposition 300 membres du personnel de la gendarmerie, toutes catégories confondues, sans m'immiscer ni m'ingérer dans le domaine d'activité de l'autorité fonctionnelle. Le processus est le même dans la gendarmerie de l'air ou la gendarmerie maritime. Le fonctionnement et le travail quotidiens de ces troupes échappent à mon autorité, sauf bien sûr en cas de faute majeure ou de blessure où ma responsabilité reste engagée. Cependant, la logique de la mise à disposition est de subsidiarité totale et je n'ai pas à connaître des agissements du GSPR ni de ceux du commandement militaire.
Je complète ma question. Quand il s'agit de promouvoir les membres du personnel de la gendarmerie qui servent à l'Élysée, quel est votre rôle ?
Général Richard Lizurey. - Le patron de la garde républicaine réunit une commission d'avancement qui gère les sous-officiers. S'agissant des officiers, ils sont notés au premier degré par le commandant militaire, puis au deuxième degré par le patron de la garde républicaine. En ce qui concerne le commandant militaire, je demande toujours une appréciation à l'autorité d'emploi, à savoir le directeur de cabinet de la présidence, pour établir sa notation juridique et la présenter à la commission d'avancement, s'il y a lieu.
Y a-t-il d'autres agents que des fonctionnaires civils et militaires qui oeuvrent au sein du GSPR ?
Général Richard Lizurey. - À ma connaissance, des gendarmes et des policiers font partie du groupe. Je ne saurais vous préciser le détail du personnel employé, car cela échappe à mon domaine de compétence.
Vous n'avez pas directement la responsabilité du fonctionnement du GSPR. Cependant, les syndicats de policiers nous ont fait part des relations exécrables que M. Benalla entretenait avec les membres du GSPR. La hiérarchie de la gendarmerie en a-t-elle eu vent ? Avez-vous eu à connaître précisément du statut de M. Benalla, qui a été présenté comme adjoint au chef de cabinet du Président de la République alors que le ministre de l'intérieur nous a dit qu'il s'était autoproclamé tel ? Quel statut figure dans son dossier de réserviste ? Assurer la sécurité de l'Élysée entrait-il dans ses fonctions ? Enfin, le GSPR fonctionne-t-il bien à parité entre la gendarmerie et la police, ou bien faut-il prévoir des évolutions ?
Général Richard Lizurey. - En ce qui concerne les relations au sein du GSPR, je n'ai eu aucune remontée des difficultés dont vous vous faites l'écho. Encore une fois, je mets un point d'honneur à rester dans mon couloir. Je dois être informé de certaines situations, comme lorsqu'il y a un blessé, par exemple. En revanche, l'engagement professionnel quotidien de ceux qui sont mis à disposition ne me concerne pas. Quant aux évolutions possibles du GSPR, elles ne me concernent que si elles ont des conséquences en matière de mise à disposition du personnel ou de transfert budgétaire. Je n'ai pas vocation à participer à la réflexion sur l'évolution du GSPR.
Pour ce qui est du statut de M. Benalla, je ne sais pas exactement ce qu'il était, car je n'ai pas eu à interagir avec lui dans le domaine opérationnel - on me dit à présent qu'il officiait en tant que chargé de mission. Rien ne figure sur sa fonction dans son dossier de réserviste, car il a été recruté au titre de son expérience en matière de sécurité des personnes et des biens et pas au titre de sa fonction.
Vous avez dit avoir connu M. Benalla lorsqu'il était chargé de la protection de hautes personnalités. Nous vivons une période de haut risque terroriste, avec des manifestations de violence urbaine de plus en plus lourdes. Les civils qui gravitent autour du Président de la République n'ont-ils pas besoin d'une formation spécifique et d'être choisis à l'issue d'une sélection rigide ? Le concours des officiers de la gendarmerie est très difficile, tout comme celui de commissaire de police. Il est étrange que des personnes sans référence particulière puissent être habilitées à se charger de la protection de hautes personnalités. Le diplôme a au moins le mérite d'attester du respect de la déontologie.
Général Richard Lizurey. - Je suis incompétent pour dire qui doit faire partie du dispositif et qui doit en être exclu. M. Benalla avait acquis des compétences opérationnelles concrètes qui m'intéressaient, bien avant 2017, qu'il s'agisse d'une vision de la sécurité ou de la dynamique à mettre en oeuvre en matière de protection.
Une procédure particulière permet de « zinguer » certains membres du personnel. Elle s'applique par exemple à un adjoint chef major en fonction à l'étranger que l'on nomme capitaine, ce qui correspond à un grade visuel sans aucune réalité de commandement sur le territoire métropolitain. C'est une question de positionnement.
Certaines personnes ne sont-elles cependant pas plus formées ou habilitées que M. Benalla pour protéger des personnalités de haut rang, ne serait-ce qu'un ambassadeur ?
Général Richard Lizurey. - Je n'en disconviens pas. Toutefois, M. Benalla a été responsable de la protection d'un certain nombre de personnalités politiques. Je n'en juge pas ; il l'a fait.
Dans le dossier de recrutement de M. Benalla, n'y avait-il aucune référence à l'incident de 2012, lorsque mis à disposition d'un membre du Gouvernement, il aurait été renvoyé après avoir provoqué un accident de la route et tenté un délit de fuite ?
Général Richard Lizurey. - Je n'avais aucune information négative sur M. Benalla.
Quelle a été votre réaction en tant que citoyen, lorsque vous avez vu les images du 1er mai, lorsque vous avez su qu'elles impliquaient des réservistes de la gendarmerie nationale et lorsque vous avez su que ces personnes travaillaient à l'Élysée ?
Général Richard Lizurey. - Ces images, que j'ai vues la semaine dernière, interpellent forcément et méritent explication. Je me garderai de tout jugement car je sais d'expérience qu'il vaut mieux avoir vu le film complet avant de pouvoir l'apprécier. Comme gendarmes, nous savons bien que les images séquencées doivent être replacées dans leur contexte et faire l'objet d'une enquête judiciaire.
Je ne vous demande pas de porter un jugement, simplement de nous faire part de votre réaction.
Général Richard Lizurey. - Les investigations sont en cours sous l'autorité de l'IGPN et des magistrats. Attendons.
Votre perspective reste très théorique. Vous connaissiez M. Benalla avant qu'il n'exerce à l'Élysée et pourtant vous n'êtes pas au courant de ses relations avec le GSPR. Vous dites laisser vos hommes faire leur travail sans vous y intéresser davantage. Est-ce vraiment possible que vous n'ayez rien su de ce qui se passait au GSPR ?
Général Richard Lizurey. - Oui, je vous l'affirme. Le GSPR échappe à mon domaine de responsabilité. Il a un patron qui répond à une autorité hiérarchique au sein de la présidence. Par principe et par déontologie, je n'ai pas à m'ingérer dans son domaine.
Vous nous dites n'avoir pris connaissance des vidéos que récemment. Vous les avez appréciées avec réserve : « Ces images interpellent et méritent explication », nous avez-vous dit. Nous confirmerez-vous que les faits méritaient d'être dénoncés auprès du Parquet ?
Général Richard Lizurey. - Oui, ces images m'interpellent, car j'y ai reconnu MM. Benalla et Crase. Étaient-ils en position de réservistes ou pas ? Apparemment non. Très clairement, il fallait lever cette ambiguïté.
C'est la nature de l'infraction qui justifie ou pas de la dénoncer au Parquet. En l'occurrence, je n'ai pas tous les éléments pour juger. La dénonciation au Parquet ne relève pas de ma compétence. Je n'ai été interpellé que parce que ces deux personnes sont sous contrat de réserviste. Dès lors qu'ils n'étaient pas en service comme réservistes, ils échappent à mon domaine de compétence.
Vous nous avez dit que le grade de M. Benalla était provisoire et symbolique. Y a-t-il une autre personne à qui ce grade a été octroyé dès l'âge de 26 ans ? A-t-on vérifié les titres dont M. Benalla se prévalait - un master de droit - et son casier judiciaire ?
Général Richard Lizurey. - Les antécédents de M. Benalla ont été vérifiés dans le cadre de son recrutement au titre de la réserve opérationnelle en 2009. Il a été employé 194 jours jusqu'en 2015. Entre 2015 et 2017, il était toujours sous ce statut, même s'il n'a pas été convoqué. Rien ne laissait soupçonner le moindre problème. À la fin de l'année 2017, son changement de statut ne justifiait pas de refaire le travail de criblage opéré en 2009. D'autant que primait une logique de simplification administrative.
À ma connaissance, aucun réserviste n'a acquis le même titre que M. Benalla au même âge. Mais il faudrait vérifier.
Je voudrais témoigner notre reconnaissance à la gendarmerie nationale, en particulier pour les missions qu'elle exerce dans les territoires ruraux.
Vous avez dit que quand vous avez recruté M. Benalla, ce sont surtout ses compétences opérationnelles qui ont pesé. Peut-être aurait-il fallu mener une enquête de moralité ? Pouvez-vous nous confirmer qu'à aucun moment vous n'avez eu vent de comportements non recommandables alors que M. Benalla était en charge de la protection d'une personnalité politique ?
Général Richard Lizurey. - Oui, je vous le confirme. C'est la presse qui a révélé l'accident qui aurait eu lieu dans le cadre de la protection de M. Montebourg. Je n'ai eu aucune remontée négative sur le comportement de M. Benalla.
Vous avez donné ce grade à M. Benalla pour qu'il soit à la hauteur de ses interlocuteurs dans le cadre d'une mission qu'il n'a pas eu l'occasion d'exercer. L'expérience, les compétences et les diplômes dont il se prévalait vous ont convaincu, alors même qu'au regard de sa date de naissance il ne pouvait pas les avoir en 2009. Avez-vous eu à un moment ou un autre un contact avec l'Élysée sur ce dossier ? Ou bien avez-vous été influencé par le fait que M. Benalla se prévalait de ses fonctions à l'Élysée ?
Général Richard Lizurey. - Non, à aucun moment, l'Élysée ne m'a contacté. Le recrutement de M. Benalla relève d'une décision personnelle que j'assume avoir prise à la suite des discussions que j'ai eues avec l'intéressé.
Il y a un parallèle entre le parcours de M. Crase et celui de M. Benalla, l'un étant chef d'escadron, l'autre lieutenant-colonel. Or il semblerait que M. Crase ait une ancienneté plus importante que M. Benalla. Pour quelle raison l'un a-t-il le titre d'expert, l'autre non ?
Par ailleurs, un lieutenant-colonel de réserve dispose-t-il de tous les attributs - l'uniforme, un insigne, etc. - lui permettant d'accéder aux lieux où s'exerce un commandement ?
Comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, les deux personnes ont un statut différent.
Vincent Crase a obtenu le grade de chef d'escadron, qui correspond au grade de commandant, à la suite d'un avancement, d'une progression hiérarchique dans le cadre de la réserve opérationnelle de sécurité publique classique, grade qu'il conserve. S'il part demain et revient après-demain, il demeure chef d'escadron. Il occupe des fonctions d'encadrement. Il a ainsi encadré des préparations militaires dans la gendarmerie et a fait plus de 400 jours de réserve depuis 2009. En bref, il est reconnu comme étant un bon professionnel.
Le grade de M. Alexandre Benalla n'a rien à voir avec celui de M. Crase. Ce n'est pas un grade de la réserve opérationnelle de sécurité publique. C'est un grade qui correspond à sa mission, qui n'emporte ni prérogatives de commandement, ni prérogatives de puissance publique, ni port d'insignes. Nous sommes dans une logique de spécialiste. M. Benalla n'avait pas vocation à commander des gens ni à porter la tenue. Les réservistes de la gendarmerie nationale ne portent pas la tenue, contrairement aux réservistes citoyens de la marine. L'uniforme de la gendarmerie nationale est porté par des réservistes opérationnels ayant des missions de sécurité publique générale, au quotidien.
Les gendarmes sont spécialisés dans la sécurité, notamment dans la protection des autorités, compte tenu de la durée de leur formation. Dès lors, pensez-vous que l'apport de personnes non alignées sur la même fréquence que les professionnels de la sécurité rapprochée pourrait constituer un danger ou un handicap pour l'autorité protégée ?
Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la question. Je considère que la protection du Président de la République, mais aussi de l'ensemble des autorités ministérielles, est assurée par des personnels de la gendarmerie ou de la police, par le Groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, pour le Président de la République, par le Service de la protection, le SDLP, pour les autorités de premier niveau. À ma connaissance, il n'y a pas d'immixtion de quelque nature que ce soit. Cela étant dit, ce n'est pas mon domaine de compétence, je suis donc mal placé pour vous répondre. Les gendarmes du GSPR ne m'ont pas fait remonter de difficultés. Globalement, ils font leur métier au quotidien avec leurs camarades de la police nationale.
En d'autres termes, la protection rapprochée par M. Benalla du Président de la République n'était-elle pas susceptible de gêner l'action des membres du GSPR, qui sont des professionnels de la garde rapprochée ?
Je suis incapable de répondre à cette question, car je ne suis pas un spécialiste de la protection des personnes. Je n'ai ni suivi de formation ni occupé de poste dans ce domaine. Je ne sais donc pas comment est organisé le dispositif au sein de l'Élysée.
Est-il normal et réglementaire selon vous que M. Benalla ait obtenu un port d'armes, eu égard aux fonctions qu'il semblait exercer en matière de maintien de l'ordre ?
Le port d'arme n'est autorisé pour les personnels de la réserve que dans le cadre de missions de sécurité publique. Lorsque M. Vincent Crase était convoqué en tant que réserviste, il percevait son armement lorsqu'il prenait son service, sous l'autorité et le contrôle d'un personnel d'active, et la remettait au râtelier à la fin de son service, toujours sous le contrôle d'un personnel d'active. Il en va de même pour tous les réservistes.
M. Benalla quant à lui n'avait pas vocation, dans sa fonction spécialiste, à être titulaire d'un port d'arme en qualité de réserviste.
Cela étant dit, les autorisations de port d'arme ne relèvent pas de mon domaine de compétence. Je n'ai pas autorité pour délivrer un port d'arme ou même pour émettre un avis sur qui que ce soit. Cela relève de la responsabilité non pas de la gendarmerie nationale, mais des autorités préfectorales et des autorités hiérarchiques. Ma seule responsabilité est d'autoriser les militaires d'active à détenir leur arme en dehors de leur service. Ce dispositif a été mis en place à la suite des différents attentats qui ont endeuillé notre pays, en particulier l'agression à Magnanville de nos camarades de la police nationale.
Existe-t-il un risque que M. Benalla, compte tenu des faits qui lui sont reprochés et de sa responsabilité dans les événements dont nous avons pris connaissance, puisse être rétrogradé ?
M. Benalla et M. Crase ne sont plus convoqués en tant que réservistes, en attendant de plus amples informations, c'est-à-dire qu'on ne les emploie plus. C'est ce que l'on fait traditionnellement pour tous les réservistes ayant un problème de déontologie ou d'action. On laisse ensuite courir le contrat, qu'on ne renouvelle pas. La radiation est encadrée par un texte, que je peux mettre à votre disposition. Elle nécessite, s'agissant de deux officiers, la réunion d'une commission composée de deux officiers d'active et de quatre officiers de réserve. La procédure est équivalente à celle d'un conseil d'enquête pour un militaire d'active. C'est non pas la procédure en elle-même qui pose problème, mais le fait qu'il faille convoquer l'intéressé pour l'entendre sur les faits. Une enquête judiciaire étant en cours, je ne peux évidemment pas le faire, sauf à m'immiscer dans l'enquête judiciaire.
À ce stade, M. Benalla et M. Crase sont tous les deux suspendus de convocation. Le cas échéant, nous prendrons d'autres mesures au fur et à mesure de l'avancée des investigations judiciaires et des éléments qui seront portées à notre connaissance, sous l'autorité du ministre bien entendu, lorsque nous pourrons le faire sans interférer sur l'enquête judiciaire.
Avez-vous été informé d'un projet de fusion du GSPR et du commandement militaire ? Le cas échéant, avez-vous été consulté sur ce point ?
Je n'ai pas été consulté, mais j'en ai été informé, ce projet ayant des conséquences en matière de mise à disposition des personnels et nécessitant des ajustements budgétaires. Je n'avais pas à être consulté, car ce n'est pas mon domaine de compétence.
Peut-être que si, monsieur le directeur général, mais c'est une appréciation sur laquelle il n'y a pas d'inconvénient à être en désaccord.
Je vous remercie d'avoir été coopératif et de nous avoir éclairés. Avant de vous libérer, permettez-moi de vous faire part de tout le respect que nous avons pour le travail de la gendarmerie nationale et pour votre attachement au respect de l'État de droit.
Je vous remercie de vos paroles. Il est important que l'engagement quotidien de nos personnels, les réservistes, mais aussi les personnels d'active, soit reconnu. C'est le cas. Leur engagement est total. En cas d'incident, il m'appartient d'en tirer les conséquences et d'assumer mes propres responsabilités. Cela ne doit en rien entacher la qualité et l'engagement de mes personnels.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Je vous remercie de votre présence, monsieur le directeur général de la police nationale. Je rappelle que vous vous exprimez devant notre commission investie des pouvoirs de commission d'enquête. Après un propos liminaire, nous poserons nos questions.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Morvan prête serment.
La police nationale accueille chaque année dans ses services plusieurs milliers de personnes qui, n'appartenant pas à ses rangs, souhaitent découvrir le fonctionnement de notre institution. Ces personnes constituent un très large panel, depuis les écoliers en stage jusqu'aux magistrats, aux universitaires, aux journalistes, aux membres d'autorités administratives indépendantes ou du corps préfectoral, en passant par les parlementaires, les élus locaux et les policiers étrangers, dans le cadre de nos accords de coopération internationale. Les services qui accueillent ces personnes extérieures relèvent de l'ensemble du spectre des missions de police. Ainsi, les services de sécurité publique, de police aux frontières, de maintien de l'ordre, de police judiciaire, constituent autant de terrains sur lesquels nous sommes appelés à accueillir ces personnes en qualité d'observateurs.
Ces initiatives apparaissent indispensables et font partie d'une stratégie parfaitement revendiquée et assumée. Il est tout à fait sain en effet, chacun pour ce qui concerne ses propres centres d'intérêt, que des observateurs soient accueillis par la police nationale pour mieux faire comprendre, en toute transparence, l'environnement et le cadre dans lequel se déploie son action de protection des personnes et des biens.
L'accueil de ces personnes n'est pas encadré par un corps de règles spécifiques. Jusqu'à ce jour, il n'était pas envisagé d'en créer dans le droit positif dès lors qu'aucune difficulté n'avait été recensée. Pour autant, le fait qu'il n'existe pas de corps de règles spécifiques ne signifie en aucun cas que l'association d'observateurs n'obéit à aucun principe et n'est encadrée par aucune doctrine. Ainsi, l'accueil d'observateurs dans des services de police judiciaire exclut de les faire participer à des actes d'enquête tels qu'une perquisition ou une audition, notamment depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2017, qui a précisé le traitement des journalistes accueillis en immersion dans les services judiciaires. Il s'agit ni plus ni moins de respecter la règle du secret de l'enquête, sans qu'il soit besoin de la réécrire. De la même manière, l'accès aux informations classifiées est strictement interdit, sans qu'il soit besoin là encore de réécrire le droit applicable ou la nature des sanctions en cas de compromission du secret. Des conventions peuvent d'ailleurs être signées avec l'observateur en immersion. Un modèle type existe. De la même manière, l'accueil de stagiaires écoliers ou étudiants fait l'objet de conventions de droit commun conclues avec l'établissement scolaire ou universitaire.
Pour d'autres observateurs relevant de la sphère publique - magistrats, fonctionnaires, agents chargés d'une mission de service public, ce qui était le cas de M. Benalla -, des règles de bon sens sont appliquées.
Il leur faut bénéficier d'une autorisation, dont les formes ne sont pas expressément précisées. L'autorisation peut émaner du chef de service, du préfet territorialement compétent, que l'on ne manquera pas de solliciter si l'observateur est une personnalité, compte tenu de son statut ou de ses fonctions.
Il leur faut ensuite se soumettre aux prescriptions des services de police en termes de protection et de respect des injonctions qui seront données au cours de la mission, en particulier par l'accompagnateur référent du niveau hiérarchique approprié, qui est le plus souvent nommément désigné. Une mission de police n'est en effet jamais banale. Qu'il s'agisse d'une patrouille ou d'une intervention de police secours, lors d'un tapage ou d'un différend familial, tout peut, hélas ! arriver, y compris le pire.
Ils ne doivent jamais participer à l'opération elle-même. Ils doivent l'observer en retrait et en sécurité. Les policiers accompagnant l'observateur sont d'ailleurs responsables de cette sécurité. C'est la raison pour laquelle un observateur ne sera admis à s'immerger qu'avec l'accord des personnels qui conduiront la mission, lorsqu'il s'agit par exemple d'une patrouille de la brigade anticriminalité ou d'une opération de police secours.
Enfin, ils doivent participer au briefing précédant la mission, au cours duquel seront rappelés les consignes de sécurité, le caractère passif de l'observateur et l'environnement général de la mission, en particulier ses dangers potentiels.
Au cours des auditions qui s'enchaînent sur l'affaire Benalla, et que je suis, certains ont suggéré que les observateurs pourraient être clairement distingués des intervenants policiers par des signes distinctifs, de type chasuble ou casque de couleur. Je dois dire que je suis assez circonspect sur ces propositions, dont je comprends bien entendu le sens, mais qui emportent aussi à mes yeux quelques inconvénients, notamment celui de désigner aux fauteurs de troubles, notamment lors d'opérations de maintien de l'ordre ou de patrouilles de la brigade anticriminalité, celui qui, par nature, sera le plus vulnérable. Une réflexion s'impose à cet égard pour ne pas compromettre la sécurité des observateurs. L'IGPN, qui s'est vue confier par le ministre d'État une mission de réflexion sur le sujet, ne manquera pas, j'en suis sûr, de traiter ce point particulier.
En matière d'ordre public, il va de soi que le rôle d'observateur est d'application absolument stricte. Les actions opérationnelles de service d'ordre, de maintien de l'ordre ou de rétablissement de l'ordre, sont absolument réservées aux seuls fonctionnaires de police ou aux militaires de la gendarmerie. C'est si vrai que certains agents de la police nationale, pourtant membres de notre institution, ne peuvent en aucun cas participer à ces opérations très spécialisées. C'est le cas des adjoints de sécurité et des réservistes de la police nationale, qui ne sont jamais engagés en matière d'ordre public. Il en est de même évidemment pour la protection de hautes personnalités.
Pour vous donner une idée du nombre d'observateurs que les services de la police nationale traitent au seul niveau central, et pour ne prendre que le seul domaine de la presse, je citerai quelques chiffres illustrant le caractère très habituel des sollicitations dont nous sommes l'objet.
Ainsi, le service d'information et de communication de la police nationale, le SICoP, est destinataire chaque année d'environ 3 500 demandes de journalistes, dont une dizaine concerne des services d'ordre ou des opérations de maintien de l'ordre. Les demandes d'observations qui parviennent dans mes services, ceux du préfet de police, des services déconcentrés de la police nationale, sans compter ceux de la gendarmerie, se comptent par milliers chaque année et n'ont à ce jour posé aucune difficulté. Les demandes sont instruites par le SICoP, qui a toute latitude pour en apprécier la pertinence ou le calendrier
Il peut ne pas être donné suite aux demandes d'observation lorsque l'on détecte une volonté manifeste d'instrumentaliser l'action des services de police, lorsque des questions de confidentialité sont en jeu, lorsque l'activité opérationnelle du service concerné ne permet pas d'accueillir l'observateur dans de bonnes conditions. En règle générale, nous nous efforçons toutefois de trouver une solution permettant d'accueillir l'observateur.
J'en viens à ce qu'il convient d'appeler désormais l'affaire Benalla, qui est à l'origine de la constitution de cette commission d'enquête, même si votre champ d'investigation est considérablement plus large.
Je connais M. Benalla pour l'avoir croisé depuis ma prise de fonction, le 28 août dernier, lors de déplacements ou de cérémonies auxquels participait le Président de la République et auxquels j'étais convié. Je l'identifiais clairement comme un collaborateur du chef de cabinet de la présidence de la République. L'une des missions centrales habituelles d'un cabinet est d'organiser ces déplacements ou ces cérémonies officielles. Il était donc tout à fait naturel que M. Benalla soit présent dans ces circonstances - une dizaine de fois pour ce qui me concerne, la dernière dans la tribune officielle du 14 juillet -, au cours desquelles je n'ai jamais remarqué de sa part une attitude déplacée ou qui me soit apparue intrusive. Je n'ai échangé avec lui que de courtoises salutations. Je n'ai pas le souvenir d'avoir participé à des réunions de travail en sa présence. Il faut dire que mes contacts avec la présidence de la République sont rares, ces relations étant normalement réservées au cabinet du ministre, qui, au besoin, me sollicite lorsque des commandes techniques sont exprimées par la présidence.
J'en viens plus particulièrement aux événements du 1er mai sur la place de la Contrescarpe. Dans ce contexte, il m'apparaît important de vous décrire rapidement l'organisation des opérations de maintien de l'ordre en France. Sur l'ensemble du territoire national, à Paris comme ailleurs, le préfet territorialement compétent a la pleine responsabilité de la gestion de l'ordre public. C'est sous son autorité que sont organisés les dispositifs opérationnels qui seront mis en oeuvre sur le terrain par les forces de police ou de gendarmerie, parfois combinées. Mon rôle, en tant que directeur général de la police nationale, est donc de fournir aux préfets, y compris aux préfets de police, les forces mobiles nécessaires au service d'ordre qu'ils prévoient, selon les renseignements dont je dispose sur le contexte de l'événement à gérer et en fonction des forces disponibles, qu'elles appartiennent à la police - les CRS - ou à la gendarmerie nationale, les escadrons de gendarmerie mobile.
Le 1er mai, j'ai mis quinze forces mobiles de la réserve nationale, dix CRS et cinq escadrons de gendarmerie mobile, à la disposition du préfet de police. Ils sont venus s'ajouter aux huit CRS qui constituent l'enveloppe parisienne permanente dont il dispose, soit vingt-trois unités au total, lesquelles s'ajoutent aux forces territoriales de la préfecture.
Au terme des opérations, les services de police transmettent à mon état-major un compte rendu synthétique décrivant leur déroulé, le bilan des blessures, des interpellations, des dégâts éventuels, des incidents. Le 1er mai, le télégramme de la CRS n° 15, présente place de la Contrescarpe, rapporte les événements graves auxquels ces fonctionnaires ont été confrontés pendant toute la durée de leur vacation, commencée à 12h40 et terminée à 23h00, sans mentionner de faits impliquant des observateurs.
Rétrospectivement, je pense qu'une ligne de ce télégramme de compte rendu fait sans doute référence aux événements ayant motivé la formation des commissions d'enquête parlementaires en cours. Elle est ainsi libellée : « 20h15, deux individus interpellés, violences contre agent de la force publique ; remis à la brigade d'information de voie publique ».
Au-delà de cette information opérationnelle, transmise par les services de police eux-mêmes à mon état-major, je peux également être rendu destinataire par les préfets ou par les directions centrales placées sous mon autorité d'informations sur le comportement inadapté, voire fautif, d'une unité ou d'un ou de plusieurs fonctionnaires. Sur la base d'éléments circonstanciés et vérifiés, je déclenche alors une procédure disciplinaire, en saisissant l'inspection générale de la police nationale, avec mesure de suspension le cas échéant, et ce indépendamment des poursuites judiciaires éventuelles décidées par le parquet compétent.
Au terme des événements du 1er mai, aucun signalement de ce type n'a été porté à ma connaissance, aucun incident dans la conduite des opérations ne m'a été rapporté. Je n'ai été informé des agissements répréhensibles de M. Benalla que lors de la publication de l'article du journal Le Monde, daté du 18 juillet.
À l'inverse, le 19 juillet, les agissements présumés délictuels de trois fonctionnaires de la DOPC, la direction de l'ordre public et de la circulation, qui ont participé à l'extraction d'images de vidéoprotection publique et à leur communication à M. Benalla, m'ont été signalés immédiatement, compte tenu de la gravité des faits, avec la circonstance particulière qu'ils avaient été commis par de hauts cadres de la police nationale, qui ne pouvaient ignorer qu'ils commettaient sciemment une infraction. J'ai donc donné instruction à mes services, avant même les décisions de l'autorité judiciaire, de prendre sans délai les actes de suspension. J'ai également demandé au préfet de police de saisir l'IGPN à des fins disciplinaires, ce qu'il a fait. Il me reviendra in fine, car c'est de ma seule compétence, de prendre les sanctions qui s'imposeront au terme des procédures disciplinaires qui vont se dérouler. Les sanctions sont en général signées par mon délégataire, le directeur des ressources et des compétences de la police nationale, à l'exception des révocations, dont je me réserve l'exclusivité des signatures, compte tenu de la gravité de la mesure.
Pour être complet, et j'en finirai par là, je précise que l'IGPN avait été destinataire, sur sa plateforme de signalement en ligne, d'images de la scène de la Contrescarpe. Ces images avaient été postées le 3 mai à 2 heures 13 par un internaute ayant usé d'un pseudonyme, ce qui n'a pas permis de l'identifier. Il ne s'est pas présenté comme un protagoniste de la scène filmée, il a simplement indiqué l'avoir trouvée sur les réseaux sociaux. L'inspection générale, dans les circonstances particulières de ce signalement, en l'absence de plainte, et dans le contexte des grandes violences subies par les forces de l'ordre lors des manifestations du 1er mai, n'a pas jugé pertinent de déclencher des investigations.
Je précise que les images postées étaient prises sous un angle qui ne mettait pas en évidence des violences avérées. L'IGPN a considéré légitime, au vu de ces images, l'usage de la force appliquée. Elle ne disposait alors que de ces seules images et non de celles qui, depuis, ont été largement diffusées, prises sous différents angles, par différents opérateurs qui sont aujourd'hui à notre disposition, mais dont ne disposait pas l'IGPN lors de cette fameuse nuit du 3 mai. Les images qui ont été déposées sur la plateforme en ligne ont toutefois été conservées au cas où une plainte serait ultérieurement déposée ou un signalement exploitable posté. On sait aujourd'hui que ça n'a pas été le cas.
L'IGPN ne m'a pas informé de ce signalement, ce que je considère parfaitement normal dans l'état de connaissance des faits qui était le sien à ce moment-là. La chef de l'inspection, Mme Monéger-Guyomarc'h, que je rencontre très régulièrement, ne manque jamais de me rendre compte des faits graves qui sont portés à sa connaissance et des diligences qu'elle entreprend en toute indépendance et sans aucune faiblesse, mais la gravité de la scène que j'évoque ne sera établie que bien plus tard, lorsque l'illégitimité des « interpellateurs » sera révélée à l'IGPN comme à moi-même par l'article du journal Le Monde, éclairant le sujet sous un jour tout à fait nouveau et caractérisant des infractions que l'autorité judiciaire vient de qualifier pénalement.
Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et vous apporter toutes précisions utiles à vos travaux, sur l'accueil des observateurs ou l'affaire Benalla, dans le respect des investigations judiciaires en cours et dans les limites de ce que j'en connais, ou plus généralement sur l'organisation de mes services en matière de protection des hautes personnalités.
Saviez-vous que le statut d'observateur avait été sollicité pour M. Benalla pour les manifestations du 1er mai ? Vous dites que personne ne vous a informé des actes de violence commis en présence de nombreux policiers par deux personnes n'appartenant pas à la police nationale, ayant donc un statut d'observateur. Comment est-il possible que cela ne soit jamais remonté ce jour-là ? Quelles conséquences en avez-vous tiré ?
Par ailleurs, il est établi que, dès le 2 mai, le ministre de l'intérieur, le directeur de cabinet du Président de la République et le préfet de police étaient en possession des vidéos démontrant l'implication de M. Benalla. Pouvez-vous nous confirmer que vous n'avez eu aucune connaissance de ces documents en votre qualité de directeur général de la police nationale ?
Je suppose que vous n'avez pas pu ignorer que M. Benalla était déchargé de ses fonctions durant sa mise à pied et que vous vous êtes interrogé, si vous n'avez pas eu connaissance des vidéos, sur les raisons de cette sanction. Vous avez comme nous entendu le porte-parole de l'Élysée dire que l'intéressé serait démis de toutes fonctions de sécurité et de protection à l'issue de sa mise à pied. Dans ces conditions, vous n'avez pas manqué d'observer que, jusqu'au 14 juillet inclus, il a continué d'exercer ses missions. Quelle est votre réaction ?
De manière plus générale, et j'en termine, les représentants des personnels de la police nationale, que vous connaissez parfaitement, nous ont fait part hier de leurs grandes difficultés dans leurs relations avec M. Benalla. Quel jugement portez-vous sur les interférences entre ses actions et les actions menées légitimement par les représentants de la police nationale ?
Enfin, si M. Benalla a participé à des réunions de commandement relevant de la police nationale - vous avez déclaré que vous n'aviez jamais pu observer cela -, en avez-vous été informé où avez-vous vous-même été appelé à prendre des décisions, notamment pour la réunion de commandement qui s'est déroulée à la suite des faits du 1er mai à la préfecture de police de Paris ?
Non, je ne savais pas qu'il y avait un observateur autorisé lors des manifestations du 1er mai à Paris, sur la place de la Contrescarpe ou ailleurs. Je n'avais pas naturellement à le savoir, n'étant pas l'autorité qui délivre ce type d'autorisation. Le préfet de police s'est clairement exprimé devant l'Assemblée nationale en disant qu'il était extrêmement jaloux d'ailleurs, et je le comprends, de son pouvoir de décision en ce domaine. Il n'a pas à m'en rendre compte. Il accueille tous les observateurs qui le souhaitent. Je n'ai pas à savoir qui est observateur ou ne l'est pas, quelle que soit d'ailleurs la qualité de cet observateur.
Vous indiquez que les vidéos présentent des actes de violence commis par des personnes n'appartenant pas au service. Encore une fois, et aussi surprenant que cela puisse vous paraître, lorsque l'IGPN regarde les images déposées sur sa plate-forme, prises sous un angle particulier d'ailleurs, elle n'identifie pas des protagonistes qui ne seraient pas policiers. Elle voit des gens casqués qui interviennent en civil, ce qui est une pratique habituelle. Aux côtés des autorités constituées, des opérateurs en civil sont chargés des interpellations. À ce stade, l'IGPN n'a aucune raison de penser que certains protagonistes ne sont pas des policiers.
Vous vous interrogez sur le fait que je ne sois pas informé de cette affaire le 2 mai alors que la présence de M. Benalla le 1er mai est établie et que je ne sois au courant qu'à la lecture du journal Le Monde. Je vous confirme que, entre le 2 mai et la parution de l'article du journal Le Monde, je n'ai pas été mis au courant de ces circonstances très particulières.
Madame, je le confirme haut et fort, et je vous le dis de manière extrêmement affirmative : je n'ai jamais été mis au courant de la participation ce jour-là de MM. Benalla et Crase, dont j'ignore tout. Et je suis très conscient de déposer sous serment !
Monsieur le directeur, vous n'avez pas à répondre aux interpellations quand je n'ai pas donné la parole à mes collègues.
Cette interpellation semble mettre en cause la sincérité de mes propos. Permettez-moi d'y réagir assez fermement.
Je termine de répondre aux nombreuses questions de M. Sueur.
J'ignore tout de la mise à pied de M. Benalla, ce qui n'a rien d'étonnant, car il n'est pas l'un de mes employés. Je n'ai pas de pouvoir disciplinaire sur lui. J'ai beau être directeur général de la police nationale, je ne dispose pas d'un fichier sur tous les collaborateurs des plus hautes autorités de l'État que je consulterais tous les jours !
J'ignore tout, et c'est absolument normal, des relations professionnelles de M. Benalla avec sa hiérarchie. Je prends connaissance de la lettre de mise à pied que signe M. Strzoda dans le journal Le Monde.
Vous me dites ensuite que les syndicats commencent à dire que les relations étaient compliquées, exécrables, entre M. Benalla et des fonctionnaires de la police. J'ai regardé, en tout cas partiellement, vos auditions d'hier. M. le président Bas a indiqué lors de l'une d'entre elles que les langues commençaient à se délier. Je comprends que ces relations exécrables ont été mises à jour de façon extrêmement récente.
Pour ma part, je n'ai encore une fois jamais été destinataire d'informations accréditant une ambiance exécrable. Je ne dis pas qu'elle n'existe pas, je n'en sais rien, je dis simplement que personne dans mon entourage, aucun syndicat, ne me l'a rapportée. Tous les secrétaires généraux des syndicats de la police nationale ont mon numéro de portable personnel. Alors qu'ils ne se privent pas de l'utiliser, ils ne m'ont à aucun moment alerté sur ce sujet. Je prends acte du fait que les langues se délient, mais je n'ai pas d'informations sur ce sujet, en dehors de celles qui ont été révélées à votre commission.
Nous sommes intéressés, naturellement, par votre témoignage sur des faits, mais nous le sommes aussi par votre expertise comme directeur général de la police nationale et par votre expérience de l'État, car nous avons besoin d'interpréter ce qui s'est passé et de le comprendre. Or il y a pour nous une discordance entre la précision de l'information que le ministre de l'intérieur, son cabinet, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République détiennent dès le 2 mai, et l'information mise à la disposition de votre propre direction générale et de l'IGPN. Nous formulons de ce fait l'hypothèse que les autorités citées sont convenues de ne pas aller plus loin et de ne pas saisir la justice de ces faits, alors qu'ils nous paraissent d'une grande gravité. Cette interprétation vous paraît-elle vraisemblable ?
Ce n'est qu'en lisant le journal Le Monde que j'ai découvert la présence de M. Benalla lors des événements du 1er mai, puisque je n'étais pas dans la boucle, apparemment restreinte, de ceux qui savaient. Quant à la saisine de la justice et de l'IGPN...
Cette question renvoie à l'article 40 du code de procédure pénale et, pour l'IGPN, au droit disciplinaire. Je vais vous donner très sincèrement, puisque vous m'y invitez, mon sentiment de haut fonctionnaire. Le 2 mai, le cercle de ceux qui savent est au courant de ce qui s'est passé. Si les faits sont graves, le préjudice - je vais peut-être vous choquer - ne l'est pas, puisque les personnes interpellées de manière irrégulière ne sont pas blessées et ne portent pas plainte ; elles seront amenées rue de l'Évangile et ne seront pas placées en garde-à-vue.
Ma conception de l'application du droit n'engage que moi, mais elle reflète la pratique courante. La règle de droit est écrite dans toute sa sécheresse : tout fonctionnaire, tout agent public qui a connaissance de faits délictueux a l'obligation de saisir le procureur de la République. J'ai suivi les débats, notamment à l'Assemblée nationale, sur la question de savoir qui devait effectuer le signalement : le ministre, le directeur de cabinet du ministre, le directeur de cabinet du Président de la République, le préfet de police, le directeur de l'ordre public et de la circulation... Beaucoup de hauts fonctionnaires savaient et, en application stricte du texte de l'article 40 du code de procédure pénale, étaient en situation d'informer le procureur de la République. Mais nous ne sommes pas dans un système de fonctionnaires-robots qui appuieraient sur un bouton rouge ou sur un bouton vert. Nous regardons la manière dont les choses se sont passées, nous les contextualisons et nous essayons de faire une application intelligente du droit.
Je vous parle de la vraie vie, je ne fais pas un cours de droit !
En l'espèce, les faits sont extrêmement graves, et tout le monde les a qualifiés comme inacceptables. Ils sont commis par un jeune homme qui, à mon avis, a perdu les pédales, qui a pris, comme on dit, la grosse tête et s'est senti pousser des ailes en raison de l'administration prestigieuse dans laquelle il se trouve. Que fait le directeur de cabinet du Président de la République, dès qu'il en a connaissance ? Il le convoque, lui demande des explications et lui inflige une sanction disciplinaire qui, contrairement à ce que j'ai entendu, n'est pas clémente. Ce n'est pas une suspension, mais une mise à pied, puisque M. Benalla est contractuel. S'il avait été fonctionnaire, cela équivaudrait à une exclusion temporaire de fonctions, qui est une sanction du deuxième groupe, donc grave.
Ainsi, la sanction qui est infligée à M. Benalla n'est pas une sanction anodine. Dans la fonction publique, l'exclusion temporaire de fonctions de quinze jours aurait sans doute été prononcée, et elle aurait sans doute été assortie d'une période complémentaire de sursis d'un ou deux mois, comme une sorte d'épée de Damoclès pédagogique. Ajoutons que, dans la lettre de sanction, le périmètre fonctionnel de M. Benalla est modifié. Dans la fonction publique, cela équivaudrait à confier d'autres missions au fonctionnaire, ce qui serait illégal car constitutif d'une double sanction. La sanction infligée à M. Benalla n'est donc pas légère. Même, elle est plus sévère que celle qui aurait pu être infligée à un fonctionnaire.
Honnêtement, placé dans la même situation que M. Patrick Strzoda, j'aurais pris exactement la même décision - et je ne suis pas connu pour être particulièrement léger dans l'application du droit. Bien sûr, si les actes de M. Benalla avaient entraîné des préjudices graves, la question ne se serait même pas posée et nous n'aurions pas parlé de l'article 40, parce que le procureur se serait immédiatement saisi lui-même du sujet.
Autre exemple de l'application du droit : M. Gibelin, n'était pas au courant. Son adjoint non plus, et tombe de l'armoire, a-t-il déclaré. Il va voir son numéro 3, M. Simonin qui, lui, est au courant, puisque c'est lui qui a donné l'autorisation. En prenant une telle initiative, M. Simonin est coupable d'un triple manquement disciplinaire : il a manqué à son devoir d'obéissance, parce qu'il savait très bien que ces autorisations-là relèvent exclusivement du préfet de police ; il a manqué à son devoir de loyauté ; et il a manqué à son devoir de rendre compte. Quand on est contrôleur général de la police nationale et qu'on manque à ces trois principes de la déontologie, l'application du droit dans toute sa sécheresse commande une sanction disciplinaire : un avertissement, un blâme, une sanction du premier groupe. Pourtant, M. Gibelin ne prononce pas de sanction, mais réprimande vertement M. Simonin. Dans la police nationale, un directeur des services actifs qui réprimande vertement un contrôleur général, cela marque.
Le code de déontologie de la police nationale n'est pas du droit mou : ce n'est pas une circulaire, ni une instruction mais un décret, d'ailleurs commun à la police et la gendarmerie. Son application automatique aurait dû conduire à une sanction disciplinaire, fût-ce une sanction du premier groupe. Or une telle sanction n'a pas été prononcée à l'égard de M. Simonin. Eh bien ! À la place de M. Gibelin, à la place du préfet de police, j'aurais fait exactement la même chose : j'aurais choisi d'autres chemins.
Peut-être certains d'entre vous ont-ils été maires de collectivités territoriales et, à ce titre, à la tête d'une administration municipale nombreuse. Il a pu vous arriver qu'un employé commette des indélicatesses. Je ne suis pas sûr - et je le comprendrais - qu'à chaque fois vous ayez saisi le procureur de la République.
La vidéo du 2 mai, lorsqu'on ne connaît pas la qualité d'observateur de M. Benalla, ressemble, si j'ai bien compris, à une interpellation un peu musclée dans une journée très délicate dont on a promis à la police qu'elle serait une journée d'enfer. De ce fait, elle ne justifie pas la saisine de l'IGPN. Celle-ci, d'ailleurs, saisie par un internaute anonyme, va en quelque sorte classer l'affaire.
La révélation de la qualité d'observateur de M. Benalla, en revanche, survenue le 18 juillet, conduit à la fois à la saisine de l'IGPN et à celle du parquet, sur le fondement de l'article 40. J'ai noté l'expression d'illégitimité de l'intervenant...
Lorsque l'IGPN visionne les images postées dans la nuit du 3 mai, sous un angle particulier, et sans la richesse des vidéos dont nous disposons, prises sous différents angles, elle considère que l'application de la force est légitime et que la légitimité des opérateurs qui interviennent ne fait pas de doute : on a visiblement affaire à des policiers.
Marie-France Monéger-Guyomarc'h a toutefois indiqué que les spécialistes avaient trouvé que les gestes techniques qui sont appliqués sont un peu maladroits. Elle ne classe pas l'affaire, puisque l'IGPN conserve ces images, dans l'attente d'une plainte ou d'un nouveau signalement qui serait exploitable. Mais les protagonistes n'ont pas porté plainte, même s'ils manifestent désormais le désir d'être entendus.
Pardon si je vous donne l'impression de radoter... Nous avons progressivement appris que M. Benalla s'imposait régulièrement dans des opérations de maintien de l'ordre et participait tout aussi régulièrement à des réunions de débriefing de la direction de l'ordre public et de la circulation. Démentez-vous ces affirmations ? Sinon, comment expliquer qu'il ait pu ainsi s'imposer à des fonctionnaires qui ne sont quand même pas nés de la dernière couvée ?
Je n'ai pas connaissance du fait que M. Benalla ait participé régulièrement à des opérations de maintien de l'ordre.
Je pense que M. Collombat a en tête la protection rapprochée du Président de la République à l'occasion de ses déplacements et les réunions de préparation de ces déplacements. Dans ce cadre, M. Benalla semble avoir exercé, soit au moment même du déplacement, soit dans la préparation, une autorité sur les services chargés de la sécurité.
Sans compter la cérémonie du transfert de Simone Veil au Panthéon, ou le retour des Bleus...
Comment est-il arrivé à s'imposer à une hiérarchie qui répond à l'autorité de l'administration centrale, des préfets et du ministre de l'intérieur ?
M. Benalla était membre de la chefferie de cabinet de l'Élysée, dont l'une des missions essentielles est d'organiser les déplacements, ce qui comporte de multiples composantes : gérer la communication, la presse, la logistique, les cortèges, identifier les personnes que l'on rencontrera, assurer la vacuité des axes qui permettent d'arriver sur les lieux, veiller à l'aspect sanitaire, notamment s'il y a des mouvements de foule, faire venir le déminage... Rien de tout cela n'est étranger aux élus que vous êtes. Un déplacement se prépare donc par de multiples réunions qui s'enchaînent et peuvent traiter de certains aspects spécialisés, mais tout converge pour que l'articulation de l'ensemble soit parfait.
Pour ma part, je n'assiste évidemment jamais à ce type de réunion en tant que directeur général de la police nationale, car ce n'est ni mon rôle, ni ma place - et le directeur général de la gendarmerie nationale n'y assiste pas davantage. Le fait que M. Benalla assiste à ces réunions, y compris à celles qui évoquent des questions de sécurité liées au déplacement auquel il participe, n'est pas en soi choquant puisqu'il est membre de la chefferie du cabinet du Président de la République. Ce qui serait anormal, ce serait qu'il intervienne dans les postures opérationnelles des forces de police et du GSPR et prenne un ascendant extrêmement intrusif. Mais cela, monsieur le sénateur, je ne peux ni l'affirmer ni le démentir : je n'étais pas présent à ces réunions.
Je ne sais pas plus comment se comportait M. Benalla. Je l'ai croisé une dizaine de fois lorsque je participais à un déplacement du Président de la République ou à une cérémonie à laquelle celui-ci avait bien voulu me convier. Sa présence ne m'a jamais choqué, puisqu'il était membre de la chefferie du cabinet du Président. Nos échanges se sont limités à des salutations courtoises et, dans cette dizaine d'occasions, je ne l'ai pas vu faire le coup de poing ou bien avoir une attitude qui m'ait choqué. Je l'ai vu dialoguer avec les uns et les autres, indiquer par exemple « le Président vient de partir » ou « il sera là dans dix minutes », ou encore « il a atteint tel niveau de l'itinéraire » - ceci, pour les quelques secondes où mes yeux se portait lui, car il n'était évidemment pas le centre de mon intérêt.
Vous avez fait référence au compte rendu d'intervention, en indiquant qu'une phrase avait retenu votre attention, qui mentionnait deux individus interpellés et remis à la brigade, et vous nous indiquez que ces deux individus ont été transférés rue de l'Évangile. Or, le ministre de l'intérieur, le 23 juillet, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, a indiqué que ces personnes avaient disparu. Où est la réalité ?
Je tiens mes informations des déclarations précises faites par le préfet de police devant l'Assemblée nationale. Il a indiqué que ces personnes n'avaient pas été placées en garde à vue mais laissées libres. Je n'ai pas de responsabilités opérationnelles sur Paris.
Une remarque sur votre appréciation des sanctions dans la fonction publique : je connais un petit peu la vraie vie, moi aussi, et la fonction publique, et notamment les conseils de discipline paritaires. Si un fonctionnaire était passé en conseil de discipline devant ses pairs et devant les élus pour usurpation de fonction et pour violence physique, très sincèrement, il n'aurait pas été suspendu mais révoqué.
Manifestement, vous n'êtes pas au courant de grand-chose, mais peut-être que vos services auront la réponse : les demandes d'accréditation pour être observateur doivent être motivées ; quel était le motif donné par M. Benalla pour le 1er mai ?
Je suis fort marri que vous déclariez que je ne suis pas au courant de grand-chose. Je suis parfaitement au courant de ce qui relève de mes attributions et de mes compétences. Heureusement que je ne suis pas destinataire de toutes les demandes d'observation ! Je vous suggère de poser votre question au préfet de police, mais il aura lui-même du mal à vous répondre, puisqu'il n'a jamais été mis au courant - c'est toute la difficulté de cette affaire. C'est M. Simonin qui, visiblement, est à l'origine de cette affaire, puisqu'il s'est bien gardé de prévenir ses supérieurs hiérarchiques de ses initiatives. Je n'ai évidemment pas à être rendu destinataire des quelque 3 500 demandes d'observateurs qui sont présentées chaque année aux services de police.
Ce qui étonne Mme Di Folco, c'est que, même en prévision de cette audition vous n'ayez pas recueilli auprès de vos services les informations nécessaires pour répondre à ce type de question.
C'est que la préfecture de police n'appartient pas à mes services mais à ceux du préfet de police, qui relève directement, comme moi-même, du ministre de l'intérieur. Je n'ai donc pas à demander d'explications au préfet de police sur ce qu'il fait ou ne fait pas. Nous savons déjà que le préfet de police n'était pas au courant de cette demande, qui n'a jamais été transmise par M. Simonin à sa hiérarchie.
Notre commission des lois n'a pas pour mandat de s'ériger en tribunal pour hauts fonctionnaires. Au contraire, elle les respecte et les écoute. Elle veut simplement, grâce à leur coopération, disposer de tous les éléments d'information et d'interprétation des faits pour pouvoir rendre ses conclusions.
Lorsqu'une personne demande à être sur une manifestation qui peut s'avérer très violente, lui attribue-t-on un tuteur pour la protéger ? Il me semble que l'État serait responsable si elle était blessée. Dans l'affirmative, son tuteur a dû suivre M. Benalla et voir quels étaient ses actes. Pourquoi ne les a-t-il pas dénoncés ?
Les syndicats, que nous avons entendus hier, ont dénoncé une forme de maltraitance de la part de M. Benalla sur les policiers. Vous nous dites qu'ils ont votre numéro de portable personnel. Pourquoi ne vous ont-ils pas appelé pour vous alerter sur cette situation insupportable ? En général, les syndicats sont très lestes pour signaler ce genre de comportement.
Je n'en sais rien. Il semble que, si langues commencent à se délier, ces relations exécrables étaient alors confinées dans un cercle très fermé. Si les syndicats savaient depuis longtemps, ils auraient dû me prévenir - ils auraient eu raison de le faire, et ils en avaient les moyens.
Pourquoi l'accompagnateur de M. Benalla, qui est témoin de ces incidents, ne tire-t-il pas la sonnette d'alarme ?
Je vais vous parler de la vraie vie, là encore.
Il n'y a pas d'implications désagréables dans le propos du directeur général.
L'accompagnateur était un major de police Je ne suis pas sûr, compte tenu de ce qu'était l'événement, et compte tenu de la personnalité qu'était, sur le plan professionnel, M. Benalla, que ce soit le bon niveau d'accompagnateur. M. Gibelin a d'ailleurs donné son point de vue, que je partage entièrement, devant l'Assemblée nationale. Pour lui, vu ce que l'on savait des risques avérés de violence de cette manifestation, il aurait fortement déconseillé d'y accueillir M. Benalla. Et, si l'autorisation avait été accordée selon les voies normales, l'accompagnateur désigné n'aurait pas été un major de police, mais un membre du corps de conception et de direction.
Je suppose que M. Simonin a désigné ce major, lui a demandé de remettre un casque au chef de cabinet adjoint de l'Élysée et de l'accompagner. Pour ce fonctionnaire de catégorie B en fin de carrière, il faut évidemment, en présence d'une telle autorité, suivre les instructions. Bien sûr, dans l'absolu, il n'aurait pas dû laisser faire, et il aurait dû l'interpeller.
Comme pour un accident d'avion, les causes et défaillances sont multiples... En vous écoutant, on comprend mieux ce que le préfet de police a dit quand il a évoqué les « copinages malsains ».
Je ne serai pas de ceux qui réclameront que la tête de ce major roule dans la sciure.
Le rapporteur ne demande aucune tête non plus ! Mais ce major, fût-il de catégorie B, aurait dû intervenir et, en tout cas, rendre compte.
Les victimes de ces actes de violence n'ont pas porté plainte. Est-ce usuel ? Il y a quand même eu des violences constatées, on a vu ces personnes par terre, recevoir des coups de pied...
Vous êtes le premier personnage de la police au niveau national et vous n'avez appris cette affaire qu'avec les révélations du journal Le Monde. Or des dizaines de milliers de vues ont été enregistrées sur les réseaux sociaux. Je me fais donc du souci sur la qualité de notre renseignement, alors que nous vivons une époque très perturbée, avec les attentats... Ne faudrait-il pas améliorer la qualité de notre renseignement ? Certes, à Paris, cette affaire était sous la responsabilité du préfet de police.
La défense d'Alexandre Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale et indique que celui-ci interpellait des délinquants qui s'en seraient pris aux forces de l'ordre. Vos informations corroborent-elles cette version ? M. Benalla disposait d'un véhicule de police, sans que personne ne sache par qui il lui a été attribué ni quand. Peut-on se servir, tout simplement, dans un garage de police ? Ou y a-t-il un système de traçabilité ? Vous avez évoqué le statut d'observateur mais il semblerait que M. Benalla ait davantage été perçu comme un fonctionnaire d'autorité. Y a-t-il une doctrine sur les fonctionnaires d'autorité ?
Vous semblez découvrir que les syndicats étaient sous pression, notamment à cause des difficultés avec M. Benalla. Pouvez-vous nous confirmer que vous avez décidé de les réunir ?
Une observation de méthode sur notre travail, monsieur le président : je vous ai entendu faire une distinction entre le recueil des faits et la construction d'une interprétation. Je vous remercie beaucoup de cette distinction, qui doit rester présente à l'esprit de tous dans le travail de cette commission d'enquête.
Les personnes qui sont victimes de violences, avec des préjudices physiques ou moraux, ont la possibilité de porter plainte - et elles le font généralement quand il y a un préjudice. En l'espèce, les deux personnes concernées n'étaient pas blessées, elles n'ont pas demandé la consultation d'un médecin, n'ont pas porté plainte et n'ont pas été placées en garde à vue. En l'absence de plainte, le procureur peut, bien entendu, se saisir directement des faits. Les victimes de violences policières peuvent aussi avoir recours au Défenseur des droits, qui nous questionne très fréquemment sur les faits dont il est est saisi.
Quant à la qualité de notre renseignement, elle est assez bonne puisqu'on a très vite su que M. Benalla était le protagoniste de cette triste affaire. Simplement, l'information ne remonte pas à mon cabinet, ni à l'IGPN.
L'idée que M. Benalla aurait porté secours aux forces de l'ordre débordées est une plaisanterie. Sur les images, vous voyez de nombreux fonctionnaires de police, qui ne sont pas particulièrement fébriles.
Le véhicule de M. Benalla ne provient pas du ministère de l'intérieur. J'ai la liste très précise de l'ensemble des véhicules achetés sur le programme budgétaire 176 dont je suis responsable, et celui de M. Benalla véhicule n'y figure pas. Il n'a pas davantage été équipé par mes services.
Quant au statut des fonctionnaires d'autorité : ce sont tout simplement des fonctionnaires ! Dans des domaines régaliens comme celui de la sécurité, les seuls à avoir une autorité légitime sont les fonctionnaires.
Il est si vrai que les syndicats ont mon numéro de téléphone portable, qu'ils l'utilisent fréquemment, et que ce matin, avant de venir vous voir, j'ai reçu de leur part quelques messages d'encouragement. Je les verrai pour qu'ils m'en disent plus sur cette affaire.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous accueillons Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, directrice, cheffe de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), accompagnée par M. Bertrand Michelin, directeur adjoint de l'IGPN.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h prête serment.
Permettez-moi à titre liminaire de vous rappeler les différentes saisines instruites par l'IGPN et relatives à cette affaire.
L'IGPN a d'abord été saisie le jeudi 19 juillet par le ministre de l'intérieur aux fins de réalisation sous huitaine d'une étude sur les règles auxquelles est soumis l'accueil des observateurs lors d'une opération de police et les conditions dans lesquelles MM. Benalla et Crase ont été autorisés à assister au service d'ordre du 1er mai. Le même jour, nous avons été saisis par le préfet de police aux fins de réalisation d'une enquête administrative sur la communication à des tiers de la vidéoprotection produite par la préfecture de police. Le lendemain 20 juillet, nous avons été saisis par le parquet de Paris, conjointement avec la brigade de répression de la délinquance contre les personnes de la police judiciaire de Paris, dans le cadre d'une enquête pour violation du secret professionnel et son recel et accès par des personnes non habilitées à des enregistrements de vidéoprotection. Ces trois enquêtes et études différentes ont été confiées à trois entités différentes de l'IGPN : j'ai confié la première étude à mon adjoint M. Bertrand Michelin et au cabinet des inspections, des études et des audits de l'IGPN ; j'ai confié l'enquête administrative demandée par le préfet de police à la délégation de l'IGPN de Paris ; et j'ai confié l'enquête judiciaire à la division nationale des enquêtes de l'IGPN.
Pour être tout à fait complète, je précise que l'IGPN avait reçu le 3 mai à 2 heures 13 un signalement sur sa plateforme en ligne de signalement de violences policières. L'internaute qui l'a effectué n'était pas témoin des faits et nous communiquait simplement une adresse Internet sur laquelle il avait vu une vidéo qui l'avait choqué, puisqu'il s'agissait pour lui de violences policières. Pour lui comme pour ceux qui ont vu cette vidéo, il ne faisait pas de doute que les protagonistes étaient des policiers.
Cette vidéo a été visionnée par des agents de la plateforme de signalement le 5 ou le 6 mai. Ils ont relevé que l'usage de la force y était légitime, dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre, donc d'actions de police faites par ce qu'ils pensaient alors être des policiers. La plateforme n'a ensuite enregistré aucun autre signalement relatif à ces faits, ni d'un témoin direct ni d'une des deux personnes qui avaient été interpellées : nous n'avons pas eu d'autres images.
Concernant plus généralement les opérations de maintien de l'ordre particulièrement dures du 1er mai, l'IGPN a reçu deux autres signalements. Le premier émanait d'une personne se déclarant victime de violences et ayant été blessée. Cette personne a été reçue à l'IGPN après avoir été recontactée par la plateforme de signalement, qui lui a demandé de déposer plainte, et l'enquête est actuellement en cours. Le second consiste en une unique photo, où l'on voit un CRS avec une grenade de désencerclement à la main, tenue en hauteur. Nous avons envoyé cette photo à sa direction d'emploi pour que les techniques d'usage des grenades de désencerclement soient rappelées.
Nous assumons la transparence de nos actions sur les observateurs. Nous en recevons beaucoup au sein de la police nationale, y compris à l'IGPN : l'ouverture et la transparence font partie de nos préoccupations. Il semble très intéressant qu'un certain nombre de personnes voient l'activité et les conditions de travail de la police.
Il n'existe aucune note réglementant l'accueil des observateurs. Chaque situation est envisagée selon la qualité de l'observateur, ses objectifs, ainsi que les services et, surtout, les événements observés. La réception d'un observateur passe par plusieurs étapes : présentation du service, puis, si l'on va observer un événement, participation au briefing. Il est rare que l'observateur ait du matériel, et ce ne peut être que du matériel défensif. Après l'opération, il y a un débriefing, qui est aussi un moyen de recentrer, de clarifier, voire d'apporter des précisions complémentaires. C'est important pour nous d'avoir un regard extérieur.
Il nous appartiendra de formuler un certain nombre de propositions pour encadrer plus précisément la venue des observateurs. De mémoire d'acteur à l'IGPN, il n'y avait jamais eu de problème. Là, il y en a eu un. Nous allons donc proposer que l'encadrement soit plus précis et qu'il respecte ces différentes étapes.
M. le ministre de l'intérieur nous a donné une huitaine de jours pour rendre notre étude. Les délais seront respectés. L'étude sera sans doute disponible vendredi.
Les faits remontent au 1er mai. Le ministre de l'intérieur, le préfet de police, le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur et le directeur de cabinet du Président de la République sont au courant le 2 mai. Vous n'avez été saisie que récemment, après que l'affaire Benalla est devenue publique. Cette saisine est manifestement légitime compte tenu de toutes les questions que vous avez à examiner. Est-il normal, du point de vue du bon fonctionnement de l'administration, qu'il ait fallu attendre que cette affaire reçoive une telle publicité pour que l'IGPN ait enfin à se pencher dessus ?
Je m'en tiens au texte de loi, l'article 40 du code de procédure pénale est clair : toute personne pouvait saisir l'IGPN ou faire une déclaration au procureur de la République.
Vos services ont reçu cette vidéo au début du mois de mai en ignorant que l'auteur des faits était un observateur. S'ils l'avaient su, quelle aurait été la marche à suivre pour eux ?
Si nous l'avions su, nous aurions démarré une enquête judiciaire, après avoir rendu compte au parquet, enquête judiciaire que nous aurions doublée d'une enquête administrative, sachant que l'IGPN n'est compétente que pour les fonctionnaires de police.
Il y a quelque chose de singulier dans le fait que le ministre de l'intérieur, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République soient au courant dès le 2 mai et que ni la direction générale de la police nationale ni l'IGPN ne le soient.
Ignoriez-vous que M. Benalla avait été mis à pied ? Vous n'avez pas pu ne pas voir que, alors qu'il était démis de ses fonctions, dixit le porte-parole de l'Élysée, il était pourtant présent dans les mêmes fonctions de sécurité et de protection, que ce soit au Panthéon pour l'arrivée des cendres de Simone Veil, ou même dans la tribune officielle du 14 juillet.
Avez-vous une réflexion sur ce qui s'est passé le 1er mai et sur l'attitude des forces de police ? Alors que des observateurs non policiers se livrent à des violences, que des CRS restent statiques en raison des instructions qui sont les leurs, un certain nombre de questions se posent.
Mon adjoint et moi ne connaissons pas M. Benalla. L'IGPN, qui n'est pas un service opérationnel, n'a aucune raison de participer à des réunions avec les services de l'Élysée. Ces derniers n'ont pas plus de raison de nous rendre compte de la suspension d'un contractuel. Nous n'avions donc aucun moyen de vérifier les éléments que vous mentionnez.
J'ai pu observer qu'il y avait effectivement des CRS en uniforme et en unités constituées sur les lieux, ainsi que des personnels en civil portant des signes distinctifs de police. C'est habituel lors d'opérations de maintien de l'ordre.
Les unités constituées répondent à des ordres donnés par le chef de service, qui peut décider de l'utilisation de la force ou d'interpellations. Lorsque nous avons visionné les images, nous avons simplement constaté que les gestes techniques de protection et d'intervention, ou GTPI, n'étaient pas très bien maîtrisés ; et pour cause. Les agents de l'IGPN, qui sont eux-mêmes des spécialistes, anciens fonctionnaires de police, le notent.
La question n'est pas celle de l'illégitimité de l'emploi de la force ; c'est celle de qui emploie la force. L'enquête établira si les personnes sur place avaient conscience d'avoir affaire à des observateurs. Celles qui ont regardé la vidéo le 5 mai ou le 6 mai n'avaient pas de doute sur le fait qu'il s'agissait de policiers.
Sur place, il y a forcément un responsable. Je suppose que cette personne savait qu'il s'agissait de deux observateurs. A-t-elle réagi ?
Ce sont évidemment des questions pertinentes. Il nous appartiendra de les poser dans l'enquête judiciaire et dans l'enquête administrative.
Depuis le début de nos travaux, on nous répond : « Nous n'étions pas informés » et « Ce n'est pas de notre compétence » ! De qui est-ce la compétence ? Pouvez-vous légalement vous autosaisir de faits paraissant mériter un examen attentif ?
Je note une contradiction dans vos propos. Vous avez dit que les événements tels qu'ils apparaissaient dans la première vidéo avaient l'air d'être une opération de police ordinaire. Et maintenant que la personne est identifiée, vous dites ne pas pouvoir intervenir, car ce n'est pas un fonctionnaire de police...
Lorsque nous avons visionné la vidéo, elle ne nous a effectivement pas semblé constitutive d'une infraction.
L'usage de la force, s'il est légitime de la part de fonctionnaires de police, devient illégitime s'il ne s'agit pas d'un fonctionnaire de police. Dès que l'IGPN a su qu'en l'espèce ce n'en était pas un, elle a ouvert deux enquêtes, l'une à la demande du parquet et l'autre en s'autosaisissant. Notre compétence porte sur les fonctionnaires de police, pas sur les autres acteurs.
Nous pourrons entendre toute personne extérieure à la police qui voudra bien déférer à notre convocation. Simplement, contrairement à un fonctionnaire de police, une personne extérieure ne sera pas tenue de nous répondre si elle ne le souhaite pas. L'enquête judiciaire et l'enquête administrative peuvent conclure à des propositions de sanctions disciplinaires, mais uniquement pour les fonctionnaires de police.
La défense de M. Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale, qui permet à tout citoyen d'intervenir sur un flagrant délit. En l'état actuel de vos connaissances, les personnes interpellées par M. Benalla étaient-elles en train de commettre des délits d'outrage, de rébellion ou de violences sur agent ?
Quel est le statut des fonctionnaires d'autorité qui sont parfois présents sur une opération de police ? On les reconnaît quand ce sont des membres du corps préfectoral, mais quid lorsqu'il s'agit de collaborateurs de cabinets ministériels ou de l'Élysée, lorsqu'ils donnent des directives aux agents des forces de l'ordre ? M. Benalla peut-il avoir le statut de collaborateur occasionnel ? Et les collaborateurs occasionnels peuvent-ils relever de votre compétence ?
Les syndicats de police ont-ils dénoncé les dysfonctionnements créés par M. Benalla au sein du GSPR ? Le GSPR peut-il relever de votre compétence ?
La défense de M. Benalla indique qu'il a aidé les services de police. Il appartiendra à l'enquête judiciaire de déterminer si les fonctionnaires de police présents avaient besoin d'aide. En tant que cheffe de l'IGPN, ayant vu les images, je n'en suis pas convaincue. Mais c'est à l'enquête de l'établir.
Pour les fonctionnaires d'autorité qui interviennent, c'est la même règle : le responsable sur le terrain est le chef du dispositif, et, au-dessus de lui, il y a l'autorité préfectorale.
Je n'ai pas eu connaissance de propos des syndicats sur les dysfonctionnements au sein du GSPR. Je n'avais jamais entendu parler de M. Benalla avant le 19 juillet.
La compétence de l'IGPN sur les agents du GSPR ne s'appliquerait qu'aux policiers.
L'IGPN est donc compétente pour examiner le comportement de policiers servant au GSPR. C'est très important de le savoir.
Comme vous, nous nous étonnons que l'article 40 n'ait pas été activé. Beaucoup de gens qui étaient dépositaires de l'autorité publique ne l'ont pas activé. Trouvez-vous normal que M. Benalla, à qui on avait décerné le grade de lieutenant-colonel au titre de la réserve, vienne comme observateur ? J'y vois une contradiction.
Je ne me suis pas étonnée ; j'ai rappelé la loi.
J'ai du mal à vous répondre sur le fait que M. Benalla, lieutenant-colonel au titre de la réserve, vienne comme observateur. J'ai travaillé quelques années à la formation de la police nationale ; je défendais la formation continue. N'étant pas psychologue, je ne sais pas ce M. Benalla souhaitait. Cela ne me choque pas que quelqu'un ait envie d'en apprendre plus.
Même si vous n'aviez pas eu jusqu'à présent de problème avec des observateurs, ne pensez-vous pas qu'il faudrait encadrer davantage la fonction ?
Nous n'avons jamais eu de problème, alors que les stagiaires et les observateurs sont nombreux, y compris dans des structures qui étaient relativement fermées, comme l'IGPN. Cette affaire va évidemment nous amener - c'est l'objet de l'étude qui a été demandée par le ministre - à proposer un certain nombre d'éléments de cadrage pour les observateurs. Pour autant, il faudra laisser de la marge de manoeuvre aux chefs de service sur le terrain. Tous les observateurs ne sont pas de même niveau, ne viennent pas avec les mêmes demandes, ne restent pas pour la même durée, et toutes les situations n'ont pas la même sensibilité.
Il nous faudra apporter un cadre à la fois structurant et protecteur pour les fonctionnaires de police, en laissant de la place à l'adaptation aux situations et à ce qui relève simplement du bon sens et du discernement.
On peut penser que l'ajout de nouvelles règles n'est pas forcément la meilleure parade contre ceux qui violent les règles.
Qui a demandé à M. Benalla d'être observateur le 1er mai sur cette manifestation ? Quel a été le motif invoqué par ce dernier pour être accrédité ? Vous pourriez peut-être avoir ce renseignement dans le cadre de l'enquête. M. le directeur général de la police nationale, que j'ai interrogé, n'était pas au courant.
Ce sont l'enquête judiciaire et l'enquête administrative qui y répondront bien.
Les demandes s'effectuent de gré à gré, ce qui n'est pas complètement incompréhensible. D'après les éléments fournis à l'occasion de l'enquête administrative, la demande est formulée par M. Benalla qui souhaite être observateur. Les versions sont ensuite différentes. Concernant les autorisations, certains ont pu croire que des accords avaient été donnés, alors qu'ils ne l'avaient pas été ou pas au bon niveau hiérarchique.
Il est tout à fait normal que le directeur général de la police nationale ne vous ait pas répondu sur ce point : il n'est pas préfet de police et n'est donc pas compétent, au sens juridique du terme.
Je voudrais d'abord vous remercier de la clarté de vos propos.
L'IGPN a été saisie, car des vidéos sont remontées. Vos services pensaient avoir affaire à un policier en exercice dont les gestes techniques n'étaient pas très professionnels. Or il ne s'est rien passé. Vos services n'ont pas cherché à identifier cette personne pour lui indiquer que ses gestes étaient mal maîtrisés et qu'elle devrait peut-être retourner en formation ? En mai, pour vous, il n'était pas nécessaire d'aller plus loin ?
Notre collègue s'étonne que les violences commises, qui ne pourraient pas relever d'un professionnel, n'aient pas immédiatement entrainé de réaction de votre part, et que la seule justification de la saisine de l'IGPN soit le fait qu'il ne s'agissait pas d'un fonctionnaire de police.
Le sujet, ce n'est pas la violence ; c'est l'usage de la force dans des conditions légales de maintien de l'ordre. Juridiquement, l'usage de la force est légitime. L'usage de la force étant légitime pour les forces de police, nous avons simplement observé que les GTPI n'étaient pas très bien maîtrisés. Mais nous n'avions ni blessure, ni plainte, ni élément supplémentaire.
Nous ne considérons pas l'usage de la force illégitime par nature. Au contraire : pour les services de police, il est légitime par nature. Voilà quelque temps, lors d'une émission sur France Culture, une petite fille m'a demandé si les policiers avaient le droit de taper les gens ; je lui ai répondu « oui » ; l'usage de la force est justement la prérogative de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des forces de sécurité.
« Mais pas n'importe comment », ai-je effectivement aussitôt ajouté. Cela doit se faire dans des conditions légales et l'usage de la force doit être proportionné. En l'occurrence, il n'y a pas eu de blessure.
Le 1er mai, il y a eu 300 interpellations. Nous n'avions pas de témoin direct ; nous avions juste une personne qui avait envoyé la vidéo. Celle-ci a été visionnée par trois personnes entre le 5 mai et le 7 mai, qui ont constaté que les GTPI étaient mal maîtrisés. Faute d'élément complémentaire, l'affaire a été mise de côté car nous savons d'expérience que des éléments complémentaires peuvent venir avec le temps. Ainsi, lors des manifestations contre la loi « Travail », où nous avons mené près de 150 enquêtes, nous avons reçu certaines plaintes huit mois à neuf mois après les faits ! Nous savions donc très bien que si quelqu'un voulait déposer plainte, il pourrait le faire dans les mois qui suivraient. À la plateforme, nous gardons les signalements pendant un an, ce qui laisse du temps.
Dans la fonction que vous exercez, vous avez une responsabilité éminente s'agissant de la déontologie de la police nationale. Compte tenu des informations dont disposait la haute hiérarchie du ministère de l'intérieur, notamment le ministre de l'intérieur lui-même, le directeur de cabinet et le préfet de police, depuis le 2 mai, trouvez-vous normal que l'IGPN n'ait pas été saisie ?
Il faut se replacer dans le contexte : ne refaisons pas l'histoire quand on en connaît la fin. Mon sujet est de savoir si les bonnes décisions ont été prises dans les circonstances de l'époque, compte tenu des informations qui étaient alors disponibles. C'est assez compliqué ; je n'ai pas de réponse à formuler. L'enquête nous apportera sans doute des éléments.
Les rapporteurs que vous avez désignés se poseront-ils la question de la déontologie et y apporteront-ils des réponses ?
Le rapport demandé par le ministre de l'intérieur ne porte pas sur ce sujet.
Je vous remercie beaucoup de la clarté de vos réponses, qui ont éclairé la commission des lois.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. le préfet de police. Monsieur le préfet de police, je vous rappelle que notre commission est dotée des prérogatives d'une commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Delpuech prête serment.
Comme le doit tout représentant de l'État sur le territoire, je salue les représentants de la Nation que vous êtes. Le courrier que vous m'avez adressé m'a exposé le cadre juridique dans lequel intervient mon audition devant votre commission disposant des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.
Accompagné de mon collaborateur au cabinet le commissaire principal Jérôme Mazzariol et du directeur adjoint des ressources humaines de la préfecture de police, l'inspecteur général Jérôme Foucaud, je m'efforcerai de répondre à votre attente, en faisant un cadrage sur les modalités générales de l'accueil d'observateurs à la préfecture de police, avant d'aborder l'épisode du 1er mai, qui a justifié votre initiative.
Nous sommes très régulièrement sollicités pour recevoir au sein de nos directions des personnes extérieures à l'institution. À ces demandes, qui correspondent à des objectifs de formation, d'information, de connaissances, répond notre volonté de transparence et de renforcement du lien entre police et population, auquel je suis attaché. Par principe, la préfecture de police accueille ces demandes et fait tout pour les honorer. Le refus reste très exceptionnel. C'est une logique d'ouverture qui prévaut.
Au titre des besoins de formation, depuis le début de l'année, nous avons accueilli 700 collégiens, lycéens et étudiants. Mais nous accueillons aussi des auditeurs de justice, les stagiaires de l'Institut national des hautes études de sécurité et de justice, des policiers auditeurs étrangers, des cadres de santé, dont les médecins urgentistes, des policiers municipaux, des élèves de grandes écoles, comme Polytechnique, ou des instituts régionaux d'administration, des fonctionnaires de l'éducation nationale. Au sein de la direction régionale de la police judiciaire de Paris, nous accueillons des auditeurs de justice de l'École nationale de la magistrature.
Je signale également une particularité : la cellule Synapse de la direction de l'ordre public et de la circulation est une cellule de réflexion et de prospective sur le thème du maintien de l'ordre public. Comment évoluent les techniques ? Le cadre juridique, le cadre technologique ? Nous avons un partenariat avec le master Sécurité et Défense de Sciences-Po Paris ; chaque semaine, trois étudiants sont associés à la fois à un travail d'état-major et à des actions de terrain.
Les besoins d'informations concernent des journalistes. Mon cabinet comprend un important service de communication, dirigé par une commissaire divisionnaire de la police nationale. Les journalistes sont demandeurs de reportages d'immersion au sein d'unités telles que la brigade de recherche et d'intervention, la BRI, ou la brigade anti-criminalité, la BAC, - ils recherchent des images un peu accrocheuses. Depuis le début de l'année 2018, soixante-trois délégations de presse ont été accueillies, appartenant pour l'essentiel à la presse télévisuelle.
Enfin, au titre du partenariat entre la police et la population, les publics sont divers : élus, fonctionnaires...
Le directeur général de la police nationale (DGPN) nous a décrit tout cela par le menu.
Nous accueillons aussi des représentants d'institutions. Ainsi, les délégués du Défenseur des droits sont présents sur certaines opérations, comme lors de l'évacuation du campement du Millénaire.
Les activités auxquelles ces personnes assistent ou participent sont de deux ordres : observation et découverte au sein des locaux policiers ; présence sur la voie publique pour l'observation de missions opérationnelles. Il s'agit souvent d'accompagner une patrouille ou unité d'intervention de police. Les brigades anti-criminalité de nuit, où les observateurs peuvent se trouver à bord des véhicules de police, sont très demandées ! Il y a aussi des demandes pour assister à un service d'ordre public.
Par exemple, j'ai demandé à un cabinet d'audit de nous aider dans l'appropriation des Néo - smartphones qu'utilisent les policiers de terrain pour accéder aux fichiers. Ces appareils sont en train de bouleverser l'activité locale. Ce cabinet, qui a travaillé auprès de la police métropolitaine de Manchester, se trouve auprès de mes fonctionnaires pour observer sur le terrain comment ils utilisent cet outil.
Autre exemple : un chef d'entreprise de 44 ans, que nous connaissons déjà, souhaite accompagner le service d'ordre dimanche pour l'arrivée du Tour de France sur les Champs-Élysées. J'ai donné mon autorisation et il sera donc placé auprès d'un contrôleur général.
Le cabinet est systématiquement sollicité lorsque la demande émane de journalistes. Les observateurs sont accueillis par une autorité et pris en charge par un policier référent - dans un véhicule d'une BAC, le référent est le chef de bord. Sur le terrain, lorsque le fonctionnement des services le permet et si la mission le justifie, nous les équipons d'un gilet pare-balles, parfois d'un casque. Ils ne sont jamais armés ni dotés de radio et encore moins de brassards de police.
S'agissant du cadre juridique, nous avons signé 1 123 conventions en 2017 pour tout ce qui touche aux activités de formation des publics scolaires, les partenariats de formation que j'ai cités, l'accueil de stagiaires individuels.
Pour les reportages d'immersion des journalistes, nous avons mis en place une convention particulière leur rappelant le règles applicables - récemment, la Cour de cassation a frappé de nullité une procédure parce que l'interpellation avait été suivie par une équipe de télévision.
L'autorisation des observateurs doit être donnée au niveau pertinent. En ce qui concerne la préfecture de police, autorité territoriale déconcentrée de plus de 30 000 fonctionnaires sous l'autorité du préfet de police, toutes les décisions ne sont pas prises à mon niveau : les demandes de la presse sont gérées par mon cabinet et c'est moi qui donne l'accord (ou mon directeur de cabinet, en mon absence) ; les conventions de formation sont gérées par la direction des ressources humaines ; pour les autres observateurs, la gestion se fait au cas par cas, la validation étant toujours faite par un directeur, même si l'initiative peut être locale - par exemple, une demande d'un élu d'arrondissement parisien sera validée a priori par le commissaire d'arrondissement et confirmée par sa direction, qui m'en informera.
Ces personnes sont en mission d'observation et ne sont pas associées aux opérations de police. Se pose la question du cadre juridique. Il ne me semble pas que l'on puisse assimiler ces observateurs à des collaborateurs du service public.
C'est le coeur de la question. Nos investigations portent sur la manière dont des personnes peuvent être associées aux missions de la police ou de la gendarmerie sans en être membres. Par « peuvent être associées », il faut comprendre « peuvent participer ».
La question de la protection juridique de ces personnes mériterait sans doute d'être clarifiée. Il paraît difficile de solliciter la théorie du collaborateur du service public. Les observateurs ne sont aucunement associés à l'exécution d'actes de service public et n'ont pas à y prendre part.
Je ne reviens pas sur les circonstances du 1er mai, mais la journée a été extrêmement difficile, avec des phénomènes de violence jamais connus.
Dans la matinée du 2 mai, entre 10 heures et 10 h 15, j'ai reçu un appel téléphonique provenant du palais de l'Élysée, mon interlocuteur mentionnant une « affaire Benalla » et m'indiquant l'existence d'une vidéo. Je joins le cabinet du ministre de l'intérieur, qui m'indique être déjà informé et être en liaison avec l'Élysée. Mes collaborateurs et moi nous procurons cette vidéo, que nous regardons sur grand écran.
Après avoir prévenu le cabinet du ministre, je suis de nouveau en ligne avec le palais de l'Élysée pour expliquer ce que nous avons vu à l'écran. Il était clair pour moi que le dossier était pris en compte par l'autorité hiérarchique de M. Benalla, c'est-à-dire le directeur de cabinet de la présidence.
En interne, j'interroge immédiatement la direction de l'ordre public et de la circulation sur les raisons de la présence de M. Benalla. Je m'étais étonné de le croiser la veille au soir dans la salle de commandement, où j'avais accueilli le ministre : « J'étais sur le terrain », m'avait-il alors répondu.
Immédiatement, le directeur de l'ordre public et de la circulation me dit qu'il n'était pas informé de sa présence ce jour-là dans nos rangs. Son enquête interne fait apparaître que la venue de M. Benalla a été organisée au niveau du contrôleur général, chef d'état-major adjoint, M. Simonin. Autorisation ? Réponse à sollicitation ? Je ne sais pas, les enquêtes judiciaires le diront peut-être.
Comme l'a dit mon collègue et ami Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, il a autorisé M. Benalla à se rendre le 1er mai sur le territoire de la préfecture de police. Sa venue a été organisée par un contrôleur général de la préfecture de police, le directeur et le directeur adjoint de l'ordre public n'en étant pas informés, le préfet de police encore moins.
J'ai précisé l'enchaînement de ces informations successives. À ce stade, je ne peux en dire plus.
Beaucoup d'informations ont été données sur le moment précis où vous-même ainsi que le directeur de cabinet du ministre, le ministre et le directeur de cabinet du Président de la République avez été informés de la participation de M. Benalla à une opération de maintien de l'ordre pour laquelle il était illégitime qu'il apportât son concours. Dès le 2 mai, les hautes autorités que j'ai citées et dont vous faites partie échangent entre elles et décident de ne pas saisir l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et de ne pas faire usage de l'article 40 du code de procédure pénale. Est-ce une décision tacite ou une décision concertée ?
Il n'y a pas eu de décision en tant que telle. Le palais de l'Élysée m'a immédiatement indiqué qu'il prenait en compte le dossier, comme autorité responsable hiérarchique. Pour moi, c'est à ce niveau que cela devait se dérouler. Quant à l'appréciation sur les suites à donner, c'est l'autorité compétente qui décide.
Y a-t-il eu concertation ? Y a-t-il eu ordre de ne pas recourir à l'article 40 ? Sûrement pas ! Vous pouvez appeler cela une « décision tacite », mais il n'y a eu aucun échange sur ce thème.
Sur le fond, le directeur de cabinet du Président de la République s'est exprimé hier. Vous avez également pris connaissance de l'analyse de l'IGPN, qui a reçu la vidéo. Pour le préfet de police, la petite nuance supplémentaire, c'est que le débordement, la faute, le manquement, le dérapage personnel, qui seront examinés par les tribunaux de l'ordre judiciaire, sont le fait non pas d'un fonctionnaire de police, mais d'un collaborateur de la présidence de la République.
Nos amis de l'IGPN ne savaient pas qui apparaissait sur la vidéo. Pour ma part, seul, j'aurais été incapable de reconnaître M. Benalla ; à plusieurs, nous l'avons identifié.
Une précision : je ne saisis l'IGPN qu'au sujet des personnes placées sous mon autorité.
La veille du 19 juillet, nous avons été un certain nombre à être alertés sur le fait que Le Monde allait rendre publique la « vidéo Benalla ». J'alerte le directeur de l'ordre public, je refais le point avec lui le lendemain matin sur les faits du 1er mai place de la Contrescarpe. Le lendemain, un peu avant 14 heures, Alain Gibelin, directeur de l'ordre public, demande à me voir et me révèle que le commissaire Creusat lui a révélé avoir, avec deux autres collègues, récupéré des images filmées place de la Contrescarpe pour les transmettre à M. Benalla. S'agissant de fonctionnaires placés sous mon autorité, j'ai aussitôt consulté leur rapport écrit et préparé la transmission des données, dans le cadre de l'article 40, au procureur de la République François Molins, que j'ai personnellement appelé. Dans le même temps, j'ai eu un échange téléphonique avec le ministre de l'intérieur pour lui demander la suspension immédiate de ces trois fonctionnaires, laquelle est intervenue dans la soirée. C'était à moi, et à personne d'autre, de prendre cette initiative.
Les choses sont très claires pour le 19 juillet. Je reviens sur la journée du 2 mai. Il y a sans doute la faute du cadre dirigeant de la préfecture de police qui, en dehors de l'exercice de ses compétences et de la délégation dont il peut avoir bénéficié, a accordé la possibilité à M. Benalla d'être accompagné par un autre fonctionnaire pour assister aux opérations de maintien de l'ordre. Que seul le directeur de cabinet du Président de la République puisse infliger une sanction disciplinaire à M. Benalla, la cause est entendue, mais que M. Simonin - que vous visiez semble-t-il en parlant de « copinage malsain » - ne fasse pas l'objet de poursuites disciplinaires et que l'IGPN n'ait pas été saisie pose question du point de vue du bon fonctionnement de l'État.
Si la demande d'accueillir cet observateur m'avait bien été soumise, ce qui n'a pas été le cas, je ne l'aurais pas refusée. Si un collaborateur du chef de l'État, autorisé par sa hiérarchie, souhaite venir à la préfecture de police, je ne lui oppose pas un refus. J'aurais organisé son encadrement dans des conditions autres, en plaçant auprès de lui un cadre de plus haut niveau. Si M. Simonin a commis une faute, c'est en ne rendant pas compte à sa hiérarchie. Pour cela, il a fait l'objet d'une admonestation verbale de la part de son directeur. La faute n'est pas d'avoir accueilli M. Benalla, c'est d'avoir organisé cet accueil sans en informer son directeur ni le préfet de police. C'est pourquoi j'ai demandé au directeur de l'ordre public de faire à M. Simonin les représentations sévères sous forme d'admonestation. Sur un terrain disciplinaire, on ne pouvait aller au-delà.
J'ai été sans faiblesse le 19 juillet. Ce qu'il a fait le 18 juillet au soir avec deux autres collègues concernant la transmission des vidéos, c'est une grave faute. Mais celle-ci n'enlève rien à ses mérites par ailleurs. C'est un peu comme un grand footballeur, qui peut marquer trois buts lors d'un match et, deux mois après, commettre une action dramatique. Souvenez-vous du printemps que nous avons vécu, avec les interventions en milieu universitaire, l'évacuation de la Sorbonne, qui se sont déroulées sans difficulté et sans violence et n'ont fait l'objet d'aucune plainte. Concernant l'évacuation de Tolbiac, on ne voulait pas me croire quand j'indiquais dans un communiqué que tout s'était bien passé. C'est le contrôleur général Simonin qui commandait les troupes. Je ne peux donc nier les mérites de ce professionnel aguerri, tout en soulignant la gravité de sa faute. J'ai effectivement évoqué le « copinage malsain », qui fait oublier les règles hiérarchiques et les principes. On verra ce qu'en dit la justice. Mais, je le répète, concernant l'accueil de cet observateur, je ne pouvais faire plus que demander au directeur de l'ordre public de lui adresser une admonestation verbale.
Monsieur le préfet, nous connaissons votre professionnalisme, celui de vos collègues, nous ne méconnaissons pas la dureté de la tâche, notamment au cours d'une journée comme celle du 1er mai.
Ma première question porte sur le port d'arme de M. Benalla. Vous avez indiqué devant la commission des lois de l'Assemblée nationale lui avoir accordé un permis de port d'arme en octobre 2017, alors, je vous cite, qu'il ne remplissait pas les conditions réglementaires pour disposer d'une arme. Le directeur de cabinet du Président de la République a déclaré devant l'Assemblée nationale qu'il vous avait demandé lui-même qu'un permis soit délivré à M. Benalla, sous réserve que cette autorisation puisse être accordée « dans le strict respect des textes ». Or cette autorisation n'a pas été accordée dans le strict respect des textes...
Ce que vous me faites dire n'est pas conforme à ce que j'ai déclaré. Le cadre juridique du port d'arme est assez complexe. Il existe deux régimes très différents, ce qui induit parfois des confusions.
Le premier régime juridique du port d'arme relève de la compétence du ministre de l'intérieur. Aux termes de l'article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure, « le ministre de l'intérieur peut autoriser par arrêté toute personne exposée à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie, sur sa demande, à transporter une arme de poing [...] ». La demande de M. Benalla sur ce fondement, dont je n'avais pas à avoir connaissance, a été refusée parce qu'il a été estimé, à mon avis à juste titre, que M. Benalla n'était pas exposé à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie.
Celui-ci a ensuite déposé auprès de l'autorité préfectorale une demande sur un autre fondement, en tant que fonctionnaire ou agent des administrations publiques exposé par ses fonctions à des risques d'agression. Patrick Strzoda, à l'Élysée, a relayé la demande au regard des fonctions qu'exerçait M. Benalla. Ce cadre juridique n'a donc rien à voir avec le port d'arme pour risques exceptionnels d'atteinte à la vie. J'ai donné l'autorisation, dans ce cadre, après l'instruction habituelle et en recueillant le casier B2 et tous les éléments nécessaires.
Seule nuance, un arrêté ministériel définit les services ou catégories de services désignant ou accueillant les fonctionnaires et agents pouvant être ainsi armés. La situation était particulière puisque l'Élysée ne figure pas dans ces catégories de services. Mais la demande étant formulée au titre des fonctions assurées par M. Benalla à l'Élysée, oui, j'ai accepté de délivrer le permis, dans ce cadre.
J'insiste sur ce point : ma décision ne s'est pas substituée à la précédente. Je connais des cas où une autorisation a été accordée sur le fondement des risques exceptionnels d'atteinte à la vie alors que ce n'était pas avéré. J'ai donc assumé ma compétence préfectorale, c'est mon devoir, et lorsque la mission de M. Benalla a cessé, j'ai immédiatement abrogé l'autorisation. Elle était strictement et uniquement liée à ses fonctions. C'est pourquoi, s'il portait son arme place de la Contrescarpe, il était en faute puisqu'il était en jour de congé. Sur les images, il ne semble pas avoir vu d'arme, mais ce n'est pas à moi d'apprécier, c'est au juge. Il en va de même pour les transporteurs de fonds : le port d'arme est lié à l'exercice de leurs fonctions.
J'ai pris cette décision au regard de ses fonctions à l'Élysée, telles qu'elles m'ont été rapportées, même si l'Élysée n'est pas cité dans l'arrêté ministériel, ce qui n'est pas étonnant. En revanche, mon collègue et ami Patrick Strzoda m'a transmis cette demande en précisant que la procédure devait se faire dans le respect des textes.
Un fonctionnaire de police, un gendarme porte une arme et peut en faire usage. Mais il a suivi un entraînement, il fait l'objet d'une évaluation et suit une formation aux conditions de l'usage de cette arme. Avez-vous veillé à ce que ces trois conditions soient remplies s'agissant de M. Benalla ?
Elles ont été remplies : licence fédérale de tir, carnet de tir mentionnant les trois tirs de contrôle annuel, etc. Tout a été vérifié.
Et la conformité aux règles d'usage d'une arme pour assurer la protection du Président de la République ?
C'est la mission qui lui a été confiée, et ce n'est pas moi qui la lui ai confiée.
Le port d'arme n'est pas seulement une affaire privée quand il s'agit d'un collaborateur du Président de la République qui occupe une fonction de garde du corps. Il est inquiétant de savoir que, à la demande de la présidence de la République, on délivre un permis de port d'arme, même à quelqu'un qui est entraîné. L'usage d'une arme pour protéger le Président de la République ne peut pas être laissé à l'improvisation. M. Benalla a-t-il reçu une formation sur les conditions dans lesquelles il peut faire usage d'une arme pour protéger une haute personnalité ?
Oui, il avait l'attestation de formation continue délivrée par un major de police de la cellule formation du GSPR. Et toutes les autres conditions étaient remplies - notamment l'absence de mention au casier B2 ou au fichier TAJ, ou traitement d'antécédents judiciaires. L'enquête de moralité disait que rien ne s'y opposait. L'affaire judiciaire le concernant s'est soldée par une relaxe.
Finalement, le 2 mai, c'est l'Élysée qui a donné les informations à la fois au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris. Il peut apparaître étonnant qu'aucune information ne vienne de vos services, compte tenu de la gravité des faits. Deux observateurs sont placés sous l'autorité de quelqu'un qui les contrôle, il y a des policiers, des CRS, qui restent statiques - pour des raisons de commandement que l'on nous a exposées. Dans le moment précis qui nous occupe, seules ces deux personnes font usage de force, ce qui, en l'espèce, peut être légitime : mais ces deux personnes ne sont pas membres de la police nationale. Comment admettre que le commandant des policiers présents sur place, devant la singularité de cet acte, ne fasse pas état de ce qui s'est passé auprès de l'ensemble de la chaîne hiérarchique et dans le plus bref délai auprès du préfet de police de Paris ? Cela peut apparaître comme extrêmement singulier et choquant.
Je n'ai eu aucun compte rendu de ce type. L'opération de police place de la Contrescarpe s'est poursuivie, mais M. Benalla n'y était plus. Encore une fois, c'est en découvrant les images, et parce que nous avons été alertés par l'Élysée, que nous avons pris connaissance des faits.
Sur le fond, s'agissant des fonctionnaires de la préfecture de police, il y a deux situations différentes. Le commissaire Creusat est sur place, mais pas en raison de la présence de M. Benalla. Il ne sait pas, et je n'ai aucune raison de penser le contraire, si M. Benalla se trouve là ou ailleurs. Il n'était pas chargé de s'en occuper. Il dirigeait une unité de CRS, la CRS 15, qui a d'abord travaillé sur le secteur de la place Valhubert, au bas du boulevard de l'Hôpital, avant de se projeter dans le Quartier latin, puisque nous savions qu'il pouvait y avoir de l'agitation à l'issue de la manifestation, dont le parcours allait de la place d'Italie au Quartier latin. La veille, nous étions intervenus à la faculté de Censier, parce que nous pensions qu'il pouvait y avoir des engins explosifs.
Le commissaire Creusat se projette dans le Quartier latin pour gérer la situation place de la Contrescarpe, avec la présence de militants qui s'étaient réunis sur la place, d'autres qui voulaient y accéder par les rues adjacentes. Sa mission était de les en empêcher.
Il y a le rôle d'un fonctionnaire de police, le major Mizerski, qui avait été désigné par M. Simonin pour être auprès de M. Benalla. Qu'aurait-il pu faire ? A-t-il rendu compte à sa hiérarchie immédiate ? Sans doute, mais uniquement par oral - je n'ai pas eu de de papier. Pour ma part j'aurais placé auprès de M. Benalla un responsable hiérarchique d'un autre niveau, ce qui aurait changé la relation.
Ce major est un homme de 61 ans. Il est donc en fin de carrière et a atteint le grade sommital. Terriblement éprouvé par un drame familial, il y a une dizaine d'années, il finit sa reconstruction. Il ne faut pas voir M. Benalla comme on le voit aujourd'hui, mais avec l'aura qui était la sienne le 1er mai, pour apprécier la capacité réelle du major à lui donner des instructions.
Je suis originaire d'un milieu très simple et je connais ces choses-là. On n'est pas dans la théorie, on est dans la vie vraie, avec les sentiments, avec les relations. Je rends hommage à ce major parce qu'il est victime quelque part, parce qu'il va être interrogé dans le cadre de l'enquête judiciaire, ce qui est normal. Il se trouve là parce qu'on lui a dit d'y aller, comme le soldat de l'Évangile. À mes yeux, il n'a pas de responsabilité, et je tiens à le saluer, surtout compte tenu de son parcours.
Que ce soit clair : ici, nous n'incriminons pas des personnes, nous ne sommes pas une sorte de tribunal bis, nous voulons établir la vérité. Je suis particulièrement sensible à ce que vous venez dire sur ce major. L'explication que vous donnez est inspirée d'une connaissance des réalités humaines que je partage. C'est comme un accident d'avion : toute une série de crans d'arrêt n'ont pas fonctionné, et ce fonctionnaire de police très respectable, dont vous avez décrit les difficultés, est en réalité une victime dans cette affaire.
C'est la raison pour laquelle nous cherchons à établir des dysfonctionnements qui sont exactement ceux que vous décrivez en creux : un collaborateur du Président de la République, avec un grand sentiment d'impunité, détenteur d'une carte barrée de bleu, de blanc et de rouge, croit pouvoir prendre la place des fonctionnaires de police ou de gendarmerie qui assurent une opération de maintien de l'ordre. Et ce, en abusant de l'autorité qu'il exerce naturellement auprès de fonctionnaires de rang modeste. C'est ce qui est le plus intolérable du point de vue non seulement de l'État de droit, mais du respect des valeurs de la République et c'est ce qui a fondé la décision unanime du Sénat de donner à la commission des lois les pouvoirs d'une commission d'enquête. Comment, dans notre République, en arrive-t-on à ce genre de situation dans laquelle tout le monde s'incline, sans pouvoir empêcher ces excès de pouvoir ?
Je partage votre sentiment, moi qui ai découvert les faits avec stupeur, étonnement. Tout le monde connaît mon attachement au respect de la loi, au respect du service de la République, qui est aussi celui de l'immense majorité de mes collègues. J'aime que les institutions fonctionnent comme elles doivent fonctionner. Encore une fois, ce n'est pas moi qui ai imposé cette présence. C'est un interlocuteur qui, par ailleurs, a eu des qualités, même si je ne peux pas les apprécier, puisque ce n'est pas mon collaborateur. Je n'adopte pas une posture de justicier : il est tellement facile, surtout quand l'histoire est passée, de la réécrire. Il faut également entendre les personnes, ce que fera la justice.
Il y a une donnée institutionnelle, avec le mandat confié à ce monsieur. Mais, ce jour-là, il n'était pas présent dans le cadre de ses missions, il était là comme observateur. La faute, c'est la sienne, c'est un manquement individuel avec toutes ses conséquences. Ce n'est pas le fait d'être présent qui est une faute, le fait d'être accueilli à la préfecture de police à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre, accueillir un collaborateur du Président de la République, ce n'est pas une faute ; la faute, c'est le comportement de cette personne sur le terrain.
Je partage bien sûr tout ce que vous dites sur le respect des personnes.
Il se trouve qu'après cet acte, cette faute inadmissible de M. Benalla, le directeur de cabinet du Président de la République décide de le mettre à pied pendant quinze jours. Le porte-parole de l'Élysée dit, et vous le savez, qu'il sera démis de ses fonctions en matière de sécurité et de protection au terme de ces quinze jours. Devant un tel fait, le bon sens est d'exfiltrer le personnage et de lui infliger une sanction.
Après ces quinze jours, je pensais qu'il serait chargé d'une tâche administrative. Là où il y a un problème, que vous ne pouvez pas ignorer, c'est qu'il se retrouve en première ligne au Panthéon, le 14 juillet, lors de l'équipe de France de football - en expliquant d'ailleurs dans ce dernier cas que l'autocar doit passer vite, même si des personnes par milliers ont attendu ce moment pendant quatre heures, parce que c'est lui qui donne les instructions.
En tant que préfet de police responsable de la police, quelle est votre réaction ? Vous ne pouvez pas ignorer qu'il continue comme avant, alors qu'il a été démis de ses fonctions en matière de sécurité.
Je ne peux pas répondre à une partie de votre question, qui doit être posée aux autorités de l'Élysée.
Sur la cérémonie du Panthéon, Patrick Strzoda a bien expliqué les choses hier : des missions du type accueil et placement dans les tribunes des visiteurs n'ont pas grand-chose à voir avec des tâches de sécurité. Ces tâches sont parfaitement légitimes et ne me choquent pas, parce qu'elles sont absolument nécessaires. Cela n'a rien à voir avec la sécurité rapprochée du Président de la République, c'est veiller au bon ordre de la cérémonie.
En ce qui concerne le 14 juillet, c'est la même chose. J'ai entendu les déclarations de Patrick Strzoda : l'accueil des invités du Président de la République sur la tribune qui leur est dédiée place de la Concorde au bas des Champs-Élysées n'est pas une mission de sécurité.
Quant à l'épisode que j'ai vécu le plus directement, c'est-à-dire le retour des Bleus, je ne sais si M. Benalla a donné des ordres au chauffeur de l'autobus, mais je peux vous dire que c'est le préfet de police que je suis qui a donné les ordres aux fonctionnaires de police, et personne d'autre. Et quand on me connaît, on peut me croire.
La vidéo des faits qui se sont déroulés le 1er mai a été remise à l'IGPN par un internaute anonyme, sans que celle-ci identifie la personne visible sur cette vidéo. Il n'y a pas eu de suite immédiate, nous a expliqué la directrice de l'IGPN. En revanche, lorsque la question lui a été posée de savoir quelle aurait été la marche à suivre si l'identité de l'auteur des faits avait été connue, c'est-à-dire si on avait su qu'il s'agissait d'un observateur, elle a très clairement répondu qu'il aurait fallu mettre en oeuvre une enquête administrative et une enquête judiciaire. Cette perception a été confirmée, en des termes différents, par M. Morvan, directeur général de la police nationale, qui a lui-même indiqué que l'illégitimité de l'intervention aurait justifié une enquête, expliquant qu'il en avait eu connaissance le 18 juillet.
Vous-même avez appris l'identité de l'intervenant, M. Benalla, le 2 mai. Le ministre de l'intérieur, son cabinet, en ont eu connaissance. Pour autant, aucun de vous n'a songé à diligenter une enquête administrative ou une enquête judiciaire. L'aura de M. Benalla, dont nous parlions tout à l'heure, qui a pu impressionner le major Mizerski, liée à son appartenance au cabinet de l'Élysée, a-t-elle pu également influencer votre décision de ne pas mettre en oeuvre une enquête administrative ou une enquête judiciaire ?
Ce n'est pas son aura qui joue, c'est son positionnement et son autorité hiérarchique.
J'ai répondu à la première question. La vidéo confirme bien que c'est M. Benalla qui se trouve là ; c'est un collaborateur de l'Élysée, et c'est cette instance hiérarchique qui prend le dossier en main. Voilà la vérité. Rien de plus, rien de moins. Pour moi, ce n'est pas un problème d'aura, c'est simplement le positionnement hiérarchique de cet homme.
Tout à l'heure, monsieur le président, vous m'avez demandé s'il y avait eu des échanges, une décision expresse, une décision tacite. J'ai parlé d'une décision tacite, parce que juridiquement, c'est ainsi qu'on peut la qualifier. Il était évident, en tout cas pour moi, que le responsable hiérarchique devait gérer le dossier et les suites à donner. Ce qui a été fait.
Ensuite, on peut estimer que tout cela a manqué de rigueur, de force. Il ne m'appartient pas de me prononcer. Je suis préfet. Je respecte, ne commente pas, n'approuve ni ne réprouve les décisions prises à ce niveau-là. C'est mon devoir, c'est mon métier. Si je faisais autrement, ce ne serait pas conforme à ma mission. Vous pouvez dire que ce n'était pas la bonne réaction, qu'il fallait aller plus loin. Le préfet de police, lui, se place sur le terrain institutionnel.
Si je comprends bien, parce que M. Benalla appartient au cabinet de l'Élysée, vous ne prenez pas d'initiative et laissez à l'Élysée le soin de trancher son sort et, éventuellement, de diligenter une enquête si cela est jugé judicieux ?
J'ai déjà répondu et je le redis pour être complètement clair : lorsque ce sont des fonctionnaires qui sont sous ma responsabilité, je prends l'initiative sans attendre que quelqu'un d'autre le fasse ; dans le cas de personnels qui sont sous la responsabilité d'une autre autorité hiérarchique, c'est à celle-ci d'intervenir. C'est très limpide. Hier encore, j'ai saisi l'IGPN pour un dossier dont j'ai eu connaissance. C'est ce que je fais quand je suis informé de risques de violences illégitimes notamment, mais pour les personnels qui sont sous mon autorité.
Monsieur le préfet, vous avez dit que c'était aux responsables hiérarchiques de suivre le dossier, de contrôler les sanctions. Très bien. Mais quand même, l'organisation de vos services, c'est vous. Or le 1er mai vous découvrez la présence de M. Benalla dans la salle de commandement, ce dont vous vous étonnez. Le lendemain, vous apprenez par l'Élysée qu'une vidéo circule qui révèle que quelqu'un, simplement parce qu'il a une carte de visite, peut aller jouer les cow-boys dans des opérations placées sous votre responsabilité. Qu'envisagez-vous pour faire en sorte que cette confusion des genres ne se reproduise plus ? Le président Bas a raison : il ne s'agit pas d'incriminer tel ou tel lampiste. Le problème, c'est l'angle institutionnel.
Je reviens sur les faits avant de répondre à votre question.
Je rappelle le contexte de l'épisode du 1er mai au soir. J'accueille M. le ministre d'État ; dans un premier temps, il vient à mon bureau, je fais un point sur la situation. À ce moment, 20 heures, la journée est loin d'être finie, puisque des interpellations ont eu lieu jusqu'à 23 heures - environ 280 en tout, 150 présentations à officier de police judiciaire, 109 gardes à vue, ce qui n'arrive pas souvent. En salle de commandement de la préfecture de police, dont nous faisons le tour, le ministre salue et remercie les fonctionnaires. Étant à ses côtés, je constate avec étonnement la présence, dans un angle, de M. Benalla, sans savoir qu'il était accueilli ce jour-là, puisque personne ne m'en avait parlé. Je lui dis : « Vous êtes là ? » Il me dit : « Oui, j'étais sur le terrain. ». Tout cela est très furtif. Je raccompagne le ministre et, à la suite d'un appel de son cabinet, j'organise le déplacement du Premier ministre à l'hôtel de police du 13e arrondissement, où je l'ai accueilli, avec le ministre d'État.
Le 2 mai au matin, j'étais à 7 heures 50 sur France Inter, et à 8 heures 20 sur BFM. Ensuite, je me suis rendu au ministère de l'intérieur, où il y avait une réunion d'état-major. Arrivé vers 9 heures, j'en suis parti vers 9 heures 45. C'est pendant ce trajet que je suis alerté sur le fait que circulerait une vidéo sur des violences policières. Et c'est à 10 heures 15, arrivé à mon bureau, que j'entends parler de « l'affaire Benalla », par l'Élysée. C'est là que je mets en oeuvre les mesures de réaction : j'ai immédiatement demandé des explications au directeur de l'ordre public, qui a découvert que l'autorisation avait été donnée à un niveau qui n'était pas pertinent. Les représentations ont été faites, sur la base du manquement à la loyauté envers la hiérarchie.
Je l'ai déjà expliqué : le fait d'accueillir une personnalité à la préfecture de police n'est pas en soi un problème. Le problème est que cela a été fait à un niveau non pertinent, puisque le directeur n'était pas informé.
C'est cette initiative entre copains qui a rendu les choses possibles. Vous savez ce que c'est ! C'est la vie ! Quand j'ai dénoncé des dérives individuelles sur fond de copinage malsain, c'est ce que je visais.
Inversement, comprenez bien que la proximité qui existe entre les équipes de l'Élysée, et notamment les équipes qui assurent la sécurité rapprochée du Président de la République, et les équipes de la préfecture de police est indispensable. Il y a besoin d'un climat de proximité et de confiance. Sur le territoire de Paris et de la petite couronne, la sécurité du Président de la République est placée sous ma responsabilité : les équipes de la DOPC assurent toutes ses escortes, y compris jusqu'à Villacoublay. Ce lien de travail entre M. Benalla et les équipes de la DOPC n'est pas scandaleux en soi. Le dérapage, c'est dans la manière de devenir à tu et à toi. Ce n'est pas à moi qu'il faut en faire le reproche ; c'est aux intéressés.
Pour revenir sur un point peut-être trop rapidement évoqué en introduction, je rappelle que des conventions encadrent l'accueil des scolaires et des universitaires et que nous avons mis en place des systèmes de convention pour les journalistes lorsqu'ils sont en immersion. Je suis convaincu que nous devons faire un effort pour mieux formaliser l'accueil des observateurs extérieurs, mais sans l'alourdir à l'excès : je ne demande pas que remonte jusqu'à moi toutes les demandes.
C'est votre conclusion. En tout cas, M. Benalla n'est pas mon collaborateur, ce n'est pas moi qui l'ai désigné. Posez les questions à qui vous devez les poser. Je peux répondre pour ce qui relève de mes compétences et de mes responsabilités.
Il est vrai que le positionnement de cette personne a neutralisé toute la chaîne des autorités constituées, qui auraient pu malgré tout enclencher l'article 40 du code de procédure pénale puisque vous même vous constatez le 2 mai qu'il porte un brassard « police », infraction caractérisée. Rien ne vous empêchait de porter ce fait à la connaissance du procureur de la République, lui-même étant juge de l'opportunité des poursuites.
Vous parlez de positionnement ; j'ai parlé de rattachement hiérarchique.
Une commission d'enquête n'empêche pas la convivialité ; aussi, je vous adresse toutes mes félicitations pour votre promotion au grade de commandeur de la Légion d'honneur le 14 juillet dernier. C'est la reconnaissance exprimée à un grand commis de l'État.
Monsieur le préfet, vous avez été nommé le 19 avril 2017. Donc, vous avez « pratiqué » régulièrement M. Benalla. En tout cas, vous saviez qu'il n'était pas policier. À votre place, hier soir, Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, nous a dit avoir toujours pensé que M. Benalla était policier, y compris dans le cadre des meetings électoraux du Président de la République. Quel est votre sentiment sur le fait qu'il ait pu y avoir un doute sur la non-qualification de ce jeune homme de 26 ans, même s'il est, nous l'avons appris plus tard, lieutenant-colonel de réserve de la gendarmerie ?
La vidéo reçue par l'IGPN le 2 mai sur la plateforme de signalement était-elle la même que celle que vous avez visionnée à l'occasion de votre échange avec l'Élysée ?
Sur la seconde question, je ne sais pas.
J'ai rencontré M. Benalla pour la première fois lors d'une réunion que j'ai présidée personnellement, le vendredi avant le second tour de l'élection présidentielle - je rappelle que j'ai pris mes fonctions le 18 avril au soir, au moment de l'assassinat de Xavier Jugelé. Assistaient en outre à cette réunion Jean-Marie Girier, que je connaissais déjà pour l'avoir rencontré à Lyon, et une ou deux autres personnes. Il s'agissait de veiller à la sécurité de la soirée du second tour, dont il y avait de bonnes raisons de penser que le candidat Emmanuel Macron sortirait vainqueur. M. Girier est passé un moment dans mon bureau pour discuter. Mais M. Benalla ne s'est jamais présenté comme policier et je n'ai jamais pensé qu'il l'était.
Mon service avait eu à gérer une autorisation de détention et de port d'arme qui lui avait été délivrée pour assurer la sécurité des locaux du siège d'En Marche, autorisation devenue caduque le 20 juin 2017. Mes services connaissaient donc très bien la situation de M. Benalla. Ensuite, je ne l'ai pas vu très souvent : à l'occasion de déplacements du Président de la République sur le territoire parisien, peut-être à la cérémonie du 11 novembre 2017, et pendant la visite du Président de la République au salon de l'agriculture, où je suis resté toute la journée pour veiller au bon déroulement des choses. M. Benalla était au côté du Président de la République dans le rôle qui était le sien, ni plus ni moins. Pour moi, c'était un collaborateur à qui des missions avaient été confiées, y compris par le biais de la sollicitation d'une autorisation de port d'arme à laquelle j'ai répondu favorablement, puisqu'elle entrait clairement dans le cadre de ses missions. Je peux vous assurer, par exemple, que je n'ai jamais eu son numéro de portable.
En revanche, il était un interlocuteur régulier de mes équipes. Quand le Président de la République se déplace dans Paris, des réunions se tiennent à l'Élysée, des visites de terrain sont organisées où se retrouvent des collaborateurs de la DOPC, souvent au niveau contrôleur général, et un de mes collaborateurs du cabinet, souvent Jérôme Mazzariol. Sauf cas exceptionnel, jamais le préfet de police ne participe à ces réunions. Autant des collaborateurs le voyaient très régulièrement, autant ce n'était pas le cas du préfet de police. Mon interlocuteur à l'Élysée, c'est le directeur du cabinet, son adjoint, et personne d'autre, sauf exception.
Vous connaissez M. Benalla puisque vous l'interpellez dans la salle de commandement. On peut s'étonner que vous, préfet de police, le connaissiez, mais on le comprend de mieux en mieux au fil des auditions : il participe à des réunions auxquelles il ne devrait pas participer, compte tenu de leur niveau. Avez-vous alerté avant le 1er mai le ministre de l'intérieur ou votre collègue et ami M. Strzoda sur la place que prenait M. Benalla ? Au fil des auditions, on apprend qu'il dérangeait vos équipes, allant même jusqu'à humilier des policiers notamment lors de déplacements présidentiels.
Qui, dans notre République, par le droit, mais aussi par l'usage, peut prévenir ce type de dérives ? N'avez-vous pas, en tant que préfet de police, un rôle à jouer à cet égard ?
Vous évoquez des réunions avec M. Benalla ; il y en a eu une l'avant-veille du second tour l'élection présidentielle. Ensuite, les contacts se font à un autre niveau. Et, je le répète, je rencontrais M. Benalla lors des déplacements du Président de la République sur le terrain - et le préfet de police n'assiste pas à tous ses déplacements au sein de sa zone de compétence. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, mes équipes travaillent avec les interlocuteurs qu'on leur présente. Ce n'est pas moi qui choisis les participants à une réunion. C'est l'Élysée qui désigne ses collaborateurs. Comme préfet de police, je n'ai eu aucune remontée de la part de mes services sur un comportement de M. Benalla qui aurait perturbé, mis en péril ou gêné le fonctionnement de notre institution, même si j'ai entendu cela ces jours-ci. J'aurais alerté le directeur de cabinet. Et je n'essaie pas d'embellir la réalité.
La vidéo qu'ont transmise les fonctionnaires à M. Benalla étaient-elles des copies, des originaux ? Est-on sûr d'en avoir récupéré la totalité ? Si tel n'était pas le cas, on pourrait avoir connaissance d'autres faits.
Une enquête judiciaire est en cours. Et vous savez que j'ai demandé au directeur de l'ordre public de saisir très vite l'autorité judiciaire sur ce fait. Je ne peux pas connaître le contenu des vidéos remises à M. Benalla, par construction. Le délai de conservation des images tirées de vidéoprotection est de 30 jours ; dans le cas présent, le délai était dépassé, il faudra comprendre pourquoi. Quand on photographie une manifestation, à ma connaissance, il n'y a aucune règle en ce qui concerne la durée de conservation. Idem pour les films réalisés caméra à l'épaule ou avec un portable. À plusieurs reprises, notamment le 4 juin de cette année encore, j'ai renouvelé à mes services les consignes du strict respect du cadre de droit. J'avais d'ailleurs déjà limité de façon générale l'accès aux images de vidéosurveillance. À l'occasion d'un drame, j'ai en effet découvert que de n'importe quel poste de salle de commandement de la préfecture de police, y compris en petite couronne, il était possible d'accéder à toutes les images de notre système vidéo. C'est sans doute ainsi que l'agression à coups de marteau d'un de nos fonctionnaires sur le parvis de Notre-Dame, en juin 2017, s'était retrouvée deux heures plus tard sur les écrans de télévision. J'ai saisi l'IGPN. Depuis lors, j'ai verrouillé le système pour que ne puissent avoir accès aux images que ceux du territoire concerné.
J'accueillerai avec beaucoup d'intérêt ce qui sort de l'enquête, à la fois sur le plan judiciaire et sur le plan administratif, mais des questions devront être posées pour en tirer toutes les conséquences.
Les syndicats de police nous ont fait part de grandes tensions entre le GSPR et d'autres personnes chargées de la sécurité du Président de la République. Vous-même étant directement responsable sur la région parisienne, avez-vous senti ces tensions au cours des derniers mois ?
On parle de cette réunion en salle d'information et de contrôle de la préfecture de police le 1er mai. Avez-vous un système vous permettant de suivre les entrées et sorties de la salle de commandement et de la préfecture de police ? Cela vous permettrait de nous dire à quel moment M. Benalla est venu rencontrer quelqu'un à la préfecture de police au cours des derniers mois.
Nos auditions permettent de faire émerger les sentiments dont sont porteurs un certain nombre de policiers à travers leurs organisations syndicales. Il est vraisemblable que personne ne se soit plaint jusqu'à ce que l'affaire Benalla éclate, mais il semblerait qu'aujourd'hui, les langues se délient. Certains des représentants syndicaux de la police ont parlé de la terreur - le mot, employé à deux reprises, est certainement excessif - qu'exerçait M. Benalla sur des agents placés sous votre autorité. Si vous n'en avez pas encore entendu parler, vous en entendrez certainement parler.
Chacun, depuis le début de nos auditions, fait une lecture erronée de l'article 40 en restreignant son champ aux personnes placées sous l'autorité hiérarchique. Ce n'est pas le cas, puisque la seule condition, c'est d'avoir connaissance des faits dans l'exercice des fonctions. Nulle part il n'est précisé que cela doit concerner des subordonnés hiérarchiques.
Vous êtes-vous entretenu avec votre collègue de la DGPN, avec le ministre ou avec votre collègue directeur de cabinet du Président de la République, entre le 2 mai et le 18 juillet, des faits concernant M. Benalla - faits dont, vous au moins, vous ne contestez pas avoir eu connaissance, contrairement au ministre ou au DGPN qui ont dit les avoir découverts à la lecture du Monde ?
Avez-vous depuis lors demandé à vos services de regarder si d'autres faits analogues pouvaient être reprochés à M. Benalla ?
Tout le monde s'accorde à dire que la protection du Président de la République relève des fonctionnaires de police et des militaires. Ma question porte sur la demande d'autorisation de port d'arme de M. Benalla : avez-vous connaissance d'un précédent où un collaborateur aurait demandé au préfet de police une autorisation de port d'arme ? Dans la négative, la démarche pouvait sembler sans doute un peu incongrue. Auriez-vous dû en informer le ministre de l'intérieur, ce qui aurait constitué une première alerte sur comportement quelque peu transgressif ?
Vous avez déjà répondu à ma question, qui porte sur les graves dérives comportementales de M. Benalla qui nous ont été signalées hier. Effectivement, le mot « terreur » a été employé à plusieurs reprises. Vos directeurs ou vous-même avez-vous eu vent de ces dérives comportementales ?
Et ces derniers jours, vous avez vous-même sollicité des informations sur ce point, puisque qu'on commence à en parler. Ce serait utile de le vérifier.
Nous sommes, théoriquement, dans une République « exemplaire » et je suis surpris d'apprendre qu'un jeune homme de vingt-six ans, sans aucune formation particulière ni aucune expérience professionnelle, si ce n'est celle d'avoir assuré la sécurité dans des boîtes de nuit, a le grade de lieutenant-colonel.
Vous avez parlé de « copinage malsain » en visant certains de vos fonctionnaires. Je crois que ce copinage malsain se trouve plutôt chez ceux qui ont nommé quelqu'un n'ayant ni les compétences ni l'âge pour être lieutenant-colonel à des fonctions qu'atteignent des personnes qui ont quarante ou cinquante ans, anciens élèves de Saint-Cyr ou d'une grande école et qui ont fait valoir leur expérience professionnelle. Ce monsieur doit avoir des réseaux d'influence et un poids énorme.
Je suis un peu surpris que l'on reporte directement ou indirectement certaines responsabilités sur des fonctionnaires. Soyons clairs, quand on a été fonctionnaire, on le sait très bien : si quelqu'un de l'Élysée arrive en roulant des mécaniques, on ne peut qu'obtempérer à ses instructions. Comment reprocher à des fonctionnaires d'avoir obéi et de s'être laissé faire ?
La directrice de l'IGPN nous a dit que les violences à l'origine de l'affaire étaient très légères. Tout ce que l'on fait à l'encontre des fonctionnaires aurait-il été fait s'il n'y avait pas eu ce contexte politique, si M. Benalla, par ses exactions et son comportement, n'avait pas enclenché cette affaire, qui devient une affaire d'État ? Ces fonctionnaires n'y sont pratiquement pour rien... mais ils seront les lampistes de cette affaire. Les vrais responsables, pourtant, ce sont ceux qui ont nommé M. Benalla.
Entre « les langues se délient » ou « nous avons été terrorisés » et « je n'ai aucune remontée de mes services », il y a un fossé énorme qui suscite des questions sur l'organisation du ministère de l'intérieur et sur la capacité d'échanges dans vos services.
Je vais tâcher de couvrir le champ de toutes les questions.
Vous vous étonnez que l'on reporte la responsabilité sur des fonctionnaires ; je suis là pour les protéger, et je m'étonne comme vous. J'ai évoqué, dans les termes que vous avez entendus, le cas du major qui était sur place. Ce que nous avons pu entendre hier soir répond à ce souci que vous exprimez. Pour les fonctionnaires, ce sont des moments difficiles ; ils ont le sentiment d'être mis en cause pour des circonstances dans lesquelles leur part réelle de responsabilité d'initiative n'est sûrement pas en cause, en tout cas pour une grande majorité d'entre eux. Je ne peux qu'aller dans votre sens.
J'ai évoqué un copinage malsain ; il s'agit de cette proximité absolument indispensable, mais qui peut dériver. Je l'ai qualifiée comme telle ; cela a été repris par le Premier ministre à l'Assemblée nationale, je ne retire rien, mais cela vise cet aspect.
J'en arrive aux remontées d'informations et aux déclarations des syndicats. Je vois très souvent les syndicats de police, mes collaborateurs aussi - le préfet secrétaire général pour l'administration, l'adjoint du directeur régional, l'inspecteur général Foucaud, dont c'est le champ d'activité -, et je vous affirme que rien ne nous a jamais été indiqué. Je verrai bien ce qu'ils dénoncent. Qu'ils nous donnent des faits, je les prendrai en compte, au-delà des pétitions de principe : quand, où, comment, dans quelles circonstances ? Qu'on me le dise, et j'examinerai ce qu'il y a derrière.
Y a-t-il eu un précédent sur la question du port d'arme ? À ma connaissance, non, mais, encore une fois, j'ai un élément de dossier. Nous avons obtenu de l'Élysée un document qui cadre bien la réalité de la mission confiée à M. Benalla. C'est sur le fondement de ce document, sans pression - je répète ce point et je confirme les propos de Patrick Strzoda -, que la décision a été prise. Il y a d'autres décisions ; j'ai ainsi appris, ces jours-ci, qu'une habilitation Secret défense lui avait été donnée, cette décision est bien antérieure à ces évènements. Je n'ai aucune idée sur ce sujet, mais je le signale.
L'article 40 du code de procédure pénale est très large ; il ne précise pas qui doit agir. Je crois avoir répondu sur ce point, je vous ai dit quelle avait été mon attitude, à partir du moment où le dossier était pris en charge. Le directeur de cabinet du Président de la République a indiqué que son appréciation ne l'avait pas conduit à considérer qu'il y avait matière à mettre en oeuvre les dispositions de cet article. Ensuite, chacun peut porter un jugement sur cette appréciation, mais, comme toujours, l'appréciation de l'autorité compétente est celle qui convient et, au demeurant, l'éclairage qu'a donné l'IGPN va plutôt dans ce sens.
Madame de La Gontrie, vous avez fait mention de l'article du journal Le Monde, je n'ai pas bien compris à quoi vous faisiez référence.
Je vous ai demandé si vous vous étiez entretenu avec le ministre, le DGPN ou le directeur de cabinet entre le 2 mai et le 18 juillet, puisque le ministre et le DGPN indiquent avoir appris ces opérations à la lecture du journal Le Monde.
Cela a peut-être été évoqué lors de réunions informelles avec le DGPN, je ne sais pas ; je réfère au ministre, je suis une autorité préfectorale. Le préfet de police, je le rappelle, est une autorité territoriale déconcentrée, ce n'est pas un troisième directeur général.
Non, nous ne nous voyons pas tous les jours.
Monsieur le préfet, ne vous laissez pas interpeller et poursuivez votre réponse.
Entre le 2 mai et le 18 juillet, nous en avons parlé de manière informelle, dans les jours qui ont suivi, oui. Je fais référence au cabinet du ministre et au cabinet de l'Élysée. En avons-nous reparlé ensuite ? Je dois à l'honnêteté de vous dire : non. Votre question trouve donc réponse.
Quant à la question sur d'éventuels faits analogues de participation à des manifestations, je l'ai indiqué, aucun fait n'a été porté à ma connaissance. Je l'ai dit plusieurs fois devant vous, je le confirme. Maintenant, s'il y en a, quelle que soit la source, qu'on me les expose.
Le GSPR ne relève absolument pas de ma compétence et de mon autorité. Je n'ai aucune idée de la manière dont les choses se passent en interne et je n'ai aucune qualité pour me prononcer à ce sujet. J'ai indiqué ce que sont les relations de travail normales entre les équipes de la préfecture de police et celles de l'Élysée.
Entre-t-on comme l'on veut dans la préfecture de police ? Si l'on est préfet de police, il faut être nommé par décret en conseil des ministres ; pour toutes les autres personnes, il faut bien évidemment une carte d'accès. On entre dans la préfecture de police en étant contrôlé et habilité ; cela va de soi. Comment, le 1er mai, M. Benalla est-il venu à la salle de commandement ? Je le rappelle, il a été accueilli, à un niveau non pertinent, certes, mais il a été accueilli - je ne dirai pas autre chose. Un major était auprès de lui, qui était habilité. Dans le cadre de cet accueil ainsi organisé, il l'a sans aucun doute guidé jusqu'à la salle de commandement. Voilà comment les choses ont pu se passer.
Merci de votre coopération.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 13 h 30, est reprise à 14 h 30.
Nous reprenons nos travaux sur l'affaire Benalla et recevons M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République. Après un propos liminaire, monsieur Strzoda, nous poserons nos questions. Je rappelle que notre commission est dotée des prérogatives d'une commission d'enquête. Un faux témoignage devant notre commission serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire la vérité, rien que la vérité.
Selon la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Strzoda prête serment.
Votre commission des lois a décidé de faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements. Le champ de votre enquête inclut les événements qui se sont déroulés le 1er mai dernier.
J'ai passé cette journée à mon bureau, pour travailler et pour suivre le déroulement des manifestations sur le territoire (notamment à Paris, où la manifestation était annoncée comme à haut risque), afin de pouvoir en informer le secrétaire général de l'Élysée et le chef de l'État en déplacement en Australie.
J'ai appris le 2 mai au matin que de nombreux incidents s'étaient produits, et qu'un chargé de mission des services de l'Élysée, du cabinet plus exactement, avait eu un comportement inapproprié et choquant. J'en ai pris connaissance en regardant une vidéo, qu'un collaborateur m'a montrée vers 9 heures 30, où l'on voyait à la fois des scènes d'affrontements violents, des poursuites entre des manifestants et forces de l'ordre, des jets de projectiles qui n'émanaient pas de ces dernières, tout cela dans une grande confusion. On voyait également une intervention de policiers, à laquelle participait une personne qui semblait être M. Benalla.
Je l'ai immédiatement convoqué et il m'a confirmé qu'il était présent sur les lieux ; il se reconnaissait sur la vidéo. Il voulait, m'a-t-il expliqué, aider des policiers pris à partie par des manifestants violents qui jetaient des projectiles. Je l'ai informé que cette participation à une opération de maintien de l'ordre n'entrait pas dans ses missions d'observateur, et que ce comportement inacceptable serait sanctionné comme faute. J'ai informé le secrétaire général de l'Élysée afin qu'à son tour il puisse informer le Président de la République, ce qu'il a fait lors de leur point quotidien.
Comme directeur des services de la présidence, j'ai pris une sanction : suspension de quinze jours sans traitement, c'est-à-dire mise à pied avec exclusion temporaire ; modification des missions, M. Benalla se voyant retirer sa participation à l'organisation des déplacements publics du Président de la République, ce qui est une rétrogradation ; enfin je précisais dans mon courrier de notification du 3 mai à l'intéressé que tout nouveau comportement fautif déclencherait son licenciement. Certains considèrent que cette sanction n'est pas adaptée. Cette audition me donnera l'occasion de répondre à toutes vos questions sur ce point.
Je mesure bien le trouble suscité, notamment parmi les forces de sécurité. Le chef de l'État sait leur engagement quotidien au service de notre sécurité, contre le terrorisme, pour le maintien de l'ordre et donc de l'État de droit. Je leur dis, en son nom, que la sécurité du chef de l'État ne peut être assurée que sous l'autorité et le contrôle des policiers et des gendarmes.
Ce comportement individuel fautif a donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire et à une sanction disciplinaire. Il appartient à présent à la justice d'établir les responsabilités des personnes poursuivies. Quant à moi, j'ai la volonté de répondre précisément et complètement à vos questions. Le Président de la République m'a autorisé à venir devant vous afin de contribuer à la manifestation de la vérité, mais il m'a demandé également de vous rappeler le cadre juridique de mon intervention : la séparation des pouvoirs m'interdira de répondre à des questions relatives à des faits couverts par l'information judiciaire ainsi qu'à des questions sur l'organisation interne de la présidence de la République.
Nous avons ce matin entendu le directeur général de la police nationale (DGPN) et la directrice de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) sur les conditions dans lesquelles ils ont pris connaissance de la vidéo et de l'identité des personnes concernées. Les services de l'IGPN ont été informés par un internaute anonyme ; la directrice ignorait l'identité des protagonistes, qu'elle a connue le 18 juillet. Début mai, elle n'a pas jugé utile de donner suite à ces incidents en l'absence d'autres éléments. Nous lui avons demandé quelle aurait été son attitude si elle avait su qui étaient les personnes filmées. Elle a répondu en évoquant une enquête administrative et une enquête judiciaire. M. Morvan estime lui aussi que, si l'identité de l'auteur des faits avait été connue, une enquête judiciaire se serait imposée.
Nous avons demandé au préfet de police pourquoi une telle enquête n'avait pas été diligentée : il nous a répondu qu'ayant remis le dossier à l'Élysée, autorité hiérarchique compétente - vous en l'espèce - il estimait avoir correctement traité le problème.
Je vous pose donc la question : pensez-vous que l'analyse des responsables de la DGPN et de l'IGPN est erronée quand ils estiment que connaissant l'auteur des faits, il fallait diligenter une enquête administrative et judiciaire ? Dans le cas contraire, pourquoi avez-vous agi autrement ?
Je n'ai pas à porter d'appréciation sur les déclarations de ces responsables. Mais je puis vous expliquer pourquoi j'ai pris une sanction et pourquoi je n'ai pas engagé d'autre démarche, enquête administrative ou saisine de la justice sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Le directeur de cabinet du Président de la République est le chef des services de l'Élysée : c'est à moi qu'il incombe de prendre des sanctions, j'ai été recruté pour cela. Je l'ai fait, rapidement. J'ai tenu compte de ce que montrait la vidéo - outre des scènes d'affrontement confuses, l'interpellation d'un manifestant qui se débat et qui est immobilisé par des policiers et par M. Benalla. Je n'ai pas relevé d'acharnement entre lui et le manifestant. J'ai replacé ces faits dans leur contexte : le 1er mai au soir, m'a confirmé la préfecture de police, il y a eu des affrontements place de la Contrescarpe et 31 interpellations. Ce n'était pas une tranquille soirée de printemps...
J'ai replacé cette scène dans l'ensemble de la journée. Les images des manifestations du 1er mai ont sidéré nos concitoyens par leur violence extraordinaire, d'abord boulevard de l'Hôpital puis vers le Quartier latin. La manifestation a dégénéré parce que 1 200 à 1 500 black blocks étaient venus pour « casser du flic » comme ils l'avaient annoncé sur les réseaux sociaux. Commerces saccagés, entreprises pillées, chef d'entreprise en larmes qui avait tout perdu, équipements publics détruits, voitures incendiées, policiers blessés... et 276 interpellations à Paris. Je me suis efforcé de faire la synthèse des données. Y avait-il préjudice grave à l'égard du manifestant concerné ? Il n'avait pas été blessé, n'avait pas eu d'incapacité de travail, n'avait pas déposé plainte. En revanche le préjudice à l'égard de la société est manifeste.
Je signale également que ni le préfet de police - autorité sous laquelle était placé le dispositif auquel s'est joint M. Benalla le 1er mai -, ni l'IGPN qui a eu connaissance de la vidéo le 3 mai n'ont suggéré d'enquête administrative ou judiciaire. Je ne le dis pas pour me défausser, mais la directrice de l'IGPN, au vu des images, a estimé qu'il y avait des « gestes techniques mal maîtrisés, mais pas de violences illégitimes ».
En considérant tous ces éléments, j'ai pris la décision que j'ai dite (mise à pied, rétrogradation et avertissement), pour sanctionner un comportement déviant, une faute personnelle détachable du service. Cela n'empêchait pas d'autres autorités d'engager dans leur domaine de responsabilité des poursuites si elles le pensaient nécessaire. Ma décision était adaptée à la situation que je connaissais le 2 mai. Si j'ai commis une erreur d'appréciation, je l'assume, c'est pour cela que j'ai été recruté.
Des gestes techniques de policier mal maîtrisés, s'agissant d'un collaborateur qui s'occupe de la protection rapprochée du Président de la République... N'y a-t-il pas un risque que l'intéressé maîtrise mal son comportement dans l'exercice de ses fonctions ?
Alexandre Benalla n'était pas chargé de la protection rapprochée du Président de la République, laquelle relève de la compétence exclusive des membres du GSPR, commandé par un colonel de gendarmerie dont l'adjoint est un commissaire de police.
Les missions d'Alexandre Benalla font l'objet d'une note de service. Il participait, sous l'autorité du chef de cabinet, à la préparation et l'organisation des déplacements publics du chef de l'État ; il organisait les déplacements privés ; il gérait le programme d'accueil des invités du Président de la République pour le défilé du 14 juillet. Cette dernière mission consiste à gérer les 15 000 invitations et concrètement, le jour de la cérémonie, installer les invités dans les tribunes. La participation à la préparation des déplacements est un champ plus vaste. Lorsque, dans vos départements, vous accueillez le Président de la République, il faut avoir vérifié auparavant que les élus sont conviés, que le ruban à couper est livré, les micros installés, le dispositif de sécurité correctement déployé, positionné, coordonné avec les autres services : il importe en effet de garantir la fluidité et l'absence d'imprévu. Tout cabinet comprend des personnes capables d'effectuer cette coordination.
Mais, lors du déplacement, c'est le GSPR sous l'autorité du colonel Lavergne et le préfet compétent qui mobilisent les policiers et les gendarmes. Je le répète, Alexandre Benalla n'assurait pas la protection rapprochée du chef de l'État. En revanche, il donnait les orientations lorsque celui-ci modifiait un segment du programme - il faut alors être très réactif. Quatre personnes s'occupent de ce sujet au cabinet : le chef de cabinet, le chef-adjoint de cabinet, M. Furcy, l'adjointe au chef de cabinet, Mme Argouarc'h, et M. Benalla, également adjoint au chef de cabinet.
Enfin, l'organisation des déplacements privés est fonction des souhaits du Président. Le programme n'est pas public, et il est plus changeant que celui d'un déplacement public...
Les responsables syndicaux ont parlé de « relations exécrables avec M. Benalla », voire de la « terreur » qu'il faisait régner au sein du GSPR - le terme a été employé à deux reprises.
Je crois qu'un seul de vos interlocuteurs l'a employé.
C'est exact : le représentant de FO.
Ils ont parlé de vigiles, et indiqué que « les langues se délient ». La protection du Président de la République était-elle assurée par des contractuels comme M. Benalla ? Y compris la sécurité des déplacements publics ? Pour les déplacements privés, ce collaborateur avait-il le monopole de la mission de protection ? L'instance officielle était-elle exclue ? Cela nous intéresse, car cela concerne la sécurité du Président de la République.
Le sujet est extrêmement sensible. C'est la responsabilité principale et prioritaire dans mes fonctions. J'ai en ce domaine une expérience comme préfet, mais aussi comme directeur de cabinet de M. Cazeneuve au ministère de l'intérieur puis à Matignon. Nous avons eu à gérer de lourds attentats, et je veille à la sécurité du Président de la République comme on surveille le lait sur le feu. J'ai été très surpris d'entendre ces déclarations de responsables syndicaux que je connais très bien, que j'ai côtoyés au ministère de l'intérieur - ils avaient même mon numéro de téléphone portable pour, à toute heure, me signaler un éventuel problème. Or ils ne m'ont jamais sollicité.
Je m'exprime sous serment, et j'affirme que la protection du chef de l'État est assurée par des policiers et des gendarmes, fonctionnaires civils ou militaires. Je déments formellement qu'il y ait à l'Élysée des « vigiles », des agents privés qui auraient une mission de sécurité. C'est un phantasme.
Alexandre Benalla était pourtant un contractuel chargé d'accompagner les forces de sécurité et disposant d'un port d'arme ?
Il n'était pas chargé de la sécurité rapprochée du Président de la République.
Non, c'est toujours le GSPR qui l'est. Mais pas dans le même format que pour les déplacements publics. Pardonnez ma concision, il est délicat d'en parler publiquement. Il nous faut nous adapter à ce que souhaite le Président de la République, sans abaisser le niveau de sécurité.
Enfin, sur le port d'arme, j'ai considéré, comme directeur de cabinet, qu'il pouvait être utile, dans l'entourage du Président de la République, qu'une personne ait ce permis : M. Benalla a été dûment formé et habilité à cette fin. Cela est de ma responsabilité.
Si nous vous interrogions sur une procédure judiciaire en cours, vous seriez fondé à refuser de nous répondre. Vous avez reçu l'autorisation du Président de la République pour vous présenter devant nous, avez-vous précisé. Cependant, autorisation ou non, tout citoyen sollicité par une commission d'enquête parlementaire a l'obligation de venir ! Cette question a déjà été évoquée dans le passé à propos de la convocation d'une chef de cabinet d'un précédent Président de la République. Je considère que seul le Président de la République n'a pas à venir devant des commissions d'enquête parlementaires.
Vos explications, pardon de ma franchise, ont quelque chose d'artificiel. La sécurité, dites-vous, est assurée exclusivement par le GSPR, mais M. Benalla, sur les photos, est très souvent à 20 centimètres du Président de la République ! Certains au GSPR semblaient même considérer que cela ne facilitait pas leur travail. Vous affirmez que les trois missions confiées à ce collaborateur ne sont pas de protection ni de sécurité : elles en sont tout de même très proches.
Vous avez pris une sanction et vous l'avez fait rapidement. Soit. Mais les actes en cause sont d'une exceptionnelle gravité : faire usage de la force sans aucun droit, dans de telles conditions, alors que l'on est adjoint au chef de cabinet du Président de la République, c'est choquant. On aurait parfaitement compris que le fautif, après sa suspension de quinze jours, fût exfiltré vers un autre service administratif. Or on le voit lors de l'accueil de l'équipe de France de football, au Panthéon, à la cérémonie du 14 juillet : la confusion a subsisté. Vous avez licencié M. Benalla après la publication d'un article de presse, il y a seulement deux jours.
C'est que celui-ci a eu un nouveau comportement répréhensible.
Une information judiciaire a été ouverte à la suite d'un signalement que j'ai fait en application de l'article 40 du code de procédure pénale pour détention et recel de documents. Et le licenciement a été décidé sur le fondement de mon courrier du 3 mai et de l'avertissement qu'il comportait.
Au lendemain du 1er mai, j'ai retiré à Alexandre Benalla une mission très valorisante, la participation à l'organisation des déplacements publics. Son activité a été recentrée sur les manifestations internes à l'Élysée. C'est à ce titre qu'il a été mobilisé pour organiser la réception de l'équipe de France de football le 16 juillet, vingt-quatre heures tout juste après la finale victorieuse. La fédération française de football nous a imposé des contraintes. Notamment, les joueurs devaient quitter l'Élysée à 20 heures. Or l'avion s'est posé à 17 heures. La descente des Champs-Élysées avait duré quatre heures en 1998, il fallait cette fois garantir que le bus parviendrait au palais de l'Élysée à 19 h 30 au plus tard.
Alexandre Benalla est toujours là pour prêter main-forte aux forces de sécurité lorsqu'elles sont insuffisantes...
Il était en liaison avec nous depuis l'autobus pour nous informer de sa progression, car nous avions à gérer dans cette attente 3 000 invités.
La mission du 14 juillet a été retirée à M. Benalla, mais il restait chargé de l'accueil des invités. Lors du transfert des dépouilles de Simone Veil et son mari au Panthéon, il coordonnait l'arrivée du cortège du Président de la République et celles des deux cercueils - il était l'agent de liaison dans une mission entièrement gérée par l'Élysée.
Les effectifs du cabinet sont contraints. Pour un événement inédit, mieux vaut mobiliser ceux qui savent faire, et Alexandre Benalla avait des capacités d'organisateur. Il s'occupait de la logistique, il ne devait pas apparaître publiquement.
La proximité que vous notez sur les photographies s'explique par la mission de coordination des services : si, au cours d'un déplacement, le Président de la République décidait de traverser une place pour aller saluer les gens, il le disait à M. Benalla, qui aussitôt répercutait l'information dans le cortège et auprès du dispositif de sécurité - alors il n'apparaissait plus sur la photo, car il était en train de courir à l'autre bout de la place.
Vos explications sont contre-intuitives. Nous voyons en maintes circonstances M. Benalla en posture de garde du corps, ce qu'il était pendant la campagne électorale. Nous faisons logiquement l'hypothèse que le lien de confiance n'a pas été rompu après l'élection, et que le Président de la République s'en est largement remis à ce jeune collaborateur talentueux. Vous ne le démentez pas totalement mais replacez ces éléments dans un cadre plus formel... N'est-il pas plus formel que la réalité de la vie ?
Si vous recherchez spécifiquement des photos où le Président de la République apparaît avec le chef de cabinet, vous en trouverez beaucoup ; avec l'adjoint au chef de cabinet, même chose, etc. !
Oui, mais pas en lien avec la sécurité rapprochée. Je précise aussi qu'il ne portait jamais d'arme en déplacement public.
Je persiste à penser que dans les manifestations publiques, internationales, sensibles qui ont suivi la période de mise à pied, il aurait été possible de confier les missions de M. Benalla à d'autres personnes au service de la République française.
Jamais d'arme, donc, dans les déplacements publics. Le permis de port d'arme était donc lié aux déplacements privés ?
Cela n'était pas précisé dans l'autorisation. Je ne sais s'il était amené à porter une arme lors des déplacements privés.
Il m'a paru utile qu'en plus du GSPR, une personne puisse porter une arme. Je ne peux détailler ce point.
Les allégations de relations tumultueuses avec le GSPR, l'idée qu'il « terrorisait » ses membres, que les relations étaient « exécrables »...
me surprennent car je vois le colonel Lavergne tous les jours, et jamais il ne m'a signalé de telles tensions. Je croise également quotidiennement les agents du GSPR. J'ai une relation directe avec tout le personnel, à l'Élysée il ne peut en être autrement ! Pourquoi n'en auraient-ils jamais parlé ?
L'article 11 de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique oblige tout collaborateur du Président de la République à transmettre à son autorité hiérarchique et à l'autorité une déclaration d'intérêts. Celle d'Alexandre Benalla mentionne-t-elle des relations particulières avec des sociétés de sécurité privées ?
Parlez-vous des déclarations transmises à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ?
Nous sommes en train d'expertiser ce point. Avant l'élection de M. Macron à la présidence de la République, seuls les collaborateurs dont la nomination était annoncée au Journal Officiel devaient produire une déclaration.
Nous avons maintenu cette pratique. En l'espèce, M. Benalla étant seulement chargé de mission, il n'a pas été tenu, comme les huit autres agents dans ce cas, de transmettre une déclaration d'intérêts. J'ai demandé ce jour au Secrétariat général du Gouvernement (SGG) d'expertiser cette disposition.
L'alinéa 4 de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique indique pourtant expressément que les collaborateurs du Président de la République transmettent au président de la Haute Autorité une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts. Là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer... Lors des débats à l'Assemblée nationale sur ladite loi, René Dosière avait certes envisagé de limiter cette obligation aux seuls collaborateurs nommés au Journal officiel, mais un amendement déposé par Alain Tourret et adopté avait levé toute ambiguïté. Je précise, en outre, que M. Benalla était adjoint au chef de cabinet, pas seulement chargé de mission. L'analyse juridique de l'article 11, vous pouvez le constater, ne semble donc guère complexe... Sa mauvaise compréhension apparaît d'autant plus dommageable que tout manquement à l'obligation de déclaration est punissable de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, et devrait être signalé au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale...
Le contrat de recrutement de M. Benalla le nomme chargé de mission, pas adjoint au chef de cabinet. En tout état de cause, nous nous conformerons à l'avis du SGG.
Mon analyse fut d'ailleurs partagée par François Hollande, qui, dès 2013, a appliqué l'article 11 précité à l'ensemble de ses collaborateurs. L'habitude, depuis, s'est hélas perdue...
Les services de l'Élysée pourront remercier François Pillet pour son éclairage juridique.
Pourriez-vous, monsieur le directeur, transmettre à la commission la fiche de poste, le contrat et la feuille de paie du mois de mai de M. Benalla ?
Je vais étudier les conditions dans lesquelles je puis vous fournir ces documents et m'engage à répondre rapidement à votre requête.
Il demeure des zones d'ombre s'agissant des responsabilités exactes d'Alexandre Benalla à l'Élysée. Pour ma part, au cours de ma carrière politique, jamais je n'ai rencontré un chargé de mission de vingt-six ans doté de responsabilités à un niveau relevant, à mon sens, davantage d'un collaborateur nommé au Journal officiel. Nous souhaiterions donc que la commission entende M. Benalla, non bien sûr sur les faits du 1er mai du ressort de l'enquête judiciaire, mais quant à ses fonctions administratives à l'Élysée. Vous recevrez dès ce soir, monsieur le président, une demande écrite en ce sens.
Nous avons appris hier que le Président de la République s'estimait responsable de cette affaire. Il semble peut-être plus facile de se considérer responsable lorsque l'on est intouchable... Il assume ses responsabilités, dit-il, comme vous le faites et comme nous le faisons également en essayant de mettre en lumière et de comprendre les dysfonctionnements au sein de l'Élysée. Existe-t-il une note de service faisant référence au changement de mission de M. Benalla à la suite de sa sanction ? Peut-elle, le cas échéant, nous être communiquée ? Il existe, par ailleurs, un pôle juridique au sein de votre cabinet, dirigé par une magistrate. Après avoir visionné la vidéo des événements du 1er mai, lui avez-vous demandé conseil quant à l'opportunité d'appliquer l'article 40 du code de procédure pénale ? Si oui, quelle fut sa réponse ? Sinon, pourquoi ne l'avez-vous pas sollicitée ? Enfin, combien de personnes travaillent à l'Élysée sous le même statut que M. Benalla ? Qu'en est-il de l'obligation de transparence de ces agents vis-à-vis de la HATVP ? J'y vois une contradiction avec le credo du Président de la République, affirmé dès le début du quinquennat par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.
Je vous ferai sans délai parvenir la note relative au changement de mission de M. Benalla. Je n'ai pas, monsieur Kerrouche, consulté ma conseillère justice au sujet de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale aux événements du 1er mai, par respect pour le principe de séparation des pouvoirs. J'ai pris seul ma décision dès le 2 mai, dans les conditions précédemment évoquées, et je l'assume. Comme préfet de Corse et, surtout, de Bretagne, lorsque sévissaient les bonnets rouges, j'ai, à de multiples reprises, été témoin de manifestations violentes. Je n'ai alors jamais hésité à faire emploi de l'article 40 susmentionné. Le cas de M. Benalla ne m'a, en revanche, pas semblé le nécessiter. En application du principe de séparation des pouvoirs, je ne puis, hélas, vous répondre s'agissant des fonctions occupées par d'autres chargés de mission car cette information relève de l'activité de l'Élysée.
Je ne partage absolument pas votre analyse ! Les collaborateurs du Président de la République exercent une fonction publique. Pourquoi refuser d'expliquer le rôle des différents chargés de mission ? Il ne s'agit nullement d'un secret d'État !
Les autres chargés de mission de la présidence de la République n'ont aucunement vocation à participer, comme observateurs, à des opérations de la préfecture de police. Ils ne relèvent donc pas du champ de votre enquête.
Il nous revient de le déterminer ! Notre mission possède un large champ d'investigation, puisqu'elle s'intéresse au fonctionnement des institutions. Votre interprétation apparaît donc hautement contestable ! Nous sommes également, soyez-en certain, extrêmement attachés à la séparation des pouvoirs.
J'ai précisé, dans mon propos liminaire, que le Président de la République m'avait autorisé à témoigner devant votre commission en m'enjoignant, dans ce cadre, de veiller au respect du principe de séparation des pouvoirs. J'insiste donc : les autres chargés de mission ne jouent aucun rôle en matière de sécurité et M. Benalla pouvait, seul, demander à être observateur dans le cadre d'une opération de police.
Comment les images de vidéosurveillance ont-elles été portées à votre connaissance ? Par ailleurs, Alexandre Benalla a-t-il été engagé sous contrat privé ou public ? Dans le second cas, la sanction qui lui était applicable en tant qu'agent public pouvait aller de l'avertissement à la révocation. Celle qui lui a été infligée correspond à une exclusion temporaire assortie d'une suspension de traitement et nécessite la réunion préalable du conseil de discipline. Cette procédure a-t-elle été suivie ? Est-il enfin possible d'être destinataire de la fiche de traitement de M. Benalla pour le mois de mai ?
M. Benalla a été engagé sous contrat public avec un statut de contractuel. Sa sanction, que je souhaitais immédiate, adaptée et proportionnée, devait donc respecter les dispositions du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État. Le conseil de discipline n'a cependant pu être saisi puisqu'il n'en existe pas à l'Élysée. M. Benalla a reçu, au mois de mai, l'intégralité de son traitement, les quinze jours de suspension faisant l'objet d'une retenue sur les droits à congés obtenus au titre de l'année 2017.
Au matin du 2 mai, madame Benbassa, mon conseiller en charge des réseaux sociaux m'a fait visionner la vidéo de la place de la Contrescarpe disponible en ligne, sur laquelle figurent des scènes d'affrontement, ainsi que l'interpellation à laquelle a procédé M. Benalla. J'ai alors convoqué ce dernier pour m'assurer de la véracité des événements filmés.
Cette affaire ressort, selon vous, d'un comportement individuel. Il me semble néanmoins qu'une telle dérive a été facilitée par le fonctionnement de nos institutions, où il suffit de se revendiquer de la chefferie de cabinet du Président de la République pour avoir accès à des lieux et à des fonctions normalement interdits au bénéficiaire du passe-droit. Quel contrôle réalisez-vous du comportement des agents sous votre responsabilité ? Il semblerait, en effet, que les événements du 1er mai ne constituent pas la seule incartade de M. Benalla...
Votre question, en réalité, est double : pourquoi M. Benalla se trouvait-il place de la Contrescarpe et son comportement posait-il habituellement problème ? Je rencontrais très régulièrement l'intéressé puisque, chaque jour, je fais un point sur l'agenda du Président de la République avec le service du chef de cabinet. Quelques jours avant le 1er mai, M. Benalla m'a dit avoir été invité par M. Simonin à participer à une mission d'observation. Je connaissais, par mes fonctions antérieures, M. Simonin, professionnel de qualité, et j'ai considéré que sa hiérarchie à la préfecture de police avait forcément donné son accord. La mission, en outre, était loin d'être exceptionnelle ! À titre d'illustration, en 2017, près de 3 000 journalistes, mais aussi des magistrats et des étudiants, ont bénéficié d'un statut d'observateur. La mission de M. Benalla consistant à assurer la coordination des services concernés lors des déplacements du Président de la République, il se trouvait en contact régulier avec la préfecture de police. La proposition, dans le prolongement de ses fonctions à l'Élysée, n'apparaissait donc pas anormale. J'ai simplement rappelé, à cette occasion, à M. Benalla qu'il ne pouvait en aucun cas intervenir dans le cadre de sa mission d'observation.
Vous aviez donc envisagé qu'il puisse outrepasser son statut d'observateur ?
Comment aurais-je pu imaginer qu'il ne soit pas encadré lors de cette mission ? Par ailleurs, M. Benalla n'a jamais, monsieur Collombat, eu de comportement déviant en tant qu'agent de l'Élysée. Efficace, disponible et serviable, il était au contraire fort apprécié.
Comme vous, nous attachons une grande importance à la séparation des pouvoirs, garantie de l'équilibre de nos institutions. Je m'interroge donc : comment M. Benalla a-t-il obtenu un badge d'accès à l'Hémicycle de l'Assemblée nationale ?
La mise à disposition de badges d'accès à l'Assemblée nationale ressort d'une pratique courante pour les collaborateurs de cabinets ministériels. Il est d'usage, s'agissant de l'Élysée, que ces badges soient attribués aux membres du pôle parlementaire, ainsi qu'à tout agent du cabinet pour des besoins liés à l'organisation des déplacements du Président de la République. Il ne s'agit aucunement d'un avantage ! Dans le cas de M. Benalla, la procédure habituelle a été appliquée : il en a fait la demande auprès du responsable du pôle parlementaire de l'Élysée, qui m'a ensuite été transmise pour visa, puis envoyée au Président de l'Assemblée nationale, qui prend la décision d'attribution.
Il ne s'agit certes pas d'un avantage, mais d'une possibilité offerte aux collaborateurs, qui ont de véritables raisons d'entrer à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Je comprends mal, en l'espèce, l'intérêt d'un tel accès pour M. Benalla, compte tenu des fonctions que vous avez décrites.
M. Benalla était, je vous le rappelle, chargé d'organiser les déplacements du Président de la République, notamment avec les élus. Or, il est parfois plus facile de nouer contact à Paris.
Il existe manifestement une contradiction entre les faits et les missions protocolaires exercées, sous vos ordres, ceux d'un grand commis de l'État, par M. Benalla... Sa faute, qui relève d'actes de violence et d'usurpation, est lourde ! Je n'imagine pas, compte tenu de votre expérience, que vous n'ayez pas envisagé de recourir à l'article 40 du code de procédure pénale. En avez-vous été dissuadé ? Avez-vous, en outre, rendu compte des événements du 1er mai au Président de la République ?
Le Président de la République a été informé dans la nuit du 2 au 3 mai de la présence et du comportement de M. Benalla sur la place de la Contrescarpe, par le secrétaire général de l'Élysée, auquel j'avais transmis l'ensemble des informations, y compris celle relative à la sanction dont j'avais seul décidé. Monsieur Leroy, je me suis évidemment interrogé sur le recours à la procédure de l'article 40 mais, en l'absence de préjudice et d'acharnement, je l'ai écarté. Les dégradations ont été considérables lors de la manifestation du 1er mai ; la France entière en a été choquée. Mais que montrent les images de la place de la Contrescarpe ? Une personne n'appartenant pas aux forces de l'ordre, qui attrape un manifestant s'attaquant à des policiers.
Si l'application de la sanction financière a été différée, la suspension temporaire de M. Benalla a-t-elle été immédiatement effective ?
Absolument ! Entre le 4 et le 22 mai, M. Benalla ne s'est pas présenté à l'Élysée et je puis vous assurer que notre système de contrôle des accès est des plus rigoureux.
Compte tenu des missions confiées à M. Benalla, je peine à comprendre pourquoi un permis de port d'arme, dont les conditions ont été précisées à notre commission par le préfet de police, lui a été accordé, en application, d'ailleurs, d'un arrêté ministériel sur lequel l'Élysée ne figure pas. Par ailleurs, j'estime très légère la sanction dont M. Benalla a écopé. Enfin, il me semble bien peu cohérent de placer en première ligne, lors d'événements prestigieux, un agent récemment rétrogradé.
Pour certaines activités du Président de la République, il m'est apparu utile que M. Benalla soit autorisé à porter une arme. Quant à la procédure, j'ai transmis la demande de permis au préfet de police, en précisant que j'y étais favorable à la condition que l'autorisation puisse être accordée dans le strict respect de la réglementation. Nous n'aurions évidemment pas fait pression en cas de difficulté !
Alexandre Benalla était chargé de la sécurité du candidat Macron avant d'occuper des fonctions similaires à l'Élysée après son élection. Le périmètre de la mission diffère pourtant quelque peu, me semble-t-il... L'avez-vous embauché de votre plein gré ou sur instruction ? Son positionnement, compte tenu de son jeune âge, ne vous a-t-il pas étonné ? Une enquête a-t-elle été réalisée sur sa personne préalablement à son recrutement ?
En quoi l'organisation des déplacements du Président de la République justifie-t-elle l'attribution d'une voiture de police équipée, non répertoriée par le ministère de l'intérieur, et une habilitation secret défense ?
M. Benalla se prévaut, pour sa défense, de l'article 73 du code de procédure pénale et vous-même avez évoqué des violences lors de la manifestation du 1er mai. Or, les représentants des forces de l'ordre ont affirmé l'inverse devant notre commission. M. Benalla a-t-il, devant vous, fait mention dudit article 73 ? En toute logique, il n'aurait en ce cas pas dû être sanctionné pour l'avoir appliqué... Par ailleurs, s'occupait-il ou non directement de questions de sécurité ? Il semblait, en effet, fréquemment présent dans les locaux de la préfecture de police, ce qui soulève, vous en conviendrez, quelques ambiguïtés.
En l'absence de véritable retenue sur salaire, je ne comprends plus guère le contenu de la sanction à l'encontre de M. Benalla, d'autant que sa présence, malgré sa rétrogradation, a été signalée depuis sur de nombreux événements. Pourriez-vous nous préciser si son appartement de fonction, qu'il n'a pas occupé, lui a été attribué postérieurement aux incidents pour lesquels il a été sanctionné ?
Mon interrogation est identique : un appartement a-t-il été attribué à M. Benalla après sa mise à pied ?
Je suis toujours à la recherche de faits, qui puissent enrichir notre enquête. À votre connaissance, M. Benalla s'est-il rendu coupable d'actes critiquables hors de l'Élysée ? Depuis hier, est évoquée, de façon imprécise, l'immixtion de l'intéressé dans les activités des services de police. Qu'en est-il exactement ? Enfin, d'autres agents de l'Élysée assistaient-ils M. Benalla pour l'exercice de ses missions ?
M. Vincent Crase est-il employé à l'Élysée, notamment au sein du commandement militaire ?
Est-il exact que M. Benalla ait bénéficié d'une habilitation secret défense ? Si oui, pour quelle raison ? Est-ce habituel pour un chargé de mission ?
Je vais donner maintenant la parole à plusieurs de nos collègues qui ne sont pas membres de la commission des lois.
Vous nous apportez enfin quelques précisions relatives aux missions et au rôle de M. Benalla, même si demeurent encore des zones grises. Vous avez indiqué que le Président de la République, qui a assuré hier porter la responsabilité de cette affaire, vous avait prié de veiller au respect de la séparation des pouvoirs pendant votre audition par la commission. Les récents propos du Président de la République ont-ils eu une incidence sur la teneur des vôtres ?
Vous suivez certainement le projet de réforme de la sécurité de l'Élysée, qui prévoit la création d'une direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR) relevant de la seule autorité du Président de la République. Qui est directement chargé du pilotage de cette réforme ?
Monsieur Marc, j'ai moi-même procédé au recrutement de M. Benalla, que je ne jugeais nullement trop jeune pour exercer les fonctions, qui lui étaient confiées. L'efficacité et la richesse d'un cabinet ministériel se trouvent dans l'association des compétences et des générations ! En l'espèce, M. Benalla a été recruté sur le fondement de sa compétence aguerrie en matière d'organisation d'événements. En outre, l'enquête qui fut menée n'a identifié aucun obstacle à ce recrutement.
Par ailleurs, je précise que M. Benalla ne disposait pas d'une voiture de fonction avec chauffeur, mais d'un accès aux véhicules de service dans le cadre de l'exercice de ses missions. Ces véhicules étant susceptibles d'être intégrés au cortège officiel, ils disposent d'équipements spécifiques installés par le garage de l'Élysée.
Monsieur Grosdidier, il reviendra au juge d'estimer le bien-fondé de la défense de M. Benalla s'agissant de l'application de l'article 73 du code de procédure pénale le 1er mai. En outre, dans la mesure où les observateurs sont équipés de matériels de protection, il n'y eut, en conséquence, aucune usurpation de la part de M. Benalla.
Enfin, madame de la Gontrie, je rappelle que la sanction financière à son endroit s'est appliquée sur ses droits à congés payés.
Pourquoi ne pas avoir imputé la sanction sur son traitement du mois de mai, voire en juin ou en juillet ?
Il s'agit d'une mesure de gestion : le décret précité de 1986 précise qu'une suspension temporaire ne peut être prononcée qu'avec maintien du traitement.
Le logement de fonction attribué à M. Benalla, qu'il n'a effectivement jamais occupé, le fut antérieurement au 1er mai, au regard de ses obligations de disponibilité.
L'intéressé n'a, par ailleurs, jamais fait l'objet d'un signalement pour un incident ou une faute ; c'était un collaborateur apprécié. Il ne s'immisçait, en outre, aucunement dans les activités des services de sécurité. Croyez-moi, les chefs du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et du commandement militaire ne sont pas hommes à se laisser marcher sur les pieds !
M. Benalla ne travaillait pas seul à l'organisation des déplacements du Président de la République : une équipe de quatre personnes, autour du chef de cabinet, y est dédiée.
Pour ma part, madame le rapporteur, j'ai découvert l'existence de M. Crase le 2 mai ; il s'agit d'un réserviste de la gendarmerie placé ponctuellement auprès du commandement militaire et chargé des stationnements autour du Palais de l'Élysée.
Madame Deromedi, une trentaine de collaborateurs ministériels sont habilités secret défense, parce qu'ils ont à connaître de documents classifiés dans des dossiers, lors de rencontres ou au cours de déplacements. D'ailleurs, M. Benalla était amené à accompagner le Président de la République dans des lieux relevant du secret défense.
Il n'est pas de mon rôle, monsieur Temal, de commenter les propos tenus par le Président de la République. Quoi qu'il en soit, mes dires devant la commission des lois du Sénat sont identiques à ceux qui furent les miens devant vos collègues députés.
Enfin, madame Conway-Mouret, la DSPR est un projet qu'il ne m'appartient pas de détailler. Il s'agit de rapprocher le GSPR et le commandement militaire, respectivement chargés de la protection des personnes et de celle des enceintes, pour améliorer les convergences opérationnelles et mutualiser certains coûts. En tout état de cause, cette entité serait exclusivement constituée de fonctionnaires de police et de gendarmerie. Nous sommes loin des accusations de milice privée ! D'ailleurs, la quatrième chambre de la Cour des comptes, à laquelle j'ai présenté le projet, n'a pas semblé s'en émouvoir...
Je vous remercie, monsieur le directeur.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous recevons M. Frédéric Auréal, chef du service de la protection (SDLP) du ministère de l'intérieur. Je vous rappelle que notre commission des lois détient les prérogatives d'une commission d'enquête. Un faux témoignage devant notre commission serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Frédéric Auréal prête serment.
Issu de la fusion du service de protection des hautes personnalités, du service de sécurité du ministère de l'intérieur et du service central automobile, le service de la protection a été créé le 2 octobre 2013. Il assure la protection de hautes personnalités françaises et étrangères et de certaines personnes menacées, contribue à l'organisation des rencontres internationales en France comme à l'étranger, sécurise les neuf implantations centrales du ministère de l'intérieur, assure la surveillance des gardes à vue dans les sites de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), et gère les 2 200 véhicules des administrations centrales du ministère de l'intérieur.
Le service de la protection comprend 1 383 personnes dont 625 sont dédiées à la protection des personnalités. Les attentats terroristes de 2015, au cours desquels un officier de sécurité du service, M. Franck Brinsolaro, a été assassiné dans les locaux de Charlie Hebdo, ont profondément modifié la charge de travail ainsi que le fonctionnement de mon service, qui dispose d'un budget de 6,5 millions d'euros en 2018.
Le SDLP assure la protection rapprochée du Président de la République et du Premier ministre, au travers de groupes dédiés, notamment le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le groupe de sécurité du Premier ministre (GSPM). Il assure la sécurité des membres du Gouvernement, des chefs d'État ou de gouvernement étrangers en visite sur le territoire français, ainsi que des anciens Présidents de la République, anciens Premiers ministres et anciens ministres de l'intérieur français. Il met en place des dispositifs de protection ou d'accompagnement des personnes menacées. Ces dispositifs, répondant à une procédure rigoureuse, sont décidés par le ministre de l'Intérieur en personne, après évaluation de la menace - réalisée par nos collègues en lien avec l'ensemble des services spécialisés.
Le GSPR est organisé conformément à l'article 2 de l'arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l'organisation du service de la protection, auquel il appartient. Il est actuellement dirigé par un colonel de gendarmerie, Lionel Lavergne, assisté d'un commissaire divisionnaire, Julien Perroudon. Ses missions sont définies à l'article 4 de l'arrêté précité ; il assure, sur les territoires français et à l'étranger, la protection personnelle et immédiate du Président de la République et met en oeuvre les mesures nécessaires à sa sécurité, notamment l'organisation matérielle de la sécurité de ses déplacements.
Le GSPR comprend actuellement 76 policiers et gendarmes - dont 40 policiers. Tous les policiers affectés au GSPR sont issus du service de la protection ; ils ont tous réussi les tests de sélection prévus aux articles 8 et 10 de l'arrêté de 2013. Ce sont des policiers expérimentés, qui ont fait leurs preuves sur le plan opérationnel. La sélection comprend treize épreuves qui vérifient l'adéquation des aptitudes physiques, psychologiques et professionnelles des candidats aux postes d'officiers de sécurité. Les épreuves psychologiques comportent des tests psychotechniques et des entretiens par groupes individuels. Un entretien professionnel en présence d'un jury et d'un psychologue clôt ces phases de sélection. Le fonctionnaire de police ayant réussi l'ensemble de ces épreuves extrêmement sélectives est intégré au service de la protection, où il accomplit, dès son arrivée, un mois de formation initiale. Les effectifs comprennent 40 fonctionnaires de police, dont un commissaire divisionnaire, trois officiers, 36 gradés et gardiens, 33 voitures et deux- roues. Nos services disposent d'un armement collectif et individuel.
Le service de la protection participe au dispositif de protection mis en place lors des grands événements se déroulant sur le territoire national, selon l'article 3 de l'arrêté. Ce fut le cas notamment pour le sommet sur le climat du 12 décembre 2017, et d'un certain nombre d'événements comme la COP 21, les célébrations pour le Débarquement. Il met en place des dispositifs de coordination, à la demande de l'Élysée, en cas de déplacement du Président de la République, fournit à la demande du GSPR un appui technique, cortégistes ou officiers de sécurité sur des missions techniques - dans des aéroports ou sur les lieux d'hébergement. Lors des déplacements du Président de la République à l'étranger, nous attribuons, à la demande du chef du GSPR et en plein accord avec lui, des fonctionnaires.
Nous avons une grande considération pour toutes les personnes sous votre autorité, qui exercent un métier difficile, dangereux, et qui demande une présence 24 heures sur 24. J'aurais aimé parler plus largement de vos missions, mais malheureusement, je devrai centrer mes questions sur M. Benalla. D'après vos informations, quelles étaient les missions exactes de M. Benalla avant sa mise à pied pour quinze jours, et quelles étaient ses fonctions après cette période ?
Selon certains, ces fonctions ne relevaient pas à proprement parler de missions de sécurité du chef de l'État, strictement dévolues au GSPR. Quelles étaient les relations entre le GSPR et M. Benalla ? Celui-ci pouvait-il donner des injonctions, des instructions, prendre position et intervenir activement dans des missions de sécurité, comme il nous a été rapporté ? Est-ce, à votre connaissance, vrai ou faux ?
Huit des onze candidats à l'élection présidentielle ont fait une demande de protection - procédure normale pour le débat démocratique. M. Macron a sollicité le ministère de l'intérieur dès le mois de janvier 2017. J'ai ainsi rencontré, à sa demande, le directeur de campagne de M. Macron, M. Jean-Marie Girier, et ai vu M. Benalla, qui était chargé de mon parking et de m'accueillir - rien d'autre. Je ne le connaissais pas.
Pendant la campagne présidentielle, les contacts étaient pris toujours sous l'autorité de mon directeur général, entre le service et le directeur de campagne du candidat Macron, mais souvent par la cheffe de cabinet du ministère de l'intérieur. J'étais dans une logique d'exécution et d'application des instructions qui m'étaient données. En fonction de l'évolution de la campagne, de l'affluence aux différents meetings et de la menace potentielle, nous avons adapté nos dispositifs et nos effectifs pour assurer la sécurité de tous les candidats. Je n'ai pas eu d'autres contacts avec M. Benalla à ce moment-là. Mon interlocuteur était le directeur de campagne du candidat Emmanuel Macron. Plus précisément, comme nous restions dans une logique administrative, c'étaient plutôt mon directeur général et la cheffe de cabinet du ministère de l'intérieur qui étaient en contact avec le directeur de campagne de M. Macron.
Après la victoire et la prise de fonctions de M. Macron, j'ai appris l'organisation de l'Élysée, et notamment retrouvé le chef de cabinet, M. François-Xavier Lauch, sous-préfet que j'avais connu à la direction générale, et avec lequel j'ai toujours eu les meilleurs rapports.
Lorsque j'ai rencontré M. Benalla, c'était toujours lors de réunions présidées par le chef de cabinet. Mes effectifs n'ont jamais reçu d'ordre de M. Benalla. M. Strzoda évoquait précédemment le chef du GSPR et le commandant militaire. Jamais je n'aurai accepté de recevoir la moindre instruction de la part de M. Benalla. Je ne recevais d'instructions pour exécution que du chef de cabinet. Tout se passait de la manière la plus harmonieuse possible.
À votre connaissance, quelles étaient les missions de M. Benalla avant sa mise à pied et après ? En quoi se différenciaient-elles ?
Je l'ai rencontré lors de réunions de préparation ou de coordination d'événements comme le 8 mai, la dernière était pour le retour de l'équipe de France de football. Nous avons eu le jour-même, à 9 heures, sous l'autorité du chef de cabinet, une réunion préparatoire avec une répartition du rôle des uns et des autres - le mien était de prévoir l'accueil du Premier ministre et des ministres à l'Élysée, et notamment de positionner des officiers de sécurité du service. Je n'ai pas d'autres éléments à vous fournir.
Il y a un lien organique entre le service et le GSPR mais le lien fonctionnel est au niveau du chef de cabinet, qui donne les instructions. J'ai évoqué le GSPM et le groupe de sécurité du ministre de l'intérieur, qui sont à côté de mes bureaux. Lors des multiples déplacements, ils peuvent avoir leurs initiatives sans m'en référer. Ce rôle de coordination existait aussi avant l'arrivée du Président Macron. Mais depuis, ce groupe qui était constitué de 62 fonctionnaires sous la présidence de M. Hollande comprend désormais 78 fonctionnaires pour faire face à la multiplication des déplacements du Président.
Nous assurons aussi des appuis techniques. La demande m'est faite par mail, je mets immédiatement à disposition des fonctionnaires et donne des instructions. En tant que chef du SDLP, j'ai 120 personnes à protéger quotidiennement, sur l'ensemble du périmètre gouvernemental ainsi que des personnes menacées - notamment des journalistes, et particulièrement ceux de Charlie Hebdo. Cela demande une attention de tous les instants - d'où les groupes dédiés.
Au moindre incident, je suis automatiquement informé. Toutes les semaines, au-delà des relations quotidiennes que j'ai avec le chef du GSPR, celui-ci ou son adjoint sont conviés à la réunion de direction du service.
En cas de conflit avec l'autorité utilisatrice de votre service et votre représentant, M. Lavergne, vous n'êtes jamais amené à modifier les plans du chef de cabinet au nom de la sécurité ?
Non, les relations sont harmonieuses, au service de notre Président, dans un cadre professionnel plutôt serein. L'objectif est la réussite de ses déplacements dans un contexte de menace terroriste avéré.
À votre connaissance, quel était le rôle de M. Benalla dans l'organisation de la sécurité du Président de la République ? Avait-il un homologue à l'époque du précédent quinquennat ?
M. Benalla n'est pas un fonctionnaire de police et n'est pas sous mon autorité. Mon correspondant, c'est le chef du GSPR, pour lequel j'ai la plus haute estime. J'ai vu M. Benalla lors de réunions et ai eu avec lui des relations correctes, cordiales et respectueuses.
Je me suis sans doute mal exprimée ; je ne vous demandais pas quelles étaient vos relations avec M. Benalla mais quelles étaient ses missions, à votre connaissance ?
Il était chargé de mission, adjoint au chef de cabinet. Il était donc souvent présent sur les dispositifs où était le chef de cabinet. Nous avions un rôle de coordination, en retrait. Ainsi, pour le transfert du couple Veil au Panthéon, je devais assurer que les membres du Gouvernement et autres personnalités accèdent dans les meilleures conditions de sécurité possible, en plein accord avec nos collègues de la préfecture de police, et que nous sécurisions leurs véhicules et la reprise de ces personnalités à la fin de la cérémonie. Mais en aucun cas, M. Benalla n'intervenait. Il était aux côtés du Président de la République ou du chef de cabinet. Nous, nous étions dans notre mission, prêts à intervenir en temps réel. Nous avions surtout des relations avec le GSPR.
Une personne avait le même rôle dans le cabinet de François Hollande, chargé de la coordination et de la facilitation des relations. Mais nos correspondants étaient toujours les chefs de cabinet.
Je continue de chercher des faits objectifs, et je n'ai pas entendu de description de situations localisées et datées durant lesquelles M. Benalla se trouvait là où il ne devait pas être. M. Benalla s'est-il trouvé dans des réunions de planification où il n'aurait pas dû être ?
Vous me demandez des faits, je vous donnerai des exemples précis, à partir du 30 avril, où vous verrez que M. Benalla n'est pas présent. Lors de la mission de reconnaissance pour le 8 mai, M. Benalla n'était pas là. De même pour la mission de reconnaissance pour l'accueil du Premier ministre israélien le 28 mai, celle de la visite du Grand Palais le 4 juin, le 22 juin lors de la réunion de cadrage pour l'hommage à Simone Veil, le 25 juin lors de la mission de reconnaissance pour cette cérémonie, le 25 juin pour la préparation du congrès de Versailles, dirigées par le chef de cabinet : il n'était pas là. Je l'ai vu lors de la préparation du 14 juillet et la dernière fois, à l'occasion de la préparation du retour de l'équipe de France de football, où chacun avait son rôle qui lui était assigné. Nous étions dans une logique opérationnelle d'accueil des personnalités et du public.
Il y a tout de même deux situations où M. Benalla n'aurait pas dû être présent : le 1er mai, si l'on en croit les vidéos diffusées, et lors de la réunion le même soir.
Je n'ai pas compétence pour apprécier la présence de M. Benalla le 1er mai.
Sur la période antérieure, je n'ai pas d'éléments supplémentaires, mais le Président s'est beaucoup déplacé à l'étranger.
À vous entendre, il semble que le rôle de M. Benalla se soit strictement limité à l'organisation des déplacements : on nous a dit qu'il participait à l'organisation des déplacements publics et qu'il organisait lui-même les déplacements privés. Il apparaît aussi comme quelqu'un qui se préoccupe des questions de sécurité, puisqu'il a été intégré à la réserve opérationnelle spécialisée de la gendarmerie en raison de son expertise sur la protection des hautes personnalités. Puis, il a tous les attributs d'un policier, et notamment le port d'arme, ce qui est un peu curieux. De plus, il se présente comme chef adjoint de cabinet alors qu'il ne l'est pas. Or, cela lui permettait sans doute de se substituer au chef de cabinet pour les sujets sur lesquels il est plus spécialisé que celui-ci. On a donc du mal à croire qu'il ne s'intéressait pas aux questions de sécurité.
On nous dit qu'il n'était jamais armé lors des déplacements publics. Quid des déplacements privés ? Le GSPR veille-t-il sur le Président de la République 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365, ou celui-ci a-t-il parfois été laissé à la surveillance de M. Benalla ? On a annoncé une réforme du GSPR et sa fusion avec le commandement militaire. Dans cette hypothèse, la sécurité du Président échapperait-elle au service de protection ? Deviendrait-elle totalement autonome ?
On nous a expliqué la différence entre chef adjoint de cabinet et adjoint au chef de cabinet. Si j'ai bien compris, M. Benalla n'a jamais été chef adjoint du cabinet. Il a été l'un des deux adjoints au chef de cabinet, ce qui est moins important...
Sur la réflexion qui est en cours à l'Élysée, je vous répondrai tout simplement ce qu'a répondu le ministre : il faut que le lien avec le ministère de l'intérieur subsiste. Je n'ai pas d'autres commentaires.
Le ministère dont je dépends a émis un avis négatif sur la demande de port d'arme de M. Benalla. J'étais extrêmement défavorable au fait qu'une personne privée n'appartenant pas à la police puisse être armée en présence d'un dispositif de protection constitué de professionnels aguerris. Je l'avais fait savoir et j'ai été soutenu par mon ministre.
Je pense que le GSPR veille sur le Président en permanence, mais son chef vous le dira mieux que moi.
Le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale nous a indiqué que M. Benalla était régulièrement présent dans les dispositifs opérationnels, dont il pilotait certains aspects, sans qu'on sache qui l'a mandaté pour cela. Il explique que, face à quelqu'un qui représente - même si c'est de façon indue - une autorité qui est supérieure à la leur, les policiers sont un peu désarmés. Confirmez-vous ces informations ?
Je n'ai pas de commentaire à faire sur les déclarations d'un responsable syndical de haut rang. Pour ma part, je n'aurais jamais accepté que M. Benalla donne des instructions à mes effectifs, et je crois que le chef du GSPR vous dira la même chose, tout comme le général Bio-Farina. J'ajoute que je n'ai jamais vu M. Benalla tenter ce type d'opération.
Mais nous l'avons vu sur les images ! Alors que faisait-il ? Il jouait au cow-boy ?
M. Benalla a-t-il exercé de fait la fonction de garde du corps du Président de la République, en particulier pour ses déplacements privés ? Le GSPR n'aurait pas manqué de le savoir.
C'est pourquoi je vous renvoie à son chef. Quant au lien de confiance entre le Président de la République et M. Benalla, je n'ai pas à le commenter.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
J'ai souhaité que nous entendions le Défenseur des droits en raison notamment des travaux qu'il a effectués sur la déontologie dans les missions de sécurité.
J'ai été honoré que vous m'ayez placé parmi les personnalités entendues par votre mission d'information en forme de commission d'enquête au sein de votre commission des lois, et je défère d'autant plus volontiers à votre invitation qu'elle ne souffre aucune possibilité d'être contredite !
Ce que je vais vous dire est d'une nature différente de ce que vous avez entendu jusqu'à présent, dans la mesure où les personnes qui ont été entendues par votre commission sont des acteurs directs ou indirect des faits sur lesquels vous enquêtez. Pour ma part, ce que je peux vous apporter, c'est un éclairage sur une notion apparue il n'y a pas si longtemps dans notre pays, à la fin des années 1990 : la déontologie de la sécurité. C'est le Défenseur des droits qui, depuis la réforme constitutionnelle de 2008 et la loi organique de 2011, en est chargé. Il est vrai que vous êtes déjà bien informés par votre mission récente sur l'état des forces de sécurité intérieure, dont le rapporteur était M. Grosdidier.
L'article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 confie au Défenseur des droits, parmi les cinq missions qui sont les siennes, celle de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant une activité de sécurité sur le territoire de la République. Son contrôle s'applique aux policiers nationaux, aux militaires de la gendarmerie, aux policiers municipaux, aux agents de l'administration pénitentiaire, aux douaniers, aux agents de surveillance des transports - auxquels les lois récentes ont attribué des prérogatives qui les rapprochent beaucoup des forces de police et de gendarmerie - aux agents de sécurité privée, de surveillance et de gardiennage et aux enquêteurs privés.
Dans le cadre de cette mission sur le respect de la déontologie par les services de sécurité, le Défenseur des droits traite des réclamations individuelles, mène des réflexions sur des sujets d'intérêt général - la doctrine du maintien de l'ordre, le juste usage des armes de force intermédiaire -, il met en place des actions de sensibilisation, notamment par les formations que nous dispensons dans les écoles de police, de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, il rend des avis au Parlement sur les projets de loi - sur la loi Savary, par exemple, et nous avons beaucoup travaillé avec votre commission pendant toute la période de l'état d'urgence sur les lois destinées à lutter contre le terrorisme ou sur la loi qui a modifié les termes de la légitime défense pour les policiers - et il réalise des missions d'observation - par exemple lors du démantèlement de camps de migrants à Calais ou à Paris, ou dans d'autres circonstances où une observation indépendante est utile.
En 2017, nous avons reçu 1 228 saisines dans le domaine de la déontologie de la sécurité. Dans le cadre des enquêtes qu'il fait sur les réclamations individuelles, le Défenseur des droits peut demander la communication de pièces administratives ou judiciaires. Le secret de l'enquête ou de l'instruction ne peut lui être opposé. Les pièces couvertes par le secret médical ou par le secret professionnel entre l'avocat et son client lui sont également accessibles si la personne concernée lui en donne l'autorisation. Il peut effectuer des vérifications sur place, procéder à l'audition des réclamants, des témoins et des mis en cause, qui peuvent se faire assister par la personne de leur choix. Dès lors qu'une enquête judiciaire est en cours ou qu'une juridiction est saisie sur les mêmes faits, comme c'est le cas dans la présente affaire, le Défenseur des droits à l'obligation de solliciter l'accord de l'autorité judiciaire avant de mettre en oeuvre ses pouvoirs d'investigation.
Tous les éléments réunis au cours des investigations - témoignages, rapports administratifs, éléments d'enquête judiciaire, certificats médicaux ou vidéos - sont présentés et débattus contradictoirement au cours des auditions, puis par écrit dans une note récapitulative, adressée au mis en cause, et à laquelle celui-ci doit répondre avant que nous ne prenions une décision.
L'enquête aboutit à une décision écrite qui peut, en cas de manquement avéré, être assortie de recommandations visant à en prévenir le renouvellement et portant sur la nécessité d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de l'agent mis en cause, de modifier des textes législatifs ou réglementaires ou de changer des pratiques.
Moins de 10 % des cas qui me sont présentés entraînent de ma part une déclaration de manquement : nous sommes une sorte de surveillant général pour la police. Parmi les dix demandes de poursuites disciplinaires que j'ai formulées en 2017, trois ont mis en cause des comportements violents en cours d'opérations de maintien de l'ordre. L'une portait sur l'utilisation d'un lanceur de balles de défense 40-46 de manière dissuasive et les deux autres, sur des violences commises à l'encontre de manifestants à Paris.
C'est fort de son expérience, de ces constats et de sa connaissance des règles qui régissent le comportement professionnel des membres des forces de sécurité que le Défenseur des droits s'efforcera de contribuer à la mission de contrôle qu'exerce en ce moment la représentation nationale. En l'occurrence, je suis en mesure de vous apporter un éclairage sur le rôle des policiers nationaux concernant la présence d'observateurs extérieurs au sein d'une manifestation, leur encadrement, les limites de leurs prérogatives, les signes distinctif dont ils peuvent être porteurs. Je puis également vous faire part de réflexions générales, dès lors que je ne suis pas saisi, sur la réaction des policiers lorsque les observateurs prennent une part active à une opération de maintien de l'ordre et sur les suites à donner à un usage de la force susceptible d'être qualifié, selon la déontologie de la sécurité, de disproportionné.
Quid de l'éventuelle compétence du Défenseur des droits sur M. Benalla, dès lors qu'il est habilité à exercer des activités de sécurité privée par le conseil national des activités privées de sécurité ? Il conviendrait de connaître son rôle et ses missions exactes pour déterminer s'il exerce à titre principal une activité de sécurité.
La présente affaire pose la question du cadre juridique prévoyant la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre. À notre connaissance, ce cadre n'est pas formalisé par des notes ou des instructions. Cependant, même si elle n'est pas formalisée, la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre reste possible, et c'est ainsi qu'à ma demande, en lien avec le ministre de l'intérieur et le préfet de police de Paris, plusieurs de mes agents ont été observateurs au cours d'opérations de maintien de l'ordre.
Cela a été le cas à l'invitation du ministre de l'intérieur, M. Cazeneuve, à Calais, à l'occasion du démantèlement du camp de la Lande, en octobre 2016 ; mais aussi, après avoir informé le préfet de police, à l'occasion du démantèlement du camp de migrants de Stalingrad, à Paris, en novembre 2016 ; également, sur invitation du préfet de police lors du défilé du 14 juillet 2017 ; très récemment, enfin, après avoir informé le préfet de police à l'occasion de l'évacuation du campement de migrants de la Villette, le 30 mai 2018. Chacune de ces missions d'observation a été préparée en toute transparence, avec la collaboration des autorités de police, par le biais de contacts téléphoniques, puis formalisée par des échanges de mails et de courriers.
Sur chacune de ces opérations, les agents du Défenseur des droits avaient pour unique mission d'observer le travail des forces de l'ordre et la prise en charge des migrants, et avaient pour instructions de ne pas intervenir dans les opérations en cours. Ils disposaient d'un numéro de téléphone leur permettant de se mettre rapidement en contact avec un policier référent joignable en cas de difficultés. Ils étaient présents à la fois sur le terrain avec les policiers et les gendarmes, et au centre d'information et de commandement pour avoir une vision plus globale du déroulement des opérations.
Ils ont également eu pour consigne de présenter systématiquement leur statut et le but de leur présence lorsqu'ils entraient en contact avec une personne, quelle que soit sa qualité, et étaient aisément identifiables par le port d'un brassard bleu, sur lequel étaient inscrits : « Défenseur des droits » et « République Française ».
À l'issue de ces opérations d'observation, qui se sont toujours déroulées dans de bonnes conditions, y compris dans les circonstances les plus difficiles, notamment lors du démantèlement du camp de la Lande, en octobre 2017, les agents du Défenseur des droits ont systématiquement rédigé des rapports mentionnant leurs constats.
Dans la présente affaire, il est difficile de déterminer avec certitude la procédure qui a été suivie pour solliciter et obtenir une habilitation pour être observateur. Ce que nous faisons dans le cadre de nos missions ne répond en effet à aucune règle préétablie. Une autre difficulté consiste à identifier la personne qui a eu autorité pour délivrer l'habilitation. Il faudrait aussi préciser le but de la présence des observateurs, en général, et en l'espèce, au regard de leurs fonctions à l'Élysée ; les instructions transmises aux observateurs sur leurs prérogatives et leur marge de liberté ; les signes devant être portés par les observateurs susceptibles de les identifier sans les confondre avec des membres des forces de l'ordre qu'ils ne sont pas ; les mesures de sécurité qui ont été prises pour éviter qu'un observateur soit mis en danger, car le port d'un casque de policier par un seul des observateurs, alors que ni le deuxième observateur ni le référent n'en portaient, interroge. Enfin, il faudrait affiner le rôle du policier référent qui dans la présente affaire accompagnait les deux observateurs ; définir s'il y a eu obligation pour les observateurs et leur référent de rédiger des rapports à l'issue de l'observation ; et vérifier que des réunions de préparation et de compte rendu ont été organisées pour que l'observation se passe dans les meilleures conditions, et donne lieu à un retour d'expérience sur les éventuelles difficultés rencontrées.
Aucune règle n'existe sur ces points, seulement des habitudes et des façons de faire au caractère incertain. Je recommande par conséquent, de formaliser un cadre juridique sur la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre concernant notamment la situation des référents, ce qui devrait permettre, à l'avenir, de résoudre certaines des difficultés soulevées par la présente affaire.
Sur les faits qui se sont produits le 1er mai 2018, mes services mèneraient une instruction contradictoire en demandant communication des différents rapports qui ont été rédigés, des enregistrements vidéo conservés et en procédant aux auditions des protagonistes. Dès lors que je ne suis pas saisi, mes observations sont formulées sous forme d'interrogations, et non de constats sur le déroulement des faits. Autrement dit, qu'aurait fait le Défenseur des droits s'il avait été saisi, en mettant en oeuvre les méthodes d'instruction qu'il utilise afin d'accomplir sa mission de contrôle de la déontologie de la sécurité ?
Sur l'une des vidéos, il semble que l'on aperçoit les deux personnes interpellées jeter chacune un projectile sur les forces de l'ordre. Si ces faits étaient confirmés, les conditions pour procéder à leur interpellation paraîtraient réunies. Reste à déterminer qui a donné l'ordre de procéder aux deux interpellations visibles sur les vidéos. Pour quelles raisons les observateurs, dont on sait désormais qu'ils ne sont pas membres des forces de l'ordre, ont-ils pris une part active dans l'interpellation de deux personnes, notamment en faisant usage de la force à leur encontre ? Pour quelles raisons cet ordre n'a-t-il pas été exécuté exclusivement par des policiers ?
Les images vidéo pourraient laisser penser que l'usage de la force par les deux observateurs au cours de leur intervention n'est pas proportionné au comportement des deux personnes interpellées au moment où ces gestes sont pratiqués. Ces gestes ne semblent pas correspondre aux gestes techniques enseignés aux policiers.
De façon générale, le Défenseur des droits apprécie la proportionnalité de l'usage de la force au regard du but poursuivi lors de l'intervention, du contexte d'intervention, du comportement de la personne appréhendée et des lésions médicalement constatées après l'intervention. Des éléments touchant à la personne du réclamant, tels que l'âge ou l'état de santé, entrent également en ligne de compte de même que les gestes techniques ou l'arme utilisés.
Ainsi, parmi les nombreuses affaires traitées en la matière depuis sa création, le Défenseur des droits a constaté un usage disproportionné de la force et recommandé des sanctions disciplinaires dans sept affaires s'étant déroulées dans un contexte de maintien de l'ordre. Trois de ces affaires concernaient un usage disproportionné de lanceurs de balles de défense sur des manifestants alors que les circonstances ne le justifiaient pas ; une autre concernait l'utilisation de gaz lacrymogène sur des manifestants pacifiques ; deux affaires concernaient des coups portés à des manifestants maîtrisés ; et une affaire plus récente, portée devant le Collège consultatif de la déontologie de la sécurité, concernait un manifestant piétiné à l'occasion d'un bond offensif des forces de l'ordre.
La légitimité et l'intensité de l'usage de la force par le personnel en charge de la sécurité pose problème. Faut-il accepter une forte intensité ? Ou bien, au contraire, la diffusion des images sensibilise-t-elle à un usage de la force trop violent ? La réaction des policiers pendant que les observateurs font usage de la force interroge. Que voient-ils ? Que font-ils ? Quelles instructions reçoivent-ils ? Que savent-ils du statut des deux observateurs ? Il semble que les policiers s'éloignent de l'action et qu'aucun agent de la force publique ne s'interpose lorsque M. Benalla maîtrise violemment le jeune homme. Est-ce que les images vidéo donnent une vision exacte de la situation ? Les policiers pensent-ils avoir affaire à un collègue ? Connaissaient-ils le statut des deux observateurs ? Les policiers pensent-ils que l'usage de la force à l'encontre du jeune homme est proportionné ?
Sur les différentes vidéos qui circulent dans les médias, il semble que le policier référent chargé de prendre en charge les deux observateurs est régulièrement en retrait de l'action et n'intervient pas pour expliquer aux observateurs le cadre et les limites de leur présence, ni auprès des autres policiers présents.
Mon quatrième point porte sur les suites données à ces événements. Les policiers présents ont-ils rédigé des rapports à l'issue de leur mission, comme c'est la norme dans les réclamations traitées par le Défenseur des droits, notamment sur les violences dont ils ont été témoins et qui ont fait l'objet de l'ouverture d'une information judiciaire après la diffusion des vidéos sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire après le 18 juillet ?
La hiérarchie des policiers, informée très rapidement après les faits grâce aux vidéos circulant sur les réseaux sociaux, a-t-elle demandé des rapports circonstanciés aux policiers qui sont intervenus ?
Pour quelles raisons ces faits, vraisemblablement décrits dans des rapports, semblent ne pas avoir eu immédiatement de suites, ni judiciaires en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, ni administratives avec une saisine de l'IGPN ?
L'absence de saisine de l'IGPN dès le 1er mai s'explique-t-elle par le fait que les observateurs ne sont pas policiers ou parce que les réactions des policiers visibles sur les vidéos ne sont pas susceptibles de révéler des manquements ? Au regard des incertitudes qui semblaient exister sur le statut des protagonistes et sur les responsabilités prises par les membres de la hiérarchie policière, on pourrait s'interroger sur l'éventualité d'une enquête immédiate de l'IGPN.
Il semble que le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, ait délivré une habilitation à M. Benalla, le 9 juillet 2018, pour être dirigeant d'une entreprise de sécurité privée. Cette habilitation aurait-elle été remise en cause si les faits du 1er mai avaient donné lieu à une enquête judiciaire ou administrative ?
Permettez-moi pour conclure de souhaiter que la présente situation ne nuise pas à la pratique des observateurs, car l'observation extérieure et indépendante est une garantie de transparence indispensable au bon fonctionnement des services publics, singulièrement de ceux qui sont chargés des missions particulièrement difficiles de la sécurité et du maintien de l'ordre.
À cet égard, permettez-moi de rappeler quelles sont les préoccupations du Défenseur des droits s'agissant de la doctrine du maintien de l'ordre, ainsi que ses propositions. Au début de l'année 2017, nous avions reçu une demande d'étude du président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, que nous avons remise en janvier 2018 à son successeur, M. François de Rugy. Cette étude, conduite sous ma responsabilité par Claudine Angeli-Troccaz, dresse un bilan des outils et des méthodes du maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie. Je me suis appuyé sur une quarantaine de professionnels compétents en la matière, sur des éléments comparatifs internationaux et, enfin, sur des recommandations formulées à l'issue du traitement de réclamations individuelles.
Il serait souhaitable que les recommandations issues du rapport soient prises en compte dans le cadre des travaux que mène aujourd'hui la police nationale en vue de faire évoluer la doctrine du maintien de l'ordre. Elles me semblent pouvoir vous éclairer dans le cadre de vos travaux.
Ces recommandations sont au nombre de trois.
Premièrement, la gestion du maintien de l'ordre doit reposer sur l'emploi de forces professionnalisées et formées, comme les compagnies républicaines de sécurité et la gendarmerie mobile, alors que la pratique du maintien de l'ordre est aujourd'hui assez disparate. Elle diffère entre l'Île-de-France et les régions, entre les unités constituées et spécialisées en maintien de l'ordre et celles qui ne le sont pas. Ce constat appelle un renforcement de la formation et du contrôle des forces chargées de l'ordre public.
Deuxièmement, dans le cadre du maintien de l'ordre, les personnels recourent à de multiples armes de force intermédiaires, dont certaines, bien qu'elles soient qualifiées de « non létales », sont susceptibles de provoquer des dégâts considérables, voire d'entraîner des décès. Nous sommes saisis de plusieurs cas de blessures graves ou de décès à la suite de l'utilisation de ces armes lors de manifestations. Sont en particulier concernés les deux lanceurs de balles de défense « LBD 40x46 » et le Flash-Ball superpro, qui sont souvent utilisés sans respecter toutes les règles d'emploi. Si le Flash-Ball superpro ne fait pas partie de la dotation des gendarmes mobiles et s'il a été retiré de la dotation des policiers nationaux, preuve que les objurgations du Défenseur des droits ont eu quelque efficacité, il fait encore partie de la dotation d'autres unités de gendarmerie susceptibles d'intervenir en maintien de l'ordre, en renfort des gendarmes mobiles. J'ai donc recommandé que tous les lanceurs de balles de défense soient retirés de la dotation des forces de sécurité qui interviennent en maintien de l'ordre.
Troisièmement, j'ai constaté une certaine judiciarisation du maintien de l'ordre, ce qui me paraît soulever des difficultés au regard de l'équilibre entre les enjeux de sécurité, qui sont clairs, et la protection des libertés publiques. J'ai donc recommandé de recentrer le maintien de l'ordre sur la mission de police administrative de prévention et d'encadrement de l'exercice de la liberté de manifester, dans une approche d'apaisement, de désescalade, et de protection des libertés individuelles. J'ai proposé de renforcer la communication et le dialogue dans la gestion de l'ordre public, avant et pendant le déroulement des manifestations, afin notamment de rendre plus compréhensible l'action des forces de sécurité et de favoriser la concertation. Enfin, j'ai proposé de limiter le recours à certaines techniques attentatoires aux libertés, telles que l'encagement, les contrôles délocalisés, ce qui soulève à nouveau la question plus générale des contrôles d'identité, et d'autres pratiques mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence (les zones de protection, les filtrages, etc.).
S'interroger sur l'ensemble des questions que peut poser le maintien de l'ordre aujourd'hui pourrait permettre à la Haute Assemblée, souvent avide de réflexions en profondeur, de mieux appréhender le contexte d'une affaire ponctuelle - une information judiciaire est en cours -, mais aussi un enjeu très fort pour la démocratie : comment assurer la liberté de manifester, c'est-à-dire le respect des libertés publiques, tout en garantissant la sécurité des manifestants, de ceux qui ne manifestent pas, et des forces de sécurité, conformément, notamment pour ces dernières, aux principes et aux règles de la déontologie de la sécurité ?
- Présidence de M. François Pillet, vice-président -
Merci, monsieur le Défenseur des droits, de ce propos liminaire. Certaines de vos questions et de vos réserves rejoignent incontestablement les nôtres. Vous avez axé une partie de vos propos sur la présence d'observateurs, dont l'utilité est reconnue, la question étant de savoir comment elle peut être mieux encadrée et circonscrite. La commission jugera s'il y a lieu sur ce point d'effectuer ou non une recommandation, avec le degré de force qui lui apparaîtra nécessaire.
Vous le savez, monsieur le Défenseur des droits, une vidéo tournée lors des manifestations du 1er mai a été diffusée sur les réseaux sociaux dès le 2 mai. On y voit une personne intervenant de manière un peu rugueuse, sans maîtriser les gestes techniques de l'interpellation, au milieu des forces de police. Cette personne a été identifiée comme étant un observateur, M. Benalla, ayant probablement échappé à son référent policier, chargé de le protéger et de vérifier qu'il ne se comportait pas de manière inappropriée. Ces informations ont été portées à la connaissance du ministère de l'intérieur dès le 2 mai, mais celui-ci n'a pas saisi l'IGPN pour connaître notamment les circonstances de ces actes.
Le 18 juillet, une nouvelle vidéo est médiatisée. On y voit la même personne, dans des circonstances un peu différentes, de sorte qu'apparaissent à l'écran de nouveaux éléments : on constate que cet observateur portait un brassard de police et qu'il conversait avec une radio de police. Le ministère de l'intérieur a alors saisi l'IGPN, au motif, comme l'a déclaré M. le ministre de l'intérieur au cours de son audition, que le port du brassard et la détention de la radio étaient des éléments suffisants pour justifier cette saisine.
Estimez-vous, au regard de ces éléments, que l'IGPN aurait dû être saisie dès le visionnage de la première vidéo de l'interpellation le 2 mai ?
Je souhaite ajouter une précision. Le délai entre les évènements et leur révélation par la presse a fait que la plupart des vidéos les concernant ont disparu, puisque les vidéos de vidéosurveillance sont conservées pendant trente jours.
Concernant la saisine de l'IGPN, je distinguerai une saisine pour une enquête purement administrative, portant alors sur des policiers, et non sur les deux observateurs, une enquête au champ étroit donc, et une ouverture d'enquête judiciaire, dont l'IGPN a le pouvoir, ouverture justifiée par la violence des faits, éventuellement constitutifs d'une infraction pénale. La directrice de l'IGPN a justement expliqué, ce matin lors de son audition, qu'il n'y avait pas eu de telle saisine car la force employée avait été considérée comme proportionnée. À partir de cette réflexion, j'ai posé tout à l'heure la question de la légitimité et de l'intensité de l'usage de la force par les forces de sécurité. De mon point de vue, la question pouvait vraiment se poser d'ouvrir, en tous cas, une enquête judiciaire au moment des faits, mais je me garderai bien de donner mon opinion parce que je n'ai aucun titre à le faire.
Ma question de la saisine de l'IGPN concernait les personnes qui connaissaient le statut d'observateur de M. Benalla et qui savaient que l'on était totalement hors du cas d'une interpellation normale.
Là, je serais bien impuissant à sonder les coeurs de ces personnes...
Votre discours liminaire est précieux, il m'a fait penser à la possibilité de réfléchir à une proposition de loi permettant d'encadrer le statut d'observateur, qui reste assez flou. Il est par ailleurs étonnant de constater que le ministre de l'intérieur et le préfet de police de Paris ont été informés des évènements par l'Élysée, et non par la police nationale. Or, compte tenu de la gravité des faits, il aurait été normal que le responsable de la sécurité publique sur place rende compte de l'évènement au Préfet de police et au ministre de l'intérieur.
Concernant l'article 40 du code de procédure pénale, la question de son application a été posée au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris. Ils ont répondu que, l'Élysée ayant été saisi, c'était à l'Élysée de saisir la justice. Quelle est votre opinion sur le fait que tout le monde se dérobe quant à l'application de l'article 40 ?
Par ailleurs, lorsque quelqu'un dysfonctionne aussi gravement, il est indispensable qu'il y ait une sanction. Il y a eu une mise à pied de quinze jours, et une retenue sur salaire. Mais ensuite, M. Benalla est revenu, plus ou moins dans les mêmes fonctions. Si j'avais été son patron, je l'aurais exfiltré totalement, par exemple dans un service administratif. Je ne l'aurais pas replacé en première ligne sur des opérations de sécurité et de protection. La question de la traduction concrète du dessaisissement des questions de sécurité a été posée au directeur de cabinet du Président de la République. Ce dernier a répondu que M. Benalla a continué à s'occuper des déplacements privés du Président. Mais il s'est aussi occupé de l'accueil des footballeurs à Roissy, des cérémonies du 14 juillet et de l'entrée au Panthéon de Simone Veil. Il y a eu maldonne dans le sens où M. Benalla a eu des fonctions analogues avant et après les évènements du 1er mai : cela vous paraît-il normal ?
Sur la deuxième question, je ne peux que proposer des solutions respectueuses du droit et des droits, y compris de la personne concernée. Je récuse la pratique des sanctions dissimulées. Dans des réclamations que nous recevons en matière de discrimination, nous voyons des personnes à qui sont confiés des dossiers inférieurs. Cela ne constitue pas une sanction mais s'apparente à une discrimination. Je ne peux pas juger du cas de la personne en cause en l'espèce, mais la règle de droit, y compris le droit du travail, doit s'appliquer. Concernant l'article 40 du code de procédure pénale et son application, ma réponse est liée à l'indépendance et l'impartialité du statut constitutionnel du Défenseur des droits. Si j'avais été saisi des faits en cause, je les aurais signalés au procureur de la République, comme je l'ai fait à l'occasion de la manifestation contre la loi « travail » par ma décision n° 2017-320 du 1er décembre 2017. Mais aujourd'hui je ne suis pas devant vous comme simple citoyen mais comme Défenseur des droits. Je n'ai donc pas à exprimer d'opinion.
J'aimerais apporter une rectification. En effet, M. Alexandre Benalla n'a pas eu comme sanction une retenue sur son traitement mais une retenue sur des congés payés non pris. M. le Défenseur des droits, avez-vous déjà eu connaissance d'incidents impliquant des observateurs dans des manifestations ? Ce 1er mai 2018, place de la Contrescarpe, l'intervention des CRS était-elle justifiée ? L'inspection générale de la police nationale, par sa directrice Mme Moneger-Guyomarc'h, a évoqué devant nous des gestes techniques mal maîtrisés qui n'ont pas entraîné de préjudice. M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'acharnement de M. Benalla sur les personnes frappées. Enfin, vous avez évoqué un agrément délivré à M. Alexandre Benalla pour créer une entreprise de sécurité privée. C'est un élément nouveau.
Une habilitation a été délivrée en 2014, valable jusqu'en 2019 comme agent de sécurité privée. La question est de savoir si l'activité de M. Benalla était celle d'un agent de sécurité privée, auquel cas je serais compétent.
Je n'ai pas eu à connaître de cas mettant en cause des observateurs. En revanche, des observateurs peuvent être victimes d'agissements et venir porter réclamation auprès de moi, comme par exemple des journalistes pris à partie. Je ne peux pas vous dire comment se déroulait la manifestation du 1er mai 2018 à l'endroit précis évoqué. Mais l'usage de la force et son degré sont de vraies questions. Peut-être seront-elles élucidées par l'information judiciaire.
Vous avez parlé d'un élément distinctif des observateurs lors de manifestations. En existe-t-il d'autres ? D'après nos auditions, les observateurs seraient également équipés d'un casque et d'un gilet pare-balles.
Les journalistes revêtent des éléments distinctifs lors des manifestations, y compris lorsqu'ils ne sont que simples observateurs. Établir une règlementation est indispensable pour sortir de ce flou mais ce sera difficile car l'observation comprend le travail de la presse qui ne peut-être encadré. Un journaliste ne demande pas d'autorisation pour exercer son métier. Des ONG sont présentes dans les manifestations avec pour mission par exemple la prise en charge sanitaire. Leurs membres portent des signes distinctifs. Les exigences minimales du statut d'observateur seraient faciles à déterminer.
Nous vous remercions Monsieur le Défenseur des droits, vous connaissez l'attachement du Sénat au respect des droits et libertés fondamentales.
Ma mission, définie à l'article 71-1 de la Constitution, m'amène à aider la représentation nationale dans sa tâche.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 45.