Cette question renvoie à l'article 40 du code de procédure pénale et, pour l'IGPN, au droit disciplinaire. Je vais vous donner très sincèrement, puisque vous m'y invitez, mon sentiment de haut fonctionnaire. Le 2 mai, le cercle de ceux qui savent est au courant de ce qui s'est passé. Si les faits sont graves, le préjudice - je vais peut-être vous choquer - ne l'est pas, puisque les personnes interpellées de manière irrégulière ne sont pas blessées et ne portent pas plainte ; elles seront amenées rue de l'Évangile et ne seront pas placées en garde-à-vue.
Ma conception de l'application du droit n'engage que moi, mais elle reflète la pratique courante. La règle de droit est écrite dans toute sa sécheresse : tout fonctionnaire, tout agent public qui a connaissance de faits délictueux a l'obligation de saisir le procureur de la République. J'ai suivi les débats, notamment à l'Assemblée nationale, sur la question de savoir qui devait effectuer le signalement : le ministre, le directeur de cabinet du ministre, le directeur de cabinet du Président de la République, le préfet de police, le directeur de l'ordre public et de la circulation... Beaucoup de hauts fonctionnaires savaient et, en application stricte du texte de l'article 40 du code de procédure pénale, étaient en situation d'informer le procureur de la République. Mais nous ne sommes pas dans un système de fonctionnaires-robots qui appuieraient sur un bouton rouge ou sur un bouton vert. Nous regardons la manière dont les choses se sont passées, nous les contextualisons et nous essayons de faire une application intelligente du droit.
Je vous parle de la vraie vie, je ne fais pas un cours de droit !
En l'espèce, les faits sont extrêmement graves, et tout le monde les a qualifiés comme inacceptables. Ils sont commis par un jeune homme qui, à mon avis, a perdu les pédales, qui a pris, comme on dit, la grosse tête et s'est senti pousser des ailes en raison de l'administration prestigieuse dans laquelle il se trouve. Que fait le directeur de cabinet du Président de la République, dès qu'il en a connaissance ? Il le convoque, lui demande des explications et lui inflige une sanction disciplinaire qui, contrairement à ce que j'ai entendu, n'est pas clémente. Ce n'est pas une suspension, mais une mise à pied, puisque M. Benalla est contractuel. S'il avait été fonctionnaire, cela équivaudrait à une exclusion temporaire de fonctions, qui est une sanction du deuxième groupe, donc grave.
Ainsi, la sanction qui est infligée à M. Benalla n'est pas une sanction anodine. Dans la fonction publique, l'exclusion temporaire de fonctions de quinze jours aurait sans doute été prononcée, et elle aurait sans doute été assortie d'une période complémentaire de sursis d'un ou deux mois, comme une sorte d'épée de Damoclès pédagogique. Ajoutons que, dans la lettre de sanction, le périmètre fonctionnel de M. Benalla est modifié. Dans la fonction publique, cela équivaudrait à confier d'autres missions au fonctionnaire, ce qui serait illégal car constitutif d'une double sanction. La sanction infligée à M. Benalla n'est donc pas légère. Même, elle est plus sévère que celle qui aurait pu être infligée à un fonctionnaire.
Honnêtement, placé dans la même situation que M. Patrick Strzoda, j'aurais pris exactement la même décision - et je ne suis pas connu pour être particulièrement léger dans l'application du droit. Bien sûr, si les actes de M. Benalla avaient entraîné des préjudices graves, la question ne se serait même pas posée et nous n'aurions pas parlé de l'article 40, parce que le procureur se serait immédiatement saisi lui-même du sujet.
Autre exemple de l'application du droit : M. Gibelin, n'était pas au courant. Son adjoint non plus, et tombe de l'armoire, a-t-il déclaré. Il va voir son numéro 3, M. Simonin qui, lui, est au courant, puisque c'est lui qui a donné l'autorisation. En prenant une telle initiative, M. Simonin est coupable d'un triple manquement disciplinaire : il a manqué à son devoir d'obéissance, parce qu'il savait très bien que ces autorisations-là relèvent exclusivement du préfet de police ; il a manqué à son devoir de loyauté ; et il a manqué à son devoir de rendre compte. Quand on est contrôleur général de la police nationale et qu'on manque à ces trois principes de la déontologie, l'application du droit dans toute sa sécheresse commande une sanction disciplinaire : un avertissement, un blâme, une sanction du premier groupe. Pourtant, M. Gibelin ne prononce pas de sanction, mais réprimande vertement M. Simonin. Dans la police nationale, un directeur des services actifs qui réprimande vertement un contrôleur général, cela marque.
Le code de déontologie de la police nationale n'est pas du droit mou : ce n'est pas une circulaire, ni une instruction mais un décret, d'ailleurs commun à la police et la gendarmerie. Son application automatique aurait dû conduire à une sanction disciplinaire, fût-ce une sanction du premier groupe. Or une telle sanction n'a pas été prononcée à l'égard de M. Simonin. Eh bien ! À la place de M. Gibelin, à la place du préfet de police, j'aurais fait exactement la même chose : j'aurais choisi d'autres chemins.
Peut-être certains d'entre vous ont-ils été maires de collectivités territoriales et, à ce titre, à la tête d'une administration municipale nombreuse. Il a pu vous arriver qu'un employé commette des indélicatesses. Je ne suis pas sûr - et je le comprendrais - qu'à chaque fois vous ayez saisi le procureur de la République.