Intervention de Yannick Vaugrenard

Réunion du 26 juillet 2018 à 10h30
Accord avec l'autriche sur la réadmission des personnes en situation irrégulière — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard :

Monsieur le président monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous devons ce matin nous prononcer sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.

Ce texte ne tend qu’à moderniser les dispositions actuelles afin de les rendre plus conformes au cadre juridique. Il n’est donc que d’adaptation technique, comme c’est fréquemment le cas pour ce genre d’accord à réactualiser.

Première remarque, ce texte signé en 2007, ratifié par l’Autriche en 2014, le sera donc par la France en 2018 ! On ne peut, bien sûr, que déplorer l’extrême lenteur de nos procédures.

Deuxième remarque, un texte ne peut jamais échapper à son contexte. C’est particulièrement le cas ici, le contexte étant celui d’une Autriche qui préoccupe, voire inquiète, l’Union européenne, au moment où cet État vient d’en prendre la présidence pour six mois, avec un nouveau gouvernement dont on ne peut savoir avec certitude de quelle manière il appliquera ce projet de loi.

C’est pourquoi Hélène Conway-Mouret et le groupe socialiste et républicain ont souhaité que, à l’occasion de l’examen de ce dernier, nous ayons un échange sur l’évolution politique de l’Autriche, et plus généralement de l’Europe. Bien sûr – je rejoins sur ce point le président de la commission –, nous pourrons dès le mois d’octobre nous saisir, en lien avec la commission des affaires européennes du Sénat, de cette question primordiale, essentielle pour le devenir de notre continent qu’est la montée du national-populisme, au-delà de la problématique migratoire.

L’Europe, comme le monde, est en crise. Des dangers la menacent et le socle démocratique et pacifique sur lequel elle s’est construite est désormais vacillant. Bref, il n’est pas urgent d’attendre pour s’en inquiéter, essayer de comprendre et exprimer nos différents points de vue.

Le 1er juillet, la Bulgarie a donc passé le flambeau à l’Autriche, désormais dirigée par une coalition conservatrice de droite et d’extrême droite. Ainsi, le conservateur Sebastian Kurz, devenu chancelier, a proposé une alliance à l’extrême droite, représentée par l’historique FPÖ, fondé en 1956 par d’anciens nazis et dirigé alors par un ancien Waffen-SS. Ce parti d’extrême droite détient désormais trois ministères régaliens, et non des moindres : l’intérieur, la défense et les affaires étrangères.

C’est la seconde fois en vingt ans que l’extrême droite arrive au pouvoir en Autriche. La première fois, en 2000, cela avait entraîné des manifestations d’écœurement absolument gigantesques. Le Gouvernement autrichien fut l’objet d’une réprobation internationale très forte et l’Union européenne maintint durant plusieurs mois des sanctions contre Vienne. Dix-sept années ont passé, mes chers collègues, et le présent accord de gouvernement autrichien n’a pas suscité d’indignation particulière sur la scène européenne !

Cette frilosité, alors que l’Autriche prend les rênes de l’Europe, est une aberration collective insupportable. Elle est en contradiction absolue avec le dernier hommage rendu à Claude Lanzmann, merveilleux auteur du documentaire Shoah.

Au-delà du seul cas de l’Autriche, c’est la progression de l’extrême droite, et plus généralement du national-populisme, qui inquiète. En effet, ce vent mauvais souffle aussi en Bulgarie, en Hongrie, en Pologne, en Finlande et même, dernièrement, dans l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, l’Italie.

L’Union européenne affronte donc la crise la plus grave de son histoire, et un doute très profond s’est même fait jour dans l’opinion sur sa viabilité à long terme, son efficacité et sa capacité réelle à protéger.

Curieusement, et peut-être aussi dangereusement, s’est installée l’idée que nous vivrions sur un continent de paix éternelle. Mais rien n’est jamais définitivement acquis ! Nous savons que les conditions économiques et sociales déterminent très fréquemment le reste. Or, au-delà des aspects éthiques et moraux, c’est la persistance des difficultés économiques et sociales qui engendre le rejet et la crainte de la différence. C’est aussi elle qui suscite le scepticisme et le désenchantement de nos concitoyens européens.

Constatons également que l’absence de réponse coordonnée et immédiate, ainsi que le refus de prendre en considération les difficultés rencontrées par les pays de premier accueil des réfugiés, ont incontestablement pesé dans l’issue des dernières consultations électorales en Italie !

L’absence de courage politique en ces circonstances est coupable et, ayant feint d’oublier que les côtes italiennes étaient aussi les côtes européennes, nous en subissons les conséquences. Nos opinions ont besoin, et c’est normal, d’une Europe qui les protège, non seulement de la guerre, mais aussi socialement et collectivement.

Au bout du compte, je suis convaincu d’une chose : l’Europe sera un jour sociale ou elle ne sera pas, ou elle se délitera.

Une réorientation de l’Europe est donc indispensable. Nous sommes désormais vingt-sept, et c’est évidemment beaucoup plus compliqué qu’à six. Toutefois, prenons acte du fait que le traité de Lisbonne permet d’avancer à quelques-uns, d’autres pouvant ensuite nous rejoindre, notamment dans les domaines sociaux, de la défense, de la recherche ou encore de l’environnement. Nous l’avons fait pour la monnaie, pourquoi ne pas le faire pour d’autres sujets tout aussi importants ?

Soulignons, par ailleurs, que notre période est dangereuse à plus d’un titre. Le fait majeur de ces deux dernières années ne serait- il pas l’élection de Donald Trump, aux États-Unis ? Cela a changé la donne internationale, le doute et l’inquiétude dominant désormais.

Lorsque Donald Trump déclare que l’Europe est un ennemi économique, il y a de quoi s’inquiéter. Lorsque ses attitudes donnent à penser que la solidarité au sein de l’OTAN est sujette à caution, nous comprenons bien que notre approche géopolitique est susceptible d’évoluer. Le dernier fiasco de Donald Trump au sommet d’Helsinki avec Vladimir Poutine et ses déclarations aussi dangereuses qu’imprévisibles ajoutent encore à la confusion. Dorénavant, nous risquons de retrouver les partenariats précaires et révocables du monde d’avant la Seconde Guerre mondiale.

Très paradoxalement, c’est à un moment où l’Europe devrait s’imposer d’être plus forte qu’elle est en train de s’affaiblir.

C’est malheureusement dans ce contexte que l’Autriche présidera aux destinées de l’Union européenne durant six longs mois. En conséquence, la vigilance doit être extrême et les condamnations plus virulentes, car il est des principes sur lesquels on ne peut et on ne doit absolument pas transiger. Je crois nécessaire de rappeler ici ces mots de Primo Levi : « Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre. »

L’examen de ce projet de loi au contenu plutôt technique est aussi l’occasion de souligner les dangers qui menacent aujourd’hui notre continent. L’enjeu n’est pas mince. Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France après les premières déclarations de l’Autriche, s’agissant notamment de la politique migratoire de l’Europe ? La position commune européenne, en 2000, était que les ministres d’extrême droite autrichiens ne devaient être reçus par aucun de leurs homologues européens : qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en est-il de la position de la France ? Tout à l’heure, vous avez dit que nous marchions sur deux pieds : l’humanité et la fermeté ; n’oublions pas la fermeté à l’égard de l’actuel gouvernement autrichien !

Au-delà de la protection sociale que l’Europe doit offrir aux populations les plus en difficulté, notre pays se doit aussi de signifier par des actes forts la primauté des valeurs humanistes sur lesquelles s’est construite l’Union européenne. Notre mémoire ne peut et ne doit pas être défaillante, car, comme le soulignait fort justement Érik Orsenna, « la mémoire, c’est la santé du monde ».

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