Intervention de Robert del Picchia

Réunion du 26 juillet 2018 à 10h30
Accord avec l'autriche sur la réadmission des personnes en situation irrégulière — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapporteur René Danesi a parfaitement exposé les termes de ce projet de loi, qui est de nature technique.

C’est pour pouvoir revenir sur le contexte plus global de la gestion de la crise migratoire par l’Union européenne sous présidence autrichienne que les groupes socialiste et républicain et CRCE ont demandé l’examen en séance publique de ce texte, dont la seule teneur ne le justifiait peut-être pas totalement, en tout cas aux yeux de la commission.

Comme l’a indiqué le président Christian Cambon, la commission des affaires étrangères ne refuse pas ce débat. Au contraire, celui-ci est très important pour nos concitoyens puisque, sur la question de la sécurité et du contrôle des frontières extérieures, 80 % des citoyens européens demandent à l’Europe d’en faire plus. À un an des élections européennes, cette préoccupation légitime doit être entendue.

La question des migrations est d’une actualité brûlante et dramatique, tout le monde le sait, et la traiter relève finalement d’une nécessité pour l’Europe : c’est en quelque sorte le test de la capacité de celle-ci à gérer les problèmes européens. Il y a là un enjeu en termes de crédibilité pour l’Union européenne.

La commission des affaires étrangères et celle des affaires européennes ont d’ailleurs saisi le président du Sénat en vue de la tenue d’un débat dans l’hémicycle, à la fin du mois d’octobre, sur la gestion européenne de la crise migratoire, alors que le Conseil européen aura sans doute tracé, à la mi-octobre, les premières perspectives ouvertes par le mini-sommet sur les migrations de juin dernier.

La conviction du groupe Les Républicains est qu’il faut consolider la stratégie migratoire de l’Union européenne et freiner l’afflux de migrants. Évidemment, il faut aller à la racine et traiter dans les pays sources la cause des migrations.

Mais l’Europe n’a pas non plus rien fait depuis 2015. Je rappelle que plus d’un million de migrants sont entrés en Europe par la Grèce et la route des Balkans en 2015, et que 700 000 sont arrivés en Italie par la mer depuis 2011.

Aujourd’hui, il y a dix fois moins de migrants qui se rendent en Europe qu’en 2015. Cela signifie que notre continent s’est organisé pour faire face. Des progrès ont été réalisés : renforcement des contrôles aux frontières extérieures, déploiement de 1 700 officiers du nouveau corps des gardes-frontières et des garde-côtes en soutien aux 100 000 agents nationaux des États membres, progression de l’interopérabilité des systèmes nationaux de gestion des frontières et des migrations, directive sur les armes, renforcement de la coopération avec les pays tiers, etc. Il faut aussi reconnaître que l’accord migratoire de mars 2016 avec la Turquie a produit des effets indéniables. La Commission européenne a en outre proposé une augmentation importante des effectifs du budget de FRONTEX après 2010.

Ces progrès sont substantiels, mais les difficultés sont loin d’être résolues. Plusieurs États membres ont rétabli des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen afin d’empêcher l’entrée de migrants arrivés par l’Italie ou la Grèce. C’est aussi ce qu’a fait la France, à la frontière italienne. Notre pays est en effet exposé, via les mouvements secondaires, aux flux migratoires venant de Libye et transitant par l’Italie.

Cette fermeture des frontières et les arrivées incessantes sur ses côtes ont fait peser sur l’Italie, par ailleurs confrontée au mécontentement croissant de sa population, une charge écrasante. Chacun sait comment ce mécontentement s’est exprimé dans les urnes.

En trois ans, l’exception hongroise s’est propagée à toute l’Europe centrale : Varsovie, Prague, Bratislava ont rejoint Budapest et se dirigent vers une renationalisation de la politique migratoire. Aujourd’hui, ce mouvement gagne la partie occidentale de l’Europe. L’Autriche, et maintenant l’Italie, ont basculé. Quelque 500 000 migrants sont toujours présents en Italie. Quant à l’Autriche, elle détient le record d’Europe du taux d’immigrés par habitant, des immigrés auxquels elle applique une politique d’intégration coûteuse pour les contribuables.

Mes chers collègues, chacun sait que les problèmes de fond se situent dans les pays sources. C’est donc un traitement en profondeur du problème qu’il faut mettre en place, incluant une coopération avec les pays d’origine et de transit, ainsi qu’une aide au développement plus efficace. Mme Merkel parlait même d’un plan Marshall pour l’Afrique.

Notre commission, qui a récemment travaillé sur la Libye, connaît bien la situation de ce pays devenu une voie de transit vers l’Europe pour les travailleurs migrants d’Afrique de l’Ouest et les réfugiés en provenance de la Corne de l’Afrique.

Sur la route de la Méditerranée centrale, la Libye, qui était autrefois un verrou, est devenue une véritable pompe aspirante des migrations, avec une véritable économie des passeurs à laquelle il faut s’attaquer. En Libye, mes chers collègues, l’économie de la migration représente de 20 % à 25 % du PIB. Si elle est d’abord le fait de réseaux structurés dotés de ramifications internationales, elle implique aussi directement ou indirectement une grande partie de la population libyenne. Le trafic de migrants est une importante source de revenus pour les groupes armés qui rackettent les trafiquants ou prennent le contrôle des réseaux. Il alimente aussi la corruption de fonctionnaires sous-payés – un garde-côte libyen gagnerait 140 euros par mois –, qui ferment les yeux sur les flux illicites.

Nous connaissons tous les limites de l’opération Sophia, dont la mission est de démanteler le modèle économique des passeurs, mais qui se heurte à la réalité, c’est-à-dire à l’impossibilité, pour ses bâtiments, d’entrer dans les eaux territoriales libyennes. En haute mer, ils font surtout de la surveillance et des sauvetages et, malgré eux, le jeu des passeurs. La mission Sophia a dû ramener en Italie quelque 45 000 migrants.

Il y aurait à ce jour environ 700 000 migrants en Libye. Le sort épouvantable qu’ils subissent dans les centres de détention est connu, notamment grâce aux rapports des ONG. Les centres de ce type seraient au nombre d’une soixantaine, la moitié étant sous contrôle du gouvernement d’entente nationale, les autres aux mains des milices. Je vous épargne l’énumération des graves violations des droits humains dont ces migrants sont victimes : privations, travail forcé, viols, tortures, etc. Certains sont même revendus aux réseaux de traite qui prospèrent dans le pays.

L’action menée, notamment via les garde-côtes, a entraîné une baisse spectaculaire des départs. En 2017, le nombre de traversées sur la route de la Méditerranée a diminué d’un tiers par rapport à 2016, passant de 180 000 à 119 000. Sur les cinq premiers mois de cette année, ce chiffre tend à baisser encore plus, puisque le nombre de traversées a été ramené à 13 500.

Cette stabilisation n’en reste pas moins très fragile et dépendante, à la fois, du processus politique en Libye et de la lutte contre les réseaux de passeurs, notamment les têtes de réseaux. L’adoption de sanctions individuelles par le Conseil de sécurité des Nations unies contre des trafiquants de haut niveau est une première avancée. Les mandats d’arrêt émis en mars dernier par la justice libyenne contre 200 trafiquants de migrants, libyens et étrangers, vont aussi dans le bon sens. Mais il faut faire plus, notamment en s’attaquant aux flux financiers considérables qui émanent de ce trafic et qui transitent par l’étranger. La solution de long terme est naturellement de tarir le flux migratoire en amont.

Je terminerai en rappelant que la France contribue largement à la stabilisation de la région sahélienne en conduisant et en finançant, seule, l’opération Barkhane, avec 4 500 soldats déployés dans cinq pays – le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso, la Mauritanie –, et en agissant pour la sécurité, et donc le développement. Il faut, je le crois, rendre hommage à ces soldats.

Selon les projections de l’ONU, l’Afrique comptera 2, 4 milliards d’habitants en 2050, contre 1, 3 milliard aujourd’hui. Si elle ne met pas en place un plan d’aide au développement de grande ampleur pour retenir les migrants, l’Europe risque de ne pas pouvoir surmonter la crise.

La question migratoire pourrait déterminer, mes chers collègues, l’avenir de l’Europe, dont elle remet en cause le modèle politique, économique et social. Pour Angela Merkel, cette crise est un test définitif pour l’avenir de l’Europe. Elle rejoint sur ce point le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, qui déclarait à la fin juin que, « sur la crise des migrants, l’Europe joue son destin ».

Mes chers collègues, nous sommes bien loin de la convention technique avec l’Autriche qui nous est soumise et que nous approuverons par notre vote, mais ces questions migratoires sont essentielles pour nos concitoyens. Le groupe Les Républicains participera très activement aux débats qui y seront consacrés.

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