Intervention de Michel Laugier

Réunion du 26 juillet 2018 à 10h30
Encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Michel LaugierMichel Laugier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé, la commission mixte paritaire n’a pas fondamentalement changé le texte issu des travaux du Sénat. Je ne m’étendrai donc pas longuement sur ces modifications qui nous conviennent. La commission mixte paritaire a conservé le principal apport de la Haute Assemblée, à savoir l’extension aux lycées de l’interdiction des portables et appareils de communication électronique. Elle a juste précisé que les usages pédagogiques pourraient justifier leur autorisation ponctuelle au lycée, tout en rétablissant l’article 2, relatif à l’éducation au numérique, et la notion de « citoyenneté numérique », à l’article 3.

À défaut d’être très utiles, ces précisions ont au moins le mérite de nous ramener au vrai sujet : celui de la place du numérique dans l’éducation. Alors, parlons-en !

En première lecture, monsieur le ministre, vous avez relevé ce qui vous semblait être un paradoxe : tous les orateurs se sont étonnés que le législateur ait à se prononcer sur un sujet aussi anecdotique que l’interdiction du téléphone portable à l’école et tous ont, dans le même temps, insisté pour dire qu’il s’agissait là d’une question fondamentale. Vous avez raison, cela semble tout à fait paradoxal. Je vais pourtant essayer de vous convaincre que le paradoxe n’était qu’apparent.

Il n’y a en réalité rien de paradoxal. Il est tout à fait normal que l’on s’interroge sur le rôle du législateur. L’interdiction du téléphone portable devrait exclusivement relever du règlement intérieur de l’établissement. Mais nous sommes obligés de légiférer parce que l’interdiction du téléphone portable figurait déjà dans le code de l’éducation.

Le problème n’est donc pas qu’avec ce texte nous transformions le code de l’éducation en règlement intérieur de l’établissement, mais que nous constations, à l’occasion de son examen, qu’il l’était déjà. Cela devrait nous inciter à engager une réflexion plus large sur le rôle du législateur en matière d’éducation.

Nombre de mes collègues ont observé que nous débattions longuement de l’interdiction du téléphone portable, alors que nous n’avons pas, jusqu’à présent, été saisis de la réforme du baccalauréat.

Ils sont nombreux aussi à avoir observé, monsieur le ministre, que vous n’étiez pas responsable de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. Ce serait la Constitution. Mais en est-on bien sûr ? En vertu de l’article 34 de la Constitution, « la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement ». Est-il fondamental d’interdire l’usage téléphone portable à l’école ? Est-il secondaire de réformer le baccalauréat ? Le Conseil constitutionnel ne devrait-il pas censurer le présent texte pour incompétence du législateur ? Censurerait-il une loi portant réforme du baccalauréat ? Il semblerait que nous soyons collectivement responsables d’une mauvaise interprétation de l’article 34 de la Constitution en matière d’enseignement.

Au fil du temps, nous avons intégré dans le code de l’éducation des dispositions qui auraient dû rester d’ordre réglementaire et abandonné au seul exécutif les réformes les plus fondamentales. Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas remettre tout cela à plat sans modifier la Constitution ? Dans la négative, pourquoi ne pas profiter de l’actuelle révision constitutionnelle pour le faire ?

J’en viens maintenant à l’autre branche de l’apparent paradoxe sénatorial : l’importance du sujet.

Ce qui nous semble important, ce n’est pas l’interdiction du téléphone portable en soi, encore moins l’inscription dans la loi du principe de sa confiscation et des modalités de sa restitution. Ce qui est fondamental, ce sont tous les sujets sous-jacents à la question du téléphone portable. Il y en a au moins trois.

Le premier est celui de l’autorité. Si le téléphone portable peut à ce point perturber les enseignements, c’est parce que la relation entre l’enseignant et les élèves n’est plus fondée sur l’attention et le respect. Comment rétablir l’autorité de l’État incarnée par le professeur ? Voilà une question fondamentale.

Le deuxième problème posé par l’arrivée d’internet, des réseaux sociaux et de tous les appareils qui y donnent accès est celui de la déstructuration des esprits. Cette révolution technologique consacre la culture de la déconcentration et du zapping. Peut-on continuer à penser dans ces conditions ? Ne sommes-nous pas en train de nous abrutir collectivement, en commençant par abrutir nos enfants ?

Enfin, la troisième question fondamentale posée par ce texte, qui découle des deux précédentes, est naturellement celle de la place du numérique dans l’enseignement.

Cette question fait penser à l’« insociable sociabilité » kantienne. Il nous faut concilier l’inconciliable. L’école est un lieu de distanciation, de recul par rapport au monde, mais elle ne peut pas non plus en être coupée ; elle doit évoluer avec lui. L’école ne peut donc tourner le dos au numérique, mais elle ne peut pas non plus lui ouvrir grandes ses portes.

Monsieur le ministre, vous vouliez du paradoxe, en voilà un véritable, qu’il nous faut aujourd’hui résoudre. Le récent rapport de la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, intitulé Prendre en main notre destin numérique : l ’ urgence de la formation, peut nous y aider…

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