Intervention de Jacques Grosperrin

Réunion du 26 juillet 2018 à 10h30
Encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin :

J’ai eu l’honneur de coprésider la commission mixte paritaire qui s’est réunie la semaine dernière à l’Assemblée nationale. À ce titre, je me réjouis particulièrement que nous soyons parvenus à un accord. Le texte a été enrichi par les travaux du Sénat, la CMP ayant retenu leurs principaux apports, notamment l’extension du champ du dispositif aux lycées. Les députés Patrick Hetzel et Frédéric Reiss ont salué cet accord et se sont abstenus, par bienveillance, alors qu’ils avaient voté contre lors de la première lecture.

Néanmoins, je ne saurais commencer mon intervention sans m’interroger sur le déroulement de cette session extraordinaire. Au risque d’être redondant – c’est souvent le sort des derniers orateurs –, je me demande s’il était indispensable d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de cette période, traditionnellement consacrée à des textes majeurs, au regard du calendrier, particulièrement encombré, sans même parler de l’actualité, qui a bouleversé un peu plus encore l’organisation de nos travaux. Mon groupe s’interroge sur l’urgence qu’il y avait à traiter prioritairement du sujet de l’interdiction du téléphone portable dans les écoles et les collèges, sachant que celle-ci peut déjà figurer dans le règlement intérieur, avec toutes les réserves que nous connaissons.

Nous poserons d’ailleurs la même question, ce soir, à Mme la ministre de la culture, au sujet de l’examen, en procédure accélérée, de la proposition de loi et de la proposition de loi organique relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, qui répondent à une promesse électorale du chef de l’État.

Cela ne m’empêche pas, à titre personnel, d’être satisfait de ce texte, qui marque un signe fort d’autorité, dont notre système éducatif a bien besoin, comme je l’ai souligné en première lecture, même si, dans les médias, le texte est trop souvent présenté pour ce qu’il n’est pas : l’« avènement » de l’interdiction du téléphone portable à l’école, sachant que celle-ci figure depuis 2010 dans le code de l’éducation.

Le travail de nos deux assemblées a utilement fixé un cadre pour la mise en œuvre du principe d’interdiction, car le dispositif initial, très sommaire, tenait en une phrase, signe manifeste d’une préparation trop rapide.

Je rappellerai brièvement ces avancées.

Tout d’abord, les députés ont précisé les conditions de confiscation et de restitution des appareils, ce qui évitera toute polémique à ce sujet. Le Sénat a complété ce dispositif, en en étendant le recours aux personnels d’éducation et de surveillance, tout en supprimant certaines dispositions qui n’avaient rien de législatif.

En outre, une rédaction de compromis proposée par le Sénat a permis de conserver l’exception pour « usage pédagogique » du téléphone portable, à laquelle tenaient les députés, sans ériger, pour autant, cet usage en dogme, puisqu’il sera laissé à l’appréciation de chaque établissement de le permettre ou non, dans le cadre de son règlement intérieur.

Il faut, en effet, rester réservé quant à l’usage éducatif du téléphone portable, dont le développement me semblerait peu compatible avec la démarche de « déconnexion » que nous souhaitons favoriser. L’école a-t-elle pour rôle d’inciter nos jeunes à passer encore plus de temps devant les écrans, alors même que les chercheurs insistent sur le rôle de la main ? D’après ces derniers, la réalisation d’un mouvement spécifique pour tracer chaque lettre sollicite une mémoire motrice, « engrammable », mobilisable pour la reconnaissance des lettres, une mémoire que le clavier ne permet pas de développer.

Cependant, de nombreux enseignants font part d’expériences positives en matière d’usage éducatif des téléphones portables, et la rédaction retenue a le mérite de ne pas fermer la porte.

En définitive, il est regrettable qu’aucune étude n’ait été conduite sur le sujet de l’« école du numérique » avant l’examen de cette proposition de loi.

Comme je le disais en introduction, l’examen de ce texte a également été l’occasion pour le Sénat de prévoir un régime d’encadrement spécifique pour les lycées. Je salue, à cet égard, le travail de notre excellent rapporteur, qui n’a pas craint de faire sauter ce verrou, alors que la discussion sur ce point à l’Assemblée nationale n’avait pu aboutir.

Il s’agit d’un élément primordial du texte, puisque le cadre juridique issu de la loi Grenelle II ne visait que les écoles et les collèges. Les chefs d’établissement souhaitant interdire l’usage du portable se trouvaient donc dépourvus de base juridique pour le faire. En prévoyant la possibilité d’interdire le téléphone portable au moyen du règlement intérieur, le texte légitime la position qui sera prise par le chef d’établissement, les enseignants et le conseil d’administration.

Enfin, je veux dire quelques mots sur l’éducation des jeunes à l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux.

La loi mentionnera l’« éducation à l’utilisation d’internet et des services de communication en ligne » comme faisant partie intégrante de la formation à la responsabilité civique, et la notion de « citoyenneté numérique », supprimée par le Sénat, figurera finalement dans le texte. Cette rédaction est sans doute approximative, mais notre rapporteur a validé avec bon sens ces dispositions, qui permettent d’aboutir à un accord sur le texte, dans l’attente des résultats des travaux en cours sur le sujet de l’éducation aux médias et au numérique.

Il ne fait pas de doute que l’éducation des jeunes est essentielle pour les aider à maîtriser un outil qui évolue rapidement et qui fait désormais partie de leur quotidien. Cette éducation est tout d’abord de la responsabilité des parents, mais je pense que les pouvoirs publics doivent également s’impliquer. Le sujet est vaste, et la réflexion n’en est finalement qu’à ses débuts.

Ce texte constitue moins un apport juridique qu’un signal politique envoyé aux familles. Comme vous l’avez précisé, monsieur le ministre, l’école doit être sanctuarisée. Elle doit rester un lieu privilégié d’apprentissage et de socialisation. On sait que les établissements qui appliquent une interdiction stricte ont de meilleurs résultats que les autres. De nombreuses études l’ont montré, l’attention est meilleure, le climat plus propice à l’apprentissage et plus paisible.

Enfin, ce texte permettra de garantir l’effectivité de l’interdiction dans tous les établissements ; on connaît trop la tendance de certains à ne pas l’appliquer.

Pour conclure, cette proposition de loi n’est peut-être qu’une étape qui en appellera d’autres, au moins aussi importantes. En attendant, notre groupe votera ce texte visant à soutenir les chefs d’établissement et les enseignants dans l’exercice, toujours plus difficile, de leur métier.

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