Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur Catherine Morin-Desailly, monsieur le rapporteur Christophe-André Frassa, mesdames, messieurs les sénateurs, les deux propositions de loi dont nous discutons aujourd’hui sont d’une importance cruciale pour notre démocratie.
Face à la montée des manipulations de l’information, l’attentisme n’est pas une option. Je veux saluer et remercier les députés qui ont pris l’initiative de ces textes, largement enrichis en commission et en première lecture à l’Assemblée nationale par le travail des rapporteurs, dont je tiens à saluer l’investissement.
Les discussions ont été riches, et je m’en félicite. Sur un sujet aussi fondamental, aussi sensible, il est normal, et je dirais même souhaitable, que les débats soient nourris. C’est le signe du bon fonctionnement de notre démocratie et de nos institutions.
J’espérais voir ce travail prolongé en commission au Sénat : cela n’a pas été le cas, puisque vous avez fait le choix de ne pas examiner les articles et de ne pas amender les textes. Permettez-moi de le regretter.
J’entends les interrogations formulées sur une partie importante des deux textes, à savoir le référé. Je ne les partage pas. Surtout, je regrette que cela fasse obstacle à l’examen des nombreuses autres mesures, qui sont autant d’avancées sur des enjeux que nombre d’entre vous sont les premiers à porter : le combat pour la régulation des plateformes, pour une transparence accrue dans l’espace numérique et pour l’éducation à l’information et aux médias.
Le Sénat possède, sur ces sujets, une expertise qui aurait pu utilement enrichir les textes, je n’en doute pas. Il est regrettable que nous, comme nos concitoyens, en soyons privés.
La prudence ne peut être l’alibi de l’inaction. Refuser d’agir aujourd’hui, refuser de prendre les mesures qui s’imposent pour endiguer la désinformation, refuser d’actionner les leviers qui sont à notre portée, ce serait manquer à notre responsabilité.
Le Gouvernement soutient les deux propositions de loi discutées aujourd’hui avec la plus grande conviction. Ces textes apportent des réponses qui sont nécessaires, équilibrées et efficaces pour relever le défi qui nous fait face.
Je veux d’abord insister sur ce qui fonde leur nécessité. Il ne s’agit pas de dire que la loi va tout résoudre. Je suis la première à affirmer que le premier rempart de notre démocratie contre la manipulation, c’est le travail des journalistes et des médias : ce sont eux qui font vivre, chaque jour, le droit à l’information de nos concitoyens.
J’entends les critiques qui nous sont assénées sur ce sujet. Pour moi, la réalité est tout autre.
Cherchons-nous à faire taire les oppositions, quand nous sanctuarisons les aides qui garantissent l’indépendance et le pluralisme de la presse ? Non !
Cherchons-nous à museler qui que ce soit, quand nous soutenons les titres qui consacrent à notre gouvernement les enquêtes et les « unes » les moins complaisantes ? Non !
Cherchons-nous à affaiblir les médias, quand nous nous battons dans l’arène européenne pour la consécration d’un droit voisin pour les éditeurs de presse ? Non ! Quand nous préparons l’avenir du système de distribution, qui garantit aux papiers, aux chroniques les plus critiques, aux enquêtes les plus pointues – du Monde au Figaro, à Libération, à Charlie Hebdo – de pouvoir être lus dans la France entière ? Non !
Le premier engagement du Gouvernement contre la désinformation est là : dans le soutien à ceux qui délivrent une information de référence toute l’année, qui proposent des outils de décryptage et qui nourrissent le débat d’idées.
En parallèle, il faut que les autorités compétentes puissent combattre la propagation des contenus qui usurpent les codes du journalisme pour manipuler les citoyens. L’arsenal juridique en vigueur n’est plus suffisant. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est un socle fondamental, que je suis la première à défendre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le compléter.
Le monde a changé, en un siècle, et les modes de propagation des fausses informations aussi. La grande nouveauté, avec le numérique, c’est la viralité. Très souvent, elle est orchestrée, à des fins politiques, par du sponsoring ou des achats de « likes », notamment. Nous ne pouvons pas rester impuissants devant ces stratégies de manipulation de l’opinion, ces campagnes d’endoctrinement, qui déstabilisent nos démocraties.
Aujourd’hui, les autorités chargées de protéger nos concitoyens n’ont pas de moyens d’action suffisants pour stopper la propagation des fausses idées. Il peut se passer des semaines, voire des mois, avant que le juge judiciaire puisse ordonner le retrait d’un contenu dangereux sur les réseaux sociaux. Nous soutenons donc la création d’une nouvelle procédure de référé en période électorale, pour stopper la propagation de contenus susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin.
Il faut agir aussi contre la désinformation à la radio et à la télévision. Nous ne pouvons pas laisser des États étrangers s’ingérer dans nos affaires intérieures par l’intermédiaire des médias qu’ils contrôlent. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est insuffisamment armé contre ce phénomène, qui monte en puissance. Nous soutenons donc la proposition visant à compléter ces pouvoirs.
C’est un enjeu de souveraineté pour la France, autant qu’un impératif démocratique. Nous soutenons ces textes au regard de leur nécessité, incontestable aux yeux du Gouvernement. Nous le soutenons, par ailleurs, pour l’équilibre qu’il a su trouver. Il a suivi la ligne de crête, entre fermeté et protection intransigeante des libertés.
Je veux, tout d’abord, insister sur un point essentiel : le texte vise non pas les auteurs des contenus, très souvent anonymes, mais les acteurs qui les diffusent. Tous les garde-fous qui s’imposent ont, par ailleurs, été instaurés. Le texte prévoit des conditions cumulatives très précises pour encadrer l’intervention du juge en période électorale.
L’information devra être manifestement fausse et diffusée de manière délibérée, massive et artificielle. Ces critères excluent, par nature, tous les articles des journalistes professionnels fondés sur un travail d’investigation. De même, pour le CSA, le texte prévoit des conditions très précises pour la suspension de chaînes étrangères.
J’entends certains responsables politiques affirmer que le texte serait un moyen pour le Gouvernement d’instaurer un « délit d’opinion », une police de la vérité. Je voudrais rappeler trois éléments essentiels.
Tout d’abord, et c’est le meilleur gage de son équilibre, le texte que nous discutons vient du cœur de la démocratie, c’est-à-dire du Parlement.
Ensuite, je rappelle que la loi ne donne en aucun cas des pouvoirs au Gouvernement. Elle complète les moyens d’action du pouvoir judiciaire et du CSA, qui agissent tous deux en pleine indépendance.
Je rappelle enfin que le Conseil d’État a été saisi sur ce texte et qu’il a rendu un avis positif, gage du respect des droits et libertés garantis aussi bien par notre Constitution que par le droit international. J’appelle donc à la responsabilité ceux qui dénoncent une loi liberticide, une atteinte à la démocratie. La véritable menace qui pèse sur nos libertés, aujourd’hui, devant les manipulations, c’est la passivité.
Si nous soutenons ce texte, enfin, c’est pour son efficacité. Ce n’est pas un arsenal défensif. Il propose des leviers d’action, de prévention et de mobilisation.
C’est, tout d’abord, un nouvel instrument de régulation des plateformes. Il ne cherche pas à cibler la « production » des fausses informations – ce serait vain –, mais bien leur « propagation » ; c’est le nerf de la guerre.
Or, aujourd’hui, non seulement les plateformes ne jouent pas pleinement le jeu de la démocratie, en cautionnant ces pratiques, mais elles en tirent profit. Je l’ai dit, je le répète : elles sont à la manœuvre d’une gigantesque économie de la manipulation. Elles vendent des « likes », des « followers », des espaces de visibilité aux pourvoyeurs de fausses informations. Je rappelle que, pour 40 euros, je peux acheter 5 000 abonnés sur Twitter.
Le texte que nous discutons propose d’agir concrètement, en renforçant les obligations qui pèsent sur les plateformes.
Une obligation de transparence, tout d’abord. Il est souvent difficile pour un utilisateur d’identifier si un contenu est « sponsorisé », c’est-à-dire si un groupe de pression ou encore un État étranger a payé pour qu’il se retrouve en « tête d’affiche » sur un réseau social ou un site.
Le texte prévoit d’instaurer une triple obligation de transparence aux moments charnières que sont les périodes électorales : les plateformes devraient non seulement indiquer si quelqu’un a payé, mais aussi qui, et combien.
Le texte renforce par ailleurs la responsabilité des plateformes dans la lutte contre les fausses informations, en créant un devoir de coopération. Il s’agit de rompre avec le règne de l’arbitraire. La presse, les radios, les chaînes de télévision ont une responsabilité sur leurs contenus. Seules les plateformes échappent aux règles aujourd’hui. Elles sont les seules arbitres du « faux » et du « vrai » sur ce qu’elles diffusent. Ce n’est pas acceptable !
Le texte tend à remédier à cette anomalie, en créant une forme de corégulation, à travers un devoir de coopération. Je veux préciser qu’il ne s’agit pas de demander aux plateformes de retirer elles-mêmes les contenus inappropriés, mais, au contraire, de mettre en place des outils de signalement pour les utilisateurs et des outils de décryptage et de sensibilisation pour les utilisateurs, en coopération avec les journalistes. Ce serait une avancée fondamentale, en pleine cohérence avec le large mouvement de responsabilisation des plateformes que la France est en train de conduire au niveau national et européen.
L’efficacité dans la lutte contre la manipulation, c’est aussi l’éducation. Je l’ai dit, je le répète : celle-ci est la mère des batailles. Le sujet ne figurait pas dans la rédaction initiale de la proposition de loi et c’est le travail en commission, à l’Assemblée nationale, qui a permis de l’intégrer.
Le texte dont nous discutons aujourd’hui propose ainsi d’amender le code de l’éducation pour faire de l’éducation aux médias et à l’information une obligation à chaque niveau de la scolarité. Qui peut le contester ? Il propose également d’étendre la mission d’éducation à l’information aux chaînes privées. Qui peut le contester ?
L’audiovisuel public joue un rôle majeur, que nous sommes en train de consolider. Mais il n’a pas vocation à agir seul.
J’ai, pour ma part, doublé le budget de mon ministère pour l’éducation à l’information et aux médias, de 3 millions d’euros à 6 millions d’euros, dès cette année, pour soutenir ceux qui mènent des actions de formation. Ils sont nombreux à agir : journalistes, associations, etc. Je veux les remercier et leur adresser le plus chaleureux salut républicain.
J’ai, par ailleurs, lancé un vaste programme de services civiques pour l’éducation à l’information, programme qui sera déployé dans les bibliothèques dès l’automne prochain.
J’ai fait de l’éducation aux médias et à l’information une priorité, qui se retrouve dans ces propositions de loi. Je les soutiens avec la plus grande détermination.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous discutons est d’une richesse, d’une pertinence et d’une précision bien éloignées de la caricature à laquelle il est parfois réduit.