Intervention de Michel Laugier

Réunion du 26 juillet 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo de Michel LaugierMichel Laugier :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, l’exercice qui consiste à intervenir à ce stade de la discussion est difficile : cela fait une heure quarante-cinq, déjà, que nous débattons sur ces textes. Bien des choses ont été dites. Je partage d’ailleurs la plupart des propos tenus par les orateurs, à l’exception de la conclusion d’André Gattolin.

Permettez-moi de revenir sur quelques points essentiels. À l’heure d’internet et des réseaux sociaux, la question de la manipulation de l’information est une question majeure. Mais les dispositions des présents textes ne sont pas de nature à y répondre de manière satisfaisante ! Aussi, au nom du groupe Union Centriste, estimé-je qu’il n’y a pas lieu d’en poursuivre la discussion en séance publique au Sénat.

Ces propositions de loi apparaissent à la fois inutiles et dangereuses.

Inutiles, car notre arsenal juridique contient déjà de quoi répondre au problème – ce point a déjà été largement évoqué. Le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse porte expressément sur « les crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ». Cette loi existe ; elle peut être appliquée ; elle doit être appliquée. La création d’un nouveau dispositif ne se justifie donc pas !

En outre, la viralité des réseaux sociaux rendra inopérantes les sanctions prévues par le présent texte. En effet, que vaut le retrait d’un contenu par une plateforme si ledit contenu a pu être dupliqué à des milliers, à des centaines de milliers ou à des millions d’exemplaires par les utilisateurs en quelques secondes ?

Le juge et le CSA sont investis de missions qu’ils ne pourront absolument pas remplir. La notion de « manipulation de l’information » est très vague, et le texte ne parvient pas à l’expliciter de manière satisfaisante. Le juge aura du mal à disposer des éléments qui lui permettront de se prononcer. Il se déclarera sans doute très souvent incompétent. Comment affirmer qu’un juge des référés pourra établir a priori qu’une « fausse information » est de nature à altérer la sincérité d’un scrutin qui, par définition, n’a pas encore eu lieu ?

De même, qu’est-ce qu’une chaîne « contrôlée » ou « sous influence » d’un État étranger ? Et le CSA se retrouvera dans la même situation que le juge des référés.

Par certains aspects, les présents textes peuvent même apparaître dangereux : dangereux, tout d’abord, pour la liberté d’expression ; sous couvert de lutte contre la manipulation de l’information, en effet, le dispositif ne permettra-t-il pas d’étouffer certaines affaires ? Qu’en serait-il d’une actualité aussi brûlante que celle de ces derniers jours si elle se déclarait en pleine période électorale ?

Dangereux, aussi, parce que générateurs de discrimination : oui, ces textes créent une discrimination entre le monde politique et le reste de la société.

En effet, la question de la manipulation de l’information se pose à tous les citoyens. Or ces textes peuvent apparaître comme une réponse corporatiste, simplement destinée à protéger le monde politique. Ils n’ont vocation à s’appliquer qu’à l’occasion des campagnes électorales, pour protéger les candidats. Il s’agit donc bien de textes de protection des élus, votés par des élus. Quid, donc, de la manipulation de l’information dont peuvent être victimes quotidiennement nos concitoyens ?

De surcroît, la proposition de loi semble créer une discrimination entre journalistes. En effet, en son article 1er, elle prévoit que le I de l’article L. 163-2 du code électoral vise « les services de communication au public en ligne », ce qui semble établir une distinction entre les journalistes dont les médias ont une édition « print » et les journalistes dont les médias sont dits « pure player ». Seuls ces derniers, bien qu’ils soient des journalistes à part entière, seraient soumis au présent dispositif.

Pour toutes ces raisons, ces propositions de loi apparaissent comme des textes épidermiques, de circonstance, dont le contenu ne répond pas au problème réel posé par l’émergence des réseaux sociaux et, plus généralement, des GAFA.

S’agissant des GAFA en particulier, tout le monde a bien conscience que nous avançons très lentement, à petits pas, alors que ce problème doit être réglé très rapidement, et appréhendé au niveau européen. Mais, madame la ministre, la meilleure façon de lutter contre les fausses informations serait de permettre la diffusion de la véritable information ! À cette fin, peut-être est-il temps d’assurer une parfaite distribution de nos journaux et magazines de presse écrite sur l’ensemble du territoire, en faisant évoluer la loi Bichet.

En attendant, il est inutile d’aller plus loin sur ce texte, qui n’apporte rien. Le groupe Union Centriste votera pour la question préalable.

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