Cette préoccupation est partagée par l’ensemble de nos membres. Toutefois, la réponse qui nous est proposée ce jour ne nous apparaît pas satisfaisante. Nous ne minimisons pas la menace ; nous ne sommes pas partisans du laissez-faire, pas plus que nous ne croyons à une possible mithridatisation dans ce domaine. En revanche, nous n’adhérons tout simplement pas aux dispositions législatives qui nous sont proposées.
Les rapporteurs des commissions du Sénat saisies sur ces textes ont réalisé un travail dont la hauteur de vue fait encore une fois honneur à notre assemblée. Le Sénat, vecteur de modération et d’équilibre, s’est souvent posé en défenseur des libertés publiques dans la tradition parlementaire française.
Le premier écueil de ces textes réside dans leur principal dispositif normatif : la création d’un référé visant à lutter contre les fausses informations en période électorale.
L’arsenal existant est pourtant pour le moins déjà pléthorique : loi sur la liberté de la presse, code électoral, référé de droit commun du code de procédure civile, loi pour la confiance dans l’économie numérique. Pourquoi ne pas avoir amélioré les nombreuses procédures existantes ?
Le rapport de MM. Pillet et Mohamed Soilihi propose une réflexion pertinente et plus équilibrée sur l’adaptation à l’Internet de la loi sur la liberté de la presse. Pourquoi avoir privilégié la voix d’un dispositif ad hoc dont l’opportunité n’aurait vraisemblablement pas résisté à une étude approfondie des outils juridiques déjà à notre disposition ?
Le nouveau référé proposé a vocation à cibler les fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin, mais le Conseil d’État a lui-même relevé la difficulté de qualifier juridiquement ces faits dans des délais très courts.
La définition précise de la fausse information pose problème. À l’Assemblée nationale, la rapporteur du texte s’est finalement auto-amendée et a proposé deux définitions successives : une première en commission, qui a donné lieu à des réactions pour le moins contrastées, puis une seconde dans l’hémicycle.
Sur ce point, les travaux de la chambre basse apparaissent pour le moins laborieux. Si l’on ne doit toucher aux lois que d’une main tremblante, il est tout de même souhaitable que celle-ci ne tremble pas trop au moment d’écrire la loi ! La pertinence de la démarche de nos collègues députés de la majorité nous apparaît donc très incertaine.
Les dispositions de l’article 1er semblent difficilement applicables. Le juge, soucieux de ne pas commettre d’impair dans un champ mal ou insuffisamment défini, sera vraisemblablement enclin à repousser la démarche, là où une procédure classique aurait sans doute pu aboutir. Dans la pratique, les risques d’atteinte à la liberté d’expression ne peuvent pas non plus être totalement écartés.
La rapidité avec laquelle le juge des référés devra statuer risque de susciter des décisions contestables. Des informations révélées dans le cadre d’une campagne électorale pourraient tout à fait être invalidées, car l’état des connaissances au moment où le juge est saisi est insuffisant pour prouver qu’elles sont fondées. Mais par la suite ? La véracité de telles allégations apparaît souvent en effet uniquement dans un second temps. Les exemples en sont légion.
Nous avons également la conviction que la réponse à la question de la désinformation en ligne ne peut être qu’européenne et ne saurait s’arrêter aux frontières hexagonales. La diffusion des fausses informations s’affranchit elle-même largement des frontières et une approche commune, avec des réponses coordonnées, nous apparaît nécessaire. Dans le cadre de la réflexion européenne, des instruments de riposte sont en cours d’élaboration.
Si l’angle de l’autorégulation des réseaux sociaux et des plateformes en ligne dans la lutte contre les fausses informations ne peut donner pleinement satisfaction, gardons à l’esprit que la solution la plus adaptée, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, demeure celle qui sera concertée à l’échelon européen. Toute initiative isolée sera vraisemblablement vouée à l’échec.
Peut-être faudra-t-il également, à l’avenir, mener une réflexion sur une adaptation aux nouvelles technologies des modalités de la loi sur la liberté de la presse. Toutefois, cette réflexion devra se faire dans un cadre serein. Les conditions ne sont aujourd’hui absolument pas réunies.
Le recours à la procédure accélérée sur un tel texte était-il réellement justifié, même si un scrutin européen se tiendra l’an prochain ? Une fois encore, nous jugeons que le temps parlementaire pourrait faire l’objet d’une meilleure utilisation.