Intervention de André Gattolin

Réunion du 26 juillet 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Les fausses nouvelles ne datent pas d’hier » ; « La France s’est, depuis longtemps, dotée d’instruments pour lutter contre ce phénomène » ; « Il n’y a pas de raison de légiférer de nouveau en la matière ». Ces trois assertions sont répétées à l’envi pour justifier de surseoir à l’examen de cette proposition de loi.

Les deux premières sont rigoureusement exactes, mais on peut légitimement douter de la justesse de la troisième au regard des profonds bouleversements qui traversent notre société en ce début de XXIe siècle.

Non, les fausses nouvelles ne datent pas d’hier ! En nous limitant à l’époque moderne, on peut affirmer que c’est au début du XVIIIe siècle, en Angleterre, que les fausses nouvelles firent leur apparition. Pour l’anecdote, c’est Jonathan Swift, ce grand écrivain anglais des Lumières, qui fut l’auteur du premier canular de l’ère médiatique, en publiant, en 1708, un vrai faux almanach astrologique, pour dénoncer les fausses informations qui circulaient impunément dans ce type de supports très populaires et diffusés à l’époque à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires.

Néanmoins, c’est surtout au XIXe siècle, avec l’apparition des quotidiens à très grand tirage, que les fausses nouvelles connurent un développement exponentiel, d’abord en Angleterre et en Amérique, puis en France, au point parfois de déstabiliser le bon fonctionnement de ces jeunes démocraties. C’est ce que l’on a appelé « the dark age of journalism », l’âge noir du journalisme.

Face à ce phénomène, nos pays, certes tardivement, ont su réagir, et cela de deux façons : tout d’abord, en se dotant de législations permettant d’assurer la liberté d’expression et aussi de lutter juridiquement contre les fausses informations ; ensuite, en aidant le métier de journaliste à se professionnaliser, à se doter d’une déontologie forte, d’écoles spécialisées, et en lui donnant un statut juridique exigeant et protecteur.

En France, il y eut bien sûr la fameuse loi de 1881 sur la presse. Elle n’empêcha cependant pas les fausses nouvelles de continuer à proliférer à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, notamment durant la Première Guerre mondiale.

La création du SNJ, le Syndicat national du journalisme, en 1918, avec sa première charte de déontologie journalistique, s’opéra d’ailleurs en réaction à l’explosion des fausses informations durant la fameuse « der des ders ».

La loi Brachard de 1935 vint ensuite entériner le statut professionnel des journalistes, avec ses droits et aussi ses responsabilités. Ce cadre législatif et statutaire, bien qu’il n’ait jamais permis d’éradiquer totalement les fausses nouvelles, a toutefois permis de contenir le phénomène pendant plusieurs décennies, en dépit des évolutions du paysage médiatique.

Aussi, pourquoi vouloir aujourd’hui de nouveau légiférer, au risque, nous dit-on, d’attenter à la sacro-sainte liberté de la presse ?

Tout d’abord, parce qu’avec la mondialisation accélérée de nos sociétés et la révolution en cours dans le domaine des technologies de l’information, notre régime de l’information est désormais entré dans une tout autre dimension. La liberté et la qualité globale de l’information, que nous étions en mesure de garantir par le droit et par l’autorégulation, sont aujourd’hui mises à mal par de nouveaux acteurs refusant de respecter ces règles.

Nous l’avons constaté à maintes reprises ces dernières années, la numérisation à marche forcée de nos médias les rend très vulnérables à des attaques informatiques susceptibles de les réduire au silence pendant plusieurs jours, voire d’y imposer à leur insu propagande et contenus inappropriés. Nos systèmes d’information sont aujourd’hui si ouverts qu’ils permettent à certains acteurs sans foi ni loi d’y faire régner l’arbitraire ou la seule règle de leurs intérêts particuliers.

Profitant de l’absence de régulation à l’échelle internationale, certains géants de l’Internet se sont institués en pseudo-puissances souveraines sur leurs centaines de millions d’âmes – pardon, d’utilisateurs répartis sur toute la planète.

À côté de ces géants numériques sans frontière, on voit également proliférer certains États ou groupes voyous qui n’hésitent pas à faire usage d’armes non conventionnelles d’influence pour déstabiliser des institutions ou des nations démocratiques, notamment lors de scrutins à très fort enjeu.

Depuis environ deux ans, à chaque élection majeure au sein d’un de ses États membres, l’Union européenne est systématiquement noyée sous une propagande new look cherchant à galvaniser les groupes d’opinion les plus hostiles à son existence. Voilà une semaine à peine, les dirigeants grecs dénonçaient l’ingérence médiatique de la Russie en Grèce et en Macédoine, pour faire écho aux protestations contre l’accord de reconnaissance mutuelle enfin trouvé entre ces deux pays.

Aussi, face à ce phénomène, il faut bien sûr renforcer l’éducation aux médias chez nos concitoyens. Il faut également soutenir la profession journalistique dans sa volonté d’améliorer ses règles et ses méthodes de travail à l’ère du numérique et de l’information en temps réel.

Tout cela est indispensable, mais insuffisant, car ce n’est pas notre cadre normatif en soi qui est obsolescent : c’est son application strictement nationale qui le rend obsolète !

Sur ce point, il est d’ailleurs intéressant de noter l’évolution de la Commission européenne, qui, dans ses travaux initiaux, était défavorable à l’adoption de législations en la matière, et qui, il y a environ trois mois, devant l’absence d’engagements sérieux de la part des géants d’internet, menace désormais de recourir à la loi.

Aussi, mes chers collègues, après avoir participé aux très riches travaux de notre commission et entendu les critiques, parfois très pertinentes, faites à l’encontre de certains aspects de cette proposition de loi, …

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