Intervention de David Assouline

Réunion du 26 juillet 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous demande à la fin juillet, à la veille d’une fin de session parlementaire qui fut particulièrement chargée et embouteillée, de débattre et d’adopter en quelques heures une loi affichant comme ambition, tenez-vous bien, la « lutte contre la manipulation de l’information ».

Avant même d’aborder le fond du texte, je me demande si vous-même, madame la ministre, croyez un seul instant que c’est de cette manière, avec une telle désinvolture, que nous pouvons prendre à bras-le-corps et avec sérieux ce gigantesque défi pour la démocratie à l’heure de l’Internet et des réseaux sociaux, pour que les citoyennes et citoyens puissent s’informer librement et porter des jugements éclairés face aux fausses informations, aux rumeurs, aux complotismes, qui nourrissent les populismes extrémistes.

Oui, il s’agit d’un enjeu planétaire et vital. La guerre de l’information, c’est la guerre par d’autres moyens. Cette guerre n’est pas nouvelle ; les moyens qui sont disponibles et utilisés changent, et ceux pour y faire face doivent changer aussi.

Au fond, tous les ennemis de la démocratie, petits et grands, ont toujours manipulé l’information et utilisé tous les moyens de la désinformation pour abattre leurs opposants, asservir leur propre peuple, souvent de façon grossière, entraînant pourtant l’adhésion massive de peuples entiers, conduits à croire les plus grosses monstruosités sur ceux que l’on voulait discréditer, tuer, et même exterminer. Ils s’en servaient ensuite pour nier ces exterminations.

On pouvait appeler cela de la propagande, mais c’était de la manipulation de l’information : l’invention de faits inexistants, l’occultation de faits essentiels, déversés massivement dans le monde avec les moyens qui étaient ceux, au début, de l’écrit et du dessin, puis de la photo, de la radio, de la télévision et, maintenant, de l’Internet et des réseaux sociaux.

Rien n’a changé sur le fond, même si, sur la forme, les moyens de masse de diffusion ont été toujours plus importants. Des paliers sont franchis régulièrement et nous imposent de faire face à ce problème avec des outils nouveaux en conséquence.

Toutefois, mes chers collègues, c’est le fond qui détermine la forme, et le fond est bien résumé par ce propos du directeur du journal Le Monde : « Le problème majeur de nos sociétés ne tient pas tant dans les fausses nouvelles, mais dans le fait que nombre de citoyens aient fini par choisir de les croire. Et il est un péril bien plus grand que celui des informations dévoyées : celui de penser qu’il suffirait d’une loi symbolique pour régler la crise majeure de nos démocraties, la défiance grandissante des peuples envers leurs institutions. » Cette loi n’est donc pas la bonne solution.

Que faut-il faire alors ? Lutter encore et encore pour garantir et faire vivre les principes de l’article 34 de la Constitution, à savoir la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ; éduquer et encore éduquer à la lecture et au décryptage des médias et des réseaux sociaux à tous les âges de la vie ; réguler et encore réguler les grandes plateformes et les GAFAN – Google, Apple, Facebook, Amazon et Netflix –, qui agissent en dehors de toutes les règles et obligations, tant fiscales que de contenus ; enfin, bien sûr, aider à ce que la presse se donne tous les moyens d’une déontologie journalistique à toute épreuve.

Je ne veux pas trop vous accabler, madame la ministre, mais le contexte actuel, avec les déclarations du Président de la République devant les siens – « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité » et « je vois un pouvoir médiatique qui veut devenir un pouvoir judiciaire » –, mélangeant à dessein des fake news et des vraies informations pour mieux fustiger ces dernières, viennent éclairer d’un nouveau jour ce que l’on pouvait redouter de son insistance toute personnelle à faire passer cette loi, malgré tous les avis négatifs qui s’accumulaient et le bricolage qu’elle nécessitait.

Au-delà de la possibilité que, un jour, un pouvoir autoritaire utilise cette loi pour en abuser et empêcher la liberté de la presse, aujourd’hui même, le pouvoir politique, celui d’Emmanuel Macron, en a la tentation, sinon l’intention. En effet, dans l’affaire qui occupe l’actualité, outre les actes de M. Benalla, c’est d’abord la place de l’Élysée, de la présidence de la République, hors contrôle et irresponsable institutionnellement devant le Parlement et la justice, qui est en question.

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