… et, l’année dernière, par François Fillon contre Le Canard enchaîné.
C’est donc une loi dangereuse, qui peut permettre des abus de pouvoir visant à limiter la liberté des médias. Elle est aussi inutile, car elle ne réussit pas à compléter, ce qui était pourtant l’objectif avoué, les dispositifs législatifs existants pour lutter contre les fausses informations. Rappelons-les : le droit de la presse, avec la loi de 1881, le droit pénal, le droit électoral, et même le droit de l’Internet.
De plus, au lieu de rechercher une efficacité maximale, elle a préféré prudemment, pour ne pas tomber sur le motif d’inconstitutionnalité que constitue l’atteinte à la liberté d’expression de façon disproportionnée, se limiter à la période des scrutins électoraux, ce qui réduit l’ambition affichée à un tout petit aspect de ce gigantesque sujet.
Même quand il s’agit d’enjeux politiques ou électoraux, cette limitation dans le temps n’a pas de sens. Les faux comptes et la mise en place d’une propagande pour altérer un scrutin commencent généralement deux ans avant les élections concernées. Pour les instigateurs, il s’agit de créer un climat propice aux craintes.
Ainsi, pour le Brexit, c’est non pas pendant le scrutin que les fausses informations ont fait leur apparition, mais bien avant : dès 2010 et la montée en puissance du lobby anti-UE, représenté principalement par un parti, UKIP.
Cette proposition de loi est non seulement inutile pour la grande cause de la lutte contre la désinformation, mais aussi inefficace dans le champ qu’elle veut traiter, celui des élections. Juridiquement, on a coutume de dire que le juge des référés est celui de l’évidence : en effet, il est censé agir vite, et il n’a donc pas de temps à perdre avec une instruction trop longue.
Deux observations s’imposent donc : le juge va cantonner son travail aux nouvelles les plus grossièrement fausses – exemple : Alain Juppé ne s’appelle pas Ali Juppé ; dans un second temps, il va cantonner son travail aux informations pouvant avoir une influence sur le résultat du scrutin, car l’objet de ce référé est d’éviter que de fausses informations ne jouent sur le scrutin visé. Il va donc devoir, en l’absence de résultats électoraux, savoir quelles informations peuvent influencer l’électeur, ce qui, précédemment, était fait a posteriori. En plus, il ne pourra pas estimer si quelques voix d’écart auraient changé l’issue du scrutin, puisqu’il aura rendu sa décision avant les résultats.
En outre, toutes les saisines qui, faute de temps d’instruction ou d’éléments suffisants, puisqu’il faudra réunir cinq conditions, n’auront pas fait l’objet de condamnation et de décision de retrait, deviendront, de fait, des vraies informations. Le risque est de labéliser en informations vraies aux yeux de l’opinion publique, par défaut en quelque sorte, des fausses informations qui n’auront pas fait l’objet de décisions judiciaires de retrait. Cela aboutirait exactement à l’inverse de ce que la loi prétend faire.
Que dire aussi de son inefficacité en ce qui concerne les plateformes ? La proposition de loi vise à faire intervenir les plateformes pour supprimer les fausses informations, mais l’ensemble des personnes auditionnées nous ont rappelé que cela n’est possible qu’en les supprimant lien après lien. Dans les faits, cela se heurte à la viralité de ces contenus : par exemple, la publication sur la dangerosité des pommes industrielles a déclenché quelque 211 484 partages sur Facebook ! Supprimer cette nouvelle ou l’infirmer ne servirait à rien, car sa diffusion est trop rapide.
Rien n’est non plus envisagé sur la question des chaînes de mails, qui sont pourtant des moyens massifs de diffusion des fausses nouvelles, ni sur les diffusions par les discussions en ligne, qui sont des outils de partage de masse de l’information. Et pour cause : légiférer sur le courrier et les discussions serait pour le moins complexe et dangereux.
Que dire aussi sur le CSA, à qui l’on essaie de donner une prérogative très importante par la bande, sans égard pour les discussions que nous avons déjà eues à ce sujet ? Nous y reviendrons lors de la discussion de la loi sur l’audiovisuel ; ce sera mieux ainsi.
Pour conclure, je dirai que cette loi est dangereuse, inutile au mieux, inefficace à coup sûr. Elle n’est donc même pas amendable. Il faut tout simplement la rejeter et se mettre, ensemble, à la tâche, pour élaborer tous les moyens de lutte contre ces fléaux pour la démocratie que sont la manipulation de l’information, la fabrication et la diffusion de fausses informations.
Au sein du groupe socialiste et républicain, nous y sommes prêts et avons beaucoup d’idées sur le sujet. Madame la ministre, je vous donne rendez-vous pour de prochaines discussions législatives, mais aussi pour élaborer des mesures qui n’auront rien de législatif, afin de faire face à ce fléau.