Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du 26 juillet 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Françoise Nyssen :

Je remercie les orateurs de cette discussion générale et je salue évidemment le sénateur Gattolin pour son soutien. Merci aussi au président Claude Malhuret, dont je rejoins pleinement l’analyse, d’avoir conclu cette discussion sur ces propositions de loi.

Je retiens des autres interventions des critiques et des incompréhensions auxquelles je souhaite évidemment répondre. Mais, avant tout, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous dire que des années consacrées à la liberté d’expression m’ont conduit à traiter cette question animée de la conviction que je partage devant vous : le pessimisme de la lucidité nous oblige à l’optimisme de la détermination, monsieur Retailleau.

Sur la méthode, tout d’abord, on ne peut soutenir que le texte souffrirait d’un défaut de concertation avec les professionnels concernés.

Qu’il s’agisse des journalistes et des médias – écrits ou audiovisuels –, des représentants des plateformes numériques ou des experts et de la société civile, tous ont été entendus. Tout d’abord, dans le cadre d’une consultation organisée par mes services et moi-même, puis à l’occasion du cycle d’auditions conduit par les rapporteurs de l’Assemblée nationale. Je récuse fermement l’idée selon laquelle ce texte aurait été élaboré dans la précipitation, comme vous avez été nombreux à le dire. Au contraire, il a fait l’objet d’un travail technique dense et approfondi.

Je le rappelle, le Conseil d’État a été saisi et a validé l’ensemble des orientations de ce texte, tout en proposant des clarifications et précisions techniques, qui ont pour la plupart été reprises par l’Assemblée nationale.

Le choix de la procédure accélérée répond uniquement au souci d’aboutir à un texte qui puisse s’appliquer dès la prochaine échéance électorale, à savoir les élections européennes de mai 2019.

Je note d’ailleurs qu’il est paradoxal de nous reprocher d’avoir engagé la procédure accélérée sur ces textes tout en refusant d’entrer dans l’examen des articles de ces propositions de loi dès la première lecture !

Le Sénat s’apprête à repousser en bloc ces deux propositions de loi ; je regrette qu’il renonce à apporter sa pierre à l’édifice en amendant les textes. Ce n’est pas la procédure accélérée qui vous en aurait empêché. Car, oui, monsieur David Assouline, le défi est immense, et l’absence de réponse est une prudence inadaptée, voire coupable, lorsque l’on est d’accord sur le constat : la manipulation de l’information est une gangrène, un fléau de notre démocratie, comme vous l’avez vous-même reconnu.

Enfin, on ne peut se contenter d’en appeler, de manière un peu incantatoire, à une réponse européenne et globale. Je partage évidemment cet objectif. Mais lorsque l’Union européenne tergiverse et fait le choix d’une autorégulation purement volontaire, plutôt que d’une intervention législative, il est légitime, compte tenu de l’urgence et de la gravité des enjeux, que la représentation nationale se saisisse du sujet.

J’en viens aux observations qui concernent le fond du texte. Nous avons, sur l’une des dispositions, un désaccord majeur : vous pensez que le référé est à la fois inutile et dangereux. Je récuse ces deux critiques, qui, au passage, me semblent assez contradictoires.

Le référé est utile, car les protections qu’offre aujourd’hui notre droit visent uniquement la sanction a posteriori des auteurs, ce qui n’est pas le cas ici. Or ce dont nous avons besoin en période électorale, c’est d’une réponse rapide permettant d’endiguer la diffusion d’une information manifestement fausse lorsqu’elle s’inscrit dans une campagne de manipulation délibérée et orchestrée.

Ce référé ne porte en rien atteinte à la liberté d’expression ou au droit à l’information. Le Conseil d’État n’aurait pas manqué de relever une telle atteinte si elle avait existé. Les critères qui encadrent l’intervention du juge des référés sont précis et exigeants.

Le référé, limité aux périodes électorales, ne concernera que les informations manifestement fausses diffusées de manière artificielle et massive, et susceptibles de tromper l’électorat. Les informations révélées par la presse ne pourront être mises en cause, car une révélation reposant sur un travail d’investigation ne peut, par construction, être qualifiée de manifestement fausse.

Quand bien même vous ne partagiez pas ma conviction sur l’utilité de ce référé, je regrette que le désaccord sur ce point vous conduise à refuser de débattre des autres dispositions du texte. En effet, je suis convaincue que nous pourrions nous rejoindre sur leurs objectifs et que le travail du Sénat pourrait contribuer à les améliorer encore. Je pense, en particulier, aux dispositions qui visent à introduire plus de transparence et de coopération dans le fonctionnement des plateformes numériques.

La transparence des contenus sponsorisés en période électorale répond à un principe de bon sens, autour duquel nous pourrions, je crois, nous accorder.

Le devoir de coopération des plateformes, quant à lui, est le seul remède efficace à deux écueils que nous souhaitons tous éviter. D’une part, celui de la passivité totale des plateformes, qui s’abriteraient derrière leur statut d’hébergeur pour ne rien faire face à la circulation d’informations délibérément trompeuses, dont elles tirent par ailleurs un profit commercial. D’autre part, celui de l’autorégulation pure, qui permettrait aux plateformes de s’ériger en arbitres du vrai et du faux, en décidant seules, selon des règles discrétionnaires et opaques, de la façon dont l’information doit être filtrée et hiérarchisée.

Monsieur Retailleau, vous vous inquiétez de la censure privée opérée par Facebook. En refusant ce devoir de coopération, vous permettez à Facebook de continuer à dans sa démarche !

Je constate, au fond, que certains d’entre vous – ils sont nombreux – sont profondément d’accord avec l’intention, mais pensent qu’il faut attendre une réponse au niveau européen. D’autres estiment qu’il ne faut pas tout réguler, voire qu’il ne faut pas du tout réguler.

Aux premiers, je réponds que nous ne pouvons attendre : soyons pionniers dans les garanties du débat démocratique. Aux seconds, je réponds que la régulation est source de liberté pour tous les acteurs et pour tous les Français.

Je le redis : les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale n’ont ni pour objet ni pour effet d’inciter les plateformes à retirer elles-mêmes les informations qu’elles jugeraient fausses. Au contraire, elles visent à donner à l’internaute – c’est un point important – de nouvelles clés de compréhension et de décryptage.

C’est ce qui m’amène au dernier apport de ce texte : le renforcement de l’éducation aux médias et à l’information. Nous sommes nombreux à considérer que c’est le meilleur des antidotes à la désinformation.

Le texte dont vous êtes saisis permet de renforcer la place de l’éducation aux médias et à l’information, l’EMI, dans les programmes scolaires. Il vient utilement compléter les actions très volontaristes que j’ai engagées de mon côté, comme je l’ai souligné dans la discussion générale. Il est dommage que le Sénat se prive d’une occasion de contribuer à cette mobilisation que je crois pourtant consensuelle.

Un mot sur le contexte actuel, que vous avez évoqué, parmi d’autres, monsieur Assouline. C’est un cas d’école. Tout le monde fait son travail. La situation illustre on ne peut plus clairement la séparation des pouvoirs dans notre pays.

Vous êtes la preuve vivante que le Parlement fait son travail : vous avez auditionné depuis plusieurs jours. Le Gouvernement fait son travail. C’est ce que je fais en venant présenter en son nom, devant vous, un texte qui défend la régulation. Les juges font leur travail, avec indépendance et impartialité. Et c’est justement à eux, indépendants et impartiaux, en qui nous avons confiance, que la proposition de loi tend à confier de nouveaux pouvoirs. Enfin, la presse fait également son travail ; elle joue efficacement son rôle de contre-pouvoir, n’en déplaise aux uns ou aux autres. C’est le fonctionnement normal et sain de la démocratie.

Le texte que vous refusez d’examiner aujourd’hui ne changera évidemment rien à cela. Chacun pourra continuer à donner son avis et à critiquer publiquement le Gouvernement dans les journaux, sur internet, à la radio ou à la télévision.

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