Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a deux cent trente ans jour pour jour, Wolfgang Amadeus Mozart achevait la composition de la symphonie n° 40, qui allait devenir l’une des pièces maîtresses du répertoire. Plus aride, le texte que nous examinons une dernière fois en séance publique constitue pourtant, je veux le croire, une véritable partition pour rénover les relations entre les usagers et leurs administrations.
Les Français sont attachés au service public. Le baromètre Delouvrier, qui mesure la satisfaction des usagers, indique que, en 2017, 72 % des Français étaient satisfaits, soit une progression de 5 points par rapport à 2014.
Dans le même temps, il n’est pas interdit d’interroger la pertinence de ces services publics, a fortiori à la lumière de la révolution numérique dans nos vies et dans nos villes. M. Thierry Tuot, conseiller d’État, estime le coût de la suradministration à environ 3 points de PIB. Demain, il s’agira de repenser avant de dépenser.
Le droit à l’erreur est devenu, au gré de nos débats, la mesure phare de ce projet de loi. C’est, nous le savons tous, une attente forte de nos concitoyens et de nos entreprises. Nous avons, par l’adoption d’un amendement de notre collègue Patricia Schillinger, étendu le champ de ce droit au code de la sécurité sociale. D’autres apports importants du Sénat ont été retenus. J’en ai dénombré à peu près une trentaine ; je me suis peut-être trompé, mais je crois que cela doit nous conduire à nuancer certains propos sur l’évolution de ce texte.
Cela étant, et c’est principalement sur ce point qu’a échoué la commission mixte paritaire qui s’est réunie en avril, l’extension du droit à l’erreur aux collectivités locales pose un certain nombre de questions.
L’objet du texte est bien d’améliorer la relation qu’entretient le citoyen avec l’ensemble des administrations. Cette extension interroge en droit : comment une personne morale de droit public pourrait-elle se prévaloir d’un droit à l’erreur au profit de l’État ? La réponse est claire : le droit de la responsabilité des personnes morales est orienté vers l’administré et il obéit à des règles spéciales. De même, doit-on étendre ce droit à l’erreur aux relations entre les collectivités elles-mêmes, au risque de créer une tutelle ? Enfin, imaginons-nous un citoyen qui pourrait se prévaloir d’une erreur d’une collectivité qui ferait elle-même usage de son droit à l’erreur envers l’État ? On atteindrait un niveau d’insécurité juridique dangereux pour les Français et pour les entreprises. Je ne suis pas contre par principe, mais je pense que ce droit mériterait d’être retravaillé et approfondi s’il devait être introduit.
Nous avons aussi d’autres désaccords sur ce texte, notamment à l’article 34, mais je crois que c’était principalement sur la méthode ; nous pouvons donc nous retrouver sur le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Enfin, il y a un désaccord sur l’article 38, qui porte sur les cultes. Comme je l’ai dit en commission spéciale, ce sujet mérite que l’on prenne le temps de mener une vraie réflexion sur la place des lobbies en démocratie. Sur ce point, chère Nathalie Delattre, notre groupe s’abstiendra, mais seulement dans l’attente d’un vrai débat sur la liste des représentants d’intérêts.
Ces désaccords ne doivent pas occulter les apports de ce texte, qui prévoit des changements importants : présomption de bonne foi qui pèse sur l’usager, expérimentation du référent unique dans les maisons de services au public, généralisation du rescrit, limitation de la durée des contrôles sur nos TPE ou PME.
Je souhaiterais m’arrêter un instant sur le titre III, intitulé « Un dispositif d’évaluation renouvelé », qui a été en partie vidé de sa substance ; je le regrette. Nous sommes tous attachés au renforcement des pouvoirs d’évaluation des politiques publiques par le Parlement, en particulier par le Sénat. Ce n’est certes pas incompatible avec la communication de rapports relatifs au suivi de l’application des bonnes pratiques ou des expérimentations par le Gouvernement, mais il est vrai qu’un bon rapport est un rapport utile.
Dès le début de la discussion de ce texte, vous avez insisté, monsieur le secrétaire d’État, sur le service après-vote au travers d’un conseil de la réforme aux mains du Parlement qui se réunirait régulièrement. Nous allons tester une nouvelle méthode de travail, qui peut ne pas fonctionner, mais qui aura le mérite d’exister et d’être innovante. Cela me fait penser au mot de Jules Renard : « La porcelaine cassée dure plus que la porcelaine intacte. » Tout n’est pas parfait, contrairement à Mozart, mais nous prévoyons le nécessaire pour corriger les fausses notes.
Quoi qu’il en soit, les sénateurs auront à cœur d’appuyer votre action, notamment auprès des services déconcentrés de l’État, que ce soit la DGFiP ou les DIRECCTE, dans nos territoires.
Le numérique est un levier de solidarité, y compris dans les grandes villes. C’est au prix de ces adaptations que nous redonnerons confiance aux jeunes générations dans l’action publique, trop longtemps cantonnée aux moyens et pas assez tournée vers les résultats. Notre crédibilité passe par un sursaut d’efficacité que le projet de loi veut encourager, et j’espère qu’il en sera l’augure.