Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous partageons la philosophie de ce texte. Nous croyons en cette société de confiance qu’appelle le projet de loi. Nous saluons les mesures de simplification qu’il porte et nous nous félicitons, entre autres dispositions, de la suppression des sanctions pour toute première erreur d’un usager de bonne foi. Nous restons cependant en alerte et pour le moins perplexes sur de nombreux points.
Après l’échec de la commission mixte paritaire et le renvoi en nouvelle lecture qui nous réunit aujourd’hui, de nombreuses dispositions que nous avions votées avec la majorité sénatoriale ont été supprimées.
Nous saluons le nouveau travail des rapporteurs et des sénatrices et sénateurs de la commission spéciale, notamment sur le droit à l’erreur au bénéfice des collectivités ou sur la suppression de l’article concernant les modes d’accueil de la petite enfance – disposition plutôt incongrue, les modes d’accueil de la petite enfance ne pouvant se négocier a minima à moindre formation et à moindre encadrement. Nous saluons également les mesures en faveur des chambres d’agriculture.
Cette nouvelle lecture nous donne l’occasion de revenir sur des points problématiques que j’articulerai autour de deux axes.
Le premier porte sur l’esprit général du texte.
Les mesures portées dans le projet de loi – nous ne le répéterons jamais assez – touchent à des domaines multiples. Parmi les mesures relatives à la relation entre les citoyens, les entreprises et les administrations, je citerai le rescrit fiscal, les maisons d’accueil du public, les régimes d’autorisation environnementale, les certificats d’information ou encore le code du travail.
Le titre Ier vise à créer les conditions d’une confiance retrouvée du public dans l’administration en concentrant l’action de cette dernière sur ses missions d’accueil et de conseil. Peut-on y répondre en restreignant le champ de l’accès au droit ?
La confiance dans l’administration n’est pas exclusivement celle des entreprises ; elle est également celle des citoyens. À cet égard, il me semble que l’administration n’est pas aujourd’hui en mesure d’accompagner les plus fragiles.
Le Défenseur des droits, que nous avons auditionné, a pointé une fracture numérique qui touche les publics vulnérables. Beaucoup trop de nos concitoyens ne bénéficient pas des droits et des services auxquels ils peuvent prétendre. Ils sont des millions ! Il est nécessaire de restaurer la confiance afin qu’elle puisse profiter à tous. Une enquête de 2017 publiée par le Défenseur des droits souligne que 27 % des Français n’ont pas accès à internet ou éprouvent des difficultés à réaliser leurs démarches administratives sur internet.
Avec le groupe socialiste et républicain, nous avions déposé un amendement visant à introduire des dispositions qui nous semblaient répondre à cette problématique des publics marginalisés – j’entends par là ceux qui ont des problèmes d’accès à l’outil informatique ou qui résident dans des zones blanches. La commission a refusé d’inscrire dans la stratégie nationale cette prise en compte de la marginalisation numérique pour que les économies réalisées par la dématérialisation profitent à la réduction de cette fracture.
Or, aujourd’hui, 15 % des foyers n’ont pas accès à internet, 500 communes sont considérées comme des zones blanches et beaucoup de nos concitoyens ne disposent pas d’équipements numériques suffisants ou ne maîtrisent pas l’outil numérique. Nous avons donc redéposé cet amendement en vue du nouvel examen du projet de loi en séance publique. J’espère que, dans sa sagesse, la chambre haute reconsidérera le sujet. Pouvons-nous laisser des millions de nos concitoyens au bord du chemin ?
J’en viens à mon deuxième axe.
Le texte que nous examinons ne nous semble pas non plus répondre à la question des moyens. L’extension du champ du rescrit, par exemple, peut-elle vraiment s’articuler avec une baisse du nombre de fonctionnaires ? En clair, plus de travail et moins de moyens ! Le risque est d’ores et déjà annoncé : une modification des responsabilités et des tâches des fonctionnaires.
Je m’attacherai à présent à certaines mesures clés du texte.
Pour commencer, je ne peux que féliciter la commission spéciale pour son travail sur l’extension du droit à régularisation en cas d’erreur au bénéfice des collectivités territoriales. Comme les usagers de l’administration, elles ont besoin du regard bienveillant de l’État dans le cadre des missions quotidiennes qu’elles effectuent. Il s’agit d’un marqueur à leur égard. Je pense tout particulièrement aux petites communes, qui sont souvent – nous ne pouvons que le regretter – démunies face à la complexité juridique des procédures dont elles ont la charge.
Monsieur le secrétaire d’État, au vu des sujets entrant dans le cadre de l’examen de ce texte, et par esprit d’équité, comment ne pas donner un droit à l’erreur aux collectivités locales, dont je rappelle qu’elles ne sont pas des administrations ?
Dans le cadre de l’extension du droit à l’erreur, le groupe socialiste et républicain avait également déposé en première lecture un amendement relatif à la déclinaison de la politique agricole commune. Cet amendement, adopté en séance publique par le Sénat, a été rejeté en nouvelle lecture par les deux commissions spéciales. J’en appelle à votre vigilance quand nous examinerons cet amendement, car nos agriculteurs doivent eux aussi faire face à la complexité croissante des dossiers sans pour autant bénéficier d’un appui technique pour les remplir. L’agriculture est un secteur clé qui ne saurait être négligé dans ce projet de loi.
Le doute est aussi très fort sur l’expérimentation de la régionalisation des chambres d’agriculture. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que le point de vue du Sénat sur l’article 19 sera entendu par l’Assemblée nationale. Le transfert aux chambres régionales d’agriculture des missions des chambres départementales ne peut en aucun cas se faire sans l’accord de ces dernières.
Plus surprenant et clivant, enfin, le retrait des associations cultuelles du champ des représentants d’intérêts. La loi relative à la transparence de la vie publique, dite Sapin II, avait tranché le débat en définissant un représentant d’intérêts comme une organisation de droit privé qui exerce régulièrement une activité ayant pour finalité d’influencer la décision publique, notamment en matière législative ou réglementaire, et entrant en communication avec des décideurs publics.
Notre logique n’est pas de discriminer, mais de rétablir l’obligation pour les associations religieuses de se déclarer comme telles. D’ailleurs, qui pourrait encore soutenir que les associations religieuses n’ont pas eu d’influence sur les parlementaires, et cela dans un passé très récent ? C’est une question d’honnêteté intellectuelle.
Un sentiment d’étonnement s’impose quand on compare votre empressement à renouer la confiance avec les associations cultuelles et la défiance, voire le mépris dont vous faites preuve envers les corps intermédiaires.
La confiance que nous appelons de nos vœux est une confiance retrouvée avec nos citoyens autour d’un engagement républicain, d’un accès égal aux droits. Pourquoi remettre en cause l’une des valeurs fortes de notre République, la laïcité, quand ce texte en appelle à une confiance retrouvée du public avec l’administration ?
Nous en appelons en toute logique à une cohérence dans la transparence de la vie publique. L’actualité m’oblige à vous faire remarquer que cette transparence et cette confiance que vous appelez, nous souhaiterions également et avant tout la voir portée au plus haut sommet de l’État.
Vous l’aurez compris, sans évolution notable sur les sujets qui nous opposent, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte.