Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, nous sommes réunis ce soir – peut-être même prolongerons-nous nos débats dans la nuit – pour procéder à une nouvelle lecture du projet de loi dit « pour un État au service d’une société de confiance ». Il s’agit d’un texte aux ambitions multiples, dont l’objet central est de promouvoir l’établissement d’une nouvelle relation entre l’État et les citoyens, en leur qualité d’usagers de l’administration. Cette relation se veut être basée sur la confiance.
Je pense que nous pouvons tous ici appeler de nos vœux l’émergence d’une telle « société de confiance », même si l’on pourrait nous opposer que, au cours des derniers mois, le Gouvernement a semblé peu disposé à suivre cette voie : non-communication du rapport du Comité Action publique 2022 aux membres dudit comité ; échec de la négociation dans la mise en œuvre du dispositif de contractualisation avec les collectivités locales, deux exemples emblématiques parmi d’autres qui incitent plutôt à la méfiance.
Instaurer cette relation de confiance nécessite d’ajuster et de moderniser la pratique administrative.
Le droit à l’erreur constitue une innovation intéressante en ce qu’il écarte la possibilité de sanctionner le citoyen ayant commis une erreur de bonne foi et cherchant à la régulariser. Ce dispositif présente l’avantage de sortir l’administré de l’état de suspicion presque systématique qui prévalait jusqu’ici : après tout, si la présomption d’innocence guide notre procédure pénale, la même démarche ne serait-elle pas tout aussi naturelle dans les relations entre administration et administrés ?
Le droit au contrôle, contrepartie du droit à l’erreur, ouvre un droit pour le citoyen d’être contrôlé et donc de pouvoir s’assurer qu’il respecte bien la norme.
Mettre en œuvre ces deux droits permet d’établir les conditions d’une confiance mutuelle : pour l’administration, le citoyen ne sera plus systématiquement présumé comme étant délibérément en faute, tandis que, pour ses interlocuteurs, l’administration ne sera plus vue comme disposée à systématiquement les sanctionner, y compris ceux qui le seraient de bonne foi.
Autour de ce diptyque s’articulent de nombreuses autres mesures. Le rapport de certaines d’entre elles avec l’objet général du projet de loi est parfois ténu. Cela a conduit le Sénat à proposer une nouvelle dénomination de ce texte fourre-tout, « attrape-tout », multipliant les mesures expérimentales ou les habilitations à légiférer par ordonnance. Le nouveau titre « projet de loi renforçant l’efficacité de l’administration pour une relation de confiance avec le public » paraissait plus en adéquation avec le contenu réel du texte. Mais les députés ont considéré que ce titre tendait à « récuser la philosophie même du projet de loi dont l’ambition est, en changeant l’État, de susciter de nouveaux comportements sociaux ».
Mes chers collègues, il me semble que les dispositions hétéroclites de ce texte ne sont pas la parfaite illustration de cette ambition. En effet, dans le projet de loi adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, nous trouvons de nombreuses mesures portant sur la modernisation des pratiques administratives : il s’agit notamment du développement des rescrits administratifs et autres actes opposables, du recours aux médiateurs, de la dématérialisation ou encore de l’essor du guichet unique. Je pense aussi à d’autres mesures concernant la simplification et l’évaluation des mesures administratives, comme la possibilité d’effectuer des regroupements volontaires d’établissements dans l’enseignement supérieur, la mise en place du « relayage » au domicile dans l’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie ou encore la demande de plusieurs rapports au Gouvernement.
Enfin, je citerai des mesures plus éloignées de l’objet principal du texte, celles qui sont relatives aux énergies renouvelables, mais aussi au régime des associations cultuelles et à la responsabilité des agents publics.
Notre assemblée, notamment sur l’initiative de ses deux rapporteurs, avait réalisé un important travail d’amélioration et de mise en cohérence du texte initial. Malheureusement, et en dépit des efforts des sénateurs, les discussions en commission mixte paritaire n’ont pu donner lieu à un accord. L’une des raisons de cet échec a notamment été l’insistance de nos collègues députés du groupe La République En Marche à inscrire coûte que coûte à l’article 34 des dispositions tendant à remettre en cause les résultats des appels d’offres relatifs à la production d’électricité en mer à partir de l’énergie mécanique du vent.
Comme l’a si justement rappelé le rapporteur Jean-Claude Luche, si le Sénat ne peut être en désaccord avec l’objectif poursuivi, à savoir diminuer le coût de l’électricité pour les consommateurs, il ne pouvait rester muet sur la forme : des dispositions introduites par un amendement de dernière minute du Gouvernement – encore un, ai-je envie de dire ! –, échappant ainsi à l’avis du Conseil d’État et à l’étude d’impact. Si l’on en croit les déclarations du Président de la République au cap Fréhel, un accord sur la renégociation des contrats a été trouvé avec les trois consortiums lauréats. Que de temps perdu, alors même que le calendrier législatif de ces dernières semaines a été très chargé ! Je loue ici la sagesse de la commission spéciale, qui n’a pas souhaité rouvrir le débat.
Cependant, ce texte présente de nombreux éléments intéressants, mais dont la portée a été affaiblie par une étude d’impact jugée insuffisante par la commission spéciale, par un manque de lisibilité et par des changements d’arbitrage du Gouvernement sur des points importants. C’est, par exemple, le cas de l’article 38 relatif au statut des cultes. Était-il indispensable de traiter cette question complexe dans ce projet de loi ? Sans doute pas ! La dernière version de cet article, adoptée par l’Assemblée nationale et acceptée par la commission spéciale, a été en grande partie vidée de son contenu.
Le travail législatif effectué jusqu’à présent a permis d’améliorer le texte, et nous continuerons de le faire ce soir.
À l’occasion de la nouvelle lecture, les députés ont toutefois affiché leur désir d’aboutir à un compromis. Ils ont, à cette occasion, maintenu vingt et un articles dans la rédaction issue des travaux du Sénat. C’est la même volonté qui a animé les membres de la commission spéciale ; en témoigne la limitation du droit à l’erreur des collectivités territoriales aux petites communes. Cependant, sur d’autres points, comme les multiples demandes de rapport prévues aux articles 40, 41, 42 et 46, le Sénat n’a pas abandonné sa philosophie.
Le ministre de l’action et des comptes publics s’est engagé devant les députés à faire en sorte que les décrets d’application soient tous publiés avant le 31 décembre 2018. Plus rien ne s’oppose désormais à ce que le projet de loi entre en vigueur et, espérons-le, instaure cette société de confiance que nous appelons tous de nos vœux.