Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du ministre d’État, ministre de l’intérieur, qui m’a demandé de le représenter aujourd’hui en raison de sa présence à l’Assemblée nationale, aux côtés du Premier ministre, pour le débat sur les motions de censure. Chacun comprendra que sa présence à l’Assemblée nationale était indispensable.
Après l’échec de la commission mixte paritaire, qui, le 4 juillet dernier, n’est pas parvenue à un accord, l’Assemblée nationale a examiné, en nouvelle lecture, le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Elle a adopté jeudi dernier une version rétablissant les grands équilibres auxquels elle était parvenue en avril dernier, mais prenant également en compte un certain nombre d’apports issus de l’examen du texte par la Haute Assemblée en première lecture.
Conformément au dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution, il appartient désormais au Sénat de se prononcer en nouvelle lecture dans des délais que je sais particulièrement contraints, mais qui découlent de la volonté du Gouvernement d’achever l’examen parlementaire de ce texte avant l’été, afin que les mesures qu’il contient puissent rapidement entrer en vigueur.
Au cours de sa réunion de ce matin, votre commission des lois, tirant les conséquences de l’échec de la commission mixte paritaire, a décidé de proposer au Sénat l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable. Le Gouvernement prend acte de cette décision et ne pourra que se plier à la décision que la Haute Assemblée rendra tout à l’heure.
Je veux dire solennellement que le Gouvernement aurait largement préféré que les assemblées parviennent à un accord. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous y avez travaillé dans le cadre d’un dialogue constructif avec les députés, la majorité de l’Assemblée nationale ayant notamment proposé un certain nombre de compromis. Toutefois, concernant certains grands choix politiques défendus par le Sénat, qu’il s’agisse de l’instauration de quotas ou du remplacement de l’aide médicale de l’État par une aide médicale d’urgence, le Gouvernement et sa majorité ne pouvaient y souscrire. Dès lors, face à une telle situation de blocage, la commission mixte paritaire n’a pu que tirer les conséquences de ces désaccords, nous le regrettons… peut-être tous d’ailleurs ! Il est désormais temps d’avancer.
Cela fait près d’un an que les grandes options retenues par le Gouvernement en matière d’asile et d’immigration font l’objet de débats, depuis la présentation par le Premier ministre, le 12 juillet 2017, du plan d’action intitulé Garantir le droit d ’ asile, mieux maîtriser les flux migratoires.
Depuis la fin de l’année 2017, le Gouvernement a lancé les concertations pour la préparation du projet de loi avec plus de trente associations engagées dans l’hébergement d’urgence et l’accueil des demandeurs d’asile. Le ministre d’État et moi-même avons, du reste, longuement consulté et écouté le milieu associatif au cours de cette période.
Le projet de loi est, quant à lui, connu depuis le 21 février dernier, date de son passage en conseil des ministres. Il a fait l’objet de débats intenses et nourris en commission et en séance publique, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Il a été largement amendé, précisé et enrichi ; et je dois dire que la version qui vous est aujourd’hui soumise est le fruit des travaux parlementaires.
Après le temps de la discussion parlementaire, le Gouvernement considère qu’il faut désormais passer au temps de l’action. Car s’il est un enjeu au cœur des préoccupations des Français sur lequel il est indispensable d’apporter des solutions, c’est bien celui de l’asile et de l’immigration.
Cela a souvent été rappelé lors des débats, alors que le nombre des demandeurs d’asile a diminué de moitié en Europe entre 2016 et 2017, passant de 1, 2 million à 600 000 personnes, il a cependant continué à augmenter en France, avec 100 000 demandeurs en 2017, ce qui représente une croissance de 17 % en un an.
Les conséquences de cette évolution, les Français les vivent au quotidien parce que le parc d’hébergement des demandeurs d’asile est saturé, que celui de l’hébergement d’urgence l’est tout autant et que se développent dans le cœur de nos villes des campements dont chacun sur ces travées s’accorde à dire qu’ils sont indignes de notre République. Pour faire face à cette situation de plus en plus intenable, le Président de la République et le Gouvernement interviennent sur tous les fronts.
Nous agissons à l’échelon international pour contribuer à la stabilisation de la rive sud de la Méditerranée et pour faire en sorte, au travers de l’aide au développement, que la jeunesse des pays africains puisse trouver un avenir. En outre, par une coopération étroite avec les États africains, nous pourrons mieux lutter contre les filières de passeurs qui font trafic d’êtres humains.
Nous agissons également au plan européen pour rapprocher les législations des États membres, pour consolider le régime d’asile européen commun, pour renforcer les frontières de l’espace Schengen et pour faire en sorte que les pays qui bénéficient d’une exemption de visas ne voient pas un certain nombre de leurs ressortissants détourner cette disposition en déposant des demandes d’asile abusives. Ces mesures sont indispensables, car c’est évidemment à l’échelon européen qu’il faut concevoir les réponses à apporter aux défis migratoires – chacun a pu voir à quel point la question migratoire était de nature à mettre profondément en question les relations entre les États au sein de l’Union européenne.
Toutefois, il est aussi indispensable que nous revoyions nos propres politiques qui ne fonctionnent plus.
La France doit continuer à être une terre d’accueil pour toutes celles et tous ceux qui fuient la guerre et les persécutions ; mais nous devons aussi éloigner de notre territoire celles et ceux qui n’ont pas de droit au séjour.
L’objectif principal du Gouvernement, avec les actions qu’il met en œuvre, est, comme vous le savez, la réduction du délai d’instruction de la demande d’asile à six mois. Ainsi, ceux qui ont vocation à obtenir une protection pourront commencer plus rapidement leur parcours d’intégration, tandis que ceux qui, au contraire, seront déboutés pourront regagner leur pays sans que les liens familiaux et sociaux avec leur pays d’origine se soient distendus.
Réduire les délais d’instruction de la demande d’asile, c’est ce que vise ce projet de loi, et c’est aussi ce que nous avons commencé à réaliser dans les faits. Pour ne prendre qu’un exemple, le temps nécessaire pour obtenir un premier rendez-vous en préfecture est ainsi passé en quelques mois de vingt et un jours à moins de quatre jours seulement. De plus, les renforcements d’effectifs dans les services étrangers des préfectures, avec 150 équivalents temps plein, permettront de progresser encore sur cette voie.
Il fallait aussi gagner en efficacité pour ce qui concerne nos politiques d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Vous le savez, grâce à la mobilisation des préfets et de l’ensemble des services, le nombre de personnes ayant quitté le territoire a augmenté de 21, 6 % en un an.
Enfin, dans le cadre de la loi de finances pour 2018, nous avons mobilisé les moyens budgétaires qui vont nous permettre à la fois d’héberger dans des conditions dignes les demandeurs d’asile et de mieux intégrer celles et ceux qui ont vocation à rester sur notre sol au travers, notamment, du renforcement des cours de Français.
Nous en sommes persuadés, avec ce projet de loi, nous apportons la bonne réponse, une réponse qui ne nie pas les problèmes que nous connaissons en matière d’asile et d’immigration, mais entend leur apporter des solutions équilibrées.
Nous avons largement débattu du contenu de ce texte. Aussi ne reviendrai-je pas en détail sur les différentes mesures que comporte celui-ci.
Si l’Assemblée nationale a, en nouvelle lecture, rétabli en très grande partie les dispositions qu’elle avait adoptées le 22 avril dernier, elle a retenu plusieurs modifications du texte adoptées par le Sénat.
À ce titre, j’observe que le projet de loi voté par les députés comporte l’article 4 A relatif à l’intégration des aspects liés à l’identité de genre dans les motifs de persécution, au sens de l’article L. 711-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Y figurent également l’obligation pour l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, de refuser ou de mettre fin au statut de réfugié en cas de condamnations pour des faits graves, notamment de terrorisme, prononcées dans un autre pays de l’Union européenne, ainsi que l’obligation pour l’Office de statuer en procédure accélérée quand le demandeur constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État.
On retrouve aussi l’article 5 bis qui consacre dans la loi les opérations de réinstallation dans les pays tiers, organisées par les autorités en charge de la politique de l’asile.
Parmi les mesures votées par le Sénat, on compte en outre le maintien à trente jours du délai de recours devant la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile, maintien assorti d’une évolution des délais de l’aide juridictionnelle, comme votre assemblée nous avait invités à le faire, et la mise en place d’une commission de concertation ad hoc composée de représentants des collectivités territoriales, des services départementaux de l’éducation nationale, de gestionnaires de lieux d’hébergement et d’associations de défense des droits des demandeurs d’asile, commission qui émettra un avis sur les schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés.
Par ailleurs, je note la reprise des articles 9 ter et 9 quater issus de la proposition de loi déposée par M. Thani Mohamed Soilihi, qui a pour objet d’adapter l’application du droit du sol à Mayotte, compte tenu de l’ampleur de l’enjeu migratoire dans l’archipel. Le Gouvernement étant très attentif à la situation mahoraise et déterminé à apporter des solutions pragmatiques à cette problématique migratoire spécifique, nous avons, dans le droit fil des propos tenus par le chef de l’État, décidé de soutenir ces dispositions.
Enfin, il faut mentionner l’article 26 sexies autorisant la constitution d’un traitement de données comprenant les empreintes digitales et la photographie des personnes se présentant comme des mineurs non accompagnés, dans le double objectif d’assurer la protection de l’enfance et de lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers.
Il me semblait important de rappeler ces apports voulus par le Sénat, qui a été entendu sur tous ces points.
S’agissant du placement en rétention des familles accompagnées de mineurs, sujet délicat qui touche chacune et chacun d’entre nous, le Gouvernement a pris bonne note de la solution retenue par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Si votre Haute Assemblée avait décidé de limiter à cinq jours le placement en rétention des mineurs accompagnés de leurs parents, le Gouvernement avait fait valoir les difficultés opérationnelles qui pouvaient s’opposer à une telle limitation. Je crois d’ailleurs que celles-ci avaient été entendues.
Je rappelle d’abord que la procédure de placement en rétention des familles doit toujours demeurer exceptionnelle, car l’intérêt de l’enfant doit évidemment primer. C’est la raison pour laquelle cette procédure est strictement encadrée et que l’on ne doit y recourir que lorsque la famille s’est déjà soustraite à une procédure d’éloignement.
Il est toutefois nécessaire de la prévoir, car c’est le seul moyen pour faire appliquer le droit dans certaines situations. Bien entendu, dans ces cas, nous veillerons à ce que celle-ci s’effectue dans des locaux adaptés, uniquement destinés à l’accueil des familles, et à ce qu’elle soit toujours la plus brève possible.
Sur ce sujet, le Gouvernement a entendu les préoccupations exprimées par les députés et les sénateurs et demeurera attentif, dans le cadre d’initiatives législatives qui pourraient intervenir prochainement, aux équilibres entre ces différentes exigences.
Je veux, pour terminer, souligner que l’Assemblée nationale a rétabli l’article 19 ter du projet de loi relatif au prétendu « délit de solidarité », article qui avait été supprimé par le Sénat. Les députés étaient d’autant plus fondés à le faire qu’il était nécessaire de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet dernier.
En effet, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions existantes, au motif que l’exemption pénale actuellement prévue par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour l’aide accordée aux personnes en situation irrégulière ne s’étendait pas à l’aide à la circulation. Il a rappelé bien sûr que cette exemption ne doit s’appliquer que si l’aide poursuit un but humanitaire.
Or tel était précisément l’objet principal de l’article 19 ter voulu par les députés qui ont, de surcroît, adopté un amendement en séance publique, qui tire les conséquences de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel sur le fait que tout acte en relation avec une aide au séjour ou à la circulation, apportée dans un but humanitaire, ne saurait faire l’objet de poursuites pénales.
Le Gouvernement relève enfin que la décision du Conseil constitutionnel rappelle bien que « l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle » et que, à ce titre, l’aide à l’entrée, et donc au franchissement de la frontière, doit demeurer pénalement répréhensible.
Voilà ce que je souhaitais faire valoir en introduction de ce débat. Je relève que, malgré les points de convergence auxquels nous sommes parvenus, les désaccords entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale, dont certains membres me semblent étrangers à l’efficacité des politiques publiques, ont prévalu.