Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 31 juillet 2018 à 14h30
Immigration droit d'asile et intégration — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la motion tendant à opposer la question préalable sera à l’évidence adoptée. La plupart des membres du groupe Union Centriste ne participeront pas au vote ou ne la voteront pas, même si une partie non négligeable du groupe doit voter en sa faveur.

Nous souhaitions un accord en commission mixte paritaire, une position commune du Parlement sur un sujet aussi important. Nous reconnaissons volontiers, madame la ministre, que le texte proposé constituait une amélioration, oscillant entre humanité et protection du droit existant, en particulier avec certains apports du Sénat.

Nous n’étions pas dans l’idée de proposer un contre-projet. Notre analyse repose sur l’idée que l’échec des formations dites de gouvernement – ou de responsabilité – à trouver des accords sur ce type de sujet ne sert aucune d’entre elles, même quand elles sont dans l’opposition, et sert uniquement les extrêmes.

À cet égard, je souhaite vous faire part de nos insatisfactions, de nos convictions et, pour conclure, formuler une proposition.

Dans un premier temps, je tiens à exprimer nos insatisfactions. Nous n’avons pas pu échapper à une vision en noir et blanc, à forte dimension affective ou morale, probablement en raison de la procédure accélérée – vous le savez, mes chers collègues, elle n’est pas pertinente quand il s’agit d’examiner des sujets de société – et, peut-être aussi, en raison de l’instabilité législative. Nous sommes en effet saisis de la vingt-neuvième réforme en matière de droit des étrangers depuis 1980.

Il est en réalité difficile de mesurer ou d’analyser ce qui pourrait être efficace à court, moyen ou long terme dans le texte issu de l’Assemblée nationale. Maîtriser l’immigration est, à notre sens, la tâche d’une génération et relève, donc, d’une logique qui doit être étudiée dans une perspective de long terme.

Ce texte peine aussi à offrir une vision globale. Et pour cause !

Nous sommes devant des problèmes complexes, interdépendants, multifactoriels, avec des pays de départ, des pays de transit et des pays d’arrivée. La difficulté, pour l’exécutif comme pour le Parlement, est de travailler sur l’ensemble du dispositif : le traitement des migrations le plus en amont possible, l’aide au développement, le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne, les accords entre États pour éviter les mouvements secondaires, l’hébergement, les délais d’accès, les délais d’instruction, la reconduction de ceux qui ne bénéficient pas du statut de réfugié et l’intégration de ceux qui en bénéficient.

Oui, mes chers collègues, ce manque de stratégie globale, à l’échelle tant de la France que de l’Union européenne, explique l’insatisfaction de notre groupe, toutefois conscient que cette situation reflète les tensions parcourant la société civile française et européenne sur ces sujets.

J’en viens à nos convictions.

Depuis le début de nos débats, nous sommes convaincus que, pour être efficace, la politique de l’asile et de l’immigration doit être envisagée à l’échelle européenne.

Nous ne méconnaissons pas la souveraineté et l’identité des nations. Nous n’entendons pas nous défausser, sur le niveau européen, de la responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis de nos concitoyens ou de notre devoir d’efficacité à leur égard – sur cette question, comme sur toute autre. Loin de nous, également, l’idée ravageuse d’« opposer les élites et les peuples », pour reprendre une formule trop souvent employée.

Notre conviction est celle d’une souveraineté partagée. Il n’y a pas un volet communautaire, un volet intergouvernemental et, enfin, un volet franco-français. Pour nous, tout est lié. La souveraineté partagée sous-tend le renforcement de notre identité nationale comme de notre souveraineté d’État. Ce sont des éléments consubstantiels.

Dans le prolongement de l’affirmation de nos convictions, je voudrais insister sur deux points qui nous apparaissent comme des priorités.

La première priorité concerne la reconnaissance mutuelle, au moins entre une majorité de pays européens, des décisions en matière de droit d’asile, pour éviter le dépôt dans un pays donné d’une demande qu’un autre pays aurait refusée. Parmi les problèmes que nous avons à traiter, la question des mouvements secondaires, souvent évoquée par notre rapporteur François-Noël Buffet, est très importante.

La deuxième priorité concerne une correction du règlement dit « Dublin III ». Si des migrants entrant dans un pays européen laissent leurs seules empreintes, sans déposer de demande d’asile, et qu’ils rejoignent ensuite un pays voisin, ils ne peuvent pas y demander l’asile avant un délai d’un an et demi. Selon les praticiens, c’est une véritable incitation à la clandestinité, car les intéressés vont attendre, dans des conditions extrêmement négatives pour la société, l’expiration de ce délai pour faire une demande.

Ce sont deux sujets sur lesquels, madame la ministre, nous vous demandons de vous faire notre interprète afin que les dispositifs évoluent.

La proposition de mon groupe – et j’en terminerai là – est d’envisager l’étude d’une modalité de suivi conjoint entre le Parlement et l’exécutif. J’allais presque dire que le suivi du texte est aussi important que le texte lui-même, et je ne parle pas là, seulement, de l’évaluation correspondant à l’une des missions importantes du Parlement…

Dans ce domaine, nous faisons face à des phénomènes continus d’avancée et de recul, de stop and go. Il est probable qu’une trentième réforme sera assez vite envisagée, ne serait-ce que pour respecter les accords trouvés en Conseil européen. La création de plateformes régionales de débarquement en dehors de l’Union européenne ou de centres dits « contrôlés » sur base volontaire au sein de l’Union européenne pour séparer les réfugiés considérés comme éligibles à la protection et les migrants économiques supposerait, bien sûr, de nouvelles dispositions législatives.

Ce qui me semble important, madame la ministre, au risque d’insister une dernière fois, c’est que nous puissions avoir, sur cette problématique, non pas une vision technique – article par article, sujet par sujet –, mais une vision globale de l’ensemble de la question migratoire et du droit d’asile. D’ailleurs, je suis plutôt convaincu qu’il aurait mieux valu commencer par traiter du droit d’asile.

Mais, au point où en sont les choses, il faut un traitement global, inscrit dans des logiques de long terme. Pour cela, il faut aussi intégrer, dans nos débats, le suivi des discussions européennes, car les premiers et les secondes sont liés.

C’est pourquoi nous nous permettons d’insister sur une logique de groupe ou de comité de suivi, selon une modalité à déterminer – et il appartient, bien sûr, à l’exécutif de voir comment celui-ci pourrait fonctionner. En tout cas, cela nous permettrait d’envisager d’être opérationnels dans la durée, ne serait-ce, aussi, que par souci d’efficacité si une trentième réforme dans ce domaine se présentait à nous.

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