Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 31 juillet 2018 à 14h30
Immigration droit d'asile et intégration — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Autre élément majeur, pour répondre aux inquiétudes et aux peurs, en particulier sur le dumping social, il faut un droit du travail robuste, garantissant à toutes et à tous une protection identique. Dès lors, il sera possible de répondre aux craintes de ceux qui croient que d’autres peuvent leur prendre leur travail !

Aujourd’hui, alors que l’Europe est loin d’être la première destination des migrations actuelles, elle est prisonnière de ses peurs et complètement handicapée par celles-ci. Elle est affaiblie. Face à ses voisins et à ses partenaires, elle semble prête à renoncer aux principes qu’elle prétend fondateurs pour pouvoir se défendre contre une invasion supposée. Ce n’est pas raisonnable !

Entendre un certain nombre de « responsables », dans cet hémicycle et ailleurs, prétendre qu’il faudrait faire de la politique des laissez-passer consulaires l’alpha et l’oméga de nos relations bilatérales avec certains de nos partenaires est irresponsable. On ne peut pas ne pas parler de sécurité avec certains de nos voisins ! On ne peut pas vouloir résoudre à long terme la question des migrations sans parler de développement ! On ne peut pas lutter à long terme contre l’immigration illégale sans accepter une certaine dose d’échanges intellectuels, familiaux, commerciaux, permettant de diminuer ces différences de potentiel qui, aujourd’hui, posent énormément de problèmes.

En définitive, c’est en empêchant les mouvements légaux qu’on multipliera les mouvements illégaux.

Il faut donc organiser la légalité – une légalité réaliste – et c’est tout le contraire que l’on nous propose aujourd’hui, en particulier avec cette mesure visant à lier laissez-passer consulaires et délivrances de visas.

Si l’on veut lutter contre les départs vers l’Europe de la jeunesse de certains pays, il faut casser les mythes ! Celui qui part, par exemple, de Guinée vers la France ne doit pas pouvoir, systématiquement, raconter le film d’une réussite qui n’est pas réelle. Il faut faire en sorte que des gens puissent se rendre compte que ce n’est pas vrai, plutôt que de laisser ainsi des mythes se construire, chaque fois plus forts. Alors, chacun racontera son propre film, et ceux qui seront restés sur place auront encore plus envie de venir en Europe. Ce n’est pas ainsi que le problème se résoudra !

Y a-t-il une opposition entre l’Assemblée nationale et le Sénat ? Non ! Des décalages existent, effectivement, mais pas d’opposition !

On constate un certain nombre d’aggravations dans le texte adopté par l’Assemblée nationale.

Je citerai d’abord le retour de l’orientation directive sans hébergement garanti pour les demandeurs d’asile – une aberration absolue ! Comment peut-on obliger les gens à aller dans une région sans leur garantir d’hébergement ?

J’y ajouterai le refus de l’encadrement et de la limitation dans le temps de la rétention des enfants, pourtant proposés par notre rapporteur ; le refus, en dépit de la particularité de ces territoires, d’une prise en compte de la situation de l’outre-mer au conseil d’administration de l’OFII ; le refus d’accélérer certaines procédures administratives avec, en miroir, la réduction des délais imposée pour certaines démarches des demandeurs d’asile. Je fais référence, ici, au fait que l’Assemblée nationale a refusé d’encadrer les délais de délivrance des cartes de séjour après décision favorable, alors que les demandeurs d’asile se sont vu imposer, à de multiples reprises, une réduction des délais qu’ils doivent respecter.

Enfin, l’Assemblée nationale – et là, pour le coup, c’est heureux – est revenue sur la volonté du Sénat de réduire l’attractivité de notre pays pour les étudiants étrangers.

Mais c’est une petite évolution, alors que les convergences entre les deux assemblées sont, elles, nombreuses : pas de prise en compte réelle et sérieuse du principe de fraternité rappelé par le Conseil constitutionnel ; acceptation de la compétence liée de l’OFPRA pour les remises en cause de statuts en cas de menace – nous sommes opposés, non pas à la possibilité d’une telle remise en cause, mais à l’instauration de la compétence liée – ; acceptation d’une notification par tous moyens ; lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité – nous n’aurions rien contre, si un tel système n’était pas susceptible d’empêcher de vrais pères de reconnaître leur enfant, ce qui me semble beaucoup plus grave.

En outre, alors que l’effet suspensif des recours devant la CNDA avait été généralisé par la loi Cazeneuve de 2015 – à la suite d’un certain nombre de condamnations de la Cour de justice de l’Union européenne –, le Sénat et l’Assemblée nationale se sont entendus pour revenir à un recours non suspensif, avec la création d’une véritable usine à gaz.

De la même manière, les deux chambres ont acté le principe d’une durée de rétention passant de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours. Or, on le sait, c’est dans les vingt premiers jours de rétention que l’on arrive à éloigner les personnes en situation irrégulière. Les comparatifs européens démontrent également que le « tout rétention » n’est pas la meilleure solution en termes d’éloignement et ne vaut pas les solutions alternatives. Ainsi, mes chers collègues, je vous invite à comparer le nombre de personnes éloignées en Allemagne et le nombre de places dans les centres de rétention de ce pays. Vous verrez que ce n’est pas par une politique de « tout rétention » que l’on peut éloigner rapidement.

Avant de conclure, je veux évoquer le scandale de Mayotte.

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