Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, éminemment sensible pour les Français, la question migratoire est devenue un enjeu de souveraineté nationale et de cohésion sociale. Illustration de cette importance, nos débats sur ces questions ont été longs, difficiles, passionnés, à la hauteur d’un enjeu fort pour nos concitoyens.
Mais cet enjeu est également un enjeu pour l’Europe, nous avons eu l’occasion d’en débattre la semaine dernière à propos de l’accord de réadmission franco-autrichien. C’est l’avenir du « Vieux continent face à la jeune Afrique », comme je l’ai lu, qui est en jeu, un avenir qui ne doit pas verser dans la confrontation.
L’Afrique subsaharienne compte déjà plus d’un milliard d’habitants, dont 70 % ont moins de trente ans. En 2100, trois bébés sur quatre qui viendront au monde naîtront au sud du Sahara. Comment, dans ces conditions, éviter une « ruée vers l’Europe », pour reprendre le titre de l’ouvrage récent de Stephen Smith, qui documente précisément cet enjeu ?
Le vrai défi est là : réussir le développement d’un continent jeune et pauvre, séparé par un bras de mer d’un continent plus vieux et plus riche.
Dans ces conditions, l’irénisme humanitaire me semble aussi dangereux que l’égoïsme national. Une approche équilibrée, globale et collective est nécessaire, sans verser dans l’outrance des parangons de vertu ou de ceux qui, comme dans la fable d’Ésope, crient tant au loup qu’on ne les écoute plus.
Cette nécessité de l’équilibre en matière de politique migratoire se retrouve dans une tradition républicaine, qui remonte au moins à la Libération. Depuis la signature de l’ordonnance du 2 novembre 1945 par le général de Gaulle, il existe une continuité politique qui tente de concilier les impératifs proches, mais différents de la gestion de l’immigration, de l’intégration et du droit d’asile.
En matière d’asile d’abord, la tradition républicaine repose sur une logique éthique que nous ne devons pas renier. Néanmoins, et c’est l’un des enjeux de ce texte, les procédures doivent être modernisées et les critères clarifiés pour éviter de laisser se développer des attentes infondées ou des situations indignes de notre pays.
Je veux parler, par exemple, des conditions difficiles de travail à la Cour nationale du droit d’asile ou à l’OFPRA, des inefficacités de nos procédures de traitement et de la saturation de nos dispositifs d’hébergement, particulièrement en Île-de-France, dans les Alpes-Maritimes et dans le Pas-de-Calais.
Quant à la question de l’intégration des étrangers dans notre pays, leur insertion linguistique, économique et sociale est particulièrement insuffisante en comparaison de certaines réussites chez nos partenaires, en Allemagne notamment. Dans un bel article de 1943 intitulé « Nous autres réfugiés », Hannah Arendt décrivait la situation la plus douloureuse pour le réfugié en terre d’accueil : l’exclusion, le rejet, l’anonymat. « Et personne ici ne sait qui je suis ! », disait-elle.
Nous devons faire en sorte que la promesse de l’accueil, une fois ses critères clarifiés, ne soit pas qu’une promesse procédurale ; qu’elle soit bien celle d’une insertion réelle. Nous avons déjà pu évoquer lors des précédents débats l’importance, dans ce cadre, du droit au travail.
Sur le sujet de la maîtrise de l’immigration, le Sénat a proposé un texte qui est très éloigné de la version initiale du Gouvernement.
Modifier ce texte n’était pas en soi une erreur, car on peut faire mieux que ce qui nous est proposé en matière d’exécution des décisions, de regroupement familial, de traitement des mineurs ou encore d’intégration.
Je crois que nous sommes d’accord pour estimer que ce énième texte sur l’asile et l’immigration constitue un aménagement technique de notre droit qui ne résoudra pas la dimension structurelle du problème des migrations. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas important : au contraire, il pourrait contribuer à changer en profondeur le quotidien des migrants et des agents de l’asile, dont l’engagement doit être salué.
Sur ces questions particulièrement politiques, l’équilibre n’est pas simple à trouver entre, d’un côté, la nécessité d’humanisme, héritée de la tradition française des Lumières, qui demande d’accélérer les procédures et de moderniser le droit des étrangers et, de l’autre, la fermeté indispensable pour rendre les mesures d’éloignement plus réelles pour les déboutés.
Tout au long de la discussion de ce projet de loi, nous avons souhaité conserver une approche mesurée, raisonnable. Nous voulons rappeler que la question migratoire doit être abordée en France, c’est l’objet de ce texte, mais aussi au niveau européen, sans lequel rien ne sera possible, et au sein des pays sources, tant le développement de ces derniers est une clef déterminante dans la résolution de ce sujet.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous devons en avoir conscience, la crise migratoire est encore devant nous, pour de nombreuses années. Et ce n’est qu’avec une réponse coordonnée à ces trois échelons que nous pourrons apporter une réponse empreinte d’humanité et de fermeté, lorsque cela est nécessaire, à la crise que nous connaissons.