Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question migratoire est devenue l’une des principales variables des relations internationales. Pas plus tard que la semaine dernière, nous débattions, ici même, de l’opportunité de la ratification d’un accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes étrangères.
Cette question est aujourd’hui instrumentalisée comme un puissant levier diplomatique par les pays bénéficiant de grandes diasporas ou stratégiquement placés sur les routes de l’exil.
En Méditerranée, les flux migratoires conditionnent désormais les relations entre l’Union européenne et les pays du contour sud, à tel point que certains chercheurs, comme Henry Laurens et Manon-Nour Tannous considèrent que le pacte euro-méditerranéen n’est plus « qu’une triple mise à distance des États à qui l’on refuse l’adhésion, des migrants et des potentiels terroristes ».
Cette importance croissante des migrations dans le monde nous impose de repenser en profondeur nos politiques étrangères de développement et de lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi, et surtout, notre politique intérieure d’accueil et d’intégration des personnes étrangères, qu’elles sollicitent l’asile ou des titres de séjour de droit commun.
Sur ce deuxième point, l’œuvre de l’Union européenne est balbutiante, et l’on en constate tous les jours les limites. Dans nos centres de rétention administrative, les déficiences du système de Dublin sont encore plus palpables pour les agents chargés d’organiser les flux des reconduites à la frontière.
À ceux qui sont exposés aux regards hagards et aux questions lancinantes d’individus perdus dans le labyrinthe administratif dublinois, comment expliquer les dysfonctionnements de procédures qu’ils ont pourtant la tâche d’exécuter ?
Personne n’ignore ici l’impossibilité de rendre effectives toutes les reconduites à la frontière prononcées, tant que nos partenaires continueront de filtrer les retours par le biais des laissez-passer consulaires. Il est au demeurant peu probable qu’ils y renoncent, puisqu’ils manifestent ainsi leur souveraineté et le contrôle de leurs frontières.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, au sein du groupe du RDSE, nous sommes comme vous attachés aux lois de la République, et nous sommes donc les partisans d’une exécution ferme des décisions administratives prises sur leur fondement.
Ce que nous critiquions en première lecture, et ce que nous continuons de critiquer à ce stade des discussions, c’est la fragilisation de l’État de droit qui découlera nécessairement du renforcement des mesures dérogatoires figurant dans le texte issu des travaux de la commission des lois.
Comme je le disais en première lecture, la dégradation des conditions d’accès à la justice des personnes étrangères les concerne en premier lieu, au mépris de leur incontestable vulnérabilité. Mais elle pourrait aussi menacer indirectement le justiciable français, si les expériences conduites en matière de droit des étrangers étaient généralisées devant nos juridictions. Nous craignons en particulier la généralisation du recours à la vidéo-audience, ce qui serait une transformation sans précédent du service public de la justice.
Fidèle à sa tradition, notre Haute Assemblée avait sur ce sujet introduit quelques dispositions protectrices utiles, comme l’encadrement du placement en rétention administrative des mineurs accompagnés et le rétablissement du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile à sa durée actuelle de trente jours.
La navette a eu quelques vertus. Le maintien de cette deuxième disposition par nos collègues députés est une maigre consolation au regard des propositions de notre groupe et de nombreux collègues pour mieux protéger les enfants étrangers. Selon nous, le recours systématique à l’assignation à résidence était le meilleur compromis entre la protection de la minorité et la nécessité de mettre en œuvre les procédures de reconduite à la frontière.
Nous accueillons favorablement l’encadrement du « délit de solidarité », encore modifié par nos collègues députés en deuxième lecture, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel consacrant la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. À ce stade, nous ne pouvons mesurer tous les effets contentieux que produira cette décision audacieuse, mais cela devrait nous conforter, en tant que membres du Parlement, dans l’idée qu’il ne faut pas renoncer au progrès des droits du citoyen en faisant preuve d’une autocensure excessive.
Enfin, si l’atténuation brutale de l’afflux migratoire est peu probable et l’amélioration des reconduites aux frontières impossible, alors l’accueil et l’intégration deviennent incontournables. Ainsi, un usage plus constructif de l’aide au retour volontaire pourrait être fait, en ne l’appliquant qu’à moyen terme, afin de responsabiliser davantage les étrangers souhaitant rejoindre la France pour s’y former et y acquérir des compétences d’avenir.
Cette relation de confiance, établie sur des règles claires, pourrait constituer le ciment d’un développement plus équilibré à travers le monde et favoriser un rayonnement singulier et positif de la France sur la scène internationale.
Au contraire, ce projet de loi nous paraît complexifier un peu plus le droit des étrangers en France, et rester à la surface des enjeux migratoires. C’est pourquoi, comme lors de la première lecture, les membres du groupe du RDSE voteront contre ce texte, dans sa version modifiée par la commission des lois du Sénat.