Intervention de Patrick Youssef

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 juin 2018 à 9h30
Situation humanitaire en afrique de l'ouest — Audition de M. Patrick Youssef directeur régional adjoint du comité international de la croix-rouge cicr pour l'afrique

Patrick Youssef, Directeur régional adjoint du CICR pour l'Afrique de l'Ouest :

Je voudrais tout d'abord vous remercier pour cette audition car je suis convaincu qu'il faut renforcer les liens entre le CICR et les parlements. Sur le Sahel tout d'abord, il y a évidemment les conséquences des pressions climatiques, mais surtout la situation de violence, de tensions communautaires, de conflits armés, que ceux-ci mettent en jeu des Etats ou des groupes non-étatiques.

Le CICR a pour vocation de répondre aux besoins des gens affectés directement ou indirectement par ces conflits, ce qui nous amène à négocier aussi bien avec les acteurs étatiques qu'avec les acteurs non-étatiques. Notre valeur ajoutée vient de notre proximité aux victimes. Et notre neutralité et notre impartialité sont des éléments très important de notre action.

Le CICR est présent dans la majorité des pays de la région, parfois dans des zones critiques comme Agadès ou Kidal. Nos partenaires naturels sont les Croissant-Rouge et Croix-Rouge de ces pays, mais aussi d'autres pays comme par exemple la Croix-Rouge française.

Le Sahel fait face à de nombreux défis :

- un défi environnemental, avec le réchauffement climatique qui produit des effets dramatiques sur la production agricole, alors que 80 % de la main-d'oeuvre est employée dans le secteur agricole ;

- un défi démographique, avec le doublement de la population d'ici vingt ans, ce qui va nécessairement générer des conflits territoriaux ;

- un défi alimentaire, avec une malnutrition chronique ;

- un défi sécuritaire, enfin, qui pèse sur des millions de personnes, surtout les plus jeunes, dont certains n'ont parfois même pas connu la maison d'origine de leur famille.

Les migrations à l'intérieur et à l'extérieur de l'Afrique sont très dynamiques. Les pays d'Afrique du Nord sont devenus les réceptacles de ces mouvements migratoires. Seul le retour de la paix pourrait réduire significativement ces flux migratoires. En attendant, les migrants qui arrivent en Europe méritent d'être traités avec compassion et dignité. Je reviens d'une visite en Libye, où j'ai pu observer que les Libyens eux-mêmes vivent dans des conditions très difficiles. Il faut donc aussi penser à aider les habitants de ces pays-réceptacles des flux migratoires. En matière de migration, l'action politique ne peut se limiter à tenter de restreindre le nombre de migrants qui arrivent : les Etats doivent aussi accomplir leur devoir humanitaire et aider ces migrants.

Il y a aussi la problématique des migrants disparus ; la Méditerranée est devenue un immense cimetière et les Etats européens doivent aussi s'efforcer d'aider les familles des migrants disparus à savoir ce qui a été leur sort. Je rappelle le principe de non-refoulement des demandeurs d'asile et de certaines catégories de migrants. Nous devons également être vigilants à la question de la détention : la liberté des migrants devrait être la norme.

J'en viens maintenant à l'application du DIH dans la région. L'Afrique de l'Ouest compte 16 pays, dont seul un tiers est affecté par les conflits. Parfois, ceux-ci mettent aux prises des groupes armés sans commandement clair, ce qui rend plus difficile l'application du DIH. Nous tendons la main à tous les groupes armés pour essayer de faire respecter le DIH. Le deuxième défi est de faire intégrer le respect des non-combattants, non seulement du point de vue du droit humanitaire, mais aussi du point de vue du droit islamique.

Il faut rappeler que le droit humanitaire ne s'applique pas systématiquement. Les actions menées contre les groupes armés ne sont pas interdites par le DIH. Par ailleurs, on observe en Afrique de nombreuses actions violentes, parfois menées par des inconnus qui attaquent des soldats ou des civils, par exemple début mai au Nigéria. Dans la plupart de ces cas, le DIH ne s'applique pas. Cette branche du droit est relativement récente dans l'enseignement des universités d'Afrique de l'Ouest, même si elle se développe rapidement. De même, certaines activités criminelles ne sont pas le fait de groupes armés et ne relèvent pas à ce titre du droit humanitaire.

Il faut préciser que, de plus en plus souvent, on trouve sur le terrain des coalitions d'États, parfois associées à des groupes armés non-étatiques. Il faut rappeler aux Etats la complexité des conflits et aussi la responsabilité qui va avec le soutien qu'ils apportent à des groupes armés. L'approvisionnement en armes devrait venir avec le souci du respect du DIH.

Pour finir, il y a la dimension sanitaire : les conflits touchent tous les secteurs, dans la santé. On observe des épidémies, avec des taux de mortalité très élevés. Parallèlement, les systèmes de santé sont très affaiblis.

Dans quelques zones prioritaires du CICR, les conflits empêchent l'accès aux zones les plus difficiles. Les attaques sur les hôpitaux et les centres de santé ont diminué. Importe aussi la vaccination ou l'effort contre les maladies, par exemple le paludisme. On constate que l'aide apportée pour vaincre le virus Ebola n'a pas eu d'impact à long terme. Dans les trois pays concernés (Guinée équatoriale, Libéria, Sierra Leone), le CICR a arrêté son activité directe pour se concentrer sur la responsabilisation des acteurs locaux.

Parmi les objectifs de notre action, il y a bien sûr l'aide directe, mais aussi l'effort pour freiner la détérioration de la situation et permettre un jour la reconstruction de ces pays. Il faut favoriser la résilience des communautés et des individus, par exemple en proposant de l'argent ou du matériel plutôt que des sacs de riz, leur donner le moyen de regagner leur dignité.

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