Merci pour vos questions, car dans mon introduction d'une quinzaine de minutes, je n'ai pas pu vous présenter tous les actions du CICR dans la région. Nous avons 2 500 employés sur toutes les lignes de front, qui travaillent nuit et jour dans nos centres de santé, et notamment des équipes chirurgicales dans les régions les plus reculées comme à Diffa, à Agadès et à Maiduguri où j'étais fin janvier et où il a fallu accueillir en une soirée 54 blessés de guerre.
L'action du CICR, dans toutes ces zones, se déploie dans cinq domaines spécifiques. En premier lieu, nous sommes encore une organisation qui répond aux urgences. Elle apporte une réponse urgente en distribuant de l'eau ou de la nourriture, même dans des conflits qui durent depuis dix ans. Nous voyons encore des déplacements brutaux de populations avec une demande urgente de réponse pour leur survie. Apporter une réponse urgente aux besoins que nous voyons sur le terrain reste un élément fondamental de notre action. En deuxième lieu, le CICR assure des programmes sur plusieurs années, ce qui n'était pas le cas auparavant. Quand j'ai commencé à travailler il y a treize ans au Darfour, nos actions étaient limitées à une ou deux années. Aujourd'hui, l'idée est de voir beaucoup plus loin. Les investissements que nous faisons, par exemple, dans le rétablissement des services sanitaires dans une région donnée, s'étalent dans le temps. En troisième lieu, il faut citer la protection. À l'origine, le CICR n'a pas été créé pour distribuer de la nourriture et de l'eau, mais surtout pour inciter les porteurs d'armes à respecter le cadre mis en place par les conventions de Genève après la Seconde Guerre mondiale. Cela nous conduit à promouvoir le droit auprès des porteurs d'armes de toutes sortes, y compris non-étatiques, et aussi à visiter tous les lieux de détention. La visite d'une prison où séjournent 2 500 détenus alors que la capacité d'accueil est de 100 personnes est un défi à part entière. Face à la surpopulation carcérale, le CICR s'assure non seulement du bon traitement des détenus, mais aussi du respect de leurs garanties judiciaires, de leur nutrition, etc. En quatrième lieu, le CICR ne travaille pas seul. Cela répond à la question sur la collaboration du CICR avec les ONG. Nous travaillons avec le plus grand réseau de volontaires au monde - la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge - et notamment avec des acteurs locaux qui peuvent aller partout dans leurs pays. Cela nous apporte beaucoup en nous donnant un accès illimité et la possibilité de travailler avec des volontaires dont l'engagement humanitaire est impressionnant. Nous travaillons aussi à l'adaptation des capacités de ces sociétés nationales dans le cas où le CICR serait conduit à quitter le pays, afin que la relève soit assurée. En cinquième lieu, nous sommes très présents dans le développement des capacités locales. Nous ne voulons pas nous substituer aux services gouvernementaux ou régionaux. Parfois nous y sommes contraints, comme en 2012 dans l'hôpital de Gao qui était complétement vide après l'arrivée des groupes djihadistes. Le CICR l'a réhabilité et continue d'en assurer la gestion depuis cette date, tout en formant du personnel local qui prendra la suite. Nous avons un grand projet dans la région de Mopti au centre du Mali où le Gouvernement nous a demandé de créer un centre orthopédique. La promotion et le respect du droit humanitaire international sont très importants car ils assurent la préservation du tissu social, sur lequel se rebâtira la société d'après conflit.
Sur le Togo, je n'ai pas la totalité de la réponse. Le CICR a une petite présence à Lomé, qui lui permet par exemple de faire des visites des lieux de détention. Le levier principal, ici, est la société civile et le dialogue avec les autorités concernées. Le CICR pourrait peut-être envisager une intervention s'il avait un mandat pour le faire.
Sur la question des personnes non identifiées ou sans état-civil, je veux vous dire que le CICR n'a jamais fait de distinction de cette sorte entre les personnes. Dès lors que ces personnes sont identifiées par un gouverneur, un chef tribal, elles sont intégrées dans nos listes de bénéficiaires. Notre grande valeur ajoutée est la proximité avec les victimes. Une fois que ces personnes ont un dialogue avec un délégué, elles sont prises en charge. Par exemple, un patient qui arrive à l'hôpital de Gao pour être soigné ne se voit jamais demander son identité tout de suite. Elle lui est demandée plus tard pour référencer le dossier et pour éventuellement joindre sa famille.
Sur la question du financement, je voudrais signaler une différence entre le CICR et la Croix-Rouge française. La Croix-Rouge française a en quelque sorte un monopole pour recueillir les dons des Français. Le CICR ne s'adresse qu'aux gouvernements. Il ne demande jamais de soutien financier aux particuliers. 92 % de notre budget provient des Etats et cela n'a pas changé. Il est peut-être temps de réfléchir à une participation des acteurs privés.
La Croix-Rouge française est favorable à un travail en collaboration avec le CICR notamment dans le domaine de la récolte de fonds. Une rencontre entre notre direction et la Croix-Rouge française a eu lieu à Paris la semaine dernière et témoigne de l'étroite collaboration entre nous. Dans le domaine opérationnel, nous partageons certains théâtres avec la Croix-Rouge française, en particulier dans le secteur du Sahel. Nous travaillons ensemble à Agadès à la gestion d'un centre hospitalier. Nous sommes extrêmement fiers du travail accompli dans ce secteur, car nous nous appuyons sur des experts, des personnes qui ont vécu des moments très difficiles pendant la guerre du Liban. J'ai moi-même connu ma femme lorsqu'elle était experte pour la Croix-Rouge française.
S'agissant du Sahara occidental, nous avons à Tindouf un centre orthopédique. Nous travaillons également en étroite collaboration avec le Maroc et le Sahara occidental, donc le front Polisario, pour essayer d'établir des espaces de dialogue. Nous poussons ce dialogue avec les Marocains afin de mettre en place des actions humanitaires dans le Sahara occidental. Nous cherchons à agir dans la détection des mines et à instaurer un dialogue sur les personnes disparues. Dans ce domaine, c'est la diplomatie qui prime sur l'action en ce moment. Nous sommes également en étroite relation avec le représentant spécial pour le Sahara occidental afin de définir la place du CICR dans cette action diplomatique et humanitaire.
En réponse à la question sur les ONG, j'ai répondu en précisant que nos partenaires privilégiés sont les sociétés nationales du Croissant-Rouge et de la Croix-Rouge. Lorsque nous considérons qu'une ONG est compétente et a une expertise, le CICR se retire. C'est ce que nous avons fait au nord-est du Nigéria, lorsque le programme alimentaire mondial (PAM) s'y est installé. Le CICR oriente alors son action là où aucune autre ONG n'agit. Dans cette zone, 200 000 personnes n'ont encore reçu aucune aide, il est donc important d'agir là où personne d'autre que le CICR ne va.
Sur la question libyenne, le CICR a dû rapatrier il y a 4 ans son personnel mobile pour des questions de sécurité. C'est à travers ce personnel expatrié, qui assure une certaine neutralité, que nous entamons normalement un dialogue et des visites des lieux de détention ou de rétention. Nous sommes actuellement en train d'entamer un processus de retour de ces expatriés pour pouvoir mener à bien une mission de visite des centres de rétention. Nous voulons entamer un dialogue afin de créer des liens entre les détenus et leurs familles. Dans l'intervalle où nos personnels expatriés n'étaient pas présents, nous avons mené des actions dans les centres de rétention avec le Croissant-Rouge libyen. Notre coopération a été extrêmement fructueuse et nous a permis d'avoir accès à quelques centres de rétention. Je ne vous cache pas que les centres identifiés ne sont en général pas les plus problématiques. Les centres non-identifiés, parfois gérés par des groupes armés, sont ceux dans lesquels notre action est la plus pertinente. Notre présence physique sur place permet de faire la différence. Notre système de confidentialité et de partage bilatéral avec les autorités locales nous permet d'avoir des résultats positifs et concrets.
Quant aux drones, à ma connaissance, en Afrique de l'Ouest leur utilisation a été limitée à la géolocalisation à titre militaire. Le PAM s'en est servi pour un recensement des camps, mais à cette exception près, il ne m'apparaît pas que les drones aient été utilisés à des fins humanitaires. Le CICR pousse l'innovation, afin d'avoir une action au plus près de la population. Nous avons élaboré des actions au Nigéria et dans d'autres secteurs de cette partie de l'Afrique pour voir comment le secteur privé pouvait être associé de façon innovante à la réponse humanitaire. Nous cherchons à faire en sorte de ne pas baser notre action et notre évaluation humanitaire sur les seuls États. Nous avons sollicité des fondations et des groupes privés. Nous avons un groupe de philanthropes de compagnies qui nous soutiennent. Pour conclure sur les drones, le CICR les a utilisés à des fins de communication à Mossoul.