Intervention de Christine Prunaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 juin 2018 à 9h30
Évolution de la situation en libye — Examen du rapport d'information

Photo de Christine PrunaudChristine Prunaud, membre du groupe de travail :

Je vais pour ma part vous présenter l'évolution de la situation politique, ses perspectives, ses freins et les efforts déployés par les Nations unies pour conclure la transition.

La crise libyenne est un enchevêtrement de plusieurs crises. Parmi celles-ci, la crise politique. Elle est centrale et constitue la priorité de la stratégie élaborée par la Mission d'appui des Nations unies en Libye (la MANUL).

La chute de Kadhafi puis les élections parlementaires de 2014 ont plongé la Libye dans une crise dont elle peine encore aujourd'hui à trouver l'issue.

En décembre 2015, un nouvel élan avait été donné avec la signature à Skhirat (Maroc), de l'accord politique libyen. Cet accord n'était pas qu'un simple arrangement institutionnel : c'était un compromis fondateur devant permettre de finaliser la transition politique. Il mettait un terme à la situation déconcertante que connaissait la Libye, à savoir un dédoublement du Gouvernement et du Parlement, qui a pris la forme d'une polarisation géographique, avec un camp à l'Ouest (dans la capitale Tripoli) et le second à l'Est (dans les villes de Tobrouk et de Beïda).

Plus de sept ans après l'intervention de la coalition et plus de deux ans après la signature de l'accord de Skhirat, la phase de transition, s'est enlisée.

Les Nations unies ne ménagent pourtant pas leurs efforts, mais les multiples blocages constituent de véritables défis qui ralentissent la stratégie onusienne.

Le 22 juillet 2017, le Secrétaire général des Nations unies nommait un nouveau représentant spécial pour la Libye, en la personne de Ghassan Salamé. Le cinquième en seulement six ans, signe de la complexité de la mission confiée. Nous avons eu le privilège de le rencontrer à Tunis dans le cadre de ce groupe de travail.

Le 20 septembre 2017, il présentait un nouveau plan d'action, approuvé par la Conseil de sécurité de Nations unies, avec pour ambition de finaliser la transition politique d'ici la fin de l'année 2018. Un calendrier optimiste, irréaliste diront certains.

Ce plan pertinent et original repose sur la combinaison de deux approches :

- la première approche dite « top-down » (descendante, du haut vers le bas), dont l'objectif est de favoriser le dialogue entre les représentants politiques et institutionnels dans la perspective des prochaines élections ;

- la seconde approche est dite « bottom-up » (ascendante, du bas vers le haut), plus inclusive et qui consiste à consulter la population libyenne sur les grandes questions (politiques, économiques, sociétales, sécuritaires...) pour que ses préoccupations soient prises en compte. La crise politique n'est pas seulement institutionnelle, elle est plus profonde.

Plus concrètement, le plan d'action se décline sous différents axes. Il n'est pas séquencé, la stratégie de Ghassan Salamé étant d'avancer de manière simultanée sur plusieurs volets. Ainsi, il prévoit à la fois :

1/ l'amendement de l'Accord politique libyen de 2015 ;

2/ l'organisation d'une conférence nationale inclusive ;

3/ l'organisation d'élections parlementaires et présidentielles d'ici la fin de l'année 2018.

Le 21 mai dernier, Ghassan Salamé annonçait devant le Conseil de sécurité avoir abandonné l'idée d'amender l'accord politique. Aucun compromis entre le Haut conseil d'Etat et la Chambre des représentants n'a pu être trouvé, notamment pour que cette dernière reconnaisse enfin le Gouvernement d'entente nationale (le GEN) et ce deux ans après sa formation. Cet accord reste malgré tout, et ce jusqu'à de possibles élections, le seul cadre viable selon le Conseil de sécurité, alors même qu'il n'était prévu que pour deux ans.

Préalablement aux échéances électorales, une conférence nationale inclusive devrait être organisée. Son objectif est de rassembler l'ensemble des sensibilités libyennes pour qu'elles prennent l'engagement de reconnaître les résultats sortis des urnes. Cet évènement qui devait être organisé en février, a cependant été reporté à plusieurs reprises : il devrait se dérouler après la clôture, programmée en juin, du cycle de conférences préparatoires organisées à travers le pays.

Enfin, la troisième étape, pierre angulaire de la stratégie onusienne de sortie de crise, consiste à organiser des élections parlementaires et présidentielles d'ici le 10 décembre 2018, date fixée par la déclaration politique adoptée à Paris il y a un mois. Selon ce même texte, les parties s'engagent « à mettre en place leur base constitutionnelle pour les élections et à adopter les lois électorales nécessaires d'ici le 16 septembre 2018 ».

S'agissant de la grande conférence nationale inclusive, qui doit se tenir avant les élections, elle n'a toujours pas eu lieu. Dans ce contexte, l'organisation des élections en décembre 2018 paraît ambitieuse. Les conditions qui devraient être réunies sont encore loin d'être acquises, qu'il s'agisse de l'élaboration d'une « base constitutionnelle », expression vague retenue dans la déclaration de Paris, ou bien des conditions sécuritaires encore précaires.

Si le processus politique peine à avancer. Les efforts de la MANUL ne sont pas vains pour autant. Son action a le mérite d'offrir de nouvelles perspectives et d'élaborer un cadre de dialogue dans lequel certains acteurs commencent à se prêter au jeu. Malheureusement, ils n'en respectent pas toutes les règles : ils cherchent à tirer profit de certaines failles plutôt que chercher à les réparer.

Le processus politique doit faire face à l'obstruction de certains acteurs rassemblés dans ce qui est appelé le « lobby du statu quo ». La moindre initiative est concurrencée par de nouveaux défis qui viennent s'ajouter aux difficultés d'ordre sécuritaire, tel que l'attentat contre la Haute commission électorale du 2 mai dernier.

Les acteurs développent des arguties juridiques dans le but de retarder l'adoption d'une législation électorale, d'une nouvelle Constitution ou encore de ne pas signer certains accords tels que ceux de la Celle-Saint-Cloud et de Paris. En d'autres termes, tous les arguments sont bons pour prolonger la phase transitionnelle que connaît la Libye.

Les entraves au déroulement du processus politique sont étroitement liées aux avantages dont bénéficient certaines personnalités politiques et institutionnelles, qui prennent en otage la transition. Nous sommes dans une logique de cartel, une entente pour enrayer le processus et profiter de leur position le plus longtemps possible pour s'enrichir au détriment du peuple libyen, en organisant par exemple un trafic de lettres de crédit.

Pour lutter contre les plus rétifs, l'Union européenne a élaboré des sanctions autonomes, notamment à l'encontre du président de la Chambre des représentants pour obstruction au processus politique.

À cela s'ajoutent des incertitudes constitutionnelles et électorales, alimentées par une légitimité de surface des acteurs politiques et une absence de leadership, malgré un excès d'intérêt pour certaines personnalités.

D'un autre côté, la population libyenne fatiguée par une transition qui s'éternise semble marquer son souhait d'avancer vers les élections. L'ouverture de l'enregistrement sur les listes électorales a d'ores et déjà permis l'inscription de 2,5 millions d'électeurs soit 60 % du corps électoral potentiel.

Le processus politique et les efforts des Nations unies requièrent un soutien unanime et total de la communauté internationale. Ce soutien suppose qu'aucune initiative dissidente ne vienne interférer. Compte tenu de la dextérité de certains acteurs libyens pour profiter des moindres failles dans l'objectif de freiner la transition politique, la communauté internationale doit impérativement parler d'une seule voix. Sinon, le processus sera voué à l'échec.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion