Intervention de Cédric Perrin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 juin 2018 à 9h30
Évolution de la situation en libye — Examen du rapport d'information

Photo de Cédric PerrinCédric Perrin, co-président du groupe de travail :

Au terme de ces exposés et avant de répondre à vos questions, je voudrais esquisser en guise de conclusion quelques leçons et quelques recommandations.

Devant la complexité de la situation, il est indispensable de se poser la question avant toute intervention, de notre connaissance du terrain et des populations, de nos capacités à gérer l'après-crise, de nos moyens et méthodes, car dans des environnements aussi complexes les solutions ne peuvent être plaquées. Elles s'inventent au fil du temps et dans un temps nécessairement long.

Il importe dès lors d'en tenir compte et de veiller en priorité à l'abaissement du niveau des tensions, ce qui suppose la capacité d'éviter la prolifération des armes et également d'inviter les membres de la communauté internationale à ne pas jouer les forces les unes contre les autres. Ce qui a été réussi en Tunisie de façon encore fragile devrait être un modèle. Soit dit en passant, ce pays mériterait d'être soutenu davantage.

Enfin, les membres de l'Union européenne doivent s'efforcer d'agir de conserve et de se coordonner davantage au niveau stratégique.

Nous n'avons pas d'autre choix aujourd'hui que d'accompagner le travail du RSSGNU. C'est un travail difficile.

Il faut donc éviter l'enlisement du processus politique en aiguillonnant régulièrement de façon parfois un peu vive des acteurs peu enclins à quitter un statu quo qui les avantage en termes de pouvoirs et de capacités de rétribution, et ne pas le précipiter au risque d'emballer les tensions. Pour cela il faut à la fois faire monter les incitations de la base, celle d'un peuple fatigué d'une transition qui s'éternise et l'appauvrit, et appliquer une pression de la communauté internationale par conviction, incitation, et au besoin sanctions à l'égard de ceux qui entravent ce processus. Pour cela, la communauté internationale doit s'exprimer de façon cohérente et concertée. Elle devrait explorer plus avant les circuits financiers qui permettent à certains d'utiliser leurs positions pour s'adonner à divers trafics et fraudes et appliquer en tant que de besoin des sanctions à leur endroit.

Il faut en effet insister sur ces aspects économiques et financiers, car ils sont la clef du problème libyen et peut-être de sa solution. Derrière les enjeux de pouvoir, il y a des enjeux financiers. Nous sommes face à une économie de la prédation dans laquelle une oligarchie de 1500 personnes utilise ses positions et profite largement du système pour capter l'essentiel des richesses, s'enrichir et investir à l'étranger - certains d'ailleurs y vivent la majeure partie de l'année -, alors que la population est dans le besoin. Évidemment, les bénéficiaires de ce système n'ont aucun intérêt au rétablissement de l'État en Libye et freinent la réalisation du consensus nécessaire. Il serait important que la communauté internationale se saisisse de cette question et trouve les moyens d'entraver voire de sanctionner ces pratiques.

Enfin, il faut arriver à conduire ce processus tout en luttant contre l'implantation de groupes terroristes et en réduisant les flux de migrants. La situation a été relativement bien maîtrisée sur le premier point, puisque les deux camps ont combattu les groupes terroristes et que les opérations menées par les puissances étrangères alliées ont été suffisamment précises pour éviter de faire déraper la situation et aviver les tensions entre les deux camps. Sur le second point, il faudra à la fois renforcer ce qui peut davantage impliquer les autorités libyennes dans le contrôle des frontières terrestres et maritimes, tout en veillant au sort de ceux qui seront, de fait, retenus en Libye, pour à la fois permettre la réinstallation de ceux qui sont éligibles à la protection internationale au titre du droit d'asile et le retour assisté des autres, et revoir les mécanismes internes à l'Union européenne en matière de réinstallations dont on a vu qu'ils n'étaient sans doute pas à la hauteur de la crise. Cela devrait être rendu plus facile par la réduction des flux d'ores et déjà observée depuis le second semestre de 2017. Même si l'actualité quotidienne nous montre que le ressenti est autre que ce que les chiffres nous montrent.

Tous ces dossiers interfèrent avec la solution à la crise libyenne, ce qui en complexifie plus encore l'issue et rend encore plus nécessaire la cohésion de la communauté internationale.

Enfin sur toutes ses questions, il faut être réaliste et se garder de chercher la perfection. Il est impossible de répondre à toutes les exigences en termes de probité, de droits, et d'exigences démocratiques. Vouloir tout, tout de suite et tout en même temps, en urgence, est la certitude d'échouer. Il faut accepter des compromis, inclure le plus grand nombre d'acteurs, procéder par étape et réduire progressivement les souffrances, c'est le meilleur moyen d'avancer. Ne pas confondre vitesse et précipitation. La patience opiniâtre peut être aussi une stratégie gagnante. Il faut aborder cette question sans en faire un enjeu de communication.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion