Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 juin 2018 à 16h30
Point de situation sur l'europe face aux crises : commerce international migrants dissémination nucléaire — Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères

Jean-Yves Le Drian, ministre :

Tout d'abord, je voudrais vous redire tout le plaisir que j'ai d'être de nouveau devant votre commission.

Nous sommes convenus que nous centrerions la discussion et mon intervention sur l'Europe, mais nous serons amenés par ce biais à parler de beaucoup d'autres sujets, que je vais essayer d'évoquer dans mon propos liminaire.

Cette audition intervient à la veille d'un Conseil européen majeur qui comportera des questions très lourdes. La situation de crise globale n'est pas uniquement liée aux migrations, mais il existe un risque de délitement de l'Europe, de renoncement au projet européen, un an après une campagne électorale centrée sur l'Europe, dans laquelle le Président de la République, alors candidat, avait porté un discours fort sur l'Union européenne, qu'il a repris dans le discours de la Sorbonne. Celui-ci avait pour ambition la refondation d'une Europe plus unie, plus souveraine, plus démocratique. Cette ambition s'articule autour de la nécessité d'une Europe souveraine et de la volonté de retrouver une stratégie européenne dans toute une série de domaines comme la défense, la sécurité, le numérique, la transition écologique.

Cette proposition de refondation commence à recevoir des échos. Je rappelle que le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne, avait établi pour la mise en oeuvre de l'Europe souveraine trois conditions : l'unité de l'Europe, la protection de ses citoyens et de ses intérêts, la capacité de l'Union européenne à agir dans ce monde qui se dérègle, à peser réellement sur les dossiers internationaux, à développer une conception du multilatéralisme des relations entre les pays.

On a pu, autour de ces thèmes qui constituaient l'épine dorsale du discours de la Sorbonne, engranger un certain nombre de résultats. On les ignore ou on feint de les ignorer, mais ils ont déjà eu certains effets immédiats.

Le premier effet porte sur les consultations citoyennes, 27 États membres ayant décidé de débattre avec les citoyens européens sur l'ensemble des enjeux, ce qui permet aux uns et aux autres de s'exprimer pour préparer les consultations démocratiques de l'année prochaine, dans une démarche à la fois pédagogique et volontariste. En ce qui concerne la France, 300 consultations ont déjà été labellisées sur tout le territoire - et il y en aura d'autres.

Des avancées significatives ont par ailleurs eu lieu dans le domaine de la défense. Je constate une accélération de la coopération structurée permanente. Je me souviens que lorsque ma collègue allemande et moi l'avons proposée lors d'une réunion à Bratislava, à l'automne 2016, nous nous étions fait houspiller par nos collègues.

En outre, le concept d'initiative européenne d'intervention proposée par le Président Macron dans son discours de la Sorbonne va se concrétiser autour de huit à dix pays qui vont souscrire à cette avancée significative. Désormais, le fonds européen de défense, que beaucoup appelaient de leurs voeux, est financé jusqu'en 2020 et inscrit dans le cadre de la proposition de la commission du prochain cadre financier pluriannuel à hauteur de 13 milliards d'euros, ce qui constitue une avancée très significative.

Ces propositions de la Sorbonne ont commencé à se concrétiser. Le concept d'universités européennes est en train de se profiler. Une vingtaine d'universités européennes devraient voir le jour d'ici 2024.

Par ailleurs, le Président de la République souhaitait recadrer et mieux encadrer le dispositif du travail détaché. Le Parlement européen a voté définitivement la révision de la directive il y a peu.

Le règlement de protection des données, qui constituait un des points importants du propos de la Sorbonne, s'est mis en place. L'Agence pour l'innovation de rupture a été reprise par la Commission européenne et devrait se mettre en place, ainsi que l'Agence européenne de l'asile. Le sommet de Göteborg sur les droits sociaux, en novembre dernier.

Ceci n'empêche pas l'Europe de connaître des turbulences majeures ni une crise politique de légitimité. L'Union est trop souvent incapable de rendre ses décisions intelligibles. S'ensuit une crise de confiance, les fruits de l'effort collectif et la croissance ne semblant pas partagés. On a vu la même rhétorique se développer dans la plupart des États membres. Sous prétexte de difficultés que rencontre la construction européenne, on oppose au projet de l'Union européenne une représentation chimérique de la souveraineté nationale, fondée sur l'isolement et le repli. Cette opposition entre ce qu'on appelle les populistes et les partisans de l'Europe est devenue un clivage politique majeur autour duquel se reconfigurent les échiquiers politiques. On voit cette même rupture se dérouler sous des formes différentes dans un certain nombre de pays.

La volonté de refondation a été affichée, mais le contexte de crise se maintient. La décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne est l'illustration la plus saillante des forces centrifuges qui minent le continent. C'est la décision souveraine du peuple britannique, nous la respectons, mais je répète que c'est une mauvaise nouvelle pour l'Europe. Face à ce revers, l'Europe doit démontrer son unité et sa cohésion.

La négociation est enclenchée depuis le 19 juin 2017, sous la conduite de Michel Barnier, qui a reçu un mandat clair de la part des 27 États membres et de la Commission européenne : il ne s'agit pas d'adopter une approche punitive à l'égard du Royaume-Uni, qui a vocation à rester, après son retrait, un partenaire et un allié essentiel pour l'Union européenne, mais nous ne devons faire preuve d'aucune naïveté dans les négociations en cours. Chacun y défend ses intérêts, et notre intérêt collectif est de mettre fin dès que possible à l'incertitude que fait planer le Brexit.

Alors que l'échéance du retrait approche dangereusement - il nous reste neuf mois - plusieurs chantiers sont encore devant nous, à commencer par celui concernant l'accord de retrait. Même si l'on a pu constater des avancées sur le règlement financier et le droit des citoyens, certaines questions importantes demeurent sur la table, en particulier le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne à propos de la mise en oeuvre de l'accord, et le devenir de la frontière irlandaise, sujet crucial et déterminant.

S'agissant de la frontière irlandaise, le Royaume-Uni a fait une proposition qui comporte trop de faiblesses et qui porterait atteinte au marché intérieur de l'Union européenne. Nous en sommes là aujourd'hui, et à part la proposition de backstop proposée par Michel Barnier, qui est la moins mauvaise des solutions, aucune autre alternative n'a été proposée.

C'est Nathalie Loiseau qui suit directement ce dossier, mais j'ai rencontré les autorités irlandaises et britanniques il y a peu. Nous essayons de faire avancer les choses dans le respect du mandat diligenté par l'Union européenne à l'égard de Michel Barnier. Cela n'a pas permis d'aboutir davantage.

L'accord de retrait n'est pas conclu, pas plus que le cadre des relations futures que nous souhaitons avoir avec le Royaume-Uni. L'Union européenne propose la conclusion d'un accord de libre-échange, mais aussi d'autres partenariats en matière de sécurité intérieure, de politique étrangère et de politique de défense.

De son côté, le Royaume-Uni doit dire ce qu'il veut sur l'échéance du futur. Pour l'instant, les réponses ne sont pas au rendez-vous. Je ne suis pas certain que le Conseil européen de demain permette beaucoup d'avancer. Il est possible que nous ne trouvions pas d'accord, en souhaitant que cela ne se produise pas. Le calendrier se rétrécit toutefois.

Je faisais référence aux dissensions politiques et aux forces centrifuges. L'Italie est aussi un sujet. Les élections du 4 mars dernier ont porté au pouvoir une coalition qui rassemble la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. Le gouvernement conduit par M. Giuseppe Conte est en fonction depuis le 1er juin. Son discours a été sans surprise par rapport au contrat négocié entre les deux formations : il a additionné l'ensemble des éléments du programme de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles. Il a cependant rassuré un peu les partenaires et les marchés en confirmant l'ancrage de l'Italie dans l'Union européenne et dans la zone euro. Il reste maintenant à déterminer le financement, le calendrier et les contours des mesures évoquées, mais c'est de la responsabilité des autorités italiennes.

Le Président de la République s'est entretenu à plusieurs reprises avec Giuseppe Conte, la dernière fois avant-hier soir. Il importe de garder le contact avec les autorités italiennes. C'est un membre fondateur de l'Union européenne. Il convient d'éviter les contradictions, les ambiguïtés, des malentendus, même si nous ne partageons pas la ligne développée par les autorités italiennes sur beaucoup de points. Néanmoins, il importe d'arrimer Rome à nos côtés pour confirmer l'engagement européen de l'Italie.

Les forces centrifuges à l'oeuvre sur le continent européen sont un premier défi posé à l'unité européenne. Le second tient à la montée, à l'est de l'Europe, de projets « illibéraux », qui remettent en question certaines des valeurs fondamentales et des principes de fonctionnement essentiels du projet européen. C'est le cas en Pologne, où le parti Droit et Justice, au pouvoir depuis 2015, a mis en oeuvre une réforme du système judiciaire aboutissant à une moindre effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois et à un renforcement de l'influence du pouvoir politique sur les instances judiciaires.

Ces évolutions portent une atteinte sans précédent dans l'histoire de l'Union à la séparation des pouvoirs, à l'indépendance de la justice et au droit à un recours juridictionnel effectif, et pourraient avoir des effets dommageables sur la sécurité juridique des investissements en Pologne, et sur les contentieux relatifs aux élections ou à l'utilisation des fonds européens. Il y a donc un risque sur le bon fonctionnement de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures.

Après la promulgation des projets de loi contestés par la Cour suprême et le Conseil national de la magistrature, la Commission européenne a présenté, le 20 décembre 2017, une proposition motivée visant à demander au Conseil de se prononcer, conformément à la procédure de l'article 7 du traité sur l'Union européenne sur l'existence d'un risque clair de violation grave de l'État de droit en Pologne.

Le recours à la procédure de l'article 7 a permis de renouer un dialogue entre la Commission européenne et les autorités polonaises, sans que celles-ci aient pour l'heure fait des concessions à même de dissiper nos inquiétudes. Une réunion a même eu lieu hier à ce sujet. Elle n'a pas permis d'avancer beaucoup, même si l'on a pu engager une discussion qui n'a pas été conclusive. D'après ce que me disait Nathalie Loiseau, qui y assistait, on est loin d'être dans une perspective positive.

En même temps, en Hongrie, les préoccupations touchant l'État de droit résultent de plusieurs réformes menées depuis 2010 par le gouvernement de M. Orbán ainsi que de la réduction substantielle des vecteurs d'expression de l'opposition. La Commission européenne a ouvert deux procédures d'infraction, l'une concernant la loi sur l'enseignement supérieur modifiée en avril 2017, l'autre concernant le financement des ONG. Le Parlement européen a adopté une résolution appelant au déclenchement de la procédure prévue à l'article 7 du traité de l'Union européenne contre la Hongrie.

J'ajoute qu'on assiste à des évolutions préoccupantes en Roumanie, où je me suis rendu il y a peu : depuis son arrivée au pouvoir, la coalition du parti social-démocrate et du parti libéral démocrate n'a eu de cesse de chercher un moyen de remettre en cause ou d'empêcher les procédures judiciaires qui visent la classe politique. La semaine dernière, le président du Parlement, M. Dragnea - chef du PSD et autorité très importante de l'État - a été condamné à trois et demi de prison ferme pour complicité par instigation d'abus de service dans une affaire d'emplois fictifs.

Le processus de destitution à l'encontre de Mme Codruta Kövesi, chef du parquet national anticorruption, qui a été mené à son terme, constitue un autre développement inquiétant. Le Président de la République, M. Iohannis, a été contraint par la Cour constitutionnelle de la limoger. J'ai eu l'occasion de le rencontrer lors de mon déplacement. Il est tout à fait opposé à la ligne initiée par le président du Parlement, M. Dragnea, mais il n'empêche que la Cour de constitutionnelle l'a amené à limoger Mme Kövesi, que j'avais aussi eu l'occasion de rencontrer.

Nous devons maintenir le dialogue avec ces différents États mais devons en même temps rester fermes sur nos principes : l'appartenance à l'Union européenne ne donne pas uniquement des droits, elle prescrit aussi des devoirs.

Par ailleurs, l'Europe est aussi déchirée par la question migratoire. Je l'ai dit, et le Président de la République a été amené à l'évoquer hier : la question n'est pas l'ampleur des migrations, dont le chiffre est passé d'un million en 2015 à moins de 100 0000 personnes en 2018. On n'enregistre donc pas une accélération du phénomène migratoire, mais une diminution, en raison des mesures prises depuis 2015 pour juguler et maîtriser l'immigration. Le sujet est celui de la crise de la politique européenne en matière de migrations.

Ceci va faire l'objet de discussions au Conseil européen de demain et d'après-demain. Il y a pour la France trois principes qu'il faut décliner en même temps - sans référence à une campagne électorale antérieure - et de manière cohérente.

Tout d'abord, on doit renforcer la protection des frontières extérieures de l'Europe, ce qui passe en particulier par un accroissement des moyens humains de Frontex à 10 000 personnes, proposition ambitieuse du Président Juncker, que nous soutenons. Pour ce faire, il faut aussi trouver de nouveaux systèmes d'information permettant de mieux contrôler les entrées et sorties sur le territoire de l'Union européenne en renforçant les frontières extérieures de manière significative.

Deuxièmement, sur le plan externe, il convient de mettre enfin en oeuvre une coopération sans précédent avec les pays d'origine, les pays de transit et les pays d'embarquement. Cela fait partie du processus de maîtrise et de prévention, et il faut à chaque fois associer prévention et développement. Nous avons engagé des discussions assez fortes avec les différents pays d'origine et de transit qui ont permis, entre autres, de maîtriser les flux migratoires. C'est le cas des relations que nous avons singulièrement engagées avec les pays du Sahel.

Troisièmement, il faut essayer de garantir le principe de débarquement dans des ports sûrs et européaniser les moyens de traitement administratif de la situation individuelle des migrants. Aucun pays ne peut le faire seul. C'est cet objectif que nous essayons de partager avec l'ensemble des pays européens.

Nous devons, sur le sol européen, aboutir à la fois à la reconnaissance mutuelle des décisions d'accès à l'asile et à la création d'un office européen de l'asile. C'est un sujet qui sera sur la table demain. Je ne puis anticiper la manière dont cela va se passer. Je ne suis pas certain que des décisions seront prises, mais du moins le sujet est-il sur la table.

Par ailleurs, il faut faire en sorte, avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui dépendent directement ou indirectement des Nations unies, d'anticiper l'examen des situations individuelles et des demandes d'asile, afin que chacun soit traité de manière humaine et respectable, que les demandeurs d'asile soient reconnus, respectés et intégrés, ceux qui ne peuvent prétendre au régime de l'asile devant être reconduits dignement dans leur pays d'origine.

C'est ce que nous avons commencé à faire. Je pourrais éventuellement, dans le cadre de vos questions, revenir sur ma propre expérience en Libye, avec le soutien de l'Union africaine. Les acteurs sont sensibles à cette évolution, ce qui permet d'expliquer pourquoi nous ne sommes aujourd'hui au maximum qu'à 100 000 arrivées par an, alors que nous étions à des chiffres beaucoup plus importants auparavant. Il faut poursuivre cet effort.

Je voudrais aborder un certain nombre d'autres défis qui sont devant nous, en dehors du défi migratoire, comme le défi de l'Europe de la défense. Je l'ai déjà dit, mais je tiens à répéter que nous avons progressivement dépassé des blocages qui, antérieurement, étaient, pour les uns et pour les autres, insurmontables.

Le fait que nous soyons unis dans ces objectifs nous permet d'appréhender la prochaine réunion de l'Otan, avec une affirmation de notre volonté collective de prendre en charge nos propres enjeux de défense. Ce sera sans doute le sujet du sommet de l'Otan des 11 et 12 juillet prochains. Il était important que l'Europe arrive à ce rendez-vous en ayant réalisé des avancées collectives. Sa relation avec l'Otan est une relation de complémentarité et non de concurrence. Je crois que ce débat commence à être derrière nous. C'est en tout cas dans cette logique que nous allons nous retrouver.

Parmi les défis à venir figure aussi la nécessité de relancer le chantier de l'approfondissement de la zone euro. Il s'agit d'un objectif pragmatique au service d'un projet ambitieux, faire de l'Europe une véritable puissance économique et monétaire et faire en sorte qu'il existe une plus grande intégration financière.

Lors du sommet de Meseberg de la semaine dernière, sous la coprésidence du Président Macron et de la Chancelière Merkel, nous avons pu avancer sur beaucoup de points, et singulièrement sur la mise en place d'un budget de la zone euro, qui pourrait être financée par l'affectation d'une ressource fiscale permettant de réaliser des investissements communs en soutien à la productivité et d'assurer un rôle de stabilisation. C'est pour l'instant un projet franco-allemand, mais il est aussi sur la table des discussions.

Enfin, il importe que le couple franco-allemand conserve sa capacité de relance européenne. Le sommet de Meseberg a été très positif. Il a permis d'arrêter des positions communes sur beaucoup de questions que j'ai évoquées. Il a aussi permis de faire en sorte que nous commencions à mettre en oeuvre le projet de nouveau traité de l'Élysée, qui pourrait constituer une source d'inspiration pour le futur projet européen. Nous souhaitons pouvoir le faire aboutir pour le mois de janvier de l'année prochaine, pour l'anniversaire du premier traité. C'est là aussi une espèce de refondation, dans un état d'esprit très constructif. Il faut que ce couple franco-allemand soit l'avant-garde de la refondation que j'ai évoquée à plusieurs reprises.

L'Europe doit être au rendez-vous de la nouvelle donne mondiale pour jouer le rôle de puissance qui lui revient, identifier ses intérêts propres et agir sur ses structures collaboratives comme une puissance en construction. Ceci nécessite de renforcer la démarche multilatérale qui est aujourd'hui remise en cause, en particulier par l'attitude des États-Unis. On doit agir dans l'environnement le plus proche d'abord - c'est le cas de l'espace méditerranéen - où deux crises majeures, en Syrie et en Libye, menacent la sécurité des Européens par leur prolongement terroriste éventuel et occasionnent des migrations qui, comme je viens de le rappeler, constituent un défi majeur pour notre continent.

En Syrie, nous bénéficions d'un levier essentiel, celui de notre participation en tant que premier bailleur humanitaire mais aussi en termes de reconstruction. C'est sur cette ligne que nous devons fixer notre objectif pour permettre la mise en oeuvre d'une solution politique. L'Europe ne pourra agir pour la reconstruction de la Syrie que s'il existe un objectif politique partagé et reconnu par les Nations unies. Nous sommes encore loin du compte, mais son rôle est essentiel dans ce panorama et au Moyen-Orient.

En Libye, l'Europe joue un rôle de soutien aux initiatives que nous sommes en train de prendre, qui ont un peu avancé au moment de la réunion du 29 mai. Ceci a permis la mise en oeuvre d'un calendrier de sortie de crise, dans la perspective de la tenue d'élections en Libye le 10 décembre prochain, afin de juguler l'instabilité de ce pays et contribuer ainsi à la prévention et à la sécurisation de l'Union européenne.

Il n'y aura pas de stabilité en Europe sans projet partagé entre les Européens et leurs voisins du Sud, au-delà même de la Syrie et la Libye. C'est le sens de l'initiative exposée par le Président de la République à Tunis en mars dernier pour que la France puisse réunir les dirigeants, mais aussi les représentants des sociétés civiles, de la jeunesse, des universitaires de quelques pays européens et des pays du Maghreb pour réfléchir à une stratégie commune en Méditerranée.

Je passe rapidement sur la place de l'Union européenne au Sahel. C'est un enjeu essentiel dans le soutien que l'Union européenne apporte à la mise en oeuvre progressive de la force militaire conjointe. Une réunion du G5 Sahel se tiendra lundi à Nouakchott pour renforcer cette dynamique à laquelle participera le Président de la République, que j'accompagnerai. C'est à la fois un enjeu pour le soutien militaire, mais aussi pour le soutien au développement, avec l'alliance lancée il y a près d'un an à Paris, en marge du conseil des ministres franco-allemand, fédérant la France et l'Allemagne, mais aussi les grands bailleurs de fonds multilatéraux et, singulièrement, l'Union européenne.

Vous avez évoqué, monsieur le président, un certain nombre de points concernant la fragilisation de la relation transatlantique. Je ne peux que partager votre avis en constatant le retrait américain de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Les acteurs européens demeurent toutefois dans cet accord. Une réunion se profile avec la Russie et la Chine.

Les trois signataires européens travaillent actuellement à la mise en oeuvre d'un mécanisme financier qui viserait à maintenir les retombées économiques ouvertes par l'Accord. Nous n'avons pas encore pu aboutir à des propositions concrètes, mais nous y travaillons afin de protéger nos entreprises contre les effets des sanctions qui ont été mises en oeuvre. C'est pourquoi l'Union européenne a lancé l'actualisation du règlement de blocage qui permet de protéger nos entreprises de l'application du droit américain sur le territoire européen.

Parallèlement, la Commission européenne travaille à la mise en oeuvre d'un soutien financier aux PME engagées en Iran et à une action de soutien de la Banque européenne d'investissement. Nous devons enfin élargir notre action en vue de l'établissement d'un canal de financement public immunisé contre le droit américain, qui mobiliserait, par exemple, les banques centrales. C'est la réponse que l'Union européenne formule vis-à-vis des États-Unis. Nous souhaitons la finaliser rapidement et ensuite la partager avec les Chinois et les Russes, qui ont eux-mêmes des interrogations techniques sur leur capacité à répondre aux défis posés par le retrait des États-Unis de l'accord de Vienne et la mise en oeuvre des sanctions extraterritoriales américaines.

Par ailleurs, s'agissant de la guerre tarifaire, la Commission européenne s'est mobilisée pour la défense des intérêts européens suivant trois axes.

Tout d'abord, nous avons porté le contentieux contre les États-Unis devant l'OMC, juge des différends commerciaux, pour faire reconnaître les droits de l'Union européenne. Comme vous le savez, l'Union européenne a riposté aux surtaxes par des mesures de rééquilibrage qui sont entrées en vigueur vendredi dernier. Il s'agit de répondre de façon déterminée, calibrée et proportionnée à l'initiative américaine. Enfin, si nécessaire, l'Union européenne, mettra en place des mesures de sauvegarde pour protéger les producteurs européens d'acier et d'aluminium qui pourraient souffrir d'une augmentation des importations à la suite de la fermeture du marché américain. La réaction a été rapide, unie, partagée et déterminée.

L'annonce par les États-Unis du lancement d'une enquête sur les tarifs automobiles, à nouveau pour des motifs de sécurité nationale, montre que nous ne sommes pas au bout de nos peines dans le domaine de la guerre des tarifs douaniers. Un nouveau front menace désormais, beaucoup plus déstabilisant. Il supposera aussi, de la part de l'Union européenne, une riposte appropriée et proportionnée, comme on avait pu le faire la première fois avec la mise en oeuvre du dispositif appelé « moto-bourbon ». Ceci donne d'ailleurs des résultats : Harley-Davidson a ainsi annoncé son intention de se déplacer, ce qui provoque l'irritation du Président Trump.

L'Europe ne doit plus faire preuve de naïveté commerciale. La Commission européenne et les États prennent conscience de nos forces et de nos capacités collectives que confère un marché de 510 millions d'euros.

C'est également vrai en matière d'investissements stratégiques. La Commission européenne a proposé en septembre dernier un dispositif européen de contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. Nous sommes un acteur économique de premier plan, du même niveau que la Chine ou les États-Unis, et nous avons donc des arguments à faire valoir dans les instances internationales pour agir en faveur de cette régulation.

Nous l'avons dit à nos interlocuteurs chinois, avant-hier, à l'occasion du déplacement en Chine du Premier ministre que j'accompagnais. Nous avons pu rencontrer le Président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang pour leur expliquer ce que cela signifiait et leur dire que nous prenions nos responsabilités comme puissance souveraine, tout comme la Chine assure, dans les secteurs stratégiques, sa propre sécurité. Cela n'a pas empêché des échanges très positifs.

Enfin, notre relation avec la Russie est à la fois une relation de fermeté et de dialogue - situation ukrainienne, armes chimiques, ingérence dans les processus démocratiques. La Russie est l'un de nos grands voisins. Nous menons des actions ensemble concernant la perspective de sortie de crise en Syrie et la lutte contre le terrorisme. Nous avons par ailleurs engagé - j'espère que ceci produira des effets positifs - de nouvelles discussions sur l'Ukraine.

Avec mon collègue allemand, nous avons eu une réunion à Berlin il y a quelques jours avec le ministre des affaires étrangères russe et le ministre des affaires étrangères ukrainien afin de relancer le processus de Minsk, dans le cadre du « format Normandie » pour permettre une réunion des chefs d'État et de gouvernement. C'est une du travail de longue haleine. Les rencontres sont cordiales, et il faut poursuivre dans cette direction.

Cette volonté de dialogue et de fermeté est, je crois, partagée par l'ensemble des acteurs de l'Union européenne.

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