Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, je vous ai quitté hier au milieu des ors et de la pourpre du Saint-Siège et de Saint-Jean-de-Latran. Je vous retrouve aujourd'hui dans la chapelle des Pairs. Espérons qu'à force, tout ceci va nous inspirer et que l'Esprit sera avec nous !
Nous avons choisi en commun d'aborder l'Europe et l'accumulation des défis auxquels notre continent est dorénavant confronté. D'aucuns, à la faveur des crises successives que nous connaissons, parlent d'un éclatement potentiel de l'Union européenne, en s'appuyant à la fois sur cette crise des migrants révélatrice des nombreuses incompréhensions, pour ne pas dire des difficultés, qui existent au sein des pays de l'Union européenne. La pression migratoire est paradoxalement en nette baisse par rapport à ce qu'elle a pu être ces dernières années. Le Président de la République l'a rappelé hier et vous l'avez vous-même répété.
Néanmoins, la question migratoire reste un sujet important pour nos opinions publiques, mais aussi un véritable sujet de discorde entre les États membres, qu'il s'agisse de l'ouverture des ports aux navires des ONG ou bien de la répartition de la charge des réfugiés.
Vous nous ferez donc le point sur les différents volets du débat et sur la position de la France. Que faut-il notamment penser des propositions d'établir en dehors ou à la lisière du territoire européen des centres destinés à examiner la situation des migrants au regard du droit d'asile ? Comment les répartir à partir de ces centres extérieurs au territoire européen ? Quelles sont les options envisageables ?
Par ailleurs, l'attitude de l'administration américaine n'est pas toujours facile à comprendre face aux prémices de la guerre commerciale qui menace avec les États-Unis. Ce que nous constatons, en revanche, c'est une contestation toujours plus forte du multilatéralisme.
Certes, après les mesures unilatérales prises par le président américain, l'Union européenne a augmenté significativement ses droits de douane sur un certain nombre de produits emblématiques. Nous avons décidé de renforcer nos instruments de défense commerciale, mais cela sera-t-il suffisant pour peser dans la balance face aux États-Unis ?
Ceux-ci ont rétabli des sanctions à l'encontre de l'Iran à propos desquelles nous aimerions vous entendre. L'Europe est-elle prête à affronter à nouveau l'application extraterritoriale des lois américaines, qui avaient coûté si cher à un certain nombre de banques, et qui risque de coûter encore bien cher à nos entreprises, notamment dans le secteur automobile ?
Quelques-uns de nos collègues sortent à l'instant même d'une audition avec l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris. Nous aimerions connaître votre analyse sur l'état des négociations concernant le Brexit. On a évoqué devant l'ambassadeur l'état de l'opinion, mais aussi les sentiments partagés qui parcourent le Parlement anglais. Le Brexit interroge le futur même de l'Union européenne, et on peine à voir un accord avec les Britanniques se dégager sur les conditions du retrait et l'accord de transition. L'hypothèse du no deal ressurgit. Elle serait évidemment très lourde de conséquences, et c'est un véritable souci pour nous.
On voit bien que, plus que jamais, l'Europe doit constituer un front uni pour répondre à tous ces défis. De nouveaux formats viennent d'être évoqués, notamment lors du sommet franco-allemand : initiative européenne d'intervention, Conseil de sécurité de l'Union européenne, autant de nouveaux projets qui nous semblent aller dans le bon sens, mais qui nous apparaissent quelque peu flous. Peut-être pourrez-vous nous donner des précisions à ce sujet.
Nous voyons bien que, malgré ces déclarations très politiques, il existe des différences de culture stratégique, de fonctionnement institutionnel avec nos partenaires européens, notamment allemands. Comment va-t-on pouvoir surmonter ces divergences ? En d'autres termes - question que le Sénat se pose depuis un certain temps - comment refonder l'Europe ?
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
Tout d'abord, je voudrais vous redire tout le plaisir que j'ai d'être de nouveau devant votre commission.
Nous sommes convenus que nous centrerions la discussion et mon intervention sur l'Europe, mais nous serons amenés par ce biais à parler de beaucoup d'autres sujets, que je vais essayer d'évoquer dans mon propos liminaire.
Cette audition intervient à la veille d'un Conseil européen majeur qui comportera des questions très lourdes. La situation de crise globale n'est pas uniquement liée aux migrations, mais il existe un risque de délitement de l'Europe, de renoncement au projet européen, un an après une campagne électorale centrée sur l'Europe, dans laquelle le Président de la République, alors candidat, avait porté un discours fort sur l'Union européenne, qu'il a repris dans le discours de la Sorbonne. Celui-ci avait pour ambition la refondation d'une Europe plus unie, plus souveraine, plus démocratique. Cette ambition s'articule autour de la nécessité d'une Europe souveraine et de la volonté de retrouver une stratégie européenne dans toute une série de domaines comme la défense, la sécurité, le numérique, la transition écologique.
Cette proposition de refondation commence à recevoir des échos. Je rappelle que le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne, avait établi pour la mise en oeuvre de l'Europe souveraine trois conditions : l'unité de l'Europe, la protection de ses citoyens et de ses intérêts, la capacité de l'Union européenne à agir dans ce monde qui se dérègle, à peser réellement sur les dossiers internationaux, à développer une conception du multilatéralisme des relations entre les pays.
On a pu, autour de ces thèmes qui constituaient l'épine dorsale du discours de la Sorbonne, engranger un certain nombre de résultats. On les ignore ou on feint de les ignorer, mais ils ont déjà eu certains effets immédiats.
Le premier effet porte sur les consultations citoyennes, 27 États membres ayant décidé de débattre avec les citoyens européens sur l'ensemble des enjeux, ce qui permet aux uns et aux autres de s'exprimer pour préparer les consultations démocratiques de l'année prochaine, dans une démarche à la fois pédagogique et volontariste. En ce qui concerne la France, 300 consultations ont déjà été labellisées sur tout le territoire - et il y en aura d'autres.
Des avancées significatives ont par ailleurs eu lieu dans le domaine de la défense. Je constate une accélération de la coopération structurée permanente. Je me souviens que lorsque ma collègue allemande et moi l'avons proposée lors d'une réunion à Bratislava, à l'automne 2016, nous nous étions fait houspiller par nos collègues.
En outre, le concept d'initiative européenne d'intervention proposée par le Président Macron dans son discours de la Sorbonne va se concrétiser autour de huit à dix pays qui vont souscrire à cette avancée significative. Désormais, le fonds européen de défense, que beaucoup appelaient de leurs voeux, est financé jusqu'en 2020 et inscrit dans le cadre de la proposition de la commission du prochain cadre financier pluriannuel à hauteur de 13 milliards d'euros, ce qui constitue une avancée très significative.
Ces propositions de la Sorbonne ont commencé à se concrétiser. Le concept d'universités européennes est en train de se profiler. Une vingtaine d'universités européennes devraient voir le jour d'ici 2024.
Par ailleurs, le Président de la République souhaitait recadrer et mieux encadrer le dispositif du travail détaché. Le Parlement européen a voté définitivement la révision de la directive il y a peu.
Le règlement de protection des données, qui constituait un des points importants du propos de la Sorbonne, s'est mis en place. L'Agence pour l'innovation de rupture a été reprise par la Commission européenne et devrait se mettre en place, ainsi que l'Agence européenne de l'asile. Le sommet de Göteborg sur les droits sociaux, en novembre dernier.
Ceci n'empêche pas l'Europe de connaître des turbulences majeures ni une crise politique de légitimité. L'Union est trop souvent incapable de rendre ses décisions intelligibles. S'ensuit une crise de confiance, les fruits de l'effort collectif et la croissance ne semblant pas partagés. On a vu la même rhétorique se développer dans la plupart des États membres. Sous prétexte de difficultés que rencontre la construction européenne, on oppose au projet de l'Union européenne une représentation chimérique de la souveraineté nationale, fondée sur l'isolement et le repli. Cette opposition entre ce qu'on appelle les populistes et les partisans de l'Europe est devenue un clivage politique majeur autour duquel se reconfigurent les échiquiers politiques. On voit cette même rupture se dérouler sous des formes différentes dans un certain nombre de pays.
La volonté de refondation a été affichée, mais le contexte de crise se maintient. La décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne est l'illustration la plus saillante des forces centrifuges qui minent le continent. C'est la décision souveraine du peuple britannique, nous la respectons, mais je répète que c'est une mauvaise nouvelle pour l'Europe. Face à ce revers, l'Europe doit démontrer son unité et sa cohésion.
La négociation est enclenchée depuis le 19 juin 2017, sous la conduite de Michel Barnier, qui a reçu un mandat clair de la part des 27 États membres et de la Commission européenne : il ne s'agit pas d'adopter une approche punitive à l'égard du Royaume-Uni, qui a vocation à rester, après son retrait, un partenaire et un allié essentiel pour l'Union européenne, mais nous ne devons faire preuve d'aucune naïveté dans les négociations en cours. Chacun y défend ses intérêts, et notre intérêt collectif est de mettre fin dès que possible à l'incertitude que fait planer le Brexit.
Alors que l'échéance du retrait approche dangereusement - il nous reste neuf mois - plusieurs chantiers sont encore devant nous, à commencer par celui concernant l'accord de retrait. Même si l'on a pu constater des avancées sur le règlement financier et le droit des citoyens, certaines questions importantes demeurent sur la table, en particulier le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne à propos de la mise en oeuvre de l'accord, et le devenir de la frontière irlandaise, sujet crucial et déterminant.
S'agissant de la frontière irlandaise, le Royaume-Uni a fait une proposition qui comporte trop de faiblesses et qui porterait atteinte au marché intérieur de l'Union européenne. Nous en sommes là aujourd'hui, et à part la proposition de backstop proposée par Michel Barnier, qui est la moins mauvaise des solutions, aucune autre alternative n'a été proposée.
C'est Nathalie Loiseau qui suit directement ce dossier, mais j'ai rencontré les autorités irlandaises et britanniques il y a peu. Nous essayons de faire avancer les choses dans le respect du mandat diligenté par l'Union européenne à l'égard de Michel Barnier. Cela n'a pas permis d'aboutir davantage.
L'accord de retrait n'est pas conclu, pas plus que le cadre des relations futures que nous souhaitons avoir avec le Royaume-Uni. L'Union européenne propose la conclusion d'un accord de libre-échange, mais aussi d'autres partenariats en matière de sécurité intérieure, de politique étrangère et de politique de défense.
De son côté, le Royaume-Uni doit dire ce qu'il veut sur l'échéance du futur. Pour l'instant, les réponses ne sont pas au rendez-vous. Je ne suis pas certain que le Conseil européen de demain permette beaucoup d'avancer. Il est possible que nous ne trouvions pas d'accord, en souhaitant que cela ne se produise pas. Le calendrier se rétrécit toutefois.
Je faisais référence aux dissensions politiques et aux forces centrifuges. L'Italie est aussi un sujet. Les élections du 4 mars dernier ont porté au pouvoir une coalition qui rassemble la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. Le gouvernement conduit par M. Giuseppe Conte est en fonction depuis le 1er juin. Son discours a été sans surprise par rapport au contrat négocié entre les deux formations : il a additionné l'ensemble des éléments du programme de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles. Il a cependant rassuré un peu les partenaires et les marchés en confirmant l'ancrage de l'Italie dans l'Union européenne et dans la zone euro. Il reste maintenant à déterminer le financement, le calendrier et les contours des mesures évoquées, mais c'est de la responsabilité des autorités italiennes.
Le Président de la République s'est entretenu à plusieurs reprises avec Giuseppe Conte, la dernière fois avant-hier soir. Il importe de garder le contact avec les autorités italiennes. C'est un membre fondateur de l'Union européenne. Il convient d'éviter les contradictions, les ambiguïtés, des malentendus, même si nous ne partageons pas la ligne développée par les autorités italiennes sur beaucoup de points. Néanmoins, il importe d'arrimer Rome à nos côtés pour confirmer l'engagement européen de l'Italie.
Les forces centrifuges à l'oeuvre sur le continent européen sont un premier défi posé à l'unité européenne. Le second tient à la montée, à l'est de l'Europe, de projets « illibéraux », qui remettent en question certaines des valeurs fondamentales et des principes de fonctionnement essentiels du projet européen. C'est le cas en Pologne, où le parti Droit et Justice, au pouvoir depuis 2015, a mis en oeuvre une réforme du système judiciaire aboutissant à une moindre effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois et à un renforcement de l'influence du pouvoir politique sur les instances judiciaires.
Ces évolutions portent une atteinte sans précédent dans l'histoire de l'Union à la séparation des pouvoirs, à l'indépendance de la justice et au droit à un recours juridictionnel effectif, et pourraient avoir des effets dommageables sur la sécurité juridique des investissements en Pologne, et sur les contentieux relatifs aux élections ou à l'utilisation des fonds européens. Il y a donc un risque sur le bon fonctionnement de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures.
Après la promulgation des projets de loi contestés par la Cour suprême et le Conseil national de la magistrature, la Commission européenne a présenté, le 20 décembre 2017, une proposition motivée visant à demander au Conseil de se prononcer, conformément à la procédure de l'article 7 du traité sur l'Union européenne sur l'existence d'un risque clair de violation grave de l'État de droit en Pologne.
Le recours à la procédure de l'article 7 a permis de renouer un dialogue entre la Commission européenne et les autorités polonaises, sans que celles-ci aient pour l'heure fait des concessions à même de dissiper nos inquiétudes. Une réunion a même eu lieu hier à ce sujet. Elle n'a pas permis d'avancer beaucoup, même si l'on a pu engager une discussion qui n'a pas été conclusive. D'après ce que me disait Nathalie Loiseau, qui y assistait, on est loin d'être dans une perspective positive.
En même temps, en Hongrie, les préoccupations touchant l'État de droit résultent de plusieurs réformes menées depuis 2010 par le gouvernement de M. Orbán ainsi que de la réduction substantielle des vecteurs d'expression de l'opposition. La Commission européenne a ouvert deux procédures d'infraction, l'une concernant la loi sur l'enseignement supérieur modifiée en avril 2017, l'autre concernant le financement des ONG. Le Parlement européen a adopté une résolution appelant au déclenchement de la procédure prévue à l'article 7 du traité de l'Union européenne contre la Hongrie.
J'ajoute qu'on assiste à des évolutions préoccupantes en Roumanie, où je me suis rendu il y a peu : depuis son arrivée au pouvoir, la coalition du parti social-démocrate et du parti libéral démocrate n'a eu de cesse de chercher un moyen de remettre en cause ou d'empêcher les procédures judiciaires qui visent la classe politique. La semaine dernière, le président du Parlement, M. Dragnea - chef du PSD et autorité très importante de l'État - a été condamné à trois et demi de prison ferme pour complicité par instigation d'abus de service dans une affaire d'emplois fictifs.
Le processus de destitution à l'encontre de Mme Codruta Kövesi, chef du parquet national anticorruption, qui a été mené à son terme, constitue un autre développement inquiétant. Le Président de la République, M. Iohannis, a été contraint par la Cour constitutionnelle de la limoger. J'ai eu l'occasion de le rencontrer lors de mon déplacement. Il est tout à fait opposé à la ligne initiée par le président du Parlement, M. Dragnea, mais il n'empêche que la Cour de constitutionnelle l'a amené à limoger Mme Kövesi, que j'avais aussi eu l'occasion de rencontrer.
Nous devons maintenir le dialogue avec ces différents États mais devons en même temps rester fermes sur nos principes : l'appartenance à l'Union européenne ne donne pas uniquement des droits, elle prescrit aussi des devoirs.
Par ailleurs, l'Europe est aussi déchirée par la question migratoire. Je l'ai dit, et le Président de la République a été amené à l'évoquer hier : la question n'est pas l'ampleur des migrations, dont le chiffre est passé d'un million en 2015 à moins de 100 0000 personnes en 2018. On n'enregistre donc pas une accélération du phénomène migratoire, mais une diminution, en raison des mesures prises depuis 2015 pour juguler et maîtriser l'immigration. Le sujet est celui de la crise de la politique européenne en matière de migrations.
Ceci va faire l'objet de discussions au Conseil européen de demain et d'après-demain. Il y a pour la France trois principes qu'il faut décliner en même temps - sans référence à une campagne électorale antérieure - et de manière cohérente.
Tout d'abord, on doit renforcer la protection des frontières extérieures de l'Europe, ce qui passe en particulier par un accroissement des moyens humains de Frontex à 10 000 personnes, proposition ambitieuse du Président Juncker, que nous soutenons. Pour ce faire, il faut aussi trouver de nouveaux systèmes d'information permettant de mieux contrôler les entrées et sorties sur le territoire de l'Union européenne en renforçant les frontières extérieures de manière significative.
Deuxièmement, sur le plan externe, il convient de mettre enfin en oeuvre une coopération sans précédent avec les pays d'origine, les pays de transit et les pays d'embarquement. Cela fait partie du processus de maîtrise et de prévention, et il faut à chaque fois associer prévention et développement. Nous avons engagé des discussions assez fortes avec les différents pays d'origine et de transit qui ont permis, entre autres, de maîtriser les flux migratoires. C'est le cas des relations que nous avons singulièrement engagées avec les pays du Sahel.
Troisièmement, il faut essayer de garantir le principe de débarquement dans des ports sûrs et européaniser les moyens de traitement administratif de la situation individuelle des migrants. Aucun pays ne peut le faire seul. C'est cet objectif que nous essayons de partager avec l'ensemble des pays européens.
Nous devons, sur le sol européen, aboutir à la fois à la reconnaissance mutuelle des décisions d'accès à l'asile et à la création d'un office européen de l'asile. C'est un sujet qui sera sur la table demain. Je ne puis anticiper la manière dont cela va se passer. Je ne suis pas certain que des décisions seront prises, mais du moins le sujet est-il sur la table.
Par ailleurs, il faut faire en sorte, avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui dépendent directement ou indirectement des Nations unies, d'anticiper l'examen des situations individuelles et des demandes d'asile, afin que chacun soit traité de manière humaine et respectable, que les demandeurs d'asile soient reconnus, respectés et intégrés, ceux qui ne peuvent prétendre au régime de l'asile devant être reconduits dignement dans leur pays d'origine.
C'est ce que nous avons commencé à faire. Je pourrais éventuellement, dans le cadre de vos questions, revenir sur ma propre expérience en Libye, avec le soutien de l'Union africaine. Les acteurs sont sensibles à cette évolution, ce qui permet d'expliquer pourquoi nous ne sommes aujourd'hui au maximum qu'à 100 000 arrivées par an, alors que nous étions à des chiffres beaucoup plus importants auparavant. Il faut poursuivre cet effort.
Je voudrais aborder un certain nombre d'autres défis qui sont devant nous, en dehors du défi migratoire, comme le défi de l'Europe de la défense. Je l'ai déjà dit, mais je tiens à répéter que nous avons progressivement dépassé des blocages qui, antérieurement, étaient, pour les uns et pour les autres, insurmontables.
Le fait que nous soyons unis dans ces objectifs nous permet d'appréhender la prochaine réunion de l'Otan, avec une affirmation de notre volonté collective de prendre en charge nos propres enjeux de défense. Ce sera sans doute le sujet du sommet de l'Otan des 11 et 12 juillet prochains. Il était important que l'Europe arrive à ce rendez-vous en ayant réalisé des avancées collectives. Sa relation avec l'Otan est une relation de complémentarité et non de concurrence. Je crois que ce débat commence à être derrière nous. C'est en tout cas dans cette logique que nous allons nous retrouver.
Parmi les défis à venir figure aussi la nécessité de relancer le chantier de l'approfondissement de la zone euro. Il s'agit d'un objectif pragmatique au service d'un projet ambitieux, faire de l'Europe une véritable puissance économique et monétaire et faire en sorte qu'il existe une plus grande intégration financière.
Lors du sommet de Meseberg de la semaine dernière, sous la coprésidence du Président Macron et de la Chancelière Merkel, nous avons pu avancer sur beaucoup de points, et singulièrement sur la mise en place d'un budget de la zone euro, qui pourrait être financée par l'affectation d'une ressource fiscale permettant de réaliser des investissements communs en soutien à la productivité et d'assurer un rôle de stabilisation. C'est pour l'instant un projet franco-allemand, mais il est aussi sur la table des discussions.
Enfin, il importe que le couple franco-allemand conserve sa capacité de relance européenne. Le sommet de Meseberg a été très positif. Il a permis d'arrêter des positions communes sur beaucoup de questions que j'ai évoquées. Il a aussi permis de faire en sorte que nous commencions à mettre en oeuvre le projet de nouveau traité de l'Élysée, qui pourrait constituer une source d'inspiration pour le futur projet européen. Nous souhaitons pouvoir le faire aboutir pour le mois de janvier de l'année prochaine, pour l'anniversaire du premier traité. C'est là aussi une espèce de refondation, dans un état d'esprit très constructif. Il faut que ce couple franco-allemand soit l'avant-garde de la refondation que j'ai évoquée à plusieurs reprises.
L'Europe doit être au rendez-vous de la nouvelle donne mondiale pour jouer le rôle de puissance qui lui revient, identifier ses intérêts propres et agir sur ses structures collaboratives comme une puissance en construction. Ceci nécessite de renforcer la démarche multilatérale qui est aujourd'hui remise en cause, en particulier par l'attitude des États-Unis. On doit agir dans l'environnement le plus proche d'abord - c'est le cas de l'espace méditerranéen - où deux crises majeures, en Syrie et en Libye, menacent la sécurité des Européens par leur prolongement terroriste éventuel et occasionnent des migrations qui, comme je viens de le rappeler, constituent un défi majeur pour notre continent.
En Syrie, nous bénéficions d'un levier essentiel, celui de notre participation en tant que premier bailleur humanitaire mais aussi en termes de reconstruction. C'est sur cette ligne que nous devons fixer notre objectif pour permettre la mise en oeuvre d'une solution politique. L'Europe ne pourra agir pour la reconstruction de la Syrie que s'il existe un objectif politique partagé et reconnu par les Nations unies. Nous sommes encore loin du compte, mais son rôle est essentiel dans ce panorama et au Moyen-Orient.
En Libye, l'Europe joue un rôle de soutien aux initiatives que nous sommes en train de prendre, qui ont un peu avancé au moment de la réunion du 29 mai. Ceci a permis la mise en oeuvre d'un calendrier de sortie de crise, dans la perspective de la tenue d'élections en Libye le 10 décembre prochain, afin de juguler l'instabilité de ce pays et contribuer ainsi à la prévention et à la sécurisation de l'Union européenne.
Il n'y aura pas de stabilité en Europe sans projet partagé entre les Européens et leurs voisins du Sud, au-delà même de la Syrie et la Libye. C'est le sens de l'initiative exposée par le Président de la République à Tunis en mars dernier pour que la France puisse réunir les dirigeants, mais aussi les représentants des sociétés civiles, de la jeunesse, des universitaires de quelques pays européens et des pays du Maghreb pour réfléchir à une stratégie commune en Méditerranée.
Je passe rapidement sur la place de l'Union européenne au Sahel. C'est un enjeu essentiel dans le soutien que l'Union européenne apporte à la mise en oeuvre progressive de la force militaire conjointe. Une réunion du G5 Sahel se tiendra lundi à Nouakchott pour renforcer cette dynamique à laquelle participera le Président de la République, que j'accompagnerai. C'est à la fois un enjeu pour le soutien militaire, mais aussi pour le soutien au développement, avec l'alliance lancée il y a près d'un an à Paris, en marge du conseil des ministres franco-allemand, fédérant la France et l'Allemagne, mais aussi les grands bailleurs de fonds multilatéraux et, singulièrement, l'Union européenne.
Vous avez évoqué, monsieur le président, un certain nombre de points concernant la fragilisation de la relation transatlantique. Je ne peux que partager votre avis en constatant le retrait américain de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Les acteurs européens demeurent toutefois dans cet accord. Une réunion se profile avec la Russie et la Chine.
Les trois signataires européens travaillent actuellement à la mise en oeuvre d'un mécanisme financier qui viserait à maintenir les retombées économiques ouvertes par l'Accord. Nous n'avons pas encore pu aboutir à des propositions concrètes, mais nous y travaillons afin de protéger nos entreprises contre les effets des sanctions qui ont été mises en oeuvre. C'est pourquoi l'Union européenne a lancé l'actualisation du règlement de blocage qui permet de protéger nos entreprises de l'application du droit américain sur le territoire européen.
Parallèlement, la Commission européenne travaille à la mise en oeuvre d'un soutien financier aux PME engagées en Iran et à une action de soutien de la Banque européenne d'investissement. Nous devons enfin élargir notre action en vue de l'établissement d'un canal de financement public immunisé contre le droit américain, qui mobiliserait, par exemple, les banques centrales. C'est la réponse que l'Union européenne formule vis-à-vis des États-Unis. Nous souhaitons la finaliser rapidement et ensuite la partager avec les Chinois et les Russes, qui ont eux-mêmes des interrogations techniques sur leur capacité à répondre aux défis posés par le retrait des États-Unis de l'accord de Vienne et la mise en oeuvre des sanctions extraterritoriales américaines.
Par ailleurs, s'agissant de la guerre tarifaire, la Commission européenne s'est mobilisée pour la défense des intérêts européens suivant trois axes.
Tout d'abord, nous avons porté le contentieux contre les États-Unis devant l'OMC, juge des différends commerciaux, pour faire reconnaître les droits de l'Union européenne. Comme vous le savez, l'Union européenne a riposté aux surtaxes par des mesures de rééquilibrage qui sont entrées en vigueur vendredi dernier. Il s'agit de répondre de façon déterminée, calibrée et proportionnée à l'initiative américaine. Enfin, si nécessaire, l'Union européenne, mettra en place des mesures de sauvegarde pour protéger les producteurs européens d'acier et d'aluminium qui pourraient souffrir d'une augmentation des importations à la suite de la fermeture du marché américain. La réaction a été rapide, unie, partagée et déterminée.
L'annonce par les États-Unis du lancement d'une enquête sur les tarifs automobiles, à nouveau pour des motifs de sécurité nationale, montre que nous ne sommes pas au bout de nos peines dans le domaine de la guerre des tarifs douaniers. Un nouveau front menace désormais, beaucoup plus déstabilisant. Il supposera aussi, de la part de l'Union européenne, une riposte appropriée et proportionnée, comme on avait pu le faire la première fois avec la mise en oeuvre du dispositif appelé « moto-bourbon ». Ceci donne d'ailleurs des résultats : Harley-Davidson a ainsi annoncé son intention de se déplacer, ce qui provoque l'irritation du Président Trump.
L'Europe ne doit plus faire preuve de naïveté commerciale. La Commission européenne et les États prennent conscience de nos forces et de nos capacités collectives que confère un marché de 510 millions d'euros.
C'est également vrai en matière d'investissements stratégiques. La Commission européenne a proposé en septembre dernier un dispositif européen de contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. Nous sommes un acteur économique de premier plan, du même niveau que la Chine ou les États-Unis, et nous avons donc des arguments à faire valoir dans les instances internationales pour agir en faveur de cette régulation.
Nous l'avons dit à nos interlocuteurs chinois, avant-hier, à l'occasion du déplacement en Chine du Premier ministre que j'accompagnais. Nous avons pu rencontrer le Président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang pour leur expliquer ce que cela signifiait et leur dire que nous prenions nos responsabilités comme puissance souveraine, tout comme la Chine assure, dans les secteurs stratégiques, sa propre sécurité. Cela n'a pas empêché des échanges très positifs.
Enfin, notre relation avec la Russie est à la fois une relation de fermeté et de dialogue - situation ukrainienne, armes chimiques, ingérence dans les processus démocratiques. La Russie est l'un de nos grands voisins. Nous menons des actions ensemble concernant la perspective de sortie de crise en Syrie et la lutte contre le terrorisme. Nous avons par ailleurs engagé - j'espère que ceci produira des effets positifs - de nouvelles discussions sur l'Ukraine.
Avec mon collègue allemand, nous avons eu une réunion à Berlin il y a quelques jours avec le ministre des affaires étrangères russe et le ministre des affaires étrangères ukrainien afin de relancer le processus de Minsk, dans le cadre du « format Normandie » pour permettre une réunion des chefs d'État et de gouvernement. C'est une du travail de longue haleine. Les rencontres sont cordiales, et il faut poursuivre dans cette direction.
Cette volonté de dialogue et de fermeté est, je crois, partagée par l'ensemble des acteurs de l'Union européenne.
Merci monsieur le ministre, pour cette communication qui, comme toujours, a été passionnante. Peut-être aurez-vous l'occasion de répondre, au fil des questions, sur la situation en Turquie et sur ce que les résultats que les élections dans ce pays vont entraîner.
Je tiens à ce sujet à dire ici solennellement l'émotion qui a été la nôtre lorsque notre collègue, Mme Christine Prunaud, a été interpellée là-bas. Elle n'était certes pas envoyée officielle de la commission des affaires étrangères ni du Sénat, mais je souhaite que le ministre des affaires étrangères puisse faire les représentations d'usage pour que les parlementaires français soient respectés. Elle ne se livrait à aucune agitation et se trouvait là pour les besoins d'une mission que son propre mouvement lui avait confiée.
Je le dis devant le ministre : nous devons défendre les droits du Parlement et des parlementaires face à des attaques insupportables !
La parole est aux commissaires.
Monsieur le ministre, la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne inquiète les pêcheurs français. Ceux-ci tirent en effet près de la moitié de la valeur de leur pêche des eaux territoriales britanniques. Le sujet a été abordé lors du Conseil européen, les 22 et 23 mars derniers, et un accord serait en vue pour maintenir les règles actuelles jusqu'à la fin de la période transitoire. Les pêcheurs de l'Union européenne pourraient ainsi continuer à accéder aux eaux britanniques jusqu'au 31 décembre 2020, bien entendu sous réserve de l'accord des Britanniques. Il n'en demeure pas moins que l'inquiétude persiste. Aussi souhaiterais-je connaître votre analyse sur la question pour les mois à venir, mais également après 2021.
Monsieur le président, je vous remercie une nouvelle fois de votre soutien.
Nous avons ce matin présenté un rapport sur notre mission en Libye, dans lequel nous émettons des réserves sur la réalisation d'élections par rapport à la date butoir que le Gouvernement proposait et attirons l'attention sur la difficulté à organiser une conférence inclusive avec tous les partenaires. Nous avons quelques inquiétudes sur cette réalisation. Pourrions-nous avoir votre avis ?
Par ailleurs, j'aimerais obtenir un peu plus de précisions sur notre coopération avec l'Union européenne face aux migrants en Libye et en Turquie. Vous avez confirmé qu'il existait une maîtrise des flux migratoires dont nous prenons acte, mais pourquoi demandons-nous des efforts à des pays comme la Libye qui, pour l'instant, est un pays éclaté au niveau politique ? On s'interroge toujours pour savoir à qui s'adresser, et c'est ce pays qui en supporte le poids.
Quant à la Turquie, il s'agit d'un régime de plus en plus autoritaire, difficile à vivre pour les Turcs. Certaines personnes m'ont demandé pourquoi la France ne les soutenait pas financièrement comme prévu face au problème des migrants. Je vous transmets la question.
Il est très difficile d'avoir des échanges avec un pays où les droits de l'homme ne sont absolument pas respectés et où les militants peuvent être arrêtés chez eux du jour au lendemain. Notre rôle est de parler avec tout le monde, comme vous le dites très souvent, monsieur le président, mais je trouve cette position très délicate.
Monsieur le président, je suis beaucoup moins optimiste que vous à propos du couple franco-allemand. L'année n'a d'ailleurs pas très bien commencé, souvenez-vous : pour les 55 ans de la commémoration du traité de l'Élysée, on avait accueilli la présidente allemande à l'Assemblée nationale dans un hémicycle aux trois quarts vide, alors que le président de l'Assemblée nationale français a été accueilli en Allemagne devant un hémicycle totalement plein.
S'agissant de l'accord Trump sur l'accord nucléaire, la Chancelière et le Président de la République y sont allés séparément pour convaincre le président américain de ne pas prendre la position qu'il a finalement prise sur l'accord nucléaire. Cela traduit une situation de faiblesse.
Vous avez évoqué le discours de la Sorbonne, où le Président de la République française a pu exprimer ses positions. Il l'a fait au moment où la Chancelière était en pleine campagne électorale. Elle n'a bien sûr pas pu répondre. Quelques jours plus tard, lors du discours d'Aix-la-Chapelle, que vous n'avez pas cité, monsieur le ministre, le Président de la République française a été très dur avec la Chancelière, lui donnant une leçon budgétaire à mon avis un peu discourtoise.
Demain et après-demain a lieu le Conseil de l'Europe. Vous avez évoqué Meseberg. Il n'en est pas sorti grand-chose ! Le Président de la République souhaitait un budget de l'ordre de plusieurs centaines de milliards, Mme Merkel ne voulant pas « lâcher » plus de quelques milliards. Il ne pouvait rien en sortir !
Le deuxième sujet était celui des migrants. Mme Merkel était en pleine négociation politique intérieure avec la CSU, qui a une position équivalente à celle de la Hongrie ou de la Pologne. Il n'est pas sorti grand-chose non plus de cette discussion, du fait de l'Allemagne.
Ma question est simple, monsieur le ministre : vous avez évoqué le couple franco-allemand, jusqu'ici moteur de l'Europe. Ne va-t-il pas, demain, en constituer le frein ?
Monsieur le ministre, vous l'avez dit, l'approche de l'Italie et de la France au sujet des migrants est pour le moins différente. Matteo Salvini, ministre italien de l'intérieur, a déclaré dans un communiqué que le seul moyen pour éviter les voyages de la mort était d'empêcher que les bateaux prennent le large, entendant par-là qu'il était nécessaire de créer des centres d'accueil et d'identification au Sud de la Libye. La diplomatie française partage-t-elle cet aspect des choses ? Dans le cas contraire, quel est donc son choix ?
Ma deuxième question est probablement un peu choquante et sûrement naïve : Les opérations de l'Union européenne ont notamment pour mission d'arraisonner un certain nombre de navires au départ de pays tels que la Libye. Je crois qu'il s'agit d'une mission difficile qui n'est pas complètement remplie. On entend dire ici et là que ces bateaux constituent aujourd'hui quasiment des lignes régulières entre le continent africain et l'Europe. Que deviennent ces navires dans les ports européens, une fois qu'ils ont débarqué les demandeurs d'asile ?
Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur les difficultés de communication de l'Union européenne. Vous avez listé les progrès obtenus depuis un an, et il était important de le faire. Un doute s'est toutefois instillé dans les opinions publiques et à l'étranger sur la permanence des valeurs de l'Europe et sur l'Union européenne. Ces critiques et ces doutes sont puissamment relayés et entretenus par des médias comme Russia Today et les usines de trolls russes qui, à chaque occasion, font passer des centaines de milliers de messages sur les réseaux sociaux.
L'Europe a-t-elle aujourd'hui une politique d'influence pour contrer cette offensive informationnelle ? La France fait-elle suffisamment d'efforts dans ce domaine ? Au moment où on parle de réformer l'audiovisuel public, est-il prévu de renforcer les moyens de France 24 et de RFI, donc vous assurez la tutelle avec le ministère de la culture ? À l'heure où la Chine, la Russie, la Turquie, le Qatar et bien d'autres - y compris des groupes terroristes - investissent les médias, considérez-vous que le ministère des affaires étrangères est assez présent dans ce débat ? Ne devrait-il pas peser davantage ?
Monsieur le ministre, j'ai le sentiment que nous traversons une période que nous n'avons probablement pas connue depuis de nombreuses générations. Il est sûrement plus compliqué d'être ministre de la défense ou Président de la République française aujourd'hui qu'il y a trente ou quarante ans.
Il n'existe plus de certitudes. Nous ne sommes à l'abri d'aucune décision du président américain, que je serais tenté de qualifier de « Tweet Man », que ce soit sur le plan militaire, commercial ou diplomatique. Nous sommes dans un monde d'incertitudes presque absolues.
Les choses ne sont pas simples. Même si elles ne l'ont jamais été sur le plan diplomatique et international, c'est encore plus compliqué aujourd'hui. Comment voyez-vous l'évolution de l'Alliance Atlantique, de l'Otan et de la Turquie au sein de l'Alliance Atlantique face au comportement de ceux qui demeurent nos « amis américains » ?
Par ailleurs, compte tenu du comportement de Donald Trump, ne pensez-vous pas que, sur le plan commercial, il serait peut-être opportun de se rapprocher beaucoup plus de la Chine, même si ce pays apparaît d'un expansionnisme économique assourdissant, comme nos collègues en ont fait la démonstration à l'occasion d'un compte rendu compte récent de mission ? N'est-il pas intéressant que la France et l'Europe engagent une forme de rapprochement commercial beaucoup plus intense avec ce pays, de manière que l'Amérique en général, et Donald Trump en particulier, comprennent que les alliances peuvent être parfois à géométrie variable ?
Monsieur le ministre, tout se passe comme si le sujet du modèle économique de l'Union européenne n'était jamais mis en question. Personnellement, cela provoque chez moi un fort malaise quant à l'avenir de l'Europe.
Pensons-nous sérieusement que nous allons faire face durablement à la montée des chocs politiques et des populismes en Europe sans entreprendre une réflexion nouvelle sur la nature du modèle économique et social qui préside à l'Union européenne et aux traités de ces dernières décennies ? Toutes les inégalités qui se sont développées en l'Europe, à l'intérieur des pays et entre les pays européens, sont pour beaucoup à l'origine des chocs politiques qui conduisent un peu partout à la progression de populismes extrêmement dangereux.
Or, on a l'impression que ce modèle continue à être considéré comme intangible, alors qu'il est probablement une des raisons à la crise actuelle de l'Union européenne - même s'il existe aussi des raisons internationales ?
À ce propos, quel est le sens des initiatives qu'essaye de mener la France concernant la création d'un budget de la zone euro ? Cela ne met-il pas en cause les logiques qui ont présidé à la gestion de la Banque centrale européenne depuis qu'elle existe ? On se félicite de la sortie de la Grèce du mémorandum. Beaucoup disent qu'on peut être fier de ce qui a été accompli : je ne suis pas sûr que l'Union européenne puisse être extrêmement fière de ce qui a été fait depuis douze ans en faveur de la Grèce, pays européen qui, soit dit entre nous, face à l'afflux de réfugiés a, lui, respecté les principes fondamentaux de l'Union européenne. Il n'a pourtant n'a pas été payé de retour, c'est le moins qu'on puisse dire, si l'on considère le traitement économique qu'il a subi de la part de l'Union européenne !
Un changement de gestion de la zone euro ne passe-t-il pas par une modification des règles, des missions et des critères de la Banque centrale européenne ? La zone euro ne risque-t-elle pas d'aboutir à nouveau à une impasse et à un refus des Allemands ?
Enfin, s'agissant de l'immigration, malgré ce qui a été dit, je n'ai pas l'impression que le discours de la France offre des perspectives durables face à un problème qui va se révéler majeur dans les décennies à venir. Quelle est la position de la France sur l'initiative lancée par le secrétaire général de l'ONU pour travailler sur un pacte mondial des migrations ?
Monsieur le ministre, lorsque j'étais jeune, j'étais enthousiasmé par l'idée européenne et par les valeurs qu'elle portait. Aujourd'hui, je me demande si la crise à laquelle elle est confrontée n'est pas de nature à la réduire à néant.
Cela a commencé par le Brexit, et si on analyse les raisons pour lesquelles les Britanniques ont voulu sortir de l'Union européenne, on y retrouve certaines des idées qui sont aujourd'hui avancées par les pays constituant le groupe de Visegrád - Tchéquie, Slovaquie, Pologne et Hongrie - ainsi que de nouveaux pays qui, après des élections tout ce qu'il y a de plus démocratique, comme l'Autriche et l'Italie. N'est-on pas en train d'assister à une dislocation de l'Europe, et à un effacement ou à un retrait des valeurs qui la fondent depuis 1957 ?
Monsieur le ministre, ma question porte sur la dénonciation par le président des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien, conformément à son programme de campagne, alors que l'ensemble des nations autour de la table avaient réussi à amener l'Iran sur la voie du dialogue.
Force est de constater que la décision des États-Unis entraîne le retrait de certains grands groupes industriels : PSA, pour qui l'Iran constituait pourtant le premier marché à l'exportation, devant la Chine, a décidé de se retirer du pays. La France affirme pourtant vouloir maintenir cet accord, rendu totalement bancal. Comment l'Union européenne va-t-elle pouvoir tenir cette position ?
On entend assez peu la voix de l'Europe en matière internationale. Lorsque nous avons rédigé notre rapport sur la Chine, mon collègue et moi nous sommes bien rendu compte que l'Europe n'arrivait pas à tenir une position cohérente face à la montée économique de la Chine. Comment allons-nous traduire nos intentions et nos déclarations dans les faits ?
Je pratique régulièrement les Autrichiens et les Hongrois. J'accompagnais Mme Loiseau et le patron de Frontex à Vienne. Chaque fois qu'on nous a annoncé des catastrophes, celles-ci ne sont pas vraiment produites. Lorsqu'on ne les annonce pas, elles ont eu lieu, comme le Brexit. Les choses ne se réaliseront donc pas forcément.
Cependant, je crois qu'on ne tient pas assez compte des opinions publiques de ces pays. Pourquoi sont-elles résolument contre l'immigration, comme en Autriche, par exemple ? Elles en ont tout simplement peur ! On ne leur explique pas vraiment la situation. Les titres des journaux font beaucoup de dégâts parmi les populations.
Ne devrait-on pas avoir une politique d'information ouverte, claire et à la limite un peu provocatrice pour appuyer quelques mesures spectaculaires qui pourraient remettre un peu d'ordre, plutôt que de laisser les gens redouter un phénomène qui est en train de diminuer ?
Je suis d'une région maritime, comme M. Vaugrenard. J'ai le sentiment que nous avons vécu pendant longtemps à marée haute et que la mer se retire. On était peut-être à marée haute depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et l'on voit à présent apparaître les rochers, les structures, les môles, les caps d'autrefois, presque comme s'il ne s'était rien passé : affirmation des puissances, autonomie des uns et des autres, fin de la régulation. Cela suscite un sentiment d'inquiétude, et les acteurs veulent revenir, d'une certaine manière, à la situation telle qu'elle était bien avant.
L'exemple le plus significatif en matière de repli sur soi est le président des États-Unis. Chacun vit de manière autonome et on assiste à la fin de tout multilatéralisme et de toute régulation.
Un élément n'existait pas auparavant, c'est l'Europe. Le problème est de savoir si l'Europe sera présente à ce rendez-vous ou si elle va laisser se dérouler ce processus de repli partagé qui, parfois, conduit au nationalisme et peut un jour, au-delà d'une guerre commerciale, provoquer des risques plus importants encore. C'est toute la question.
Il est vrai qu'il existe des risques de délitement, de désagrégation, mais je voudrais vous faire partager une formule de Jean Monnet : « L'Europe se fera dans les crises, et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Ce qui était vrai à ce moment-là doit l'être encore aujourd'hui. Je souhaite vous faire partager cette conviction. Malgré l'importance des défis qui sont devant nous, malgré les contradictions internes qui existent, je reste convaincu, pour ma part, encore plus aujourd'hui qu'hier, que c'est la seule force possible. Nous sommes d'ailleurs attendus partout - je reviendrai sur la Chine tout à l'heure.
Je ne souhaite d'ailleurs pas à cet égard, monsieur Laurent, détruire le modèle. Sans doute faut-il l'aménager pour qu'il soit plus redistributif et protecteur. J'ai une autre référence. Je ne suis pas sûr que M. Laurent la partage, mais je vous la livre. Jacques Delors avait, pour définir le modèle européen, trois principes qui me semblent encore plus pertinents aujourd'hui qu'hier : « L'Europe, c'est la concurrence qui stimule, c'est la coopération qui renforce, et c'est la solidarité qui unit ». Voilà le point qu'il faut sans doute adapter aux temps présent, qui me paraît essentiel pour l'avenir. C'est là pour moi le modèle, mais il peut être contesté. Je pense que le Président de la République est sur la même ligne, et c'est sur cette orientation que je me bats.
Deux mots sur l'Alliance et sur la relation avec la Chine.
Nous sommes attachés au maintien de l'Alliance, parce qu'elle constitue notre sécurité. Nous allons le redire. Nous sommes également attachés au fait que, au sein de l'Alliance, l'Europe pèse davantage - ce qui est le cas désormais.
Y a-t-il des interrogations sur la manière dont va se dérouler le sommet de l'Otan ? J'espère que non. Normalement, le sommet de l'Otan du mois de juillet devrait être l'aboutissement de la mise en oeuvre des engagements qui avaient été pris, notamment, au sommet de Newport en 2014.
Le sommet de Bruxelles devrait valider ce qui s'est passé depuis cette date, et la façon dont ces décisions ont été appliquées. Il y a cependant des risques. La mer se retire. Il faut donc que nous soyons vigilants sur ce point.
Quant à la Chine, j'en reviens. Depuis que je suis dans mes fonctions, c'est mon troisième déplacement dans ce pays. J'y retournerai à la rentrée. Les Chinois sont désormais beaucoup plus attentifs à nous qu'auparavant, étant eux aussi dans une relation compliquée et tarifaire avec les États-Unis. Ils ont une approche bien plus pragmatique du concept de route de la soie. Ils considèrent qu'il faut désormais travailler davantage avec l'Union européenne, ce qui n'était pas toujours le cas avant, puisqu'ils avaient commencé une relation entre les pays de l'est de l'Europe et la Chine, appelée « 16 + 1 », peut-être dans une volonté de bilatéralismes cumulés.
J'ai eu l'occasion de dire au Premier ministre chinois que le multilatéralisme n'était pas l'addition de plusieurs bilatéralismes, ce qui a pu un certain temps tenter la Chine. Finalement, l'initiative du Président Trump à l'égard de la Chine amène ce pays à considérer l'Europe d'une autre manière. Sans doute est-ce récent.
Pendant que je me trouvais en Chine, le vice-président de la Commission européenne venait discuter sur l'accord sur les investissements entre la Chine et l'Union européenne. On constate donc une évolution. Il faut entretenir cette relation, où la France joue en tête. Nous sommes considérés par la Chine comme un interlocuteur respecté et respectable. Nous avons passé des accords importants la semaine dernière. Nous avons, par ailleurs, pour objectif de diminuer notre déficit commercial à l'égard de la Chine, aujourd'hui de 30 milliards d'euros, pour un déficit commercial global de 60 milliards d'euros.
Nous souffrons plus d'une insuffisance que d'un trop plein d'investissements chinois en France et nous souhaitons aussi une plus grande ouverture du marché chinois pour nos entreprises même si, la semaine dernière, nous avons pu réaliser des avancées, notamment dans le domaine de l'exportation de la viande de boeuf, bloquée depuis la crise de la vache folle. Je pense que les médias n'ont pas suffisamment perçu l'ampleur du sujet. Ouvrir le marché chinois au boeuf est très important pour beaucoup de régions agricoles françaises. Je le répète ici, puisque cette audition est publique. Ce marché va couvrir entre 30 000 tonnes et 40 000 tonnes de viande bovine, avec une montée en puissance.
Les accords sur le nucléaire évoluent convenablement, ainsi que ceux relatifs à l'aviation. La question agroalimentaire et celle de la souveraineté alimentaire deviennent cruciales pour la Chine, ce secteur faisant partie des mesures de rétorsion prises par les États-Unis.
Je suis résolument optimiste, mais aussi résolument lucide, monsieur Boutant. Il faut les deux pour pouvoir avancer.
S'agissant de la crise iranienne, j'ai déjà eu l'occasion, je crois, de dire ici qu'il existait une forme de contradiction entre la posture américaine à l'égard de la Corée du Nord et celle à l'égard de l'Iran. La Corée du Nord dispose quasiment de la panoplie nucléaire d'intervention. Après la rencontre de Singapour, je ne sais comment cela va se passer. Je ne sais pas si quelqu'un a la réponse.
Parallèlement, on met en doute la parole de l'Iran, qui n'a pas l'arme nucléaire et qui s'est engagé à ne pas l'avoir. L'AIEA a confirmé que l'Iran respectait ses engagements au titre de l'Accord - et on n'a aucune raison de ne pas la croire. Les autorités iraniennes, dans ces conditions, pourraient souhaiter se retirer de l'accord. Si tel est le cas, nous n'y serons plus non plus. Nous souhaitons, par souci de la sécurité et de la paix dans l'ensemble de la région, que les autorités iraniennes demeurent dans l'accord. C'est notre position, ainsi que celle des Allemands et des Britanniques. C'est également la position des Chinois, qui a été confirmée avant-hier, ainsi que des Russes.
On s'efforce que les Iraniens restent dans l'accord mais, pour cela, il faut qu'ils puissent avoir des compensations et ne pas fournir des prétextes aux éléments iraniens les plus radicaux pour pousser le gouvernement de M. Rohani à se retirer. Nous sommes dans la phase de pression et d'action pour permettre à l'Iran de pouvoir bénéficier des garanties et des dividendes de leur accord, avoir des relations économiques, financières et commerciale normales, et exporter leur pétrole, condition d'une vie économique normale pour ce pays. Pour l'instant, les choses tiennent, et nous sommes déterminés à les faire tenir.
Étant donné la faiblesse de l'Europe et la détermination des États-Unis, je crains que l'Iran soit peu enclin à persister dans cet accord.
La position de l'Europe n'est pas faible sur ce point.
Ils disent qu'ils n'ont que l'Europe comme interlocuteur crédible. Ils nous attendent, et il faut que l'on soit avec les autres acteurs concernés si possible au rendez-vous !
Monsieur le ministre, je ne comprends pas du tout votre raisonnement ! Les États-Unis ont une telle puissance que les entreprises européennes, qui ne veulent pas subir le contrecoup des menaces américaines, se retirent. Par conséquent, les Iraniens se retrouvent comme s'ils continuaient leur programme nucléaire. Ils vont donc forcément sortir de l'accord.
Les autorités que nous rencontrons ne le souhaitent pas et veulent que nous puissions mettre en oeuvre un dispositif qui permette de l'éviter. Il doit permettre d'être complètement en dehors de la zone dollar et de faire en sorte que le dispositif en euros soit intouchable. C'est ce sur quoi nous travaillons en ce moment avec des banques centrales.
Les Iraniens font monter la pression sur nous, mais nous demeurons sereins. Il faut que nous puissions être indépendants. Cela fait partie de notre capacité à avoir une souveraineté économique indépendante des États-Unis. Nous y travaillons. Cela prend un certain temps.
Un certain nombre d'entreprises font leurs propres choix dans l'urgence. Je les respecte, car elles sont à la fois sur ce marché et sur le marché américain, mais certaines considèrent qu'elles peuvent rester sur le marché iranien. Si on leur donne l'outil nécessaire, on aura résolu une partie du problème.
Cela intéresse aussi d'autres partenaires. Avoir les flux financiers nécessaires pour assurer la vente du pétrole iranien est en effet loin d'être secondaire. Nous en sommes là avec, sur ce point, une volonté commune affichée de l'ensemble des Européens. Ce n'est donc pas un voeu pieux. Tout le monde est au travail pour essayer de trouver la solution.
L'obligation de reconnaître que Taïwan est en Chine pour travailler avec cette dernière constitue aussi une forme de pression sur les entreprises.
Ce n'est pas comparable. La position de la France est de reconnaître une seule Chine.
Heureusement que je suis optimiste et déterminé !
Quant au Brexit et à la pêche, monsieur Le Nay, c'est un vrai sujet, qui a été bien identifié par Michel Barnier. Cela fait partie du paquet des relations futures qui sera négocié entre l'accord de retrait de mars 2019 et la fin de la période de transition qui nous amènera à fin 2020. Nous bénéficierons donc d'un an et demi pour discuter. Cet enjeu comporte aussi une dimension commerciale. Il ne suffit pas de pêcher : il faut également vendre le poisson. Les deux paramètres devraient faire l'objet de la négociation commune entre l'acte de retrait et la période de transition.
Le risque majeur réside dans le fait qu'il n'y ait pas de phase de transition s'il n'y a pas d'acte de retrait. On sera alors dans une situation très compliquée, mais on ne peut anticiper et faire figurer la pêche dans l'acte de retrait. C'est une situation à propos de laquelle nous sommes très vigilants. Il s'agit d'un sujet sur lequel le Président de la République s'est entretenu avec des pêcheurs lorsqu'il est venu en Bretagne, la semaine dernière. Nous avons des hypothèses de travail à proposer.
D'autres secteurs sont concernés par cette période de transition - je pense en particulier au transport aérien, mais il y en a d'autres. Cela suppose que l'acte de retrait soit établi et que la question irlandaise soit réglée. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas et, selon moi, ce ne sera pas le cas demain. Il reste l'échéance d'octobre. Si, à cette date, il n'y a pas d'accord, on sera dans une situation très compliquée. Je ne peux que le constater avec vous.
Je ne suis pas d'accord avec M. Poniatowski sur le couple franco-allemand ni sur la réunion de Meseberg, à laquelle je participais. C'était un jour particulier. La veille avaient eu lieu en Allemagne un certain nombre de discussions politiques très importantes pour la Chancelière. Il s'agit d'un accord franco-allemand et non d'un accord européen.
Premièrement, c'est à ce moment que l'Allemagne a dit qu'elle rejoignait l'initiative européenne d'intervention, ce qui n'est pas rien. Le gouvernement allemand n'était pas homogène sur le sujet, mais l'annonce a cependant été faite par la Chancelière.
Deuxièmement, c'est aussi à ce moment qu'a été annoncé un budget de la zone euro. C'est un moment historique. Il faut maintenant en discuter le montant, mais ce n'est jamais arrivé.
Troisièmement, c'est également à ce moment-là que des engagements ont été pris dans le domaine capacitaire, notamment concernant le futur système de char et le futur système de combat aérien. Ce n'est pas rien non plus !
Il faudra que l'on se mette bien d'accord sur la manière d'utiliser le système de combat aérien. On n'a pas exactement les mêmes approches !
On entre dans l'initiative européenne d'intervention en réalisant un char commun, un avion de chasse commun et un drone commun, dans le cadre de la coopération structurée permanente. On va avoir un budget de la zone euro commun : on passe un cap - même s'il convient de discuter du montant ! Il faut le faire passer auprès des autres, sauf concernant le bilatéral militaire. Tout cela s'est passé au même moment, y compris sur la question migratoire.
Je trouve donc le bilan de cette rencontre, même sur le principe de la modernisation du traité, assez positif, dans une période difficile pour la Chancelière. La solidité du couple franco-allemand, qui est indispensable dans la période que nous traversons aujourd'hui, se manifestera demain et après-demain.
Quant à la Turquie, on connaît le résultat des élections. J'ai bien suivi la vérification que Mme Prunaud a lancée. Le Président de la République aussi. Les résultats ne sont pas contestés par l'OSCE. Des réserves ont été émises, il y a eu des irrégularités, mais l'OSCE a déclaré que celles-ci n'étaient pas de nature à priver les Turcs d'un véritable choix électoral. Le Président Erdoðan est donc élu. Il bénéficie d'une majorité à l'Assemblée nationale, bien que le HDP ait eu un score qui lui a permis de dépasser les 10 %, ce qui constituait un enjeu considérable. C'est plutôt une bonne nouvelle.
Le Président Erdoðan a été élu sur un mandat qui va reprendre les suites du référendum d'avril 2017, c'est-à-dire un renforcement du pouvoir central et un renforcement un peu autoritaire du fonctionnement politique de la Turquie. C'est une réalité, à partir du moment où les Turcs ont voté et que le résultat n'est pas contesté.
Le Président de la République a félicité le Président Erdoðan pour son élection, mais a en même temps fait valoir l'importance du respect des droits fondamentaux et le fait que nous devions avoir avec la Turquie une relation franche, qui amène ce pays à respecter ses engagements internationaux et à faire en sorte qu'il existe un dialogue apaisé entre la Turquie et l'Union européenne.
Je voudrais dire à cet égard que nous avons un accord avec la Turquie conclu par Bernard Cazeneuve lorsqu'il était ministre de l'intérieur. C'est aussi un accord avec l'Union européenne. Il est respecté. Le financement est assuré par l'Union européenne et sera appliqué. Il permet à la Turquie d'assurer la sécurisation de ses frontières. C'est un dispositif qui permet le financement d'organisations internationales intervenant en Turquie et aussi, dans une moindre mesure, le financement des actions turques pour les réfugiés syriens en particulier, qui sont nombreux. Je vous rappelle que 12 millions de Syriens sont déplacés, dont 3 millions en Turquie. Cet accord est jusqu'à présent respecté, y compris sur les financements qui seront diligentés.
S'agissant de la Libye, ce pays, depuis 2011, vit dans une forme de chaos politique auquel il faut essayer de remédier. C'est la raison pour laquelle deux grands rendez-vous ont eu lieu, l'un en juillet 2017, à la Celle-Saint-Cloud, l'autre le 29 mai dernier, autour du Président de la République, en présence de la communauté internationale, de l'envoyé spécial des Nations unies et des acteurs de la région - les présidents du Tchad, du Niger, les représentants de l'Algérie, l'ensemble des voisins - au sujet de l'engagement que les quatre acteurs principaux ont pris de mettre en place un dispositif électoral en Libye. C'était il y a un mois. C'est plutôt une bonne chose...
Je ne remets pas en cause cette conférence mais, pour l'instant, on n'a pas réussi à mettre les partenaires de la Libye autour d'une table.
Si, ils étaient tous là : le président du Parlement de Tobrouk, le maréchal Haftar, le président Sarraj, le président Mechri, nouveau président du Conseil d'État, le président Saleh...Les quatre acteurs majeurs étaient présents et l'ensemble de la communauté internationale aussi. Chacun a constaté l'accord. Il existe un document.
Près de 3 millions de Libyens sont déjà inscrits sur les listes électorales. Cela montre qu'ils ont envie de faire quelque chose. Il faut maintenant que ce processus aille jusqu'à son terme pour rétablir une autorité politique respectée et reconnue au niveau international, mais aussi par les Libyens eux-mêmes, qui l'auront désignée. On peut dire que Libye, au cours de son histoire, n'a pas été habituée à voter, mais il y a un commencement à tout ! C'est le seul moyen de légitimer un pouvoir et d'avoir un interlocuteur. C'est ce dont sont convenus les quatre acteurs. Il faut faire en sorte que ce processus aille jusqu'à son terme et être très vigilant
Je me rends demain au Caire, car il faut que l'Égypte continue à pousser ce processus en avant. Je vais uniquement là-bas dans la perspective d'accélérer le processus libyen, car la maîtrise des eaux territoriales libyennes est un élément essentiel du dispositif de sécurisation et de prévention de l'ensemble du phénomène migratoire.
L'autorité politique et l'autorité militaire permettront de maîtriser l'ensemble des eaux territoriales libyennes. Il est également indispensable d'aider parallèlement les garde-côtes libyens, en les formant et en les entraînant, afin de maîtriser l'ensemble du processus de migration qui repose sur le système des passeurs, de la Guinée-Bissau jusqu'à Tripoli.
Les gens doivent payer à chaque fois, y compris dans des hubs de transition où on demande à la famille de venir payer pour passer une étape supplémentaire - et il faut encore payer à l'embarquement. Il faut arrêter ce trafic, poursuivre les passeurs dès qu'on les a identifiés - et on en a identifié plusieurs les jours derniers, que nous poursuivons par des sanctions internationales et des gels d'avoir. Il faudra poursuivre ce mouvement pour avoir une maîtrise de l'ensemble du dispositif politique et sécuritaire en Libye. C'est ce que veulent l'ensemble des acteurs, dont tous les voisins, qui ont reconnu l'intérêt des initiatives françaises à cet égard.
Je dois dire que tout le travail que nous menons en Libye se fait en bonne relation avec l'OIM et le HCR. J'ai pu moi-même me rendre dans des lieux tenus par ces organisations. Cela se fait aussi en articulation avec l'Union africaine, qui est également témoin. Le président de la Commission de l'Union africaine, M. Moussa Faki, était présent à cette réunion. L'Union africaine s'engage donc elle-même. Je trouve le processus vertueux. C'est aussi une forme de réponse à l'action des passeurs et à la manière dont on utilise, à des fins financières, la misère de certains.
Au-delà de la question des passeurs, que nous condamnons tous bien évidemment, la gestion des migrations va au-delà de la seule question de la mise hors d'état de nuire de l'industrie des passeurs. Le sujet de la migration est posé par l'ONU et par l'ensemble des acteurs internationaux. Il faut peut-être le traiter avec une autre ambition !
Oui, bien sûr. Il y a là deux sujets. Le premier, sur lequel il faut être inflexible, est celui du droit d'asile. Il est inscrit dans la Constitution. Il faut qu'il soit respecté et que ceux qui peuvent y prétendre le fassent en toute sécurité.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre en oeuvre une agence de l'asile au niveau européen. Cela figure dans les fondamentaux de la Constitution française, mais aussi dans les principes fondamentaux du droit européen.
L'immigration irrégulière constitue le second sujet. Est-on bien d'accord pour distinguer les deux ? L'asile s'applique lorsque des personnes fuient leur pays parce qu'elles sont persécutées pour des raisons diverses et variées - et il y en a un certain nombre. Nous nous devons respecter cela. Nous ne devons pas faire prendre le risque d'une traversée dangereuse de la Méditerranée ou du Sahara à ceux qui peuvent bénéficier du droit d'asile.
Il y a par ailleurs des mouvements de migration normalement réglés par des textes, pour lesquels nous délivrons des visas et des passeports. Pour le reste, c'est entre autres la question du développement du Sahel qui est posée. L'action que nous menons - l'Alliance pour le Sahel - est une forme de réponse à cette tentation de la migration. Il faut avoir, par l'éducation et le développement, une action suffisamment significative pour que ceux qui sont dans un pays y demeurent. C'est cela le sujet. Si vous avez une autre proposition, il faut le dire publiquement ! Si vous souhaitez supprimer les frontières, il faut le dire aussi !
Je vais vous donner un exemple qui doit faire réfléchir. Prenez l'Aquarius : la France intervient à Valence pour identifier les demandeurs d'asile. Une partie significative est constituée d'Algériens. Or c'est le pays auquel on donne le plus de visas réguliers ! Il y a donc des contradictions secondaires, comme dirait un penseur connu, qui doivent être analysées. C'est pourquoi la réponse doit être développée avec les partenaires et les pays concernés.
Il existe des pays instables, en guerre, ou des pays où le droit des femmes et des minorités sexuelles ne sont pas reconnus. Ces gens peuvent avoir droit à l'asile selon leur situation individuelle. Les autres vivent dans des pays stables, et leur vocation est de participer au développement de ceux-ci. C'est en tout cas ce qu'estiment les principaux responsables desdits pays.
Vous n'avez pas répondu à ma question sur la position de la France par rapport au hotspot que souhaite l'Italie au Sud de la Libye.
Cela fait partie des propositions italiennes. Nous pensons quant à nous, pour des raisons de prévention, faire en sorte que les migrants susceptibles d'être demandeurs d'asile puissent être pris en compte bien en amont. C'est ce que nous avons commencé à faire au Niger, en relation avec les autorités nigériennes, et cela fonctionne. Ceux qui sont potentiellement demandeurs d'asile peuvent se déclarer à ce moment-là. Il faut, dans le même mouvement, accompagner l'action de développement de ces pays, en particulier de l'ensemble du Sahel. M. Salvini est allé en Libye. La situation dans le sud libyen est encore très dangereuse, avec des risques humanitaires considérables. C'est une des raisons pour lesquelles nous ne pouvons souscrire à cette hypothèse.
Quant aux fake news, monsieur Cadic, nous sommes très sensibles à ces mesures et à ces actions. Il y a sans doute, quand la mer se retire, une tentation de certains acteurs de disloquer les structures européennes. Nous sommes vigilants à ce sujet. Cela suppose que nous ayons une certaine présence grâce à nos propres outils de communication, sans jouer au même jeu, et que nous puissions riposter aux fake news. Nous avons mis en place des dispositifs de vigilance sur cette question. Il faut aussi donner plus d'importance à nos réseaux médiatiques, singulièrement en Afrique.
Je le dis publiquement : lorsque je rencontre M. Lavrov, je le lui dis. Cela ne nous empêche pas de parler de l'Ukraine. Il faut se dire les choses sur ces sujets importants.
La prochaine fois, nous aborderons le sujet des crises.
Monsieur le ministre, merci infiniment pour cette vision optimiste. Je pense que nous devions vous faire part des craintes que certains ressentent par rapport à tous ces défis européens.
Cela me donne l'occasion de vous remettre officiellement le rapport d'information que mon collègue Jean Bizet et moi-même avons rédigé au nom du groupe de suivi du Sénat sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne à propos de la relance de l'Europe. Un certain nombre de préconisations y figurent. Il vient de le sortir. Lisez-le avant le Conseil européen : cela vous donnera beaucoup d'idées, même si vous en avez déjà vous-même.
Nous vivons des temps incertains. On a l'impression, comme l'a dit aujourd'hui un ancien Premier ministre, dans une déclaration assez fracassante, « qu'on change de temps, qu'on change d'époque, et qu'il faut parfois changer les logiciels » !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 15.