Nous vous présentons aujourd'hui le résultat de nos travaux effectués dans le cadre de la mission d'information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en oeuvre.
Le sujet est vaste. Si la prison symbolise pour une grande majorité des citoyens la sanction de référence, elle n'est qu'une possibilité parmi un éventail de peines qui n'a cessé de se diversifier afin de mieux individualiser la peine et de prévenir la récidive : le travail d'intérêt général, les jours-amende, les stages, la sanction-réparation, la contrainte pénale, etc.
Au 1er janvier 2018, plus de 160 000 personnes étaient suivies en milieu ouvert, pour 70 000 personnes détenues.
La place centrale accordée à l'emprisonnement apparaît paradoxale au regard de la réalité de la mise en oeuvre de cette peine et de son efficacité. Aujourd'hui, la saturation de la chaine pénale et carcérale conduit à aménager de nombreuses peines d'emprisonnement ferme et donc à ne pas les exécuter sous la forme prononcée par les juridictions ; cette déconnexion croissante, et illisible, entre le prononcé et l'exécution des peines d'emprisonnement avait déjà été dénoncée l'année dernière par notre commission dans le rapport d'information sur le redressement de la justice « Cinq ans pour sauver la justice ! ».
Les conditions actuelles d'exécution des peines d'emprisonnement - un nouveau record a d'ailleurs été franchi le 1er aout - compromettent indéniablement les chances de réinsertion des personnes condamnées.
Nos travaux s'inscrivent dans la lignée de nombreux rapports : le rapport « Pour une refonte du droit des peines » de la commission présidée par M. Bruno Cotte de décembre 2015, le rapport au Parlement sur l'encellulement individuel « En finir avec la surpopulation carcérale » de l'ancien garde des sceaux M. Jean-Jacques Urvoas de septembre 2016, ou encore le rapport de la commission du livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire présidée par notre ancien collègue Jean-René Lecerf remis le 4 avril 2017 au garde des sceaux.
Vous le savez, le Gouvernement a lancé en octobre 2017 cinq chantiers de la justice, dont le cinquième et dernier, confié à M. Bruno Cotte et à Me Julia Minkowski, avait pour objectif de renforcer le sens et l'efficacité des peines. Les conclusions de ce rapport, remis le 15 janvier 2018 à la garde des sceaux, ont inspiré les grands axes du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, déposé sur le bureau du Sénat le 20 avril 2018, que nous examinerons en octobre.
Les conclusions de notre mission d'information, fondées essentiellement sur des rencontres de terrain avec les magistrats, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, les surveillants, les greffiers, les associations - nous sommes allés à Lyon, Nantes, Valence mais aussi à Stuttgart - auront naturellement vocation à éclairer nos débats lors de l'examen de ce projet de loi.
Je vous présenterai le constaté effectué par notre mission d'information avant que M. Bigot vous présente nos propositions.
En premier lieu, nous déplorons que le prononcé des peines soit devenu illisible.
Première remarque : les peines ne sont qu'une des modalités de la réponse pénale. La grande majorité des « réponses » qui viennent « sanctionner » un comportement ne sont plus prononcées par les juridictions, en raison de l'encombrement du système et de l'augmentation de la population pénale : la quasi majorité des délits sont sanctionnés par une mesure alternative aux poursuites ou une composition pénale, procédures dirigées par le parquet permettant bien souvent le même résultat : une amende, l'exécution d'un stage, d'un travail non rémunéré (autre nom du travail d'intérêt général dans le cadre d'une mesure alternatives aux poursuites), de plusieurs obligations ou interdictions ...
Deuxième remarque : la nomenclature des peines est si complexe que les magistrats ne savent plus quelles sont les peines alternatives, complémentaires, cumulables entre elles... Certaines peines complémentaires sont encourues de plein droit, d'autres en cas de concours de conditions, d'autres encore doivent être nécessairement prononcées sauf motivation spéciale. C'est insupportable pour les magistrats et en termes d'efficacité des décisions rendues.
Troisième remarque : le système de prononcé et d'aménagement des peines est tellement illisible qu'il est dépourvu de portée pédagogique. Les condamnés interrogés sur leurs antécédents judiciaires ne mentionnent que les peines d'emprisonnement exécutées en détention. Toutes les autres peines, notamment les peines d'emprisonnement ayant fait l'objet d'un aménagement, les peines de sursis ou encore les peines de travail d'intérêt général, ne sont pas ressenties comme des condamnations ni même comme des antécédents.
Quatrième remarque : si le droit définit de grands principes d'individualisation des peines, la pratique est tout autre. La part croissante des comparutions immédiates, l'absence d'enquête présentencielle de personnalité, l'absence d'évaluation de la faisabilité matérielle de certaines peines ne permettent pas véritablement aux juridictions de prononcer une peine adaptée.
Nous avons ressenti, de la part des juges correctionnels, une forme de renoncement à prononcer la peine adaptée et une certaine indifférence à l'égard de la peine qui sera exécutée : ils considèrent que le travail sur la peine relève du juge de l'application des peines, et non du tribunal correctionnel.
Deuxième point central de notre constat : l'exécution des peines est de plus en plus déconnectée du prononcé des peines.
Les magistrats rencontrés regrettent les délais de mise à exécution des peines. Ils identifient plusieurs causes à la longueur de la procédure de mise à exécution.
En premier lieu, ils regrettent le manque de moyens de la justice, et notamment le nombre très insuffisant des personnels de greffe dans les services d'exécution des peines, des magistrats du parquet, des juges de l'application des peines et des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.
En deuxième lieu, la complexité du droit de l'exécution des peines est une cause d'inefficacité de la procédure. Outre un important travail de vérification des pièces d'exécution, les modalités retenues pour la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement dépendent de différents paramètres : le fait que le condamné soit détenu ou non, si cette détention résulte de la même affaire, si la personne est sans domicile fixe ou connu, etc.
Enfin, l'obligation d'examen des peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans - ou à un an en état de récidive légale - en vue d'un aménagement des peines, procédure définie à l'article 723-15 du code de procédure pénale, a accru le temps nécessaire à l'exécution d'une peine.
En l'absence de mandat de dépôt décerné à l'audience, la peine d'un condamné comparaissant libre ne pourra pas être exécutée avant plusieurs mois. Outre le temps nécessaire à l'évaluation de la personne par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), les magistrats témoignent de la difficulté à mobiliser les personnes condamnées : plusieurs convocations sont ainsi nécessaires, ce qui retarde la mise à exécution d'une peine, même sous une autre forme.
Nombre de magistrats pointent l'hypocrisie du système pénal qui repose essentiellement sur la peine d'emprisonnement alors même que l'institution pénitentiaire n'est pas en capacité d'y répondre. Au 1er juillet 2018, sur 70 710 détenus, 21 007 étaient des prévenus en attente de leur jugement et 49 703 étaient des condamnés exécutant leurs peines.
Ce sont 42 373 personnes, soit près de 60 % des détenus, qui sont actuellement incarcérées dans des structures suroccupées.
Cette suroccupation carcérale s'explique principalement par l'augmentation du nombre des prévenus alors que le nombre de détenus condamnés s'est stabilisé depuis 2013.
Cette surpopulation induit des conditions indignes de détention, accroît les actes violents et exacerbe la concurrence entre personnes détenues pour accéder à l'emploi, aux formations, aux activités, aux parloirs et aux unités de vie familiale.
En 2016, seulement 19 000 détenus étaient inscrits à une offre de formation professionnelle, contre 28 000 en 2013. Au premier semestre 2017, seulement 19 000 détenus avaient travaillé, soit 28 % des détenus, contre 29 % en 2015.
Lorsque les conditions de détention sont telles que des jeunes primo-délinquants ou des délinquants incarcérés pour la première fois peuvent côtoyer des multirécidivistes ou des détenus radicalisés, l'objectif de réinsertion semble compromis.
Au cours de visites dans plusieurs établissements pénitentiaires, nous avons constaté l'engagement des surveillants pénitentiaires à gérer au mieux des quartiers suroccupés et leur frustration de ne plus avoir le temps et les moyens de se consacrer à leur mission de réinsertion et à la prise en charge des courtes peines : la prise en charge des détenus dans les établissements pénitentiaires apparaît aujourd'hui très lacunaire.
Dans de nombreux établissements, aucun parcours d'exécution des peines ne peut être proposé. Les formations professionnelles fonctionnant par cycles non continus, les détenus arrivant après le début d'un cycle ou ayant une peine d'emprisonnement inférieure à six mois ne peuvent que rarement en bénéficier. De même, les activités et le travail sont réservés en priorité aux personnes incarcérées pour des durées supérieures à six mois.
Nombre de personnels pénitentiaires déplorent le paradoxe suivant : les prévenus ou les condamnés à des courtes peines d'une durée inférieure à deux mois connaissent des conditions d'incarcération particulièrement difficiles et, par comparaison, ils bénéficient d'une prise en charge nettement inférieure à celle qui est offerte aux condamnés à des longues peines. Alors que la prise en charge, notamment éducative, devrait être particulièrement renforcée pour les courtes peines, ce sont ces détenus qui bénéficient le moins d'un accompagnement tendant à leur réinsertion.
Outre les courtes peines, les surveillants comme les magistrats déplorent le nombre important de détenus présentant des troubles psychologiques en détention, estimé entre 25 et 40 % de la population carcérale. Au sein de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas, plus de 40 % des détenus sont traités en raison de troubles psychologiques.
Dans le même temps, nous avons constaté que, pour des raisons de moyens, l'administration pénitentiaire encourage au placement sous surveillance électronique - dont le coût est de 11 euros par jour -, au détriment des places de semi-liberté ou de « placement à l'extérieur ».
Alors même que ce dispositif est unanimement décrié, le nombre de personnes soumises à une surveillance électronique a augmenté de plus de 6 % entre le 1er août 2017 et le 1er août 2018. Dans la même période, le nombre de condamnés en semi-liberté et le nombre de condamnés bénéficiant d'un placement à l'extérieur et hébergés, mesures contraignantes qui permettent un réel suivi et un accompagnement, ont respectivement diminué de 6,4 % et de 25 %.
Enfin, concernant les peines en milieu ouvert, il existe un consensus de plus en plus grand sur leur utilité dans la prévention de la récidive, mais les juridictions n'osent pas véritablement les prononcer. En effet, comment s'assurer qu'une peine de travail d'intérêt général sera effectivement exécutée rapidement en l'absence de places disponibles ? Comment s'assurer qu'un sursis avec mise à l'épreuve n'est pas une coquille vide ?
Enfin, dernier élément de notre diagnostic, nous faisons le constat que l'évaluation de l'efficacité des peines est inexistante. Il existe une défaillance systémique de l'administration pénitentiaire, et plus largement du ministère de la justice en la matière. Il n'existe aucune étude de cohortes suivant les condamnés pendant plusieurs années pendant et après l'exécution d'une peine. Aucune évaluation post-sentencielle n'est réalisée de l'ensemble des détenus. Contrairement à de nombreux pays, la France n'évalue pas l'efficacité de son système.
Cela s'explique aussi par une carence de l'outil statistique au ministère de la justice déjà dénoncée dans le rapport sur le redressement de la justice. Les nouvelles applications informatiques ne produisent que des statistiques imparfaites.
Ce chantier nous semble devoir constituer une priorité. Comment proposer une nouvelle politique publique en matière de prononcé des peines sans savoir lesquelles sont efficaces ?