Notre recherche a commencé il y a quelques années, quand plusieurs figures politiques notables sont devenues avocats sans passer l'examen du barreau, via une voie dérogatoire dite passerelle, en vertu d'un décret de 1991. Ce dernier permet aux personnalités politiques, après 10 ans d'expérience du droit, de devenir avocats par ce biais. À partir de là, nous avons reconstitué beaucoup de ces passages dérogatoires de hauts fonctionnaires et personnalités politiques, devenus avocats d'affaire depuis le début des années 90.
Historiquement, en France, la profession d'avocat constituait un vivier pour la classe politique, et nous constatons le phénomène inverse : le régulateur, administratif ou politique, tend à devenir avocat. Ce renversement est notre point de départ. Nous avons constitué une base de données biographique de ces trajectoires. Il s'agit donc d'une enquête de type sociologique, qui a permis d'identifier 217 transfuges, hommes politiques ou fonctionnaires devenus avocats à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Ce chiffre peut apparaître comme relativement circonscrit, mais il est certainement largement sous-estimé. Nous avons en effet procédé par traces, et non par données systématiques. Nous n'avons en outre pas intégré les anciens inspecteurs des Impôts devenus avocats, qui sont relativement nombreux.
Ces 217 exemples permettent de circonscrire le phénomène autour de la très haute fonction publique (cabinets ministériels, agences de régulation, structures d'état-major). Ce phénomène de brouillage n'est pas généralisé : il est situé dans la hiérarchie de la fonction publique, au sommet de l'État, et autour de l'État régulateur des marchés.
Nous parlons donc de la branche économique de l'État, et de la très haute fonction publique.