Intervention de Jean-Ludovic Silicani

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 3 juillet 2018 à 15h00
Audition de M. Jean-Ludovic Silicani conseiller d'état

Jean-Ludovic Silicani :

Je vous remercie tout d'abord de m'avoir invité à participer à votre réflexion sur ce sujet, très important. J'organiserai mon propos liminaire autour de trois pistes :

Préciser le sens de la Haute Fonction Publique,

Définir les caractéristiques communes de cette Haute Fonction Publique, dont le périmètre doit être identifié,

À partir de ces éléments de diagnostic, examiner les évolutions souhaitables et possibles afin que les hauts fonctionnaires soient des acteurs efficaces de la modernisation de notre service public et du bon fonctionnement des Institutions.

La Haute Fonction Publique se caractérise par divers critères : le grade, la fonction, le niveau de rémunération (de base ou globale), et le statut des fonctionnaires (titulaires ou contractuels). De plus, elle peut concerner exclusivement l'État, ou bien porter sur les trois versants de la Fonction Publique classique, à savoir l'État, les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière. Les magistrats et les fonctionnaires des assemblées parlementaires peuvent également être inclus parmi les effectifs de la Fonction Publique.

Suivant les critères plus ou moins stricts que nous choisissons de retenir et d'attribuer à la Fonction Publique, son effectif varie de 1 000 à 50 000 personnes, différence notable.

La définition intermédiaire admet que la Fonction Publique compte environ 12 000 personnes.

Les membres de la Fonction Publique, tous secteurs confondus, ont en commun un niveau élevé de pouvoir d'action et/ou de responsabilités, ainsi qu'une formation de très haut niveau.

Les Hauts Fonctionnaires partagent aussi un niveau de mobilité relativement faible au sein de la sphère publique, mais croissante depuis la sphère publique vers la sphère privée. À l'inverse, la mobilité du secteur privé vers le secteur public est minime.

À responsabilités égales, un fort écart de rémunération s'observe entre le public et le privé, tendance qui s'accentue au fil des ans.

Enfin, les fonctions de Directeur d'administration centrale se sont bureaucratisées, puisque les fonctionnaires et les Hauts Fonctionnaires en particulier sont de plus en plus enserrés par moult normes et règles auxquelles ils doivent se plier. De fait, beaucoup d'entre eux perdent un temps considérable à s'assurer du respect de ces normes, ce qui entrave création et audace.

Pourtant, les directeurs d'administrations centrales ne doivent pas être des super chefs de Bureau, mais plutôt s'ériger comme des intermédiaires entre le niveau politique et le niveau technique, dont nous attendons de la force de propositions.

Cette bureaucratisation progressive est également liée à la mauvaise gouvernance des Ministères, et la définition maladroite des rôles respectifs des Ministres, de leur Cabinet et des Directions d'Administration Centrale. Alors que les Cabinets ministériels doivent pallier le travail du Ministre, ils deviennent progressivement des écrans entre le travail du Ministre et le travail de ses Directeurs.

Le Président de la République et le Premier Ministre actuels ont émis l'hypothèse de remédier à cette situation en réduisant le rôle des Cabinets ministériels et en favorisant les relations de travail directes entre les Ministres et leurs Directeurs, modification qui a été amorcée, mais qui n'est pas encore finalisée. Cette évolution signifie que nous devons accepter que les Ministres puissent choisir de conserver ou non certains Directeurs d'administration centrale, conformément aux règles de nos Institutions. Cela concernerait 160 postes, actuellement à la discrétion du Gouvernement.

Une relation de confiance doit s'établir entre les Ministres et leurs Directeurs afin qu'ils puissent travailler de concert naturellement, dans le cadre de cette nouvelle gouvernance.

Ces pratiques ne poseraient aucun problème juridique, puisqu'elles sont décrites dans la Constitution telle que nous la connaissons. Elles ne sont pourtant pas utilisées par les Présidents de la République et les Gouvernements successifs, qui n'emploient pas les manoeuvres dont ils disposent à droit constant.

Par ailleurs, les emplois à la discrétion du Gouvernement, qui englobent les Directeurs d'Administration Centrale, les Préfets et les Ambassadeurs, sont nommés par le Gouvernement, libre de désigner les personnes de son choix, issues du privé ou du public. Or, cette liberté de choix ne s'applique pas dans la réalité, puisque le Gouvernement nomme des personnes qui occupent déjà des postes de Hauts Fonctionnaires plutôt que des membres de la société civile.

Quatre pistes sont envisageables pour améliorer l'efficacité du système au service de nos Institutions.

Premièrement, il est nécessaire de diversifier les profils, trop uniformes, des personnes occupant les emplois supérieurs de l'administration. Je remarque que les Hauts Fonctionnaires issus de l'ENA ou de l'École Polytechnique subissent un phénomène d'uniformisation. De fait, ces personnes, qui présentent pourtant de très grandes qualités, perdent en diversification. Les viviers de recrutement des Hauts Fonctionnaires doivent retrouver cette diversité et cette complémentarité.

Lorsque j'ai présidé l'ARCEP, de 2009 à 2015, nous avions la possibilité, au sein de ces autorités administratives indépendantes, de recruter indifféremment sur tous les emplois, des fonctionnaires ou bien des personnes issues d'autres horizons. Le mélange de ces deux populations est très positif, puisque certains affichent le réflexe de l'action publique, tandis que d'autres souhaitent de consacrer une partie de leur vie professionnelle au service de l'intérêt général, et apportent à ces autorités des compétences extérieures utiles. Ce brassage des profils est bénéfique.

Je pense également qu'il est nécessaire de diversifier les parcours professionnels des fonctionnaires, en alternant des fonctions de stratégie avec des fonctions opérationnelles, des fonctions régaliennes et non régaliennes, des fonctions de management et de conception de la Fonction Publique. Actuellement, sur l'ensemble de leur carrière, les fonctionnaires sont trop spécialisés dans un domaine et effectuent des tâches uniformes.

Cette variété de parcours et de profils dynamiserait beaucoup les Hauts Fonctionnaires.

Deuxièmement, la gouvernance des ministères et des grands exécutifs territoriaux doit être améliorée.

Troisièmement, la France doit augmenter la rémunération de certains de ses fonctionnaires, comme l'a fait la Grande-Bretagne, après avoir constaté au début des années 90 sa difficulté à recruter ou à conserver des personnes de haut niveau sur des postes de direction centrale. La rémunération des Hauts Fonctionnaires au Royaume-Uni est actuellement 1,6 voire deux fois supérieure à la France.

Cette évolution de rémunération ne doit pas s'effectuer sur le traitement, mais plutôt sur les primes et les indemnités, en réinstaurant un système lisible, puisque l'accumulation de régimes indemnitaires hétérogènes a rendu cela trop complexe. J'avais d'ailleurs préconisé, dans le livre blanc publié en 2008, la création de l'indemnité de fonction et de responsabilité (IFR), supposée se généraliser à l'ensemble des administrations de l'État, ce qui n'a pas été le cas, puisqu'elle a été abandonnée en 2013.

Cette indemnité clarifiait le système, en stipulant que la rémunération d'une personne se décompose selon l'évaluation de ses compétences dans la Fonction Publique et la difficulté ses fonctions occupées, à grade égal.

Quatrièmement, les outils permettant de respecter la déontologie de la Fonction Publique doivent être améliorés, dans une perspective de meilleure mobilité des agents entre le public et le privé pour mieux identifier les risques de conflit d'intérêts. Je suis personnellement favorable à la fusion de la Commission de déontologie de la Fonction Publique avec la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique.

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