Intervention de Fabien Tastet

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 4 juillet 2018 à 15h30
Audition de M. Fabien Tastet président de l'association des administrateurs territoriaux de france

Fabien Tastet :

La segmentation entre les trois fonctions publiques obère l'efficacité de notre administration. L'association, que je préside, regroupe les trois-quarts des hauts fonctionnaires territoriaux. Je suis, par ailleurs, directeur général des services de Grand Paris Sud Est Avenir, à l'issue d'une carrière comme directeur de service dans différentes collectivités territoriales. Je siège également dans le collège des collectivités territoriales de la commission de déontologie.

Notre association est à la fois un réseau professionnel et un acteur du débat public ; une vingtaine de ses propositions, émises lors de la dernière campagne présidentielle, font actuellement l'objet d'une réflexion de l'exécutif.

La future réforme de la fonction publique, portée par Olivier Dussopt, peut apporter des réponses opérationnelles aux différents disfonctionnements de notre administration. D'une part, il faut poursuivre l'établissement de la parité en élargissant le champ de la loi pour les nominations équilibrées pour les collectivités locales en-deçà de 80 000 habitants et au-delà des postes de direction générale. D'autre part, il faut améliorer la diversité sociale du recrutement de la fonction publique et promouvoir des préparations intégrées. L'attractivité des concours de la fonction publique doit également être renforcée, afin de remédier à la baisse des candidatures aux concours des fonctions publiques territoriale et hospitalière. Enfin, il faut améliorer le dialogue public-privé sur cette haute fonction publique. Dans sa sagesse, le Sénat a supprimé les dispositions gouvernementales déposées par amendement qui déverrouillait sans limite l'accès aux postes de direction de la haute fonction publique aux cadres du privé. Si ceux-ci ont toute leur place dans la haute fonction publique, leur recrutement doit demeurer dérogatoire et le recrutement de contractuels dans la fonction publique doit être encadré, en respectant notamment un plafond selon les fonctions. Le respect des règles déontologiques doit également être assuré, à l'instar de ce qui prévaut déjà pour les cadres de la fonction publique travaillant dans le secteur privé. Enfin, les aptitudes de la personne qui rejoint la fonction publique doivent être vérifiées. Or, il n'existe pas de comité de sélection des aptitudes dans la fonction publique territoriale à un emploi de direction générale !

À l'inverse, il faut améliorer les conditions du passage des hauts fonctionnaires d'État et territoriaux dans le secteur privé. En ce sens, notre association a pris l'initiative d'immersion croisée entre les secteurs public et privé. Des obligations de stage, à la fois dans les univers professionnels et dans les grandes écoles des secteurs public et privé, pourraient être mises en oeuvre. L'existence de règles déontologiques distinctes selon la situation administrative des intéressés n'est ni juste ni efficace. En effet, être membre d'un cabinet ministériel, c'est aussi participer à la décision publique.

Le brassage entre les trois versants de la fonction publique, qui demeurent étanches pour des raisons juridiques, culturelles, voire de science administrative, doit être instauré. Pour ce faire, les pistes que je vais vous soumettre sont plus ou moins radicales.

Il faut d'abord faire sauter les verrous juridiques pour accéder aux postes de responsabilité. Jamais aucun fonctionnaire territorial n'a accédé à la direction de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ou de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) ! Ces deux directions ne perdraient guère en efficacité si elles accueillaient des fonctionnaires territoriaux ! Il y a quatre ans, nous avions adressé une proposition au Premier ministre suite aux résultats encourageants de la loi pour les nominations équilibrées, pour accroître la diversification professionnelle.

La gestion du cadre d'emploi des fonctionnaires territoriaux doit également être reconsidérée : outre la création de postes d'accueil dans d'autres administrations que celle d'origine, il faut assurer une réelle sécurisation des postes au retour. Si un préfet est détaché comme directeur général des services dans une collectivité locale, son retour est de droit et ne pose, par conséquent, aucun problème. En revanche, comme haut fonctionnaire territorial, faute d'une régulation nationale des postes, le poste de retour n'est nullement sécurisé ; la collectivité locale d'origine n'attend plus ce fonctionnaire qui est déchargé de fonctions au sein du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Une régulation nationale du cadre d'emploi des fonctionnaires territoriaux, compatible avec le principe de libre administration des collectivités locales, permettrait de sortir de cet écueil. Les fonctionnaires territoriaux seraient alors recrutés au niveau national et détachés auprès des collectivités locales. Enfin, comme le permet l'ordonnance du 13 avril 2017, la création d'un grand cadre d'emploi des administrateurs publics, regroupant les hauts fonctionnaires des trois fonctions publiques, serait compatible avec les écoles et les concours existants et pourrait conditionner le bon déroulement de la carrière au passage d'un autre versant que celui d'origine. Mes propos ne sont nullement catégoriels. Mais en tant que directeur général, j'ai remarqué qu'au sein d'une équipe de direction, la diversité des profils permettait de meilleures décisions. Notre haute fonction publique souffre de l'homogénéité de ses profils. Il s'agit là d'un enjeu d'intérêt général.

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