Monsieur le Premier président, monsieur le secrétaire général, monsieur le directeur des ressources humaines, merci de vous prêter à cette audition.
Cette commission d'enquête a été créée à l'initiative du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE). Nous avons déjà eu 35 ou 36 auditions. C'est beaucoup.
Nous nous intéressons à tous les grands corps - Conseil d'État, Inspection générale des finances, Cour des comptes.
Nous vous remercions d'avoir répondu à notre questionnaire. Nous allons tout d'abord entendre votre propos liminaire, avant de laisser la parole à notre rapporteur et aux membres de la commission d'enquête qui souhaiteront vous interroger.
Monsieur le Premier président, je dois vous demander de jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Didier Migaud prête serment.
Je vous remercie pour cette formalité. Vous avez la parole.
Je souhaite débuter cette audition par une présentation générale du corps des magistrats de la Cour des comptes, qui rentre dans la haute fonction publique, objet de votre commission d'enquête.
J'évoquerai ensuite quelques éléments relatifs à la mobilité des magistrats de la Cour des comptes et aux activités qu'ils exercent à l'extérieur des juridictions financières, en complément des données statistiques détaillées qui ont été communiquées il y a quelques jours à votre commission.
Je vous dirai également quelques mots du cadre déontologique dans lequel s'inscrivent ces activités, qu'elles soient ponctuelles et accessoires ou conduites au titre de la mobilité.
Enfin, je conclurai mon propos en vous rappelant les principales observations et recommandations tirées par la Cour des comptes de ses travaux sur la haute fonction publique, ses caractéristiques et son fonctionnement.
Tout d'abord, le corps des magistrats de la Cour des comptes comprend trois grades, auditeurs, conseillers référendaires et conseillers maîtres. La majorité des magistrats ont accédé à la Cour des comptes par la voie de l'auditorat à la sortie de l'ENA, dans une proportion de 59 %.
L'alimentation et la dynamique démographique du corps sont également assurées par d'autres types de recrutement, qui permettent l'accueil de hauts fonctionnaires d'horizons très diversifiés par les recrutements par la voie du tour extérieur et au titre de l'article L. 4139-2 du code de la défense pour les officiers, qui représentent tous deux 40 % du corps.
Sur la période concernée par les travaux de la commission d'enquête, de 2007 à 2017, les principales caractéristiques démographiques de la population des magistrats de la Cour des comptes affichent une légère diminution des effectifs du corps, qui passe de 403 à 395 magistrats, mais une augmentation du nombre de magistrats en fonction à la Cour des comptes et dans les juridictions financières, de 244 à 265 magistrats, soit une augmentation de 8 %, représentant les deux tiers des effectifs du corps.
L'effectif des magistrats en fonction hors des juridictions diminue, passant de 39 % à 33 % des effectifs totaux du corps, soit de 159 à 130 magistrats, et un effectif dans le secteur privé, qui représente seulement 8 % du corps.
Le pyramidage des grades qui composent le corps des magistrats de la Cour des comptes est inversé. Si le nombre d'auditeurs reste relativement stable au cours de la période, les effectifs de conseillers référendaires diminuent en revanche de 19 %, alors que ceux de conseillers maîtres augmentent de plus de 30 % - ce qui peut poser quelques problèmes.
La stabilité de l'âge moyen des magistrats du corps s'établit à 51 ans au 31 décembre 2017.
Deux facteurs importants me semblent devoir être pris en compte pour apprécier la nature des mobilités des magistrats de la Cour des comptes et leur évolution au cours des 10 dernières années. Le premier concerne l'évolution interministérielle intervenue depuis 2008, qui permet la validation réglementaire de la mobilité vers le secteur privé, les autorités administratives indépendantes (AAI) et les groupements d'intérêt public (GIP) au titre de la mobilité statutaire des corps recrutés par la voie de l'ENA.
Cet élément participe de l'explication du nombre de magistrats en fonction dans le secteur privé, public et au sein des AAI, au-delà des choix de carrière individuels des magistrats de la Cour des comptes.
Le second, c'est la nécessaire représentation de la Cour des comptes dans des instances - AAI, commissions et institutions diverses -, qui résulte de la stricte application de dispositions réglementaires ou législatives.
Les magistrats qui, à ce titre, exercent des activités accessoires dans ces instances sont donc désignés en application du droit en vigueur.
Sur la période considérée, il apparaît que les choix de mobilité des magistrats vers la sphère publique sont relativement constants. Entre 40 et 50 sont en activité dans les ministères, y compris les cabinets ministériels, et environ 30 à 40 personnes exercent des fonctions dans des entreprises ou organismes publics.
Selon les années, entre sept et seize magistrats exercent ou ont exercé en cabinet ministériel depuis 2007, soit en moyenne moins de 3 % des effectifs du corps.
Le nombre de magistrats affectés à temps complet au sein d'une AAI a atteint un maximum de cinq en 2013 et 2014. Il est redescendu à trois en 2017. Ils y occupent le plus souvent des fonctions de direction générale ou de secrétariat général.
Le nombre de magistrats exerçant une activité annexe au sein d'une AAI, comme président ou membre d'un collège, est également assez faible, variant de sept à douze entre 2007 et 2017, ce qui représente entre 2 % et 4,6 % des effectifs du corps.
Par ailleurs, vous constaterez une forte diminution du nombre de magistrats faisant le choix du secteur privé, de 49 en 2007 à 30 en 2017, soit une baisse de près de 40 %.
Ces magistrats, qui représentent selon les années entre 7 % et 12 % des effectifs du corps, occupent des fonctions dans des secteurs très variés, comme la banque et l'assurance pour certains d'entre eux, mais également l'aérospatial, le logement social ou universitaire, la coopération internationale, le monde associatif ou culturel pour d'autres. Quelques-uns ont même fait le choix de créer leur propre entreprise.
Au total, à la fin de l'année 2017, plus des deux tiers des magistrats de la Cour des comptes étaient en fonction dans les juridictions financières. Le tiers restant était majoritairement en service dans l'administration, où ils occupent des fonctions très variées, et souvent très opérationnelles, en administration déconcentrée, dans les opérateurs, en administration centrale et dans les collectivités territoriales. Ils servent notamment dans les domaines de l'éducation, de l'environnement, de la défense et de la sécurité intérieure, des finances, de la culture, de la santé et du social.
Ainsi, comme vous pouvez le constater, l'écrasante majorité des magistrats de la Cour des comptes servent l'État et, plus largement, l'intérêt général. Le corps des magistrats de la Cour des comptes est marqué par une tradition de fidélité au service public.
Pour autant, les mobilités des magistrats, qu'elles interviennent dans le secteur public comme dans le secteur privé, doivent être encadrées par des principes déontologiques stricts. La Cour des comptes s'est depuis longtemps organisée pour veiller à leur respect, au moment du départ comme du retour de ses collaborateurs dans le cadre de la juridiction.
La réflexion sur la déontologie et la prévention des conflits d'intérêts est aujourd'hui au coeur de l'action publique, car il ne s'agit ni plus ni moins que de garantir et d'assurer la crédibilité de cette action.
Si le sujet est ancien, il a pris depuis une dizaine d'années une acuité particulière et les attentes de nos concitoyens sont sans doute plus vives et plus marquées qu'avant en matière d'impartialité, d'objectivité et de probité des décideurs publics.
Au-delà des mesures répressives, et pour assurer la confiance dans l'action publique, il importe qu'une véritable politique de prévention des conflits d'intérêts puisse être déployée au sein des administrations publiques.
Cette exigence fondamentale s'exprime dans l'article 15 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui est en quelque sorte la devise de la Cour des comptes, dont la mission constitutionnelle est justement d'assurer la transparence de l'action et de la décision publique.
Une réflexion continue sur la déontologie des agents publics et en particulier sur la prévention des conflits d'intérêts est et sera toujours nécessaire. Ce qui est en jeu, c'est bien sûr la confiance des citoyens, une confiance qui repose de plus en plus, à mesure que grandissent les attentes, sur une impartialité, une objectivité et une probité sans défaut des personnes exerçant les plus hautes responsabilités publiques.
Pour répondre à ces attentes, quelques mesures significatives ont été prises au cours des dernières années. La loi « déontologie » d'avril 2016 a consacré des avancées significatives, dont un certain nombre a été inspiré par le rapport de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique du 26 janvier 2011, à laquelle j'ai participé. Je pourrais bien sûr revenir plus en détail sur ce point si vous le souhaitez.
Je voudrais surtout m'arrêter sur le dispositif mis en oeuvre au sein de la Cour des comptes pour encadrer les mobilités et prévenir le risque de conflits d'intérêts, auquel nous devons en permanence être attentifs.
L'exigence déontologique est très ancienne à la Cour des comptes. Elle s'est manifestée dès notre origine par l'obligation faite à chaque magistrat puis, progressivement, à d'autres catégories de personnels, de prêter un serment solennel qui constitue un engagement personnel essentiel. Ce serment fait appel à la responsabilité individuelle. Sa formule, qui oblige à garder le secret des délibérations et à se comporter avec dignité et loyauté, résume et contient la plupart des engagements déontologiques.
Pour prolonger ce serment, éclairer les choix auxquels peuvent être confrontés nos membres au moyen de bonnes pratiques et d'exemple de comportements souhaitables et, in fine, prévenir tout doute légitime sur l'indépendance et l'impartialité de nos travaux, une charte de déontologie a été adoptée dès 2006, soit dix ans avant la loi d'avril 2016, et un collège a été constitué pour en suivre l'application en rendant des avis.
Ce collège, commun à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, est aujourd'hui ouvert sur l'extérieur du corps des magistrats financiers, comme je l'avais souhaité, puisqu'il comprend deux personnalités qualifiées qui siègent aux côtés de trois représentants des juridictions financières. L'une de ces personnalités qualifiées est désignée alternativement par le Premier président de la Cour de cassation parmi les magistrats en fonction à la Cour de cassation ou honoraires et par le vice-président du Conseil d'État parmi les membres en fonction au Conseil d'État ou honoraires. L'autre est nommée par le Président de la République en dehors des magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, sur proposition du Premier président de la Cour des comptes.
Saisi une douzaine de fois par an, soit par des magistrats ou d'autres personnels de la Cour des comptes sur leur situation personnelle, soit par moi-même, sur des questions individuelles ou de principe, le collège de déontologie a eu l'occasion de se pencher sur des situations très diverses.
Ces situations concernent différents moments de la carrière ou de l'activité des fonctionnaires susceptibles de soulever les questions déontologiques. Au fil du temps, le collège a mis au point une jurisprudence étendue. Il a par exemple dégagé la notion « d'image et de réputation des juridictions financières » et a souligné qu'une obligation fondamentale des membres de ces juridictions était de ne pas se placer dans une situation qui serait de nature à porter atteinte à cette image et cette réputation, y compris lorsqu'ils sont en activité à l'extérieur.
Il a également mis en relief l'importance du serment que j'évoquais à l'instant et son caractère irrévocable et applicable pendant toute la carrière du magistrat.
Sur un plan plus pratique, les avis du collège ont permis par exemple de préciser la nature et l'étendue des obligations déontologiques des magistrats de la Cour des comptes lorsqu'ils se trouvent dans des fonctions extérieures, qui sont celles de la charte de déontologie et du serment, sans exception ni affaiblissement lié à l'éloignement du magistrat de son corps d'origine.
Bien sûr, il s'est prononcé sur les règles applicables en cas de départ vers le secteur privé, en insistant particulièrement sur les principes majeurs à suivre en de telles circonstances. Au premier rang de ces principes figure l'absence de conflits d'intérêts, qui s'apprécie selon les cas à l'aune des contrôles réalisés ou, pour les conseillers maîtres appelés à délibérer, des secteurs d'intervention de la chambre à laquelle il appartient, le respect du serment - et notamment l'obligation de dignité et de loyauté qui en découle - et celui des valeurs et principes exprimés dans la charte de déontologie, en particulier l'image et la réputation des juridictions financières que je viens d'évoquer.
Par ailleurs, depuis 2017 et en application de la loi d'avril 2016, la Cour des comptes et les juridictions financières ont mis en oeuvre un mécanisme de déclarations d'intérêt qui s'impose aux magistrats de la Cour des comptes, mais également aux rapporteurs extérieurs qui la rejoignent pour quelques années. Ces déclarations, qui sont complétées par un entretien déontologique avec le supérieur hiérarchique, constituent une opportunité d'interroger les pratiques et le comportement de chacun, en identifiant les situations potentielles de conflits d'intérêts à partir de deux questions simples mais essentielles, d'abord, celle de l'interférence potentielle entre une activité exercée à l'extérieur et la fonction occupée à la Cour des comptes, et ensuite, celle de l'intensité du conflit d'intérêts potentiel et donc du doute raisonnable qui pourrait exister sur sa capacité à exercer ses fonctions en toute objectivité.
En ayant moi-même conduit un certain nombre, j'ai pu constater à quel point la mise en place des déclarations et des entretiens déontologiques a permis une interrogation efficace sur les pratiques de chacun, et a nourri un dialogue très riche sur les risques de conflits d'intérêts et leur prévention.
Au-delà des mesures d'organisation qu'elle a prises pour elle-même, la Cour des comptes s'est également intéressée au fil de ses travaux au fonctionnement de la haute fonction publique, et elle en a tiré un certain nombre de constats et de recommandations que je souhaite partager avec vous.
Jusqu'à aujourd'hui, la Cour des comptes n'a pas travaillé sur le sujet spécifique de la haute fonction publique. Peut-être le fera-t-elle un jour. Pour autant, elle ne se désintéresse pas de la question, qui a été traitée dans plusieurs rapports au cours des dernières années, dont certains d'ailleurs ont été élaborés à la demande du Parlement. Ces travaux ont permis de dégager des principes certes tirés de cas particuliers mais dont l'application concerne en fait toute la fonction publique.
Les constats et recommandations que la Cour des comptes a tirés de ses travaux portent principalement sur la prévention des conflits d'intérêts, la gestion des carrières et les rémunérations, mais également sur certaines obligations des hauts-fonctionnaires lorsqu'ils quittent définitivement la fonction publique.
Ce dernier point fait directement référence à ce que l'on appelle communément la « pantoufle », c'est-à-dire l'indemnité due en cas de non-respect de l'obligation de servir l'État ou une collectivité publique pendant une certaine période en contrepartie de la rémunération perçue par les élèves fonctionnaires durant leur scolarité.
Je tiens tout d'abord à préciser que la Cour des comptes est extrêmement attentive au fait que les anciens élèves de l'ENA qui quittent définitivement la Cour des comptes après avoir servi moins de dix ans dans le secteur public s'acquittent de cette obligation. Ce cas de figure est très rare, mais nous y veillons.
En revanche, la Cour des comptes a pu constater par le passé que certaines écoles de fonctionnaires ou certains corps n'étaient pas organisés pour permettre un suivi attentif de la carrière de leurs anciens élèves et n'étaient donc pas en mesure de tirer les conséquences financières d'une rupture de l'engagement de servir.
Dans un certain nombre de cas, l'intervention de la Cour des comptes a conduit les gestionnaires à se doter enfin des outils de suivi nécessaires.
En matière de prévention des conflits d'intérêts, la Cour des comptes a pu mettre en évidence l'absence de comité de déontologie indépendant chargé de traiter les situations de potentiels conflits d'intérêts et a recommandé d'y remédier, y compris dans des organismes ou institutions susceptibles d'être particulièrement exposées à ce risque de conflits d'intérêts. Je pense ici à ce que nous avons pu écrire concernant par exemple l'Institut Pasteur.
Plus généralement, la Cour des comptes a rappelé la nécessité de ne pas développer une conception trop limitative de la notion de conflit d'intérêts, et de se conformer au principe très large de prohibition de tout risque en ce domaine posé par le législateur. Un des points positifs de la loi est d'ailleurs d'avoir défini le conflit d'intérêts dans la loi.
De la même manière, nous avons insisté sur l'importance de limiter à des cas très exceptionnels d'éventuelles dérogations aux règles qui instaurent l'interdiction de principe des risques de conflits d'intérêts. De telles recommandations ont notamment été formulées dans le domaine de la santé, notamment concernant la Haute autorité de santé, mais elles sont bien sûr applicables à toute la fonction publique. Encore presque autant que le risque lui-même, l'apparence du risque peut être cruciale, et il faut s'en prémunir bien évidemment.
Enfin, s'agissant toujours du respect des principes déontologiques, il nous est arrivé aussi de constater des améliorations et de les signaler. Cela a été le cas en particulier s'agissant de la gestion du corps des ingénieurs de l'armement. Un suivi réalisé en 2012 d'observations faites en 2003, qui mettaient en évidence une application insuffisante des règles déontologiques par les ingénieurs de l'armement partant dans le secteur privé voire un contournement de la commission de déontologie, a ainsi montré de nets progrès.
En matière de gestion des carrières, nous avons pu relever une prise en compte insuffisante de la dimension prospective et des politiques de gestion prévisionnelle des effectifs et des emplois inabouties, qui ne permettent pas toujours de construire des parcours de carrière fluide et génèrent une insatisfaction chronique des intéressés.
Ce constat, qui a été posé pour la gestion des cadres de certains ministères, comme les affaires étrangères, les ministères économiques et financiers, semble pouvoir s'étendre à la haute fonction publique. Il se retrouve également s'agissant des AAI, qui ne sont pas toujours à même d'offrir à leurs personnels une gestion de carrière aussi ouverte que souhaitable.
En ce qui concerne les rémunérations, au-delà des pratiques irrégulières qu'il nous arrive de constater, notamment en matière indemnitaire, la Cour des comptes a mis en évidence à plusieurs reprises des niveaux de rémunération élevés dont la justification semblait difficile à établir. Cela a été le cas notamment en 2017 s'agissant des rémunérations de l'encadrement supérieur des ministères économiques et financiers. Des observations de même nature ont été faites s'agissant d'établissements ou d'entreprises publics, comme en 2016 pour la rémunération des cadres dirigeants de la Caisse des dépôts et consignations ou encore, en 2014, sur la rémunération des cadres dirigeants du groupe La Poste.
Au-delà des questions d'équité que soulèvent les niveaux de rémunération constatés, la Cour des comptes a montré que ces pratiques pèsent sur le bon fonctionnement des administrations et institutions, perturbant la gestion de l'encadrement et constituant un frein à la mobilité entre administrations et organismes du secteur public.
S'agissant des AAI, la Cour des comptes a fait le constat de rémunérations attractives, peu encadrées, souvent comparables à celles des fonctions administratives les plus élevées. Dans ce contexte, elle a souligné le besoin de mieux encadrer les rémunérations, à l'image des dispositifs existants dans la fonction publique, en généralisant l'adoption de cadres de gestion formalisés en matière de rémunérations.
Elle préconise également d'accroître la transparence sur les montants versés, en donnant un fondement réglementaire à la rémunération des présidents et à l'indemnisation des membres, ou encore en procédant à la présentation régulière, pour les autorités dotées d'un collège, d'un suivi détaillé de l'évolution des niveaux de rémunération et de la masse salariale. Ces recommandations visent à une meilleure maîtrise des dépenses de masse salariale des AAI, mais également à garantir une meilleure cohérence des rémunérations de leurs dirigeants avec celles des dirigeants des établissements publics de l'État.
Pour conclure, et afin de démontrer que les travaux de la Cour des comptes peuvent avoir des répercussions utiles et concrètes, je souhaiterais vous signaler le rapport que nous avons réalisé sur la gestion extinctive de Dexia sur les indemnités que pouvaient toucher certains hauts fonctionnaires, alors même qu'ils retrouvaient un poste dans l'administration Nous avions à plusieurs reprises formulé ces propositions. Les conséquences en ont finalement été tirées, puisque la recommandation formulée par la Cour des comptes a été pleinement mise en oeuvre dans la loi « déontologie », qui interdit désormais aux fonctionnaires devenus cadres dirigeants d'entreprises publiques ou privées soutenues par des fonds publics de bénéficier du versement d'indemnités de départ lorsqu'ils réintègrent la fonction publique.
Cette disposition contribue en quelque sorte à moraliser les conditions de retour du privé vers le public, après des abus manifestes dénoncés notamment par la Cour des comptes dans le cas particulier de Dexia. Je sais que c'est un sujet auquel votre commission est particulièrement attentive.
Dans la limite de ses compétences, la Cour des comptes essaye de contribuer à l'enseignement du sujet qui est le vôtre en s'organisant elle-même pour répondre à l'exigence d'exemplarité qui s'impose à elle, peut-être encore plus qu'à d'autres dans ce domaine. Elle met en évidence les bonnes pratiques, mais aussi les dysfonctionnements que nous pouvons constater à l'occasion de nos travaux, et propose des solutions pour améliorer le fonctionnement de la haute fonction publique, en s'attachant à promouvoir plus de transparence et d'équité et en ayant toujours à l'esprit le souci de l'intérêt général.
Merci pour cette intervention fort complète. La parole est au rapporteur.
Merci de cette présentation de l'anatomie du système.
Vous avez évoqué Dexia : j'ai toujours beaucoup apprécié cet épisode de notre vie politique et bancaire, qui est un bel exemple des mutations que nous essayons d'étudier. J'ai été assez longtemps élu local. Je me rappelle des leçons de gestion que nous donnait le président de Dexia de l'époque, qui a fait une belle carrière et qui a finalement ruiné Dexia ! Cela a renforcé ma méfiance vis-à-vis des donneurs de leçons.
Nous nous sommes intéressés aux mutations de la haute fonction publique et à leur incidence sur le fonctionnement démocratique de nos institutions républicaines. Au-delà de ces évolutions, ce qui nous intéresse, c'est de déterminer si cela a ou non une incidence politique globale.
Nous cherchons donc à nous pencher sur l'extinction ou la transformation du classique pantouflage de fin de carrière en stratégie de carrière, et sur le rôle d'institutions comme le Conseil d'État ou comme la vôtre, les interférences étant de plus en plus nombreuses entre les doctrines, les jurisprudences et les choix politiques des acteurs politiques. À ce titre, la Cour des comptes nous intéresse particulièrement.
Selon une enquête intitulée Que sont nos énarques devenus, conduite par l'ENA elle-même, 45,3 % des auditeurs de la Cour des comptes - 51,1 si l'on y ajoute les conseillers de chambres régionales - ont rejoint une entreprise privée durant leur carrière. 20,3 % d'entre eux - 24,6 % si on y ajoute les conseillers des chambres régionales - y passent plus de la moitié de leur carrière.
Deuxième constat : dans cette étude, vous êtes en seconde position, au palmarès du pantouflage, derrière les inspecteurs des finances. Peut-être cela a-t-il évolué depuis.
Les anciens de la Cour des comptes ne sont pas non plus absents de la liste des patrons du CAC 40. Ainsi que vous nous l'avez rappelé dans les tableaux que vous nous avez fournis, 61 % sont en fonction à la Cour des comptes, 5 % d'entre eux exerçant une activité accessoire dans les AAI.
Pouvez-vous revenir sur ce que vous avez dit sur la gestion des conflits d'intérêts que pourraient générer ces allers-retours entre sphère publique et sphère privée ? Combien de cas ont-ils nécessité un examen plus approfondi ? Je suppose qu'il n'y a pas de problème apparent dans la majorité des cas. Est-ce une activité qui occupe le comité de déontologie ou est-ce accessoire ?
Existe-t-il ou non un phénomène d'accélération de ces allers-retours dont le « stock » au 31 décembre, pour l'année en cours, représente pas mal de situations différentes ?
Je n'ai pas lu l'ouvrage auquel vous faites allusion - mais je vais combler cette lacune très rapidement. Je ne sais d'où sortent ces chiffres.
50 %, cela paraît beaucoup. Ce qui fait le crédit de la Cour des comptes, c'est la contradiction et la collégialité. Cela peut présenter une certaine supériorité sur beaucoup d'autres études.
Non, la contradiction a lieu avec l'extérieur, monsieur le rapporteur.
Il n'y a pas aujourd'hui 50 % de magistrats dans le privé.
Cela me paraît beaucoup. Tout dépend ce qu'on appelle le privé. Certains ont des responsabilités dans le secteur associatif, considéré comme relevant du secteur privé, ou le logement social. Une magistrate y est partie dernièrement. Il ne s'agit pas tout à fait de la même chose que les banques, les assurances ou des entreprises du CAC 40.
Oui, mais nous en avons un nombre extrêmement limité.
Les 7 % à 8 % ne représentent pas la banque, les affaires et le CAC 40. Il y a aussi le secteur associatif.
Il serait intéressant que vous nous fournissiez le chiffre des magistrats qui sont passés, au cours de leur carrière, dans les organismes privés.
On peut bien sûr vous l'indiquer, mais il ne représente pas 50 %.
D'après le profil des magistrats que je côtoie, je n'ai pas le sentiment qu'une proportion de 50 % soit passée dans le privé. Ces chiffres méritent d'être contredits par rapport à la réalité. C'est facilement vérifiable. Notre direction des ressources humaines dispose d'éléments sur la situation de nos magistrats. Je ne suis pas sûr que l'ENA ait accès à ce type d'information.
Ils n'ont peut-être pris que les anciens énarques, ce qui ne représente qu'une partie des magistrats de la Cour des comptes.
Il faut s'efforcer d'objectiver les choses à chaque fois.
Vous êtes une commission d'enquête : vus avez la possibilité de demander.
Je ne puis vous indiquer que des éléments concernant les magistrats de la Cour des comptes.
Quant aux allers-retours, ils concernent essentiellement le public. Il peut y avoir des allers-retours entre la sphère publique et la sphère privée mais, aux yeux de la loi, ce n'est pas interdit. J'ai pu constater que le législateur encourage souvent les mobilités.
On peut même maintenant prendre en compte la mobilité dans les fonctions qu'on occupe dans le secteur privé. C'est une disposition législative récente.
Dans le dernier projet, même lorsque vous êtes dans le privé, vous pouvez poursuivre votre carrière.
Quand il s'agit d'une mobilité obligatoire.
Cela figure dans la proposition de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Elle n'est pas encore en application.
Cela concerne les gens en disponibilité. C'est normal si c'est obligatoire. Quelle est la pratique ? Vous êtes-vous déjà posé des questions ?
Nous avons, avec les personnes issues du public ou du privé revenant à la Cour des comptes, un entretien pour décider dans quelle chambre on les affecte sans risque potentiel de conflits d'intérêts.
Je peux dire que c'est rarissime. Depuis huit ans et demi, j'ai rencontré très peu de cas.
Il y a donc finalement une inflation de règlements pour peu de chose, si je comprends bien.
Pour ce qui me concerne, j'ai eu très peu de retours. Cela peut arriver, mais nous veillons à affecter la personne dans une chambre où le risque de conflits d'intérêts est quasi nul.
Pourquoi recruter autant de magistrats si environ un tiers fait autre chose que travailler à la Cour des comptes ? Comment l'institution peut-elle fonctionner avec une telle dispersion des effectifs ? S'agit-il de contractuel, avec des concours annexes spécifiques ? Vous ne devez pourtant pas manquer de travail.
Oui, le champ du contrôle des magistrats de la Cour des comptes représente environ 1 000 milliards. Comparés à ceux des institutions supérieures de contrôle au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie, pays comparables, nous sommes en sous-effectif, alors même que nous avons un champ de contrôle plus vaste. Je défends donc l'effectif qui est le nôtre.
On ne peut défendre des principes de mobilité et de respiration dans la fonction publique sans accepter que personne ne sorte du corps. Je trouve d'ailleurs que les carrières alternées sont très positives. Elles se font dans l'intérêt de la sphère publique dans son ensemble et dans l'intérêt de la Cour des comptes. Il est important que nous puissions avoir comme contrôleurs des magistrats ayant exercé des fonctions opérationnelles. L'expérience est extrêmement utile.
Je ne le conteste pas, mais les deux tiers de votre effectif est-il suffisant pour fonctionner ?
Ce n'est pas ainsi que cela se passe ! Nous accueillons des rapporteurs extérieurs A +, qui apportent leur concours à la Cour des comptes dans le cadre des mobilités entre les différents ministères. On compense ceux qui partent exercer des fonctions ailleurs par d'autres fonctionnaires.
Bien sûr. Ils ne sont pas magistrats en tant que tels, mais rapporteurs extérieurs et peuvent remplir toutes les missions d'un magistrat, sauf les fonctions juridictionnelles, mais notre effectif reste à peu près constant.
Notre plafond s'élève à 1 840 emplois - 1 843 si l'on intègre le Haut Conseil des finances publiques. Nous sommes en deçà de notre plafond d'emplois et essayons de maintenir notre force de travail, sans quoi nous ne serions plus capables de remplir nos missions ni de répondre aux demandes de contrôle que le Parlement lui-même peut formuler à l'endroit de la Cour des comptes.
En tant que gestionnaire du corps, j'essaye de maintenir un niveau d'effectif qui me permette d'exercer les missions qui sont les nôtres, tout en réalisant des arbitrages. Le champ de contrôle de la Cour des comptes est énorme.
Vous avez expliqué que la Cour des comptes était équipée de sa propre commission de déontologie.
Quel lien faites-vous avec la commission de déontologie de la fonction publique ? Le fait que la Cour des comptes comporte peu de fonctionnaires constitue-t-il un modèle que l'on peut adapter aux autres corps, comme les administrateurs civils, ou les ingénieurs de tout type ?
Vous avez la spécificité d'être le gestionnaire du corps et le lieu d'affectation principal, ce qui n'est pas le cas par exemple des ingénieurs des Mines-Télécom. Vaut-il mieux raisonner par corps ou par commission de déontologie - même si votre avis est celui du Premier président et pas forcément celui de l'institution ?
Les fonctions sont différentes. Je crois qu'il est important que nous ayons un collège de déontologie interne, certaines questions se posant pour ceux qui exercent au sein de la Cour des comptes. La commission nationale de déontologie est compétente pour les sorties, pour lesquelles il faut obtenir son accord. Ce sont des missions différentes.
Pour le chef de corps que je suis, il est indispensable de pouvoir de temps en temps saisir le collège à partir du moment où une situation nous apparaît devoir être traitée. Il s'agit, notamment pour les magistrats, de toutes les questions de droit d'expression, etc., qui sont des sujets éminemment sensibles, y compris parfois dans le cadre de mouvements associatifs qui reçoivent des fonds publics.
C'est tout l'intérêt de ce collège et des entretiens déontologique que nous avons chaque année avec les magistrats. C'est indispensable. Je conduis moi-même un certain nombre d'entretiens. C'est un exercice intéressant à la fois pour l'autorité et pour la personne elle-même. Cela fait apparaître de temps en temps certains points dont on ne faisait pas spontanément état auparavant.
L'Assemblée nationale m'avait consulté concernant la commission nationale de déontologie. J'avais formulé un certain nombre de propositions pour améliorer son fonctionnement et renforcer sa transparence. J'estimerais tout à fait légitime que tous ses avis soient rendus publics. Je pense qu'il faudrait trouver une meilleure articulation entre la commission de déontologie et la Haute Autorité de transparence pour la vie publique (HATVP). D'ailleurs, tout ce qui relève de la haute fonction publique devrait plutôt relever de la HATVP. La commission nationale de déontologie pourrait peut-être y être intégrée, car il existe des possibilités de conflits de jurisprudence entre les deux concernant des personnes dans des situations semblables. Cela mériterait d'être clarifié.
Il faut aussi renforcer les moyens de contrôle mis en oeuvre pour prévenir les conflits d'intérêts. Il faudrait par exemple pouvoir s'assurer que les réserves exprimées par la commission nationale de déontologie ont pu être mises en oeuvre, et que l'on puisse avoir un droit de suite, interroger la personne pour savoir si elle a bien respecté les réserves exprimées. Ce serait très utile. Ce sont deux missions totalement différentes, mais il est indispensable que les deux fonctionnent.
Vous avez en matière de prévention des conflits une démarche déclarative associée à un dialogue préalable destinée à émettre une alerte sur un éventuel conflit d'intérêts. Je trouve cela dynamique et positif.
Les limites existent, en particulier dans le domaine associatif, et il est bon d'avoir une approche de prévention. Vous avez évoqué une batterie de mesures à ce sujet qui ne peut qu'être appliquée à d'autres domaines.
Compte tenu du champ de contrôle qui est le nôtre, il est très important que le président de chambre qui va constituer les équipes de contrôle puisse avoir une vision exacte de ce qu'a pu faire son magistrat auparavant, afin d'éviter le conflit d'intérêts.
Il est également important que celui qui est susceptible de se retrouver en situation de conflits d'intérêts dise spontanément qu'il ne peut réaliser un contrôle. Toutefois, on ne peut se priver de personnes compétentes dans certains secteurs. Il faut donc sans cesse arbitrer, mais surtout éviter qu'une personne ne contrôle une administration dans laquelle elle a pu se trouver auparavant.
Vous avez évoqué le problème des rémunérations. C'est un sujet récurrent qu'on a pu qualifier de maquis au cours de nos auditions.
Ma question est simple : qui ordonne, qui décide, qui autorise ? Comment les choses se font-elles, sachant que, par ailleurs qu'il semble que les fonctionnaires ne s'imposent pas à eux-mêmes ce qu'ils décident pour les autres ? Qui gère aujourd'hui la fonction publique, si ce ne sont les fonctionnaires eux-mêmes ? Quelle est votre mission à ce sujet ?
Toute rémunération, tout régime indemnitaire, toute indemnité doit être prévu par un texte. Lorsque nous constatons des irrégularités, nous les signalons et elles peuvent être sanctionnées pénalement ou par la Cour de discipline budgétaire et financière. Ce travail est fait pas la Cour des comptes, par les chambres régionales des comptes, dans les collectivités territoriales, où il peut y avoir des indemnités sans texte.
Ce n'est pas nous qui fixons les règles : nous nous sommes là pour veiller à l'application de la loi et au respect des textes. Encore une fois, les rémunérations dans la fonction publique sont encadrées et doivent répondre à des textes. Quand il n'y en a pas, l'indemnité n'est ni réglementaire ni légale.
Le fonctionnaire n'a pas beaucoup de marges de manoeuvre pour négocier sa rémunération, qui s'inscrit toujours dans un cadre qui doit être respecté. La seule souplesse qu'il peut exister porte sur quelques bonus possibles ou sur la prime de rendement, qui peut connaître une certaine souplesse.
Apparemment, certains discutent leurs rémunérations avec le ministre, comme à la SNCF. Cela ne vous concerne pas ?
Certaines rémunérations sont supérieures à celle du PDG, qui n'est pas complètement négative. On est quelque peu étonné de l'apprendre !
Nous aussi, et on peut l'exprimer dans le cadre des contrôles.
Dans l'administration, cela ne peut exister. Dans des entreprises publiques ou des établissements publics, il peut toutefois y avoir une marge de négociation. Quand il existe des règles, elles s'imposent pour les chefs, qui n'ont pas le droit de dépasser 450 000 euros. Pour les numéros 2, les numéros 3 ou les numéros 4, ce plafonnement n'existe cependant pas. Il est possible de le dépasser. Il n'y a pas de loi ou de règlement en la matière : c'est contractuel.
On ne peut donc qu'observer et dire que cela nous paraît plutôt élevé par rapport à d'autres situations, mais il s'agit d'un un cadre contractuel. L'intérêt de nos contrôles vient de la transparence que cela peut impliquer à partir du moment où nous le publions.
Autant je peux comprendre que l'on s'émancipe des grilles de rémunération, augmentée de régimes indemnitaires parfois assez conséquents, lorsqu'on est dans la fonction publique, autant j'ai du mal à admettre qu'un haut fonctionnaire puisse gérer la SNCF ou des AAI, voire certaines juridictions, avec de telles rémunérations.
Comment peut-on admettre que, dans le secret du bureau du ministre du budget, des arrêtés fixent des salaires à plus de 200 000 euros ? Peut-être cela relève-t-il du contractuel. C'est ce qui s'est passé pour Business France. On peut ainsi citer moult exemples. Existe-t-il un encadrement, un contrôle, des règles ou est-ce laissé à l'arbitraire d'un ministre ? Y a-t-il une règle à ce niveau pour encadrer les rémunérations ?
Par ailleurs, est-il possible de connaître votre avis sur le travail de la commission de déontologie, sa qualité, ce qu'on peut apprécier chez elle ou déplorer ? Remplit-elle selon vous parfaitement ses obligations et ses missions ?
Si, sur ce second point, nous formulons un certain nombre de propositions, c'est peut-être parce que nous considérons qu'elle pourrait mieux fonctionner. Je n'en fais pas partie. Cela dit, les magistrats de la Cour des comptes y appartiennent et me font parfois remonter certaines choses, ce qui peut expliquer les propositions que nous formulons. Je pense que cette commission peut avoir un fonctionnement plus optimal.
En ce qui concerne la haute fonction publique, je pense qu'il conviendrait de mieux articuler les jurisprudences entre la commission nationale et la HATVP, sachant que la commission pourrait être fusionnée avec la HATVP.
Quant au cas que vous évoquez, il s'agit d'un établissement public. Il y a donc une possibilité de négocier avec l'autorité. Nous avons suggéré, puisque nous contrôlons ces établissements et que nous observons toujours les plus hautes rémunérations dans ce type d'organisme, qu'il puisse y avoir des comités de rémunération et une certaine jurisprudence afin de faire cesser des disparités incompréhensibles entre des fonctions qui peuvent être de même nature, même si certaines peuvent justifier une plus haute rémunération. Tout cela doit toujours pouvoir toujours se justifier.
Vous évoquez les rémunérations du public et des allers-retours possibles dans le privé : quand vous comparez les rémunérations, on peut voir des différences notables pour de mêmes fonctions. On le voit nous-mêmes dans le cadre des compétences qui peuvent être les nôtres : les « juniors », dans les cabinets d'audit ou d'expertise, commencent souvent à des rémunérations qui correspondant à celle de magistrats qui peuvent avoir une quinzaine ou une vingtaine d'années d'ancienneté. Il y a des différences énormes dans ce domaine.
Le choix du public ne se fait toutefois pas toujours suivant des critères de rémunérations : le sens de l'État et de l'intérêt général expliquent qu'on y reste. Certains sont attachés au service public et acceptent d'être moins rémunérés que dans le privé. Nous insistons beaucoup sur la nécessité qu'il existe des règles, des comités de rémunération et une certaine transparence.
Vous avez dit que les grilles doivent servir de base. Il semble cependant y avoir des dérapages dans un certain nombre de domaines. À la demande de qui intervenez-vous lorsque vous réalisez des contrôles : collectivités, Gouvernement ? Avez-vous la possibilité de vous autosaisir de tel ou tel dossier ?
Nous fonctionnons de façon totalement indépendante. L'indépendance implique la liberté de programmation.
C'est donc vous qui déterminez sur quels dossiers vous allez travailler ?
Oui. C'est le Premier président qui arrête le programme des juridictions financières, sur proposition des chambres régionales des comptes. Ceci a été débattu collégialement au préalable dans les chambres. Je réunis le comité du rapport public et des programmes ou la conférence des présidents, qui représente l'ensemble des présidents de chambres, et le procureur général de la Cour des comptes. J'arrête le programme à partir de là. Celui-ci prend en compte les demandes d'enquêtes que peut formuler le Parlement. Le Gouvernement nous adresse rarement des demandes, mais nos travaux lui sont utiles. Cela peut lui arriver. La liberté de programmation est essentielle et consubstantielle à l'indépendance. C'est d'ailleurs une des spécificités du modèle institutionnel français.
Oui, s'il me demande de réaliser une enquête en trois mois. Si un Gouvernement veut saisir la Cour des comptes, c'est avec l'idée que celle-ci respecte ses procédures. Les procédures de la Cour des comptes impliquent la contradiction et la collégialité. C'est beaucoup plus long qu'un rapport commandé à une inspection générale. Les inspections générales ne contredisent pas toujours, et la collégialité peut avoir ses limites.
Lorsque le Gouvernement formule une demande, nous souhaitons à chaque fois que nos travaux soient rendus publics. Le Parlement le sait, nous sommes assujettis à des délais. Ils sont enfermés dans le cadre de la loi organique, entre huit mois et neuf mois pour les demandes d'enquête des commissions des finances ou des affaires sociales. Les évaluations pour le Comité d'évaluation et de contrôle nécessitent un délai d'un an. Cela nécessite de pouvoir consulter les parties prenantes.
Notre liberté de programmation est protégée par la Constitution et le Conseil constitutionnel. Remettre en cause la liberté de programmation de la Cour des comptes remettrait en cause un modèle que nous défendons dans le monde entier. Ce serait lourd de conséquences.
De temps en temps, nous sommes destinataires de signalements. En fonction de leur caractère sérieux ou non, nous pouvons décider d'ouvrir un contrôle, mais cela relève de notre propre initiative.
Des travaux obligatoires sont bien sûr prévus dans une proportion importante par la LOLF, la LOLFSS ou la loi elle-même. Cela nous conduit à remettre beaucoup de rapports sur la table du Parlement et à la disposition du Gouvernement.
Je voudrais en venir à une autre question : la Cour des comptes définit-elle la politique budgétaire et, au moins pour partie, la politique économique et sociale de la Nation ? Autrement dit, jouez-vous un rôle politique ?
J'ai été stupéfait par la lecture de cette question !
Oui, surtout venant d'un parlementaire. Qui définit la politique d'un pays ? C'est bien le Parlement. C'est le Parlement qui vote la loi !
Le Parlement vote la loi, mais l'apparition en majesté du président de la Cour des comptes, chaque année, ne constitue-t-il pas une façon d'intervenir dans le débat ? Je connais votre réponse, vous nous la servez régulièrement : vous ne faites que contrôler la cohérence de ce qui figure dans les documents et les accords internationaux, etc. C'est imparable !
Toutefois, vous allez bien plus loin. Interrogé par France Inter la semaine dernière, vous avez dit que si les choses allaient mieux, c'était grâce à la reprise de la croissance et non grâce aux efforts de structure. Si l'on avait une politique de relance, une politique qui augmente les recettes au lieu de diminuer les dépenses, vous seriez contre !
Non, monsieur le sénateur. La réponse que vous faites est en effet celle que je donne, mais c'est vous qui décidez de l'effort structurel. Vous votez une loi de programmation et un programme de stabilité que la France envoie à ses partenaires européens, et vous disposez en outre d'un traité européen.
C'est à vous de vérifier cela ? Dans un ballet bien réglé, vous dites au Gouvernement qu'il faut continuer. Il fait alors semblant de ne pas être content, mais il est au contraire très satisfait. Vous jouez un rôle politique, c'est évident !
Non, je ne suis pas d'accord. Il est important de clarifier les choses. J'ai été parlementaire.
Vous êtes le père de la LOLF, qui appliquait la même politique. Vous avez de la continuité dans les idées !
La politique est définie par une majorité. Nous ne pouvons pas réagir au programme de telle ou telle formation politique. C'est le Parlement élu au suffrage universel qui est légitime. C'est lui qui définit la loi.
C'est par rapport à cela que nous raisonnons - j'y veille et je suis attentif que la Cour des comptes ne sorte pas du rôle qui est le sien. Nous ne sommes pas dans un Gouvernement des juges. Cela ne peut fonctionner ainsi dans une démocratie. Nous raisonnons toujours par rapport à des textes de loi votés par le Parlement, sur proposition du Gouvernement le plus souvent, comme la loi de finances. Des engagements sont pris.
Lorsque nous disons que l'effort structurel correspond à zéro, nous devons établir ce constat. La loi de programmation prévoit que l'effort structurel soit plus important et que les traités européens, dans un certain nombre de situations, se situent à telle ou telle hauteur. Si nous ne le disions pas, nous ne ferions pas notre travail.
Vous en faites ce que vous voulez - et nous n'avons d'ailleurs pas de pouvoir de sanction. Lorsque le Haut conseil des finances publiques exprime un avis...
Pas du tout, c'est un avis. Si je suis dans la situation d'un décideur, je préfère être éclairé. J'en tiens compte ou non, mais il est important de pouvoir s'appuyer sur des avis, notamment exprimés par des personnalités ou par une institution totalement indépendante de l'ensemble des pouvoirs. S'il le souhaite, le Parlement peut s'asseoir sur l'avis que formule le Haut Conseil des finances publiques. Il est toutefois transparent et peut mériter d'être pris en considération.
C'est un autre sujet.
Celui qui décide en dernier ressort, c'est toujours le législateur, le représentant élu du suffrage universel. Lorsque les chambres régionales des comptes font un certain nombre d'observations, le décideur ultime, c'est le maire ou le conseil municipal.
Bien évidemment, le sujet est différent lorsqu'il s'agit d'irrégularités. Soit c'est traité dans le cadre d'une sanction administrative ou disciplinaire, soit cela relève du pénal, mais ce sont des recommandations, et le décideur est toujours issu du suffrage universel.
Devant malheureusement vous quitter, je cède la parole à André Vallini, qui assurera également la présidence.
Ma question n'est pas en lien direct avec la commission d'enquête : que pensez-vous de la proposition en cours, dans le cadre de la réforme des institutions, sur l'idée de créer une instance d'évaluation au service du Parlement ? Vous avez été rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale. Vous êtes président de la Cour des comptes : les parlementaires ont-ils besoin ou non d'un organisme qui leur soit directement attaché, notamment pour évaluer les finances publiques ?
Cela dépasse la condition qui est la mienne en tant que Premier président.
J'ai eu l'occasion de m'exprimer devant une commission de l'Assemblée nationale à ce sujet. Je pense que les parlementaires pourraient se renforcer dans plusieurs domaines, notamment dans leur capacité à expertiser les estimations de Bercy, au moment de la loi de finances ou du dépôt d'amendements, afin qu'il puisse y avoir une capacité d'évaluation propre au niveau de l'Assemblée nationale et du Sénat, où les préoccupations peuvent être différentes. Cela peut tout à fait se justifier.
Dans ma vie antérieure, lorsque je présidais la commission des finances de l'Assemblée nationale, j'avais essayé de le mettre en place, mais je n'y étais pas parvenu.
Je pense que vous manquez vraisemblablement de soutiens dans votre capacité à apprécier les études d'impact qui accompagnent les projets de loi. Un renforcement de vos capacités pourrait effectivement être utile. Le sujet principal porte sur la volonté du Parlement d'assurer ses fonctions de contrôle. C'est surtout une question d'organisation du temps du travail des parlementaires.
Le Sénat a décidé de louer les services d'experts en la matière. On est conscient du déficit de moyens, notamment en matière d'investigations. Le Haut Conseil des finances publiques joue ce rôle et c'est très bien. Le Bureau du Sénat a décidé de louer les services d'un modèle économétrique d'experts extérieurs pour évaluer a priori ce que Bercy nous propose, afin de mieux exercer le pouvoir parlementaire.
La réforme institutionnelle comporte par ailleurs des propositions destinée à allonger le temps d'examen des textes financiers qui nous sont envoyés.
Cela suppose l'accès aux données, qui constituent aussi un sujet essentiel. Ensuite, c'est un problème d'organisation du temps. On sait que la fonction législative est extrêmement lourde.
On a des modèles différents selon les pays et les institutions supérieures de contrôle. Nous remettons plus de rapports au Parlement que ne peut en remettre le National Audit Office (NAO) à la Chambre des communes. En revanche, la grosse différence tient dans les débats et les auditions organisés à partir des rapports... Ce sont des auditions un peu plus « sportives » que les auditions qui peuvent exister en France.
Le principe est basé sur le modèle question-réponse, avec un droit de suite du parlementaire s'il n'est pas satisfait de la réponse. Très souvent, en France, les auditions comportent une multitude de questions, et l'on finit par répondre à celles auxquelles on veut bien.
J'apprécie beaucoup les rapports que vous fournissez chaque année au Président de République. Qu'en découle-t-il ? Qu'est-ce qui est pris en compte ?
Il est certain que, depuis quelques années, les rapports que vous produisez ne sont pas agréables à entendre. Quand on est malade, on n'aime pas forcément lire le thermomètre ! Cela étant, les problèmes sont là et je pense que ces rapports nous éclairent utilement.
Il est vrai que nous avons des décisions politiques à arrêter en fonction d'autres contingences, mais vos rapports sont très utiles. Le débat m'a un peu mis mal à l'aise... Ce n'est pas vous qui avez un rôle politique : vous éclairez nos décisions. On en fait ce qu'on en veut.
Ma question va dans le même sens que mes deux prédécesseurs. Vous nous faites un rapport chaque année, ainsi que des commentaires par rapport à la situation. Aujourd'hui, chacun sait que la France est dans une situation financière assez catastrophique. Comment expliquez-vous que nous soyons dans cette situation ? Notre pays a connu un état comparable à d'autres pays européens, même l'Allemagne. C'est aujourd'hui manifestement tout à fait différent. Avez-vous une explication ?
Mis à part le contrôle de l'exécution de votre budget par le Parlement, qui vous contrôle ? Comment utilisez-vous les moyens qui sont les vôtres ? Existe-t-il une super Cour des comptes ?
Je ne veux pas entrer dans un commentaire sur la situation de nos finances publiques. Je n'utiliserais pas forcément le terme de « catastrophique », mais il s'agit effectivement d'une situation financière fragile et tendue.
Je vous renvoie à nos rapports. À partir des objectifs que vous fixez, nous estimons qu'il existe des marges d'efficacité et d'efficience. Pour avoir une bonne action publique, il ne suffit pas toujours d'augmenter les moyens : il faut se poser les questions de l'efficacité et de l'efficience des moyens existants, afin de voir s'il n'existe pas des marges.
Nous en disposons pour beaucoup de politiques publiques, sans que cela remette en cause la qualité du service public. C'est peut-être ainsi qu'on défend le mieux le service public. C'est notre obsession de ce point de vue.
On ne porte pas d'appréciation sur le niveau de la dépense publique, mais on estime qu'on n'a pas une action publique efficace et efficiente proportionnelle, notamment lorsqu'on établit des comparaisons internationales. On est souvent sur le podium lorsqu'il s'agit de dépenser, rarement en termes de qualité des résultats. Il est intéressant d'essayer de comprendre pourquoi. Il peut y avoir des raisons objectives ou des effets d'aubaine. Nous souhaitons vous être utiles.
Quant aux suites apportées à nos recommandations, elles sont plutôt positives, de l'ordre de 70 % à 73 %, soit complètement, soit partiellement. Il nous faut affiner nos indicateurs pour distinguer ce qui relève de la gestion et des politiques publiques.
On peut parfois avoir le sentiment que la Cour des comptes n'est pas entendue, notamment quand on rappelle un certain nombre d'objectifs d'équilibre des finances publiques ou des finances sociales. Il faut reconnaître que c'est un peu plus long pour obtenir satisfaction mais, dans l'ensemble, on constate que les comportements peuvent changent au niveau d'une administration. Je pense donc que c'est utile.
Par ailleurs, qui nous contrôle ? Le Parlement !
Il n'y a pas d'équivalent de ce que vous faites pour la Poste, par exemple ?
Nous sommes en relations étroites avec les membres des commissions des finances que vous désignez pour suivre notre budget. Nous avons des rencontres régulières. Nous rendons des comptes devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. Nous rendons aussi des comptes devant la commission des lois du Sénat, qui est saisie pour avis.
Le rapporteur pour avis de la commission des lois va dans telle ou telle chambre régionale pour voir comment les choses se passent, étudier nos budgets, nous poser des questions. Nous rendons bien évidemment des comptes et essayons de nous appliquer les recommandations que nous formulons pour les autres.
Nous avons aussi des contrôles internes. Certains magistrats, au moment de la simplification des comptes ou du contrôle de l'exécution du budget, me demandent, en toute indépendance, de justifier de notre propre gestion.
Cela se passe à l'intérieur même de la Cour des comptes.
Nous faisons également appel à un cabinet d'experts-comptables pour expertiser nos comptes et leur régularité, afin de bénéficier d'un regard extérieur. Nous faisons en outre régulièrement appel à des revues des pairs, c'est-à-dire des institutions supérieures de contrôle étrangères qui contrôlent notre organisation et notre fonctionnement. Cela a été le cas à deux reprises avec le Tribunal de Contas du Portugal, dont le fonctionnement est quelque peu identique au nôtre, et qui peut nous faire des observations pertinentes.
Nous avons demandé aux Finlandais d'expertiser toutes nos procédures en matière de certification des comptes de l'État et de la sécurité sociale. Ils nous ont remis un audit il y a quelques années. Une suite est toujours apportée à ces revues des pairs.
Enfin, nous faisons régulièrement auditer nos systèmes d'information et notre système informatique par la Cour des comptes suisse, qui a une vraie expertise, reconnue internationalement, dans ces matières. Ces rapports sont rendus publics. Nous sommes tout à fait transparents. Nous nous soumettons donc aussi au regard extérieur et, en premier lieu, au vôtre.
S'agissant des rémunérations, il faut être attentif que la fonction publique puisse être attractive, notamment au niveau de certaines fonctions, en particulier informatiques, l'État ayant quelques difficultés à disposer de bons informaticiens. Il ne faut pas que l'État hésite à les rémunérer correctement.
Parfois, nous poussons à l'investissement. En matière informatique, dans le dernier rapport que nous avons produit au sujet de la DGFiP, nous avons insisté sur le fait que le fait d'avoir sacrifié l'investissement en matière de systèmes d'information ces dernières années avait entraîné quelques insuffisances. Ce ne sont pas obligatoirement de bonnes économies. Nous ne sommes donc pas du tout dogmatique, monsieur le sénateur.
Dans ce cas, nous allons essayer de nous améliorer.
Merci, monsieur le Premier président.
La réunion est close à 17 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. André Vallini, vice-président -
Mes chers collègues, nous entendons maintenant M. Fabien Tastet, Président de l'association des administrateurs territoriaux de France.
Monsieur le Président, notre commission d'enquête porte essentiellement sur la fonction publique d'État. Mais nous sommes tous conscients que les problèmes se posent également pour la haute fonction publique territoriale.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Fabien Tastet prête serment.
La segmentation entre les trois fonctions publiques obère l'efficacité de notre administration. L'association, que je préside, regroupe les trois-quarts des hauts fonctionnaires territoriaux. Je suis, par ailleurs, directeur général des services de Grand Paris Sud Est Avenir, à l'issue d'une carrière comme directeur de service dans différentes collectivités territoriales. Je siège également dans le collège des collectivités territoriales de la commission de déontologie.
Notre association est à la fois un réseau professionnel et un acteur du débat public ; une vingtaine de ses propositions, émises lors de la dernière campagne présidentielle, font actuellement l'objet d'une réflexion de l'exécutif.
La future réforme de la fonction publique, portée par Olivier Dussopt, peut apporter des réponses opérationnelles aux différents disfonctionnements de notre administration. D'une part, il faut poursuivre l'établissement de la parité en élargissant le champ de la loi pour les nominations équilibrées pour les collectivités locales en-deçà de 80 000 habitants et au-delà des postes de direction générale. D'autre part, il faut améliorer la diversité sociale du recrutement de la fonction publique et promouvoir des préparations intégrées. L'attractivité des concours de la fonction publique doit également être renforcée, afin de remédier à la baisse des candidatures aux concours des fonctions publiques territoriale et hospitalière. Enfin, il faut améliorer le dialogue public-privé sur cette haute fonction publique. Dans sa sagesse, le Sénat a supprimé les dispositions gouvernementales déposées par amendement qui déverrouillait sans limite l'accès aux postes de direction de la haute fonction publique aux cadres du privé. Si ceux-ci ont toute leur place dans la haute fonction publique, leur recrutement doit demeurer dérogatoire et le recrutement de contractuels dans la fonction publique doit être encadré, en respectant notamment un plafond selon les fonctions. Le respect des règles déontologiques doit également être assuré, à l'instar de ce qui prévaut déjà pour les cadres de la fonction publique travaillant dans le secteur privé. Enfin, les aptitudes de la personne qui rejoint la fonction publique doivent être vérifiées. Or, il n'existe pas de comité de sélection des aptitudes dans la fonction publique territoriale à un emploi de direction générale !
À l'inverse, il faut améliorer les conditions du passage des hauts fonctionnaires d'État et territoriaux dans le secteur privé. En ce sens, notre association a pris l'initiative d'immersion croisée entre les secteurs public et privé. Des obligations de stage, à la fois dans les univers professionnels et dans les grandes écoles des secteurs public et privé, pourraient être mises en oeuvre. L'existence de règles déontologiques distinctes selon la situation administrative des intéressés n'est ni juste ni efficace. En effet, être membre d'un cabinet ministériel, c'est aussi participer à la décision publique.
Le brassage entre les trois versants de la fonction publique, qui demeurent étanches pour des raisons juridiques, culturelles, voire de science administrative, doit être instauré. Pour ce faire, les pistes que je vais vous soumettre sont plus ou moins radicales.
Il faut d'abord faire sauter les verrous juridiques pour accéder aux postes de responsabilité. Jamais aucun fonctionnaire territorial n'a accédé à la direction de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ou de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) ! Ces deux directions ne perdraient guère en efficacité si elles accueillaient des fonctionnaires territoriaux ! Il y a quatre ans, nous avions adressé une proposition au Premier ministre suite aux résultats encourageants de la loi pour les nominations équilibrées, pour accroître la diversification professionnelle.
La gestion du cadre d'emploi des fonctionnaires territoriaux doit également être reconsidérée : outre la création de postes d'accueil dans d'autres administrations que celle d'origine, il faut assurer une réelle sécurisation des postes au retour. Si un préfet est détaché comme directeur général des services dans une collectivité locale, son retour est de droit et ne pose, par conséquent, aucun problème. En revanche, comme haut fonctionnaire territorial, faute d'une régulation nationale des postes, le poste de retour n'est nullement sécurisé ; la collectivité locale d'origine n'attend plus ce fonctionnaire qui est déchargé de fonctions au sein du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Une régulation nationale du cadre d'emploi des fonctionnaires territoriaux, compatible avec le principe de libre administration des collectivités locales, permettrait de sortir de cet écueil. Les fonctionnaires territoriaux seraient alors recrutés au niveau national et détachés auprès des collectivités locales. Enfin, comme le permet l'ordonnance du 13 avril 2017, la création d'un grand cadre d'emploi des administrateurs publics, regroupant les hauts fonctionnaires des trois fonctions publiques, serait compatible avec les écoles et les concours existants et pourrait conditionner le bon déroulement de la carrière au passage d'un autre versant que celui d'origine. Mes propos ne sont nullement catégoriels. Mais en tant que directeur général, j'ai remarqué qu'au sein d'une équipe de direction, la diversité des profils permettait de meilleures décisions. Notre haute fonction publique souffre de l'homogénéité de ses profils. Il s'agit là d'un enjeu d'intérêt général.
Ces problèmes sont liés aux différentes transitions, comme celle lors d'un détachement en dehors des collectivités locales dans la vingtaine d'univers professionnels qui sont susceptibles d'accueillir les administrateurs territoriaux. Les retours ne sont pas sécurisés, faute d'un mécanisme de régulation national. Si la collectivité n'a rien à proposer à un fonctionnaire en retour de détachement, celui-ci est déchargé de ses fonctions par le CNFPT ! La fragilité de cette transition n'incite pas à la mobilité.
Ce problème n'est-il pas structurel, puisque les recrutements se font sur une base locale ?
Nous défendons l'idée de la compatibilité du choix des élus avec l'existence d'une régulation nationale. Il n'existe pas de centre de gestion des fonctionnaires de catégorie A+ de la fonction publique territoriale.
Le recrutement diffère de celui de la fonction publique d'État où les compétences sont primordiales. Qu'entendez-vous par la régulation des postes ?
Le CNFPT est le formateur et non le régulateur de la fonction publique territoriale. À la sortie de l'INET, vous pourriez être recruté par un centre national, sur le modèle des directeurs d'hôpitaux, qui vous recrute et vous titularise. Ensuite, le choix des élus doit être maintenu, en fonction de la libre administration. Le fonctionnaire pourrait alors être détaché dans la collectivité, et non plus recruté par elle.
Ce ne serait plus une administration territoriale, mais nationale avec des mises à disposition ! Les principes en seraient alors radicalement changés !
La situation n'est pas satisfaisante en l'état. La mise en oeuvre de notre proposition assurerait un équilibre entre le principe de libre administration, qui recruterait systématiquement par détachement, et la continuité de la carrière des administrateurs territoriaux. En outre, lorsqu'un élu et un directeur général des services décident de se séparer, la situation est difficile à la fois pour la collectivité, qui doit garder en surnombre le directeur dont elle ne veut plus, avant de le verser au CNFPT et de payer deux fois et demi son salaire pendant deux ans, et pour le fonctionnaire territorial soumis à toutes ces vicissitudes ! Il est donc plus aisé de recruter un préfet comme directeur des services, dont le détachement peut être arrêté en quelques jours !
Vous avez parlé de titulaire. Qui rémunère le poste dans cette configuration ? Est-ce à dire que les fonctionnaires territoriaux sans poste seraient pris en charge ad vitam aeternam ?
Cette proposition, proche de ce qui prévaut pour les directeurs d'hôpitaux, conduit à remettre en cause le financement actuel des centres de gestion.
Que le système soit bancal, je suis d'accord avec vous. Mais ce n'est tout de même pas aux collectivités d'assumer ce coût !
Elles paient déjà aujourd'hui deux fois et demi le déchargé de fonctions !
Le système sera plus fluide, donc plus efficace ! La situation des collègues, dont le traitement est pris en charge pour moitié par le CNFPT pendant un an avant d'être dégressif, est plus qu'inconfortable !
Dire que les collectivités doivent payer n'est guère un argument recevable !
Les collectivités ne paieront pas plus qu'aujourd'hui, mais ce système assurera plus de fluidité. Expertisons ce que le système alternatif peut vous apporter ! Celui-ci ne devrait pas coûter beaucoup plus cher que l'actuel, notamment en termes de cotisations prélevées par le CNFPT et les centres de gestion.
Je ne vais pas défendre le CNFPT. Entre les hautes fonctions d'État, qui relèvent du régalien et de l'élaboration de la loi, et celles d'administrateur territorial, davantage en prise avec la gestion quotidienne, les différences ne sont-elles pas réelles au point de rendre caduque l'idée d'un grand cadre ? La haute fonction publique interfère nécessairement avec le politique pour construire les politiques publiques. Néanmoins, je vous accorde également que la DGCL gagnerait à inclure dans ses rangs des fonctionnaires territoriaux.
Le décalage entre l'action de terrain et la création de la norme serait réduit, s'il y avait plus de brassage entre la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale dans les administrations centrales.
Sur le Grand Paris, lors de la préparation de la nomination des conseillers métropolitains, entre juillet et décembre 2015, trois instructions de la DGCL sur l'interprétation de la Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite Loi NOTRe, ont été transmises aux maires ! Si des hauts fonctionnaires territoriaux, rompus au travail de terrain sous l'égide des élus locaux, avaient participé à la rédaction de cette information, la situation eût été toute autre ! On ne peut éluder les questions administratives et de ressources humaines derrière les disparités entre Paris et la Province qu'avive ce cloisonnement entre les différentes fonctions publiques. En outre, les directeurs de services déconcentrés sont souvent au fait des difficultés du dialogue avec leur administration centrale. Comme l'indique cet exemple caricatural de la DGCL, cette question du brassage est au coeur même des difficultés que connait notre pays ! Enfin, je ne dresse aucune hiérarchie entre les différentes fonctions publiques.
Je n'ai pas non plus dit que certains fonctionnaires étaient meilleurs que d'autres !
Faute de l'absence de mélange entre les hauts fonctionnaires issus des trois fonctions publiques, leurs qualités ne se fertilisent pas ! Je pense que les hauts fonctionnaires territoriaux ont des aptitudes de management supérieures et ont un temps d'avance sur les méthodes managériales. En revanche, les fonctionnaires d'État sont plus à l'aise avec les normes. Il serait donc salutaire que ces qualités se mélangent.
Je partage votre constat d'un nombre trop conséquent de barrières entre les fonctions publiques et que les hauts niveaux de qualification représentent autant de capacités d'adaptation. Mieux vaut une tête bien faite qu'une formation technique ! Dans certaines auditions, la fusion de l'INET et de l'ENA a été évoquée. Cette perspective vous paraît-elle opportune et susceptible de brasser les compétences des uns en légistique et des autres en management ? Par ailleurs, que pensez-vous du principe d'une école commune, inspirée de l'École de guerre, où seraient formés les fonctionnaires des trois administrations au terme de plusieurs années sur le terrain et à l'issue de laquelle l'accès aux grands corps serait proposé ? Certains diplômés de l'INET sont confrontés, très jeunes, à des cadres territoriaux plus expérimentés dans des postes de direction. L'État ne dispose pas de direction des ressources humaines susceptibles d'offrir des opportunités de carrière. Le grand cadre, dont vous appelez de vos voeux la création, permettrait-elle de remédier à cette difficulté, voire de dissuader le passage de certains dans le secteur privé ?
Enfin, dans les grandes collectivités où d'importants marchés publics sont passés avec les opérateurs privés, le passage de hauts fonctionnaires territoriaux dans le secteur privé ne risque-t-il pas de susciter de conflits d'intérêt ?
Suite au durcissement des règles de déontologie intervenu en 2016, il est impossible de rejoindre une société avec laquelle votre collectivité a été en relation pendant les trois années qui précèdent le transfert. Les choses sont donc strictement cadrées pour la haute fonction publique, tant territoriale que d'État ; exception faite toutefois pour les recrutements concernant les membres des cabinets ministériels.
Sur le concours, il faut que le système permette à des jeunes d'accéder à des postes de responsabilité, sans pour autant entrer dans une logique de rente. Les postes de la fonction publique territoriale sont loin d'être une rente ! Il faut permettre de sanctionner positivement les parcours méritocratiques, via les concours internes. C'est pourquoi, la préparation au troisième concours doit être aménagée pour les meilleurs et les plus aguerris, qui pourraient disposer de plus de temps pour le réussir.
Le système peut très bien fonctionner avec les écoles actuelles. Ce n'est pas là un sujet ! Ces écoles peuvent néanmoins se spécialiser et se regrouper, être vouées à la formation initiale ou continue. Les hauts fonctionnaires doivent être formés tout au long de leur vie et plusieurs schémas peuvent répondre à cet objectif de brassage.
L'accès aux grands corps est différent, puisque l'enjeu de résorber les phénomènes de rente y est encore plus important. Nous avions suggéré que celui-ci sanctionne une réelle compétence au terme d'une dizaine d'années d'expérience sur le terrain, et non de bons résultats durant la scolarité à l'École nationale d'administration.
L'hypothèse d'un centre de gestion unique avait vocation à réguler la carrière, mais non à devenir un outil de formation ou de gestion. Le prochain projet de loi conduit à repenser le système actuel et à répondre à aux questions du recrutement, de la formation et de la gestion des carrières. Ainsi, le CNFPT est un opérateur de formation et non un gestionnaire de carrière, comme en témoigne la gestion des décharges de carrière.
N'avons-nous pas trop de hauts fonctionnaires, alors que le nombre de postes de direction dans les collectivités et dans l'État régresse ?
J'ai été lauréat de l'INET avant de devenir député. À mon époque, un rapprochement des formations avec l'ENA était à l'ordre du jour. Où en est-on aujourd'hui ? Il était question également de fusionner les écoles de formation de la très haute fonction publique. En outre, les administrateurs civils pouvaient facilement passer dans la fonction publique territoriale, tandis que l'inverse impliquait un décret en conseil des ministres. Cette asymétrie perdure-t-elle ?
La tendance au gigantisme des intercommunalités, accrue par la loi NOTRe, pose un problème de démocratie interne. Le pouvoir semble être détenu par le président, sa garde rapprochée et les hauts fonctionnaires de son entourage. Ma réflexion rejoint celle des élus de base. La collectivité du Grand Paris est sans doute illustrative de cette tendance !
C'est pourquoi un seul cadre de hauts fonctionnaires permettrait de mieux cadrer les recrutements. Notre système fabrique chaque année au moins 250 hauts fonctionnaires des trois fonctions publiques. C'est trop, mais il n'existe pas, pour l'heure, de coordination nationale. S'agissant de l'INET, je me suis battu en faveur de l'abaissement du nombre des lauréats, du fait de l'évolution de la situation des collectivités territoriales et du déversement croissant des fonctionnaires de l'État dans les collectivités territoriales. Si l'on baisse les recrutements de l'INET tout en maintenant à leur niveau actuel ceux de l'ENA, cette démarche n'a pas de sens ! Les recrutements devraient être conduits en fonction du marché de l'emploi territorial et reposer sur le recensement des besoins des élus locaux, conformément au principe de libre administration. Il n'y ainsi aucun sens à ouvrir les postes de cadre de la haute fonction publique au privé, sans règle de recrutement ni primauté de recrutement pour les titulaires, avec de telles promotions d'élèves fonctionnaires ! C'est même là un gâchis d'argent public !
L'asymétrie, que vous évoquiez, ne s'est pas améliorée. Nous sommes partis de ce constat pour dénoncer l'absence de mouvement réciproque entre les deux fonctions publiques.
Sur la gouvernance des collectivités locales, qui représentent un vivier de 40 000 employeurs publics, les gouvernances locales fonctionnent conformément au modèle de l'administration publique à la française où les élus dirigent et délèguent leur confiance à l'administration qui met en oeuvre, conseil et gère les ressources humaines de leur collectivité. Je regrette que ce modèle de coproduction hiérarchisée ne soit pas davantage mis en avant à l'échelle de l'État, tant l'écosystème local est très riche de formes de gouvernance réussie, dans des domaines comme la gestion des ressources humaines.
Tel n'était pas mon propos ! Il s'agit plutôt de réussites, dont il est possible de s'inspirer.
Je vous remercie de votre intervention et de vos réponses à nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Monsieur, nous avons fait appel à vous, car votre nom apparaît souvent lors de nos auditions. Vous avez été Directeur général du Trésor jusqu'en 2016, avant de partir pour le privé, comme l'ont fait vos prédécesseurs. Pourquoi, après avoir exercé la fonction la plus importante de l'Administration centrale, des hauts fonctionnaires font-ils le choix du privé ? Vous avez également été, à deux reprises, Directeur de l'administration centrale. Votre regard est donc particulièrement informé sur l'évolution de la Haute Fonction publique et sa gestion.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Bézard prête serment.
Merci beaucoup Monsieur le Président. Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion - après 28 ans au service de l'État et maintenant deux ans dans le secteur privé - de partager avec vous ce qui m'a souvent frappé dans la Fonction publique.
J'ai dirigé trois Administrations centrales différentes, dont l'Agence des participations de l'État jusqu'en 2010, Agence que j'ai moi-même contribué à créer. J'ai dirigé la Direction Générale des Finances Publiques de 2012 à 2014 et la Direction du Trésor entre 2014 et 2016. Il s'agit d'une source d'expérience abondante. Il est vrai que je n'ai pas d'expérience des autres Fonctions publiques, territoriales et hospitalières. Par ailleurs, mon expérience de la Fonction publique centrale et étatique se limite à un univers très particulier, qui est celui de Bercy. J'ai quitté Bercy trois ans, un an pour aller à Matignon, et deux ans pour travailler à l'Ambassade de France à Pékin, où j'étais en charge des affaires économiques.
La France bénéficie, selon moi, de la meilleure Fonction publique du monde développé. Certains de mes anciens équipiers seraient étonnés de m'entendre le dire, après m'avoir entendu pester contre les inefficacités et les lourdeurs de la bureaucratie. J'ai connu maintes formes d'action publique, conseillé des ministres comme des particuliers, défendu les intérêts de la France lors de négociations internationales et ceux des contribuables face aux marchés financiers.
Notre Fonction publique est compétente, désintéressée et intègre, je tiens à le rappeler. Ses personnels sont complètement investis dans leur travail, indépendamment de leur rémunération. Ils portent et défendent constamment les valeurs de l'intérêt général.
J'ai pu remarquer quelques marges de progression. En effet, le facteur « temps » n'est pas suffisamment pris en compte dans les raisonnements de l'Administration. Pour autant, c'est parfois la survie d'une entreprise qui est en jeu et il est nécessaire de prêter davantage attention aux échéances.
L'Administration ne s'inscrit pas non plus dans la culture de la précarité et de l'impact. En effet, elle se pense éternelle tandis qu'une entreprise ou une personne est mortelle. L'Administration doit se montrer plus attentive aux décisions qui sont prises, à leurs modalités de mise en oeuvre à leur calendrier, et surtout à leur impact.
La majorité des réunions se termine sans que l'Administration ait abouti à un plan d'action clairement défini. Il s'agit d'une problématique majeure. Il est nécessaire de valoriser l'exécution, au-delà de la simple création de concepts, par exemple en rendant hommage à quelqu'un qui aurait porté un projet jusqu'à exécution, et ce à temps.
La clarté et la cohérence des règles qui définissent les conflits d'intérêts doivent également faire l'objet d'une optimisation dans leur application. Les futurs Hauts fonctionnaires sont-ils suffisamment formés pour savoir faire preuve de fermeté dans l'exercice de leur fonction, et résister aux pressions, parfois hiérarchiques, qui somment de favoriser tel ou tel intérêt ? Par ailleurs, les Hauts fonctionnaires sont-ils tous en capacité de détecter ces pressions, qui revêtent parfois un caractère doux et pernicieux ? En effet, une forte dose de courage et de caractère est requise afin de résister aux pressions. Il ne s'agit pas d'une tâche aisée. C'est pourquoi les écoles de formation doivent mettre l'emphase sur ces valeurs morales.
Il est également nécessaire d'éviter que la Fonction publique se sclérose. En effet, les Hauts Fonctionnaires et Très Hauts Fonctionnaires ne doivent pas simplement viser à conserver leur poste, mais à servir l'intérêt général.
Les sorties vers le monde de l'entreprise sont encadrées par un dispositif que j'ai, au cours de ma carrière, pu constater comme globalement fonctionnel et équilibré. Cessons de diaboliser, dans le principe, la sortie vers le secteur privé. Lorsque les textes et les procédures sont respectés, méfions-nous des mensonges qui se transforment rapidement en « fake news » grandissantes.
Notre Fonction publique est peu familière avec le monde de l'entreprise, y compris dans les Ministères qui sont censés s'en charger. Les grands groupes recrutent un certain nombre de Hauts Fonctionnaires. Les PME et les ETI, dont je m'occupe aujourd'hui, ne recrutent pas de Hauts Fonctionnaires. Il existe un besoin d'accroître la connaissance du monde de l'entreprise au sein de la Fonction publique.
La force des fonctions de contrôle Françaises garantit la qualité de l'administration. Toutefois, la part des ressources publiques consacrée aux fonctions de contrôle est par trop supérieure à celle qui est allouée aux fonctions d'action et de résolution des problèmes de la société. Il s'agit de ma propre analyse, forgée lors de mon expérience au sein de ces corps de contrôle. En effet, l'inflation des fonctions de contrôle conduit certains Responsables publics à préférer l'inaction à l'action. Or, ce n'est pas ce que nous devrions souhaiter. Il m'est arrivé de constater que plus de 50 actions de contrôle étaient menées simultanément. Au sein même des administrations dites « actives », la proportion des ressources dédiée au contrôle me semble disproportionnée. Il est nécessaire de rééquilibrer les forces.
En ce qui concerne la rémunération et l'avancement au mérite, la Fonction publique tente de protéger au mieux ses collaborateurs de l'arbitraire. Suite à mon expérience des fonctions managériales, j'estime que nous devrions donner davantage de leviers managériaux aux Responsables des administrations et des services publics. Il s'agit d'une tâche complexe que de récompenser, et de garder, les meilleurs au sein de l'Administration.
J'aborderai enfin un sujet qui concerne uniquement la Haute Fonction publique. Malgré tous les rapports et toutes les réformes, la Haute Fonction Publique est toujours marquée par une forme de reproduction sociale. Elle est toujours aussi « parisienne » et imprégnée de réseaux divers et variés ainsi que de codes sociaux. Il existe bien entendu des exceptions. Toutefois, je ne suis pas certain que la proportion de provinciaux boursiers ait beaucoup augmenté dans la Haute Fonction publique ces dernières années. Je ne pense pas non plus que leurs chances d'atteindre le sommet aient beaucoup augmenté, à talent et labeur égaux. J'espère sincèrement que vous m'en détromperez.
Enfin, j'estime que la Haute Fonction publique est sociologiquement déconnectée du pays réel. Il s'agit d'une problématique dont nous devons prendre conscience.
Merci beaucoup de votre attention.
Je vous remercie de la richesse et de la qualité de votre intervention. Je tiens tout d'abord à vous rassurer. Vous avez souligné que la Fonction publique française est parmi les meilleures au monde, de par sa motivation et son intégrité. C'est justement pourquoi cette Commission d'enquête a été rassemblée.
Comme nous l'a fait remarquer une énarque que nous avons précédemment auditionnée, la règle à l'ENA est celle de « ne pas faire de vagues ». Il est donc nécessaire d'optimiser la formation des personnels. Par ailleurs, les fonctions les plus prestigieuses et lucratives sont généralement captées par une minorité.
Vous avez laissé sous-entendre que les pratiques de la sphère privée étaient similaires à celles de la sphère publique. Je vous renvoie à l'un des pères de notre libéralisme triomphant, Milton Friedman, et à l'un de ses articles intitulé « Les intérêts de l'entreprise n'ont rien à voir avec l'intérêt général ». Friedrich Hayek disait quant à lui que la « justice sociale est un mirage, voire une survivance du tribalisme ». Ces citations ne sont toutefois pas en ligne avec les valeurs de la Fonction publique.
Les législations facilitent les départs de la Haute Fonction vers la sphère privée, au nom de l'efficacité et des « nouvelles valeurs ». Toutefois, ceci est incompatible avec l'esprit et les valeurs de la Fonction publique. Vous êtes resté 28 ans au sein de cette Haute Fonction publique et ses valeurs doivent sans doute vous être chevillées au corps. Il est étonnant que vous l'ayez quittée de manière si abrupte. Dans ce contexte, comment voulez-vous que la Fonction publique puisse résister à l'air du temps ?
Je constate que nous tombons d'accord sur la qualité globale de la Fonction publique. Cependant, vous partez d'une pétition de principe selon laquelle, et pardonnez-moi l'expression, « tout fout le camp ». Or, je ne suis pas de cet avis-là.
Non, ce n'est pas là mon propos. Je me demande simplement comment la Fonction publique peut résister face à ces phénomènes.
Nous avons réalisé des missions sur les territoires afin d'évaluer les effets des budgets successifs. Nous avons été estomaqués du travail acharné qu'ont dû fournir les fonctionnaires afin de s'adapter et faire au mieux avec les miettes qui leur ont été laissées. Cependant, une fois que ces fonctionnaires seront découragés, où pourrons-nous en trouver de nouveaux ?
Le niveau d'implication, de dévotion et peut-être même de sacerdoce dans la Fonction publique, y compris celle qui se trouve sur le terrain, au service de la population, est extraordinaire. Il ne s'agit pas de démagogie, j'ai pu le constater moi-même.
Pour ma part, il ne m'a pas été conseillé « ne pas faire de vagues » à l'ENA. Toutefois, l'audace créatrice et le courage ne sont sans doute pas les vertus les plus valorisées dans l'Administration. La formation initiale doit en effet être revue, afin d'inviter davantage les fonctionnaires à « challenger » et modifier les positions traditionnelles caduques. Ainsi, les managers doivent promouvoir l'audace et la ténacité des personnels.
En effet, l'entreprise n'a pas la même vocation que la Fonction publique. Il serait bien étrange de ne pas en convenir. Bien que la recherche du profit soit la principale motivation de l'entreprise, ceci n'exclut pas qu'elle rende service au pays, et plus particulièrement en créant des emplois.
Vous avez parlé d'« efficacité » ainsi que d'« air du temps ». Il ne me semble pas que le domaine privé ait le monopole de l'efficacité. Je pense que certains services publics sont plus efficaces que des organismes privés. Lorsque je suis sorti de l'ENA, la vague libérale battait son plein. Ceux qui restaient dans le domaine public étaient considérés comme des losers. J'ai donc décidé d'être un loser. Je n'ai pas ressenti, lors de mon expérience au sein de la Fonction publique, de complexe face à la sphère privée.
Par ailleurs, je suis d'accord avec vous. Un fonctionnaire dont le seul but serait de quitter la Fonction publique se serait trompé d'orientation. Certains départs précipités sont cependant bénéfiques, par exemple pour une personne dont le profil ne serait pas adapté aux missions du service public. Nous pouvons toutefois nous interroger quant aux dépenses de la collectivité en termes de formation et d'investissement vis-à-vis de ces personnes.
Il faut, selon moi, savoir sortir de la Fonction publique, après avoir rendu de bons et loyaux services au pays. Cependant, il est impensable d'entrer dans la Fonction publique en la considérant comme seul tremplin pour ensuite entrer dans le monde du privé, comme cela se pratiquait avant que la Commission de déontologie ne durcisse ses règles et leurs applications.
Monsieur Bézard, vous le savez, il ne s'agit pas ici de remettre en cause la Fonction publique et son fonctionnement, mais d'analyser ses mutations et l'endogamie supposée qui les régissent, afin d'améliorer son fonctionnement, dans une optique tout à fait républicaine et démocratique. L'affaire de votre départ a été close, la Commission de déontologie a émis un avis proclamant la compatibilité de vos nouvelles fonctions avec vos anciennes fonctions, avec réserve comme dans 90 % des cas. Il ne s'agit donc pas de revenir sur ce sujet.
Vous devez vous abstenir, je vous le rappelle, d'utiliser le carnet d'adresses que vous avez formé au cours de ces années passées dans la Fonction publique. En tant que Directeur du Trésor et de la DGFiP, vous avez très certainement eu l'occasion de fréquenter le tissu économique français.
Vous officiez dorénavant pour le compte de la société KT Partners. Vous travaillez donc avec la Banque Publique d'Investissement (BPI). Avez-vous donc, dans ce contexte, le sentiment de respecter scrupuleusement les prescriptions de la loi ?
Parfaitement, Monsieur le Sénateur. Le Directeur du Trésor n'a aucune autorité sur la BPI, qui dispose par ailleurs de son propre programme d'investissement décidé sur les bases de critères de marché. Je ne suis jamais intervenu dans les investissements ou dans la vie de la BPI, qui se trouve sous la coupe de la Caisse des Dépôts et Consignations. Tout ceci me paraît d'une clarté absolue.
Vous avez été Directeur de l'APE, que vous avez contribué à créer. L'APE entretient des rapports que je pourrais qualifier de « consanguins » avec la BPI.
Lorsque l'on ne veut pas distribuer des dividendes qui entreront dans le budget général, on les verse à la BPI. Il s'agit d'une pratique relativement fréquente. L'APE engrange parfois les dividendes versés par les entreprises publiques.
Vous affirmez respecter scrupuleusement les prescriptions de la loi. Toutefois, pouvez-vous m'expliquer la manière concrète dont vous respectez cette obligation de ne pas entrer en contact avec les entreprises pour lesquelles vous avez, directement ou indirectement, travaillé ?
Monsieur le Sénateur, ce n'est pas là l'obligation à laquelle m'a soumis la Commission. En effet, pour précision, l'avis de la Commission de déontologie stipule de « s'abstenir de relations avec l'Administration centrale du Trésor, autre que sur des sujets sur lesquels toute entreprise pourrait consulter la Direction du Trésor ». C'est le coeur de métier de la Direction du Trésor que de renseigner les entreprises.
De plus, sauf erreur de ma part, l'APE n'est pas en charge de la BPI. Enfin, j'ai quitté l'APE en juillet 2010.
Nous avons consulté les rapports du Compte d'affectation spéciale « participation financière de l'État ». Un élément nous pose d'ailleurs question : comment se fait-il que le budget général ne reçoive pas les dividendes et que la BPI effectue des portages d'actions ?
Nous nous questionnons sur la pertinence et l'efficacité de la Commission de déontologie. Il ne s'agit pas de vous mettre en cause. La Commission de déontologie est-elle toujours efficace ou doit-elle être fusionnée avec la Haute autorité pour la transparence sur la vie publique ?
Vous dites respecter scrupuleusement les prescriptions de la loi. Selon vous, la Commission de déontologie, tel qu'elle fonctionnait en l'état, peut-elle être améliorée ?
Il s'agit d'une question complexe. J'estime qu'une fusion avec la Haute autorité pour la transparence sur la vie publique est tout à fait possible. Peut-être que cette fusion résoudrait même en partie la question des moyens.
Cependant, il ne s'agit pas du même métier. J'ai contribué à la création de cette Haute autorité pour la transparence sur la vie publique, lors de mon expérience à la DGFIP. Il ne s'agit pas de son objet social. La France a tendance à abuser des réformes institutionnelles.
Le Président de la Commission a toutefois indiqué qu'il ne possédait pas les moyens juridiques ou humains pour vérifier le respect des avis, et plus particulièrement des réserves de ces avis. Je recommande également que seuls les avis positifs soient publiés et non les avis négatifs. Il est en effet important de protéger les fonctionnaires.
Vous avez parlé tout à l'heure de « fake news ». Vous êtes mis en cause dans le cadre d'un conflit d'intérêts. Vous avez, en tant que membre de la Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et Consignations, traité des dossiers relatifs à la BPI, laquelle a fait certains apports financiers à une société de gestion contrôlée par KT Capital.
Cela fait deux ans que j'entends ces mensonges, Monsieur le Rapporteur. Il s'agit de calomnies.
Vous avez été en charge de la Direction générale des finances publiques et donc géré tous les inspecteurs des impôts. Certains sont connus pour « pantoufler » dans les cabinets d'avocat fiscalistes. Qu'avez-vous fait et que pensez-vous qu'il faille faire afin d'éviter que ceux qui font la loi fiscale revendent leurs services ?
Vous avez par ailleurs fait l'objet de certains articles de presse. Voici votre chance de rétablir la vérité. Comment envisagez-vous aujourd'hui votre fonction au sein du fonds d'investissement KT et votre retour potentiel dans la Fonction publique ? Envisagez-vous, à titre personnel, votre retour au sein de la Fonction publique dans, au plus tard, huit ans ?
Ma fonction actuelle est d'apporter des fonds propres à des PME françaises afin de les aider à se développer à l'international. Je n'ai pas l'intention de me retourner vers le service public.
Je n'étais pas en charge de la DLF. Je vais toutefois la défendre. Malgré quelques excès, que j'ai moi-même recensés dans le passé, il est excessif de dire que la DLF est responsable de la complexité fiscale puisque le Parlement l'est également.
Pratiquement toutes les entreprises de financement, qu'elles soient privées ou publiques, sont aujourd'hui dirigées par d'anciens membres de l'Inspection des finances n'ayant pas démissionné du corps. L'annuaire de l'Inspection générale des finances indique que ces 300 membres sont en mesure de communiquer facilement. La BPI, la CDC et la CNP sont dirigées par certains de vos confrères, Monsieur Bézard. Ne pensez-vous pas que cela puisse créer parfois des conflits d'intérêts ?
Vous référez à la toute-puissance supposée des grands corps. Il existe un fond de véracité à ces propos. Cependant, n'exagérons rien, mon prédécesseur et mon successeur à la Direction du Trésor ne sont pas Inspecteurs généraux des finances. Je n'ai, pour ma part, jamais eu l'âme d'un « corporatiste ».
Quelle est l'origine de ses capitaux publics et privés ? Pourquoi dit-on qu'il s'agit d'un fonds franco-chinois ?
Il s'agit d'un fonds français et non chinois, régulé par l'AMF. Son siège est situé à Paris, bien que certains de ses bureaux soient situés en Chine, en Allemagne et aux États-Unis. La part chinoise d'investissement s'élève à 18 % tandis que la part émanant des investisseurs français représente les deux tiers du total. Hormis BPI et CDB, l'ensemble des capitaux est d'origine privée. A l'heure actuelle, les encours sous gestion sont de l'ordre de deux milliards d'euros.
Merci beaucoup, Monsieur Bézard.
La réunion est close à 19 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.