Il y a consensus sur le constat - exprimé notamment dans le rapport établi par nos collègues Yves Daudigny, Catherine Deroche et Véronique Guillotin - du caractère non satisfaisant d'une procédure qui contribue à allonger les délais des essais cliniques. Ce constat appelle une réponse.
Les CCP font face à des difficultés que nous connaissons bien, d'abord parce que la loi Jardé a ajouté une troisième catégorie de recherches pour lesquelles leur avis est nécessaire. Des CPP qui, avant la réforme, étudiaient trois ou quatre dossiers par mois se retrouvent maintenant à étudier une dizaine de dossiers par mois, même s'il existe une procédure allégée pour les dossiers estimés sans risque.
Ensuite, les membres qui y siègent sont bénévoles et ils doivent souvent prendre une journée par mois pour venir étudier les dossiers. Chaque CPP dispose d'un seul équivalent temps plein (ETP) pour son secrétariat, c'est très pratique, mais, compte tenu des congés, il y a des périodes sans secrétariat, où la procédure peut prendre du retard.
Par ailleurs, tous les CPP n'ont pas tous les spécialistes nécessaires : par exemple, seulement la moitié des 39 CPP ont un pédiatre et 8 un spécialiste des rayonnements ionisants. Donc, ces CPP doivent chercher un expert dans leur réseau, demander des informations complémentaires aux promoteurs, etc., ce qui rallonge encore la procédure. Ainsi, des dossiers qui sont envoyés à des CPP ne peuvent pas être réceptionnés, faute de temps de secrétariat disponible ou parce que le plan de charge ne permet pas l'examen en temps voulu. De ce fait, une proportion importante - un tiers à la moitié - des dossiers ne serait pas traitée dans le délai imparti.
Pour autant, le dispositif législatif en question est récent, puisque les décrets ont été pris en 2016 - voire mai 2017, pour le plus important. Quant à l'opérationnalité, elle n'a été complète qu'au début de 2018, puisque le système d'information de la Cnriph qui permet, au niveau national, les échanges entre les promoteurs et les CCP, ainsi qu'entre les CCP et l'ANSM, n'est opérationnel que depuis le début de cette année. Or nous voulons modifier aujourd'hui ce dispositif. Avons-nous bien le recul nécessaire ?
Vous avez cité les pistes d'amélioration consistant à augmenter les moyens de fonctionnement dévolus aux CCP. Je salue les propos que vous avez tenus lors du débat à l'Assemblée nationale sur cette question, madame la ministre. C'est important, parce que la dotation de l'État aux CPP a baissé : elle a été fixée initialement à 3,5 millions d'euros, elle est passée à 3,3 millions d'euros, ce qui a accru les difficultés de fonctionnement des CCP. Mais ce n'est pas une question d'ordre législatif.
Travailler sur la reconnaissance des parcours des membres des CPP, ainsi que l'a proposé le rapporteur à l'Assemblée nationale, afin de valoriser le temps consacré à cette activité bénévole, n'est pas non plus une réponse relevant du domaine législatif.
La création d'une liste nationale d'experts pour faciliter le travail des CPP a été évoquée, mais cette liste était déjà prévue par la loi Jardé. Or elle n'existe toujours pas. Quels problèmes pose donc la constitution de cette liste qui permettrait d'apporter une réponse convenable au problème des CPP sans avoir à changer la loi ? Pourquoi les CPP qui ne disposent pas des ressources suffisantes en termes d'expertise n'ont-ils pas, plusieurs années après le vote de la loi, accès à cette liste nationale qui était prévue par la loi ?
En résumé, les améliorations nécessaires relèvent largement du domaine réglementaire. D'ailleurs, la proposition de loi, telle qu'elle est rédigée, modifie l'article L. 1123-6 du code de la santé publique, mais renvoie à un décret en Conseil d'État les précisions sur la procédure. En quoi cette proposition de loi est-elle donc nécessaire ? Notre rapporteur lui-même vient de souligner que des précisions doivent être apportées, notamment pour éviter que la qualité pluridisciplinaire des CPP ne soit altérée. Il faudra bien un texte d'application en aval de l'adoption de cette proposition de loi pour préciser la sécurisation du principe de désignation aléatoire et de pluridisciplinarité. J'ai bien entendu, madame la ministre, votre volonté d'éviter la constitution de clusters de CPP spécialisés qui paraît contradictoire avec la lutte contre les conflits d'intérêts. Je constate que nous manquons d'informations à ce sujet et qu'une étude d'impact aurait été bienvenue.
Enfin, vous l'avez rappelé, un règlement européen sur les essais cliniques de médicaments, voté en 2014, mais toujours pas entré en vigueur, prévoit la création, au niveau européen, d'un portail unique et d'une base de données. Il doit entrer en vigueur six mois après la publication attestant du bon fonctionnement des outils informatiques prévue courant 2019 - Mme la ministre nous a indiqué que ce serait plutôt en 2020. Il concerne toutes les recherches interventionnelles nationales et multinationales sur les médicaments, y compris les thérapies innovantes, mais ne couvre pas toutes les recherches relevant de la loi Jardé. S'agissant d'un règlement, une transposition en droit français n'est pas nécessaire, un simple toilettage du code de la santé publique suffira. Ce règlement a pour objectif de faire tenir toute la procédure en 60 jours, dont 45 jours pour l'évaluation éthique. Les acteurs français se sont mobilisés, comme vous l'avez rappelé, pour se préparer à ce nouveau cadre, en collaboration avec les promoteurs privés comme académiques.
Une phase pilote de deux ans a été lancée au niveau national, simulant le mode de fonctionnement qu'instaurera le règlement européen. En septembre 2017, un bilan quantitatif assez positif a été établi : sur 260 dossiers déposés dans le cadre de cette expérimentation, 210 ont été gérés dans de bonnes conditions. La France a été la première à lancer cette phase pilote et les résultats montrent que la mobilisation est bien réelle et que les efforts qui sont essentiellement d'ordre organisationnel paient, sans avoir besoin de changer la loi. On peut légitimement juger que les préoccupations des promoteurs de projets de recherche sur les médicaments ont trouvé un écho à la Commission européenne et trouveront satisfaction avec l'entrée en vigueur prochaine du règlement européen.
Nous en sommes donc au stade où un dispositif législatif vient tout juste d'être complété et nous savons que, dans 12 ou 18 mois, un dispositif européen complet entrera en vigueur. Est-il nécessaire, dans cet intervalle, de revenir sur la loi, alors que des dispositions d'ordre réglementaire suffiraient à améliorer le dispositif ? À défaut de réponses satisfaisantes sur ce point, il nous sera difficile de voter en faveur de cette proposition de loi, mais nous attendons vos éléments de réponse.